Développement : définitions et paradigmes
Depuis des décennies, les définitions du concept de développement n’arrivent pas à faire l’unanimité parmi les penseurs. Dans une perspective holistique, le développement consiste en la libération de l’humain de ses limites spirituelles, socio-économiques et éducatives (Déméro, 2007). De cette manière, il convient pour l’État et la société civile (institutions religieuses, associations, groupes organisés du pays, etc.) d’offrir un cadre permettant aux individus d’adresser leurs propres besoins vers un état de bien-être où ils peuvent vivre en harmonie avec eux-mêmes, avec Dieu, avec leurs semblables et avec leur environnement.
De ce point de vue, le développement est différent du soulagement. Le soulagement a un focus sur le présent. Il vise la satisfaction superficielle des besoins de l’humain et est tourné vers la dépendance, l’inaction et la pauvreté mentale. Dans cette démarche, l’individu est passif et ne participe presque pas aux activités de développement. Il est considéré, par conséquent, comme spectateur et observateur de ce qui se passe autour de lui.
Le développement, pourtant, projette un regard constructif sur l’avenir. Il vise la satisfaction réelle des besoins de l’individu et est tourné vers l’autonomie. Dans ce cas, l’individu est actif et participe à la planification des activités de développement qui lui sont proposées. Ainsi, il représente le cœur et le moteur du processus de son propre développement. L’éducation constitue en elle-même, l’outil principal du processus de développement de l’individu. Il vise, entre autres, l’acquisition de connaissances (savoir), l’action réfléchie (savoir-faire) et le changement de cœur et d’attitude (savoir-être). L’évidence du développement de l’homme est le contrôle de soi-même, de son environnement et de son avenir dans le but d’arriver à la réalisation du plein potentiel que Dieu a mis à sa disposition (Genèse 1 : 26). Dans ce contexte, le développement holistique est multidimensionnel. Il englobe tous les aspects de la vie : le spirituel, le social, l’économique, le politique, le culturel et l’éthique. Les figures suivantes illustrent la vision holistique et multidimensionnelle du concept de développement tel que prescrit dans les Saints Écritures (Luc 2 :52; Luc 4 :18-19; 1 Thessaloniciens 5 :23) :
La figure 1 illustre les quatre dimensions de la personne humaine : spirituelle, socio-émotionnelle, cognitive (intellectuelle et économique) et physique (santé). Ces dimensions doivent être prises en compte à chaque fois qu’il s’agit de définir un programme de développement humain et communautaire.
La figure 2 illustre le modèle de croissance et de développement multidimensionnel de Jésus Christ sous une forme monolithique. Elle décrit la nature des besoins indissociables de l’humain, notamment des enfants en développement : spirituel, social, intellectuel et physique. Force est de signaler, par ailleurs, que l’ordre de ces besoins n’est pas linéaire mais cyclique. En d’autres termes, tous les types de besoins sont importants à la fois. Les pasteurs, leaders, éducateurs et les agents de développement communautaire avisés doivent en tenir compte à chaque fois qu’il s’agit d’élaborer un programme éducatif et/ou d’intervention communautaire.
La figure 3 illustre les éléments caractérisant la pauvreté physique selon une approche physiologique de l’humain. Elle décrit le cycle de la pauvreté et ses implications en termes de causes et de conséquences sur l’humain en l’absence de toute intervention.
La figure 4 illustre les besoins intellectuels de l’humain. Elle décrit l’importance de l’éducation formelle et non-formelle dans le processus de développement intellectuel et l’acquisition judicieuse des connaissances spirituelles chez les humains en général et les enfants en particulier.
Paquette (1997) considère sept niveaux logiques du développement. Le premier niveau est le développement individuel. Ce qui caractérise ce niveau ce sont les besoins fondamentaux de l’individu. D’abord, les besoins physiologiques tels que se nourrir, se loger ou se protéger contre les éléments extérieurs, les besoins de sécurité et de santé. Le second niveau est celui du développement des groupes, des communautés ou des collectivités territoriales. C’est le niveau où se retrouvent souvent des problèmes ayant rapport à la culture, aux valeurs, aux langues, aux croyances, aux mythes et aux modèles. C’est le lieu de coopération, de concurrence et de confrontation. Le troisième niveau de la logique est le développement local. Ce qui le caractérise, c’est la collaboration volontaire ou par défaut que nécessite le fait de vivre sur un même territoire. Le quatrième niveau considéré est le niveau du développement national. Ce qui caractérise ce niveau de développement est celui de la logique de la gestion et la coordination des éléments qui structurent une nation. Le cinquième niveau est le niveau du développement international. Ce niveau relie les nations à travers les accords, les coalitions, les marchés, les ententes et les chartes ou déclarations. Le sixième niveau est celui du développement régional. Ce qui caractérise ce niveau c’est celui qui relie une nation à une autre par exemple : le niveau de vie, l’épidémie, la sécheresse, le type d’économie, les ressources naturelles et les frontières. Le septième niveau est le développement planétaire. Ce niveau concerne la survie de la biosphère, le maintien des grands équilibres écologiques.
