"

Je rêve que les vraies questions du politique soient enfin à l’ordre du jour.

Je rêve que la question du -vivre pourquoi ?- soit posée et la question du -vivre comment ?- analysée, et que l’on ne soit plus soumis au développement à l’occidentale qui n’a de place que pour l’accumulation des richesses et trop peu pour le « bien-être humain ».
Je rêve que notre politique mette l’Homme au Centre de ses préoccupations.

Je rêve que nos médias ne soient plus assujettis aux puissances financières. Je rêve d’une vraie information, qui ne soit pas orientée dans le but de satisfaire les intérêts d’un groupuscule.

Je pense à ce sujet à la vision que l’on nous impose en ce moment de Haïti : des corps morts, des cadavres déblayés à la pelle, ce que jamais on oserait montrer dans un pays occidental.
Lors de la catastrophe du 11 septembre 2001, personne n’avait vu un seul corps mort dans les médias . On montre de l’autre ses oripeaux, ses lambeaux, pour mieux l’avilir et pour mieux justifier la domination que l’on s’apprête à installer, après des siècles de corruption politique et financière.
N’oublions pas que Haïti a du payer à la France son indépendance 150 millions de francs or pour que cette indépendance soit effective et que ceci avait considérablement contribué à son appauvrissement; Bien sûr, jamais vous n’aurez cette information dans les médias « autorisés ». Il ne faut pas oublier que lorsque Haïti accède à son indépendance en 1804, elle est alors la plus riche des colonies françaises. A la suite d’une rébellion en 1791, elle conquiert son indépendance contre l’armée de Napoléon.Croyez-vous que Napoléon qui a imposé sa domination sur toute l’Europe, a pris sereinement sa défaite face aux troupes de Toussaint-Louverture, de Dessalines, de Pétion, des noirs et de perdre sa meilleure colonie dans les Antilles ?
A peine libérée Haïti doit porter le poids de l’ endettement. La France ne voulait reconnaître son indépendance qu’en échange d’une indemnité de 150 millions de francs-or, ce qui correspondrait aujourd’hui à environ 800 millions d’euros. En 1838, la somme est ramenée à 90 millions.
Après l’indépendance de 1804, la France comme tout l’Occident ont décidé que Haïti devait payer son audace d’avoir bravé une puissance occidentale.Des dictatures se succèdent.
Par ailleurs, en 1984, une révolte populaire met fin à la période de dictature de Jean-Claude Duvallier,appelé « Bébé Doc » et fils du dictateur François Duvallier (Papa Doc) . Ce dernier trouve refuge… près de Nice en France.
Il est remplacé par Jean Bertrand Aristide,un pasteur élu par la voie démocratique mais en 2004, année du bicentenaire de l’indépendance du pays, il se retrouve évincé, sans doute parce qu’il a eu la « mauvaise idée » de réclamer de la France la somme ponctionnée sur Haïti au sortir de son indépendance et conduit dans un avion pour l’Afrique du Sud. Ceci étant coordonné par la France et les Etats-Unis. Les premières troupes déployées sur place sont alors françaises et américaines.Que dirait-on si la Suède décidait que Nicolas Sarkozy n’est pas « bon pour la France », et intervenait pour déporter notre président hors de France ? Car il s’agit tout de même d’un élu. Des situations incongrues se produisent dans les pays pauvres, où l’on pratique un néo-colonialisme qui n’a de limites que dans l’imagination des puissances occidentales.
Ce sont des éléments que l’on ne donne jamais aux actualités ou si peu… et nos enfants en concluent : « Haïti va mal à cause de l’indépendance ». Qu’en penser ?
Elle va mal à cause de cette dette qui lui a été imposée,elle va mal à cause d’une dette due au FMI, que par une (monstruosité difficilement qualifiable autrement, de réclamer de l’argent à la puissance la plus pauvre des Amériques, où certains mangent la terre en guise de biscuits et utilisent les arbres comme combustibles), Haïti va mal à cause de la corruption, par ailleurs dont les puissances occidentales sont les instigatrices. Elle va mal car cette image de la république noire en échec servait les intérêts des puissances qui voulaient ainsi décourager les velléités d’émancipation à une époque où les colonies étaient la manne de puissances comme la France et de la Grande-Bretagne.
D’autres disent que Haïti subit une malédiction, quelle est sur le trajet de cyclones… Certes, mais les USA aussi, ainsi que le Japon sont sur la trajectoire de cyclones… et ces deux dernières puissances sont les plus touchées par les risques dans le monde, or ce sont les deux premières puissances mondiales (avant d’être détrônées sans doute bientôt par la Chine et par la suite, l’Inde). Ce ne sont pas les risques qui sont la cause de la pauvreté, mais la pauvreté qui rend les états pauvres vulnérables aux risques.
Affirmer qu’un petit état indépendant se porte forcément mal, est là encore une erreur scientifique très souvent véhiculée dans les couloirs de notre inconscient collectif martiniquais, arraisonné par un passé colonialiste.

