Chrétien : définitions et paradigmes
Depuis l’introduction du protestantisme en Haïti entre le 16 juillet 1816 et le 7 février 1817 par Etienne de Grellet et John Hancock, deux missionnaires membres de la Société des Amis, la pensée protestante s’est tournée vers l’évangélisation des familles. Une évangélisation qui vise essentiellement la christianisation des jeunes et des adultes. Dans ce contexte, l’enfant a été systématiquement négligé.
De 1816 à 1960, le protestantisme a connu un essor considérable. Son évolution a donné lieu à une diversité théologique dans le paysage religieux haïtien. Selon Déméro (2017), quatre points doctrinaux caractérisent cette diversité théologique : la doctrine de la sainteté (les méthodistes), la sécurité éternelle du salut (les baptistes), l’observance du sabbat (les adventistes du septième jour) et l’exercice des dons et de la manifestation du Saint-Esprit (les pentecôtistes). Tout compte fait, le salut a été le point de départ et l’essence de tous les efforts missionnaires.
Dans cette perspective, le processus de christianisation de l’individu se réalise de deux manières. D’abord, une forme de christianisation qui s’obtient lorsque les parents-adultes ont embrassé la foi chrétienne. De ce fait, l’enfant devient chrétien à l’image de ses parents. Cette forme de christianisation pourrait s’appeler « salut de fait », lequel est reçu comme un héritage familial. Autrement, l’enfant adopte de manière intentionnelle et délibérée la foi chrétienne. Cette forme de christianisation pourrait être qualifiée de « conversion » ou « salut d’intervention » (Déméro, 2017).
Depuis un quart de siècle, le terme chrétien occupe une place centrale dans les discours et récits théologiques en Haïti. Heinise et Casséus (1999) font état des différentes représentations sociales du concept chrétien qui s’applique à une personne éduquée, un citoyen issu d’un pays chrétien, un enfant d’une famille chrétienne, une personne baptisée, un membre d’église ou d’une organisation chrétienne.
Parallèlement, il existe bon nombre de pays qui se réclament du christianisme et qui font montre d’une relation étroite entre l’église établie et l’État tels que : l’Angleterre avec l’Église Anglicane, l’Espagne avec l’Église Catholique, la Suède avec l’Église Luthérienne, la Suisse avec l’Église Réformée, etc. La tendance est que, dans ces pays-là, les citoyens adhèrent automatiquement à l’église établie et leurs enfants deviennent des chrétiens « de fait » (Déméro, 2017).
Ces conceptions de la chrétienté semblent ne pas convenir aux prescrits bibliques selon lesquels tout individu doit entrer personnellement en relation avec Dieu dans la mesure où le salut est une affaire personnelle (Jérémie 31 :30; Ézéchiel 18 :20). Nombreux sont les gens qui ont une conception erronée du concept de chrétien. Pour eux, chrétien signifie tout simplement l’adhésion à une église protestante ou catholique, une congrégation, une mission ou une dénomination. D’autres pensent qu’il suffit d’être membre d’une famille chrétienne ou de développer une relation avec un homme de Dieu. Théologiquement parlant, l’affiliation religieuse, l’appartenance familiale ou la relation avec un homme de Dieu ne suffisent pas pour être appelé chrétien (Matthieu 11 :28; Luc 1: 46-47; Actes 4 :12; Actes 16 :31; 1 Timothée 2 :5-6).
Le dictionnaire Webster définit chrétien comme « toute personne qui fait profession de foi en Jésus-Christ ou en la religion basée sur l’enseignement de Jésus ». Littéralement, chrétien veut dire « appartenant au corps de Christ », adhérant ou disciple du Christ. Le terme chrétien est mentionné trois fois dans le nouveau testament dont : Actes des Apôtres 11 : 26, Actes des Apôtres 26 : 28 puis dans 1 Pierre 4 : 16. L’appellation de chrétien a été attribuée, pour la première fois, à Antioche aux disciples de Jésus-Christ dans le but de les ridiculiser à cause de leur attitude et de leur comportement qui reflétaient Jésus.
À travers la littérature biblique, différentes appellations sont utilisées pour décrire le terme chrétien : celui qui est né de nouveau (Jean 3 :3), celui qui appartient à Christ (1 Jean 2 :28), un enfant de Dieu (1 Jean 3 :1), une personne convertie (Actes des Apôtres 9 : 3-19), quelqu’un qui est habité et dirigé par le Saint-Esprit (Galates 2 :20), quelqu’un qui a l’assurance de la vie éternelle (Romains 8 :38).
