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Les événements du 5 juin 2009 au Pérou ; le Réveil amérindien
La décision de Alan Garcia, président du Pérou, de tirer sur des manifestants amérindiens armés de lances et d’arcs, laisse pantois. Avec Alan Garcia, c’est en effet l’APRA qui est au pouvoir. On avait espéré mieux de ce parti qui, fondé en 1930 par Victor Raul Haya de la Torre, s’était à l’époque positionné en faveur de valeurs démocrates, des masses populaires, et clairement contre l’impérialisme des USA. Victor Raul Haya de la Torre avait été fortement influencé par Zapata au Mexique et par Sandino au Nicaragua. Deux guérilleros, défenseurs du peuple, et acteurs de réformes de fond dans leur pays.
Comment expliquer un tel positionnement de Alan Garcia, lorsque son parti affiche autant de valeurs de gauche, qu’il est membre de l’Internationale et qu’il a choisi la Marseillaise (la marsellesa aprista) comme hymne ?
Le parti apriste a-t-il viré à droite, à t-il infléchi sa politique de manière à devenir un simple parti uniquement soucieux de s’intégrer au continent et aux lois du libre échange ?
Pour le savoir je suis allée sur le site du parti apriste. Je trouve un chapitre qui répond à la question que je me pose : « Por qué ser aprista » ? Bonne question , je vous livre le texte :
« In sintesis, el aprismo es justicia social, soberania nacional, estado comprometido con las majorias y los consumidores, integracion continental y alianza de las clases productoras. Haya de la Torre fue un visionario de futuro del continente. Sus propuestas por la afirmacion democratica y la integracion continental hechas en epocas de pequenos nacionalismos y dictaturas, son hoy compartidas por la immensa mayoria. »
Je traduis :
Pourquoi être apriste ?En résumé, l’aprisme c’est la justice sociale, la souveraineté nationale, un état impliqué avec la majorité et les consommateurs, l’intégration continentale et l’alliance avec les classes productives. Haya de la Torre fut un visionnaire du futur du continent. Ses propositions pour l’affirmation démocratique et l’intégration continentale faites à une époque de petits nationalismes et de dictatures, sont aujourd’hui partagées par l’immense majorité. »

Je comprends maintenant pourquoi le parti apriste d’Alan Garcia a pu se livrer à de tels débordements au Pérou. En fait, dans le parti apriste, on trouve de tout, des valeurs démocrates, l’affirmation du libre-échange, la défense des consommateurs, la majorité, les masses laborieuses… Cela fait penser un peu à un parti centriste. En réalité, on affirme des valeurs de gauche pour gagner les élections, et on mène une politique de droite, une fois parvenu au pouvoir, pour satisfaire les classes bourgeoises, dont on fait partie, d’ailleurs.
Il doit y avoir une tradition apriste en France. On connaît bien cela… Ce n’est pas un hasard si les apristes on choisi la Marseillaise.
Je sens confusément les entrailles de Haya de la Torre se tordre de douleur dans son caveau….
Le parti apriste aujourd’hui n’a rien à voir aujourd’hui avec les idées qu’il avait formulé à l’origine.
Comment donc expliquer ce décalage ?
Il s’avère que le contexte international voit le cours des matières premières considérablement augmenter. Les produits agricoles ont augmenté en relation avec les biocarburants mais aussi les hydrocarbures, les minerais, le bois. La forêt amazonienne devient le théâtre de convoitises, car l’exploitation des ressources qu’elle renferme ont longtemps été considérées comme peu rentables. Trop de frais, l’éloignement, les réseaux à implanter, la lutte contre les effets d’une humidité permanente, fortes pluies…
Aujourd’hui cette inflation rend cette exploitation lucrative. D’où les pressions exercées sur les gouvernements pour des permis d’exploitation de ces ressources. Les gouvernements qui permettent ces exploitations se voient bénéficier d’importantes royalties et il est difficile pour ces états souvent en difficulté financière de refuser ces contrats.
Il ne reste pas moins vrai que le gouvernement d’Alan Garcia a signé le 13 septembre 2007 la Déclaration des Nations Unies sur les droits de peuples autochtones. Dans l’article 3 il est stipulé que « les peuples autochtones ont droit à l’autodétermination, en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel. »
L’article 26 traite des droits sur la terre et les territoires. Je cite : « Les peuples autochtones ont droit aux terres, territoires et ressources qu’ils possèdent et occupent traditionnellement ou qu’ils ont utilisés ou acquis. (…) Les peuples autochtones ont le droit de posséder, d’utiliser, de mettre en valeur et de contrôler les terres, territoires et ressources qu’ils possèdent parce qu’ils leurs appartiennent ou qu’ils les occupent ou les utilisent traditionnellement …. »
Les amérindiens du nord Pérou relèvent de ce droit, ils sont des peuples autochtones et ils occupent ces terres. Ils ont donc le droit de gérer leurs terres et leurs ressources comme ils l’entendent. Le gouvernement d’Alan Garcia n’a donc pas le droit de disposer de ces terres et des les vendre, ni les terres en question, ni les ressources de ces terres à des multinationales, et encore moins étrangères.
Ce texte je le rappelle a été signé par le Pérou et qui plus est par le gouvernement d’Alan Garcia qui était en poste au moment de sa signature. La politique menée aujourd’hui et qui engendre des conflits avec les communautés amérindiennes est donc en totale incohérence avec le positionnement du pays au sein des instances de l’ONU.

