La pathologie du cé-(pa)ma-fot (100 % made in Matnik)
Comment sortir de ce marasme du cé(pa) ma-fot local ?
Je participe à la table ronde sur les rythmes scolaires : les autorités souhaitent en effet recueillir le point de vue de plusieurs acteurs sociaux, tous sont pratiquement représentés : professeurs, associations de parents, anthropologues (Serge Domi et moi-même), représentants des transports scolaires, syndicats divers, porte-parole lycéen etc…
Tous sont là, presqu’embarassés de cette responsabilité qui leur incombe de « participer à une consultation locale ».
Le recteur semble consterné. Il insiste sur la nécessité de faire des propositions concrètes. Tous (ou presque) biaisent. On croit qu’on « dit » et on ne dit rien, ou du moins on « fait semblant »; On s’écoute parler dans un monologue pathétique mêlé d’une rhétorique communale d’un autre temps (pour certains).
On a peur de prendre la moindre décision et d’essuyer la moindre critique. Certains se déportent sur la responsabilité de l’autre en faisant invocations et évocations à leur nécessaire consultation. On veut consulter untel, et untel et untel; Ne se croit-on pas « représentatif » ? Croit-on que l’autre est plus « compétent » ? Dans ce magma d’auto-dénigrement, d’auto-sabotage de mutilation volontaire de sa responsabilité politique, le peuple vogue au gré de la vague et préfère (c’est plus commode) critiquer à tout va les décisions que l’autre aura l’audace de prendre (sans le consulter, c’est plus commode de le penser) après y avoir été contraint faute de vraies propositions. Il y a un an, je pense à la proposition éconduite de passer à l’article 74, qui m’a laissé sans voix. Cela révèle sans doute le manque de confiance en nos élus. Mais qui les a élus ? Est-ce donc que l’on n’a pas confiance en nos propres choix ? Alors dans ce cas, il faut réclamer précisément des changements politiques, un renouvellement … Non, il est de bon ton de préférer le statut-quo comme s’il était consécutif à notre bonheur quand bien même serions-nous en difficulté, quand bien-même notre nature serait violée, l’aménagement de notre territoire dénuée de vision futuriste, quand bien-même notre île serait réduite à un îlot coupé de sa culture régionale, quand bien même notre développement serait basé sur l’unique volonté de sucer les subventions en tout genre, en oubliant l’essentiel : le bien-être des populations locales.
On a peur de tout et surtout de soi. Et tout ce qui nous arrive « cé(pa)ma-fot », non pas qu’il faille sombrer dans la culpabilité à tout-va… Mais de là à rester anesthésié, incapable de prendre la moindre décision de peur de « perdre », sans songer que l’on pourrait bien « gagner » justement par des transformations nécessaires et salutaires.
Ainsi le peuple martiniquais se complait dans une victimisation permanente, refusant l’action et la prise de décision ou masquant l’absence de décision en se contentant d' »occuper » des postes et en omettant de faire le travail qui lui incombe par conséquent. On mange au ratelier, considiré « ravèt alentou an zachari ». Mais on ne va se risquer à de vraies décisions, là il ne faut pas exagérer, on a peur de s’exposer.
Je me risque encore une fois à porter la parole de la révoltée et de faire figure d’ « empêcheuse de tourner en rond », brandissant mon franc parler. Risquant de me faire stigmatiser par ma hiérarchie. Risquant la vindicte pour oser dire et penser ; car en France le dire et le penser appartiennent aux personnalités autorisées. Qu’importe, au diable l’avarice, je risque une parole généreuse, je fais cela pour mon pays et par congruence; Il faut expliquer que les rythmes scolaires sont franchement inadaptés à la réalité locale. Je propose des aménagements concrets. Certains m’expliquent en catimini que le peuple « n’est pas prêt ». Ankitan zot ké prê ?
L’enfant commence trop tôt, une responsable des transports est d’accord avec moi, elle précise que les rondes pour récupérer les enfants débutent à 4 heures du matin. Un brin de compassion dans l’asistance a fait enfin porter le débat là où il faut : « se mettre à la place de »… Transformation des consciences ; L’empêcheuse de tourner en rond » dit peut-être la vérité ?…
La société des privilégiés du lever tard rencontre avec étonnement la réalité de nos enfants au quotidien. Pendant que certains se vautrent dans le bonheur d’un système qui les débarrassent de leur enfants (quand nous sommes en grève les parents ont coutume de nous dire « mais qu’est-ce que je vais faire de lui ? », comme un fardeau dont il faut se débarrasser) d’autres se lèvent tôt… et leurs enfants aussi par conséquent.
Les enfants sont épuisés de ce système scolaire qui se gonfle d’année en année pour satisfaire toutes les demandes sociales. Leur enfance est réduite à un unique »temps d’école »; Où sont les rêveries dans les rasiers, les combats avec les fourmis et les mangos, les salades avec les vermisselle-diab, les colliers avec les graines-job, ? Non qu’il faille se complaire dans une nostalgie du passé mais leurs vacances leur sont données en suivant la logique « métropolitaine », on les affuble de vacances « d’été » pendant la période de l’hivernage.
Pour cette raison, n’ayant rien d’autre que la télé pour s’ occuper sont pétris de télé-novelas made in USA, Brasil et maintenant l’Inde et l’Indonésie en ajoutent une couche. Nos compatriotes donnent à leurs enfants des noms d’expatriés. Je rencontre fréquemment des « Suellen » (no-comment sur l’orthographe qui s’est perdue dans l’Atlantique), des « Jiaire » conçus dans les années où Dallas sévissait dans nos quartiers. Bientôt nous verrons naître la India-Love story génération avec des Raj, des Maya déambulant dans notre Galléria… Qu’importe que ces noms ne concordent pas avec nos cultures, seule compte la magie.
Après avoir bien rempli leur cerveaux made in France, ils sont marmeladés et illusionés made in India et par des stars-académies, qui loin de participer à leur édification, les maintiennent dans l’idéal de la réussite soi-disant facile car ils ignorent le travail que les meilleurs candidats ont effectué en amont.
Nos enfants sont embarqués dans un système schizophrénique qui les coupe totalement du milieu local. La nature est bafouée, on sort de chez soi en plein zouk des ravets, on rentre avec le chant des grenouilles. Arrivés à la maison, ils recommencent encore et encore à subir les excroissances d’un fonctionnement qui ne laisse aucune place à la vacuité et à sa somme de richesse créative.
En classe, les enfants ne savent plus ce que c’est qu’un zikak, qu’un soudon ou une pomme-liane mais n’ignorent rien de la poire et de la pomme. Ils n’ont aucune connaissance du milieu local parce que la plupart des enseignants se sont aussi coupés de leur milieu local, via le même type d’enseignement assimilateur; Je vois fréquemment des collègues vibrer sur du Flaubert, comme moi je vibrerais sur une mazurka ou du bèlè.
Et même nous, il faut dire notre grand problème est de tout le temps nier nos atouts; Avec mes élèves je mets sans cesse l’accent sur nos atouts, ils semblent découvrir la richesse de la flore locale, la richesse culturelle et tout le potentiel que nous pourrions développer si nous ne nous étions pas coupés de notre Caraïbe.
Beaucoup de travail encore pour apprendre tout simplement à se respecter…
Publié il y a 22nd January 2011 par Marie-Line Mouriesse
Libellés: Milieu local Rythmes scolaires