D’une manière plus substantielle, être chrétien c’est avant tout apprendre à connaître Dieu à travers l’enseignement des prophètes, l’enseignement du Sauveur et Seigneur Jésus et l’enseignement des Apôtres. Il consiste aussi à développer une relation personnelle avec Dieu, une relation qui va changer l’homme intérieurement et qui va lui amener à aimer Dieu, aimer ses semblables et à servir. Dans cette perspective, le chrétien est appelé à suivre et à vivre le modèle de vie de Jésus-Christ et à l’imiter dans son amour pour Dieu et pour ses prochains (Matthieu 22 : 37-39; 1 Jean 4 : 7- 8; Matthieu 5 : 44-45; Luc 6 : 27-36; Jean 13 : 34-35; Romains 13 : 8-10; Galates 5 :14; Jacques 2 :8; Lévitique 19 :18).
Le terme chrétien est un construit divin à travers l’œuvre du Saint-Esprit dans la vie du croyant. On ne nait pas chrétien, mais on le devient en s’engagent dans un processus de transformation spirituelle que Jésus opère dans la vie du croyant qui l’accepte comme Sauveur et Seigneur. Ceci implique la connaissance de la Parole de Dieu (Osée 6 : 3). Cependant, la connaissance de la Parole de Dieu ne suffit pas pour connaître Dieu et pour développer une relation intime avec lui. C’est bien une étape importante. Une formation théologique ne suffit pas non plus pour connaitre Dieu. Néanmoins, elle peut contribuer à connaitre Dieu dans la mesure où cette formation s’effectue dans une vision prophétique, évangélique et apostolique. Connaître Dieu nécessite de préférence une relation intime avec Lui par le mode de relation que le croyant entretient avec lui-même, ses semblables et avec son environnement (la création).
D’une manière classique, chrétien désigne celui qui croit, accepte et confesse Jésus-Christ comme son Sauveur et Seigneur et professe la doctrine de Jésus-Christ. Le croyant, une fois devenu chrétien, pense, réfléchit et agit à la manière du Christ. Il devient, par conséquent, le disciple, c’est-à-dire celui qui reproduit la vision et les sentiments du Seigneur Jésus-Christ dans sa vie personnelle, familiale, professionnelle et ministérielle. En conséquence, il se construit une vision chrétienne du monde et la transmet aux générations futures (Deutéronome 6 : 1-10).
Une vision du monde peut être définie comme étant un ensemble de présuppositions, de conceptions et de croyances que quelqu’un utilise pour interpréter et formuler des opinions sur soi-même, son prochain, son environnement et sur la vie en général. La vision chrétienne du monde envisage différemment chacun de tous ces aspects. La vision séculière est conflictuelle par rapport à la vision chrétienne du monde. Par exemple, là où le monde séculier affirme que l’humain est le produit de l’évolution, la Bible, au contraire, déclare qu’il est une entité créée et, par conséquent, qu’il a une responsabilité envers son créateur, envers soi-même, envers ses semblables et envers la création. Là où le monde séculier relativise la morale, la Bible, au contraire, veut qu’elle soit absolue. Là où le monde séculier avance que la rédemption n’est pas nécessaire, la Bible, quant à elle, a clairement défini que tous ont besoin d’être délivrés de l’emprise du diable, de l’emprise du monde et du péché. Le contraste est évident et profond. Les deux énoncés ne peuvent pas être vraies à la fois. La vision séculière du monde élève l’humain au sommet du développement de l’évolution comme celui qui domine en tout alors qu’il est considéré comme étant un animal.
Caractéristiques de la vie chrétienne
La vie chrétienne peut être définie comme étant l’expression terrestre d’une relation spirituelle spéciale qu’un croyant développe avec Dieu à travers Jésus-Christ sous la puissance du Saint-Esprit. C’est aussi un processus qui consiste pour le croyant à grandir dans sa relation avec Dieu en vivant par la puissance du Saint-Esprit qui habite en lui. Cette relation avec Dieu lui permet de voir les choses de plus en plus à la manière de Dieu, d’obéir davantage à la Parole de Christ et d’exprimer la vie de Jésus dans ses attitudes, ses comportements et ses actions. À travers la littérature biblique, plusieurs termes sont utilisés pour décrire la vie chrétienne. Ces termes désignent tous la même chose : vie sanctifiée (Hébreux 12 :14), vie chrétienne normale (Galates 2 :20), vie abondante (Jean 10 :10), vie du cep (Jean 15), vie remplie de l’esprit (Galates 5 :22-23), vie par la foi (Galates 3 :11), vie agréable à Dieu (Hébreux 11 :6), vie crucifiée (Galates 5 :24), vie chrétienne victorieuse (Philippiens 4 :13), vie sainte progressivement sanctifiée (1 Pierre 1 :16 ; 1 Thessaloniciens 4 :3), etc. Le croyant qui ne vit pas sa vie chrétienne perçoit la vie du point de vue du monde séculier. Il se comporte selon les principes du monde et non pas selon la Parole de Dieu (1 Jean 2 :15). Ensuite, il manifeste sa propre personnalité et non pas celle de Jésus-Christ (1 Corinthiens 2 :12; 1 Corinthiens 3 :4).
