Je rentre après ma journée d’enseignante. Je demande à ma fille son cahier de textes. Prends connaissance du travail à faire. Elle n’a que 8 ans, elle doit faire une rédaction, corriger un devoir, faire deux exercices de grammaire, apprendre une poésie et faire un exercice d’anglais
Quand je lui dis qu’elle a du travail, elle commence à pleurer, elle en a marre.
Je comprends, du reste. Elle s’est levée à 5 heures du matin, elle a été toute la journée à l’école, et le soir, à peine regagnés ses Pénates, elle doit …encore repartir au charbon. Et cela à tire-Larigot, même pas de manière occasionnelle, absolument tous les soirs.
Je termine : 22 heures 40.
Personnellement je trouve cela inadmissible : pourquoi les parents sont-ils si attachés au travail scolaire le soir ? Cela comble t-il leur vide existentiel, ou cela les fait-il oublier leur couple vacillant, entre chaudron et mine, pour ne pas trop voir bobonne flétrie ou le ventre bedonnant du Valentin dégarni ? Cela leur donne-t-il le sentiment de faire le « maximum » en plongeant dès la plus tendre enfance les enfants dans le monde cruel de la compétitivité ? La vie est dure, alors, au lieu de protéger un peu d’enfance, un peu de rêve à nos enfants, les laisser coincer la bulle, le mieux est qu’on les prépare le plus tôt à l’enfer, n’est-ce-pas, le plus tôt sera le mieux… Mais à faire autant suer le burnous de nos bambins, il y a de quoi leur faire travailler du chapeau.
Au bout du compte, la montagne accouche d’une souris. Après moult soirées stakhanovistes au service de plans quinquennaux de l’Internationale de l’Education, j’ai des élèves fréquemment qui au niveau lycée ne savent rien écrire de convenable en français, on a des devoirs truffés de fautes d’orthographe (ce n’est pas un mythe), après autant de zèle déployé, de sueur coulée, de soirées sabotées, de dîners avalés, de télé avortées, de câlins expédiés, de contes éludés… Comment expliquer cet échec total d’un système remarquable de par ses horaires démentiels ? Et si par bonheur l’enfant s’en sort, c’est à quel prix… Avec tous les parfums d’une victoire à la Pyrrhus. Les autres : dix huit ans perdus pour pointer au Pôle emploi, quel gâchis.
Car chaque soir, rebelote, c’est reparti comme en quarante.
Parce que si encore on voyait des résultats, on aurait pu s’en contenter, pensant que « c’est un mal pour un bien » ou comme la sagesse populaire veut bien le dire : on ne fait pas d’omelette sans casser les oeufs…
ET si on envisageait de manger les oeufs, précisément sans en casser, par exemple en… les faisant durs ?
Bref en termes pédagogiques, je traduis : cela voudrait dire -obtenir des résultats sans dégoûter nos enfants de l’école-. Il y a-t-il encore des enfants qui aiment l’école en France ? Ce serait bien de faire un sondage qui aurait ceci de salutaire qu’il mettrait en lumière le pot-aux-roses.
Est-ce que le jeu en vaut la chandelle de remettre aux calendes grecques enfin les vraies questions ?
En faisant autant travailler nos enfants sur des exercices, on crée l’effet inverse par indigestion scolaire que celui souhaité à savoir :
On empêche les parents d’avoir du temps pour :
– Faire lire les enfants.
– Les faire revoir leurs leçons (avec plaisir)
– Les faire apprendre leurs poésies, leurs tables de multiplication, leurs conjugaisons…(de manière spontanée, parce qu’on a vu qu’il ne les connaissait pas…)
Et c’est là que le bât blesse, là précisément où sont les VRAIES « clés » de la réussite. Dans ces petites interventions parentales qui font toute la différence, là où l’on réussit -ou pas- ses opérations de base, là où l’on apprend -ou pas- à écrire correctement le français, là où l’on réussit les devoirs -ou pas- Et pour que la mayonnaise prenne, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Car il ne s’agit pas d’interdire le travail à la maison tous azimuts.
Cette orientation pédagogique ne fait que renforcer les écarts sociaux entre les mamans qui ne travaillent pas et celles qui travaillent, entre celles qui ont une aide à domicile et celles qui n’en n’ont pas, car ne nous y trompons pas, là est toute la différence. Celle qui retournent après une vraie journée de travail sont fatiguées et supportent mal, comme d’ailleurs leurs enfants également, cette activité surnuméraire.
Et comme l’enfer est pavé de bonnes intentions, le malheur est que les gens qui se livrent à ce type de pratiques, ont les meilleures intentions du monde.
De quoi pisser dans un violon, à moins que l’on ne laisse pisser le Merinos si l’on ne veut pas être voué aux gémonies.
Sinon, on est parti comme en quarante pour un parcours du combattant, car il y en a beaucoup qui pensent qu’on ne doit pas en faire tout un fromage. Si on peut améliorer un tant soit-peu cela, et – j’y crois dur comme fer-, ça ne mange pas de pain, alors autant se plier en quatre et se remonter les manches.
Puis, quand par le plus grand miracle votre petit fait partie de l’élite qui a réussi contre vents et marées, pour être payé en retour, il doit… s’expatrier. Et on a travaillé pour le roi de Prusse.
A bon entendeur : Salut !