Combien de petits états se portent très bien ? Monaco (2 km2), le Luxembourg (2586 km2), le Vatican (0,44 km2) Singapour (714 km2) sont des petits états de par leur superficie. Certains Certains sont même de riches états.
Haïti est deux fois plus vaste que le Qatar, et dix fois plus que le Luxembourg. Penser donc qu’un petit état est nécessairement en difficultés économiques comme on a tendance à penser dans notre île, est scientifiquement faux.

C’est ça la politique à l’occidentale dans une certaine mesure : une idéologie que l’on vous assène, de manière insidieuse, en vous faisant croire que vous êtes libre, alors que vous ne l’êtes pas…En vous faisant croire que ces puissances adhèrent à des systèmes démocratiques, alors qu’en réalité, elles encouragent l’installation de dictatures dans les états qu’elles veulent garder sous leur emprise. Elles organisent ainsi une communication qui touche davantage à la propagande qu’à une véritable information.
Est-ce cela la politique que l’on nous sert comme étant la panacée mondiale; Le règne du profit, de la corruption et de la manipulation ? Doit-on se résigner à prononcer l’éternelle phrase du fataliste :
– on ne va pas changer le monde.
Quelle démission dans notre potentiel de changement, quel don de notre souveraineté.
Il n’est pas interdit de rêver… mieux ?
Je rêve que nos enfants n’aillent plus à l’école de l’assujettissement, qu’ils développent leur capacité à maronner. Ce que j’appelle maronnage, c’est la capacité à remettre en question, à proposer d’autres modèles :
A titre d’exemple, lorsque on vous présente les critères de la santé à l’échelle mondiale, on vous présente généralement des cartes avec le nombre de médecins pour 1000 habitants. Et on retrouve des chiffres étonnants comme 0,01 au Mali, O en Somalie, 0,1 en Zambie.
Si l’on se penche sur la réalité du terrain, on a fatalement considéré que les médecins « à l’occidentale », les guérisseurs des villages, sont bien évidemment, il va de soi, pour les occidentaux, des charlatans qui ne soignent rien, qui manipulent leurs patients en agissant sur leur naïveté. Intéressant, quand on sait que certaines techniques chamaniques sont aujourd’hui utilisées aux USA pour soigner les soldats de retour de la guerre d’Irak (autrement dit la grosse artillerie, si je me permets le jeu de mots), que de nombreux traitements sont « volés » au médecines traditionnelles et livrées en gélules dans les officines occidentales.
La réalité de la médecine sur le terrain est bien évidemment plus complexe, mais oser inclure les médecines traditionnelles dans les critères de santé à l’échelle mondiale serait une véritable reconnaissance. Personne ne s’est interrogé sur ce que serait une carte africaine des critères de santé si les africains considéraient nos médecins comme des charlatans, qui donnent des poudres de Perlin-pinpin à leurs patients ou des solutions si diluées qui ont l’efficacité des placebo. Si efficaces que d’ailleurs eux-mêmes retirent du marché des médicaments qui sont jugés inutiles et parfois même dangereux. Comment serait cette carte. France: O,O1 médecins pour 1000 habitants ? Amusant, non ? L’occident dessine le monde à son image, invente ses critères et ses indicateurs qu’il impose au reste du monde comme une vérité universelle. Au diable le reste du monde, s’il ne voit pas le monde comme eux, car on le sait que trop, la rationalité est née au pays de Descartes.
Je rêve que nos enfants apprennent à questionner les idées reçues et à invoquer leur bon sens. Je rêve que l’on apprenne à nos enfants à respecter leurs intuitions et non pas à s’en méfier, et à ne pas seulement utiliser les rouages dits cartésiens dans leurs appréhension du monde. Car les émotions et les intuitions sont une vérité de perception du monde qui fournissent de précieuses informations.