Dans cette perspective, la littérature biblique décrit trois types d’humains : l’humain naturel, charnel et spirituel (1 Corinthiens 2 : 13-15). L’humain naturel ou animal ou sensuel dépend de ses sens. Il n’a pas encore fait l’expérience du salut. Il ne connait pas Dieu parce qu’il n’a pas le Saint-Esprit pour entretenir de relations avec Lui. Par conséquent, il ne peut pas comprendre les choses de Dieu. L’humain charnel ou le croyant connait Dieu à travers l’expérience du salut mais immature spirituellement (1 Corinthiens 3 : 1-2). Il peut se laisser parfois influencer par l’Esprit du monde plutôt que l’Esprit de Dieu. L’humain spirituel s’entretient de bonnes relations avec Dieu, soi-même, ses semblables et son environnement. Son esprit est plutôt tourné vers les choses de Dieu. Il est spirituellement mature pour servir Dieu et combattre les esprits malins de ce monde. L’humain charnel, pour devenir spirituel, doit comprendre et obéir les principes de la vie chrétienne.
Traits de caractère d’une vie chrétienne authentique
Le développement holistique pour combattre la pauvreté, telle que préconisée par ce livre, exige la formation du caractère des croyants de l’église. Cette éducation de caractère peut être effectuée soit à l’église (école du dimanche, étude biblique, prédication biblique, etc.) soit à l’école formelle (classe de Bible, curriculum scolaire intégré de l’éducation chrétienne, etc.) ou à la maison au sein des familles chrétiennes (dévotions familiales, comportement exemplaire, etc.). Le tableau ci-dessous présente 61 traits de caractère[1] qui permettront aux croyants de développer une vision chrétienne du monde et de vivre en harmonie avec les principes bibliques.
Dans cette perspective, les leaders spirituels créeront les conditions nécessaires permettant aux croyants de mémoriser, de méditer, d’appliquer et d’intégrer ces traits de caractère dans leur vie quotidienne (personnelle, familiale, professionnelle et ministérielle). L’idéal est que, chaque semaine, soit au moment de l’école du dimanche ou d’étude biblique, le leader aide les croyants à connaître, pratiquer ou intérioriser au moins un trait de caractère. Dans ce cas, le leader doit refléter le trait de caractère étudié. Toutefois, il n’est pas obligé de se présenter devant les croyants comme étant un être parfait. Mais, il doit reconnaitre ses faiblesses et travailler en conséquence.
Ces traits de caractère sont indispensables à l’exercice d’une vie chrétienne authentique, a fortiori, dans le processus du devenir chrétien et vers la maturité spirituelle des croyants. Le but de l’école c’est l’éducation, c’est-à-dire la transmission des valeurs spirituelles, intellectuelles, sociales, esthétiques, économiques et éthiques chez les fils et les filles de la nation en vue de les élever à la dignité de leur être. Disons mieux, l’essentiel de l’éducation c’est le développement des traits de caractère chrétien en vue de parvenir à l’état d’humain fait et à la stature parfaite du Christ (Éphésiens 4 :13). En revanche, le but de l’église c’est l’adoration (Jean 4 : 23-24), l’évangélisation (Matthieu 28 : 19-20; Actes 1 : 8), l’édification et le support mutuel (Éphésiens 4 : 11-12) en vue de servir de sel et de lumière du monde (Matthieu 5 : 13-16; Galates 2 : 9-10).
Considérant leur importance dans le processus de construction de la société haïtienne, ces traits de caractère peuvent être utilisés à la fois à l’église (école du dimanche, étude biblique) et à l’école dans toutes les matières (approche intégrée). Il convient seulement aux pasteurs, leaders et éducateurs d’offrir une infrastructure socio-spirituelle adéquate facilitant l’appropriation de ces valeurs chez les croyants.
- Adaptés du programme de Accelerated Christian Education (ACE) - School of Tomorrow (2016). ↵