La mauvaise nouvelle, c’est que compte-tenu du contexte international, ces conflits vont inévitablement se multiplier. On a connu de similaires lors de la guerre du gaz en Bolivie qu’a menée Evo Morales et Felipe Quispe en 2003. Ce conflit avait duré 32 jours. Evo Morales, leader syndical à l’époque et représentant amérindien de gauche, avait connu une victoire politique. Aujourd’hui il est le premier président d’origine amérindienne (aymara) de la Bolivie.

En août 2008, le gouvernement d’Alan Garcia au Pérou déclare l’état d’urgence. Son gouvernement doit faire face à une féroce opposition au sujet de deux lois qui ouvraient les terres indigènes à l’exploitation pétrolière. Des groupes hydro-électriques, pétroliers et miniers avaient été installés sur les terres des indigènes. Les amérindiens manifestent leur désapprobation à l’époque en occupant ces zones, et en dénonçant ces lois qu’ils appellent ironiquement « La loi de la jungle ». Un total de 12 000 personnes s’opposaient. La station hydro-électrique d’El Muyo de la firme Oriental Electric Corp avait été occupée, perturbant ainsi l’approvisionnement en électricité du pays. Ils avaient également occupé les installations gazières de Camisa, où se trouve le plus important gisement péruvien. Des immeubles publics et une partie d’un oléoduc du nord Pérou était aussi la cible des manifestants.Finalement Alan Garcia a dû retirer ses lois. Le conflit avait tout de même coûté la vie à plus de 80 personnes et fait plus de 400 blessés.

La bonne nouvelle, c’est que les amérindiens sont de mieux en mieux organisés pour défendre leurs droits. En Colombie, depuis 1996, Ernesto Samper avait créé une commision sur les droits des peuples indigènes et sur leurs territoires. . Il s’agissait de créer une concertation permanente avec ces peuples. Le CAUCA : conseil régional indigène du Cauca est très actif en Colombie.
Les amérindiens de Colombie sont d’ailleurs souvent impliqués dans des conflits car il existe de nombreuses frictions entre les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) et ces populations.
Au Pérou, le rôle fondamental de plusieurs associations indigènes comme l’ORPIAN (Organisation régionale des peuples indigènes du nord Amazone) ou l’AIDESEP (l’Association inter-ethnique de développement de la forêt péruvienne) contribuent à la défense des droits des peuples autochtones. Mais l’action politique comporte des risques qui ne sont pas négligeables.
Le représentant de l’AIDESEP, Alberto Lupango, est actuellement réfugié à la mission diplomatique du Nicaragua à Lima. On peut se demander si les valeurs « démocratiques » de l’APRA sont « à l’aise » avec ce genre de pratiques.

En Amérique latine le combat des amérindiens pour faire valoir leurs droits s’incarne dans des grands groupes comme en Equateur la CONAIE, la confédération Nationale des peuples indigènes d’Equateur, au Pérou l’AIDESEP, l’OPRA mais aussi le Sentier lumineux .
Le sentier Lumieux, d’inspiration maoiste péruvien, est un mouvement de gauche qui s’est développé en rassemblant les populations miséreuses, amérindiens oubliés de la réforme agraire de 1969. Il a organisé une véritable guérilla, si bien que le gouvernement s’y est opposé avec ses sinchis, des guérilleros lancés contre eux. Après l’arrestation de Abimaël Guzman, son leader, ils ont réussi à affaiblir le mouvement mais le mouvement renaît sous le nom de « sentier rouge », il regroupe notamment les planteurs de coca (cocaleros).
Au Mexique, les mouvements zapatistes existent toujours.
L’UNID, l’Union des Nations indigènes aussi mérite d’être citée.

Les hommes d’origine amérindienne jouent de plus en plus un rôle de premier plan dans la politique en Amérique latine, nous avons déjà cité Evo Morales, mais aussi son premier ministre David Choquehuanca, l’actuel président du Vénézuela, Hugo Chavez a des origines amérindiennes, pour ne citer que ceux-là.
D’autres personnalités jouent un rôle fondamental comme Rigoberta Menchu, prix Nobel de la paix en 1992. Il s’agit d’une femme amérindienne d’origine maya quiché. Elle a beaucoup travaillé pour dénoncer les entorses aux droits de l’homme au Guatemala. Et enfin, Davi Kopenawa, le chamane brésilien d’origine yanomami, qui a reçu le prix Las Casas, travaille pour le respect des valeurs et des traditions amérindiennes.

On assiste aujourd’hui à un véritable « réveil des communautés amérindiennes » en Amérique mais aussi aux Antilles, qui laisse présager que le texte des Nations Unies arrive à point nommé pour servir de base à une relation plus respectueuse des peuples autochtones, qui ne sont pas « à protéger » comme certains peuvent le penser, comme si ceux-ci étaient d’éternels peuples mineurs, dans une épouvantable relation paternaliste issue de la colonisation, mais que l’on doit accompagner dans son émergence politique, comme on le ferait pour des peuples « amis » à qui l’on ne veut que du bien. De ce contact respectueux naîtra fatalement une autre conception des relations entre les peuples, que le monde attend impatiemment, lassé des éternels conflits de pouvoir qu’une Triade trop puissante interdit d’émerger.

Publié il y a 20th June 2009 par Marie-Line Mouriesse

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