Je rêve que nos enfants soient encouragés à respecter leurs goûts, à développer leurs talents.
Je rêve qu’on leur enseigne leur histoire, leurs traditions, le respect des anciens, le respect de soi, le respect de l’autre, et qu’ils disposent des enseignements qui leur permettent l’épanouissement de leur personnalité et d’engager leur pays dans le respect d’eux-mêmes. Je rêve qu’on leur donne les moyens d’étudier dans de bonnes conditions, et non pas avec des effectifs si nombreux, que les rapports s’en trouvent de plus en plus symboliques.
Je rêve qu’ils ne passent plus des heures à effectuer des travaux auxquels ils ne trouvent ni motivation, ni formation et qui ne les oriente pas vers leur avenir mais qui les formate à être de bons citoyens, obéissants au système, sans comprendre qu’ils sont le système et qu’ils ont le pouvoir de contribuer à son amélioration. Je rêve que l’enseignement qui leur est prodigué ressemble à leur culture et non pas à une culture importée et  ethnocentrée.
Je rêve que nos enfants ne soient plus violentés par un système qui leur demande chaque jour de trahir leurs rythmes corporels, de trahir les saisons de leur pays, qui leur réclame sans cesse plus d’efforts, plus de travail, plus de productions, plus de productivité, car ils doivent s’habituer à devenir de « bons petits esclaves » au service du capital.Je rêve d’un système que ne leur ferait pas violence continuellement.

Je rêve que la question de l’organisation globale soit relative aux valeurs et aux buts que nous nous fixerions, et que ces buts et ces valeurs ne centrent pas nos existences sur le matériel mais sur l’Homme, qui doit être au centre de tout.

Je rêve d’une cité qui n’aurait pas peur de sa jeunesse, et qui relierait les générations dans un ensemble solidaire. Où chacun aurait sa place dans la transmission et dans la liaison. Je rêve d’un pays qui ne ressemblerait pas à une gérontocratie mais qui se ferait un devoir d’inclure pleinement toutes les générations dans les décisions communes. Je rêve d’un pays qui ne verrait pas sa jeunesse comme un danger pour les aînés mais bien l’espoir de demain et le relais nécessaire pour comprendre le présent et transmettre l’expérience.
Je rêve d’un pays ancré dans ses racines, ancré dans un sentiment de fierté de ses héritages culturels, où chacun, quelque soit son sang et ses ancêtres, serait campé dans sa terre. Que nos enfants connaissent les plantes et les animaux de leur région, et qu’ils n’ignorent pas les lois de leurs écosystèmes. Je rêve qu’ils n’ignorent rien de leurs traditions, et qu’elles soient leur sources d’inspiration. Un pays tourné vers l’Essentiel et impliqué dans la Nature, respectueux de son environnement, conscient que le monde extérieur, est infiniment relié au monde de l’Intérieur. Que l’infiniment petit est dans l’intimité de linfiniment Grand. Qu’ils apprennent à respecter leurs arbres, leurs plantes .Et que pour cette raison le soin apporté à l’un a un impact sur le soin apporté à l’autre.
Je rêve d’un pays qui scande son calendrier au rythme de ses moments-clé, de ses propres fêtes, qu’il a lui même choisi.
Je rêve d’un pays qui ne perde pas de vue son environnement propre, et qui ait un environnement propre.

