Pitt Tomassin – Sur la route du Cap Ferré- Sainte-Anne. J’assite pour la première fois à un « Lakouzemi ». Etrange et fascinant cocktail d’interventions d’intellectuels martiniquais, d’artistes, ambiance bèlè, slam…dans une ambiance natif natal.
Un thème de réflexion charpente la manifestation. Il s’agissait de communiquer sur l’autosuffisance alimentaire à la Martinique. Le thème m’intéresse, depuis des années j’explique à mes élèves que nous devons cesser de nous comporter en consommateurs et réagir face au système en devenant des producteurs.
Le sujet prêche donc dans le jardin (c’est le cas de dire) d’une militante . Planter un citronnier dans son jardin évite d’acheter des citrons, le maracudja fournit facilement du jus et porte abondamment. Un arbre à pain aide la ménagère, un avocatier porte une quantité substantielle de fruits qui améliore les rations alimentaires quotidiennes. Pourquoi donc s’en priver si on a un bout de terre ? Nonobstant l’inévitable remarque qu’ils emmènent des rats… on oublie souvent que les chats sont là pour s’en charger.
Les interventions se succèdent agriculteurs, intellectuels : Kenjah, hommes politiques comme Francis Carole, conteurs comme Alin Legares.
Les exposés sont très différents mais un consensus est réel sur l’essentiel : la nécessité d’accéder à cette autosuffisance alimentaire, celle pour ce faire, de se démarquer du cadre politique français et européen dans lequel le cahier des charges représente une contrainte,
la prise de conscience de l’impératif de dépollution des terres agricoles souillées par les divers pesticides utilisés depuis les années 60/70, le souci de préservation de la biodiversité antillaise source de richesse notamment pharmaceutique.
Le jardin créole est à l’ordre du jour. Il faut le cultiver dans tous les sens du terme et surtout littéral. Le martiniquais se trouve donc devant la problématique de l’action. Action, ? nus encourage à agir et de sortir des blabla aussi brillants soient-ils pour entrer dans une phase de responsabilisation. Car il s’agit bien de prise en charge de soi, de nous.
Lorsque je réfléchissais au problème de l’autosuffisance, avant de me rendre au Pitt, je me disais que le seul fait de se poser cette question présageait d’une évolution spirituelle aux Antilles. Pour moi, se poser cette question suppose que l’on ait dépassé la question des origines, et que l’on ait dépassé la question de l’esclavage dans la mesure où la terre n’est plus synonyme d’asservissement et d’avilissement mais source de libération. De terre meurtrière elle est devenue terre vivrière.
Nous commençons donc à semer dans le ventre de notre terre, même si la pénétration est douloureuse car le passé rôde encore. Enfin cette question fait penser que notre pensée devient plus mature car tant que les martiniquais se nourrissaient sur le placenta européen le cordon n’était pas coupé et cette pratique faisait perdurer un système colonial. Cette question qui suggère un dépassement est une vraie bouffée d’air frais dans le bouillonnement intellectuel, car elle est loin d’être une question matérielle uniquement, qui ne réglerait que l’angoisse de l’anéantissement, elle suppose la volonté de se prendre en charge. Celle d’être indépendant, mais cette fois-ci de manière réelle.
Il ne s’agit donc pas seulement de la question de prendre en charge ses moyens de subsistance mais surtout d’une libération psychologique, d’une vraie « désalienation ». Cela n’est possible que dans un processus de résilience pour emprunter le terme à Boris Cyrulnik.
Un voyage récent dans la réserve caraïbe de la Dominique m’a laissé une impression forte, précisément de par la relation que les amérindiens de cette réserve entretiennent avec leur terre. Leur territoire est pratiquement entièrement planté, des arbres fruitiers croulent de partout, des plantes médicinales, ornementales jonchent leur sol. Il s’agit d’un véritable jardin. Des raisons politiques à cette culture systématique, les parcelles étant perdues si elles ne sont pas cultivées. Leur relation à la propriété est également différent : on peut traverser la case, le terrain, prendre un fruit sans que cela pose de problèmes. Cela a été pour moi une révélation.
Nous avons, nous aussi à la Martinique afin de créer notre propre modèle de développement agricole, à réfléchir aux valeurs qui seront celles que nous souhaitons mettre en exergue avant de prendre une quelconque décision. Est-ce qu’il s’agira de solidarité ? de valeurs écologiques ? De richesse générée ? De rayonnement mondial ? Qu’importe mais certaines valeurs étant incompatibles la cohérence est une nécessité.
Publié il y a 15th August 2008 par Marie-Line Mouriesse