Je rêve d’un pays engagé dans un processus régional caribéen;
Une Martinique reliée au Brésil,à Porto-Rico, au Vénézuela, à Trinidad, à Cuba; Qui n’irait pas chercher ses produits en métropole mais dans sa région. Une Martinique qui couperait le cordon avec la mère adoptive mais qui serait à la recherche de ses racines qu’elle planterait dans le sol de son Amérique tropicale. Je rêve d’une Caraïbe ouverte, avec des échanges d’idées, d’étudiants, de produits. je rêve d’une Martinique qui aurait l’intelligence de son espace, et le temps pour créer de l’intelligence. je rêve d’un pays qui ne s’englue pas dans un racisme permanent les uns contre les autres et qu’il accepte de voir l’autre comme un autre-soi.
Je ne rêve pas d’une Caraïbe dans les dossiers mais bien une Caraïbe dans le quotidien, avec des liaisons maritimes, avec des échanges d’étudiants, je rêve qu’il y ait des accords entre Cuba pour que des étudiants puissent apprendre la médecine, la cinématographie, des orientations économiques et le partage d’une vision globale à partir d’un projet commun; je rêve de martiniquais ouverts sur les langues caribéennes, bilingues, trilingues, passant du français au créole et du créole à l’anglais, de l’espagnol au hollandais parce qu’ils le valent bien. Une Caraïbe qui communique autant avec Porto-Rico l’étasunienne que Cuba, qu’avec la Jamaïque,  autant Trinidad que Grenade, autant SVG que Anguilla….
Je rêve d’une Caraïbe solidaire, qui ne permettrait à aucune île d’être au ban de l’ensemble sous prétexte d’être petite.

Je rêve d’un pays qui prendrait ses responsabilités où jamais je n’entendrais « responsable mais pas coupable ».Où la question de la responsabilité des terres polluées serait envisagée sous l’angle du nettoyage imposé aux pollueurs, avec obligation de planter sur les parcelles infectées de plantes nettoyantes.
Je rêve d’un pays qui ne donnerait pas de passeport, ni de visa à la pauvreté, à l’exploitation. Un pays où les profits ne seraient envisagés que dans une contexte de subsistance, et où le mot solidarité serait au centre des relations interhumaines. Où l’on prendrait le temps de parler à son voisin, où l’on prendrait le temps d’aller en famille et où on ne pourrait pas ignorer le nom de ses cousins.
Je rêve d’une volonté féroce d’agir et de faire et non pas seulement de dire pour dire, histoire de faire valser la rhétorique, sans qu’elle ne fasse bouger quoique ce soit à par elle-même.
Je rêve que la parole soit action et que cette parole soit conçue comme engagement.
Je rêve d’un pays où comme le disait Fanon, il n’y aurait pas plus de pantalons que d’hommes mais où tous les hommes en auraient et où les femme seraient pleinement considérées comme des actrices nécessaires à l’avancée du pays. Un pays-courage, un pays-fierté, un pays-soleil qui rayonne dans le monde, non pas par ses exploitations mais par ses valeurs, car il serait à l’avant-garde d’un monde désillusionné par les « lois du Marché. »

Je rêve d’un pays où personne ne pourrait se prétendre supérieur à l’autre, parce que personne n’a le droit de dominer l’autre, et où règne la loi de l’Essence. je rêve d’une abolition de l’exploitation des hommes, un pays où on ne voudrait pas « toujours Plus » mais toujours Mieux.

Licence

Symbole de License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International

10 ans d'engagement social et politique. Droit d'auteur © 2015 par Marie-Line Mouriesse est sous licence License Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions 4.0 International, sauf indication contraire.

Partagez ce livre