Le Groupe de Lisbonne (1995) identifie les effets pervers de la mondialisation tels que les problèmes environnementaux, la bidonvilisation, la croissance du crime organisé, l’écart croissant entre riches et pauvres, etc. Pour contourner ces effets pervers, le Groupe de Lisbonne présente les perspectives d’un nouvel ordre mondial en trois hypothèses d’aboutissement possibles qui sont : la concurrence pour la survie, la paix triadique, un gouvernement mondial suivant sept scénarios. Le premier scénario est l’apartheid qui est considéré comme le plus extrême de tous. Le second scénario est celui de la survie. Le troisième scénario est celui de la paix triadique. Le quatrième scénario est celui de l’intégration mondiale viable. Le cinquième scénario est celui de l’institutionnalisation d’une économie mondiale intégrée. Le sixième scénario est celui du marché mondial unique. Et possiblement, un septième scénario, qui est celui du contrat des besoins fondamentaux, du contrat culturel, du contrat de la démocratie et du contrat de la terre. En dépit des efforts déployés par l’État, la communauté internationale et la société civile, Haïti n’a pas encore atteint le niveau de la satisfaction des besoins fondamentaux, encore moins les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) des Nations Unies. Le pays n’a pas encore satisfait les besoins d’assainissement, de l’eau potable, de l’éducation de base et de la santé de la majorité populaire. Le pays continue de subir les effets pervers de la mondialisation tels que le crime organisé, les problèmes environnementaux, la bidonvilisation, etc.
Pour contrer ces effets pervers de la mondialisation, il est important de mettre l’accent sur le septième scénario proposé par le Groupe de Lisbonne : celui du contrat des besoins fondamentaux, du contrat culturel, du contrat de la démocratie et du contrat de la terre. Le développement d’Haïti doit nécessairement passer par l’investissement dans l’individu. Cet investissement vise à former l’individu de manière à adopter un comportement responsable vis-à-vis de soi-même, des autres et de la nature et travailler à la transformation de son environnement social, sa communauté, son pays et le monde en général (Déméro, 2007).
Pour arriver au développement d’Haïti, Caius Marius Alphonse (2007) met l’emphase sur la nécessité d’un renouvellement de l’esprit, lequel doit passer nécessairement par l’éducation formelle et non-formelle. Il propose une éducation qui répond à la réalité du milieu et qui permet à l’individu de se considérer comme partie intégrante de sa communauté. Une éducation permettant aux diplômés de s’intégrer dans le contexte local, national, international, régional et planétaire. Elle doit, en outre, préparer le diplômé aux tâches concrètes, spéciales à sa localité, au pays en inculquant des notions techniques et pratiques qui favorisent l’adoption de nouveaux comportements en matière de développement.
L’important pour Haïti, dit Alphonse (2007), c’est l’autonomie et non l’assistance. L’éducation doit être à la base de cette autonomie. Elle permet de régénérer la société civile par le développement de la solidarité. Elle empêche les gouvernements de récupérer les attitudes et les sentiments les plus respectables de leurs concitoyens pour en faire les alibis de leur politique. Dans ce contexte, l’éducation-formation constitue une des stratégies privilégiées pour atteindre les 8 objectifs du millénaire pour le développement (OMD) et les 17 objectifs de développement durable (ODD). Elle devient donc un outil incontournable dans la lutte contre la pauvreté et, par conséquent, la clé véritable pour l’amélioration du niveau de vie du Peuple haïtien.
Mentalités et attitudes associées au sous-développement et à la pauvreté
Trois types de mentalité réfractaires au développement peuvent être identifiés dans le vécu haïtien. Disons mieux trois attitudes, trois pratiques qui produisent le sous-développement. Ce sont : la mentalité coloniale, magique et crabe. La première est celle qui réduit toujours un individu à la recherche d’un colon ou d’un chef pour le faire marcher. On a enregistré chez nous tant de situations de conflit au sein des institutions religieuses et politiques où l’on est obligé d’avoir recours à la communauté internationale en vue de mettre de l’ordre. La seconde, la mentalité magique, est celle qui porte toujours l’individu à se tourner vers la magie pour résoudre des problèmes simples et ponctuels. Dans ce cas, il rejette la science pour embrasser la chance. Enfin, la troisième mentalité est celle portée par des individus d’une même communauté qui ne se réjouissent pas du bonheur de l’autre (rabat-joie) et cherchent toujours à le détruire. D’où la tendance : « Chak koukouy klere pou je w »; « Nou nan mal, nou nan mal nèt »; « Piton nou lèd nou la »; « Fwa sa a lakwa a ale kay vwazen an ».
Ces trois mentalités constituent l’une des racines du mal d’Haïti. Si rien n’est fait, elles continueront encore à ronger tout le système du pays. Il importe donc pour les pasteurs, les éducateurs et les directeurs d’opinion à se montrer sensibles par rapport à ces trois conceptions en vue d’accompagner l’État dans le processus de l’éducation et la formation d’une mentalité qui tend vers le progrès d’Haïti.
Valeurs aptes au développement et au progrès
Le développement du pays dépend grandement de la vision des individus et des citoyens qui le composent. Cette vision doit être basée sur des valeurs et des attitudes qui contribuent systématiquement au progrès, telles que l’orientation vers l’avenir, la rationalité et l’égalité.
- L’orientation vers l’avenir – Pour se développer, l’esprit du peuple doit être orienté vers l’avenir, le présent et non vers son passé. Il est bien de s’enorgueillir des accomplissements historiques qui font la fierté des citoyens mais ils n’ajoutent aucune valeur à leur devenir s’ils ne sont pas enseignés dans une dynamique constructiviste. Dans la conjoncture actuelle du pays, il serait mieux de parler de ce qu’on est capable de faire en vue de redonner l’espoir aux jeunes de la nation. L’orientation vers l’avenir enseigne que le peuple peut changer sa condition d’existence présente en portant un regard optimiste vers le progrès.
- La rationalité – La vie chrétienne n’est ni fatalité ni chance. Elle est axée sur la planification (Jérémie 29 :11) et exige la discipline personnelle en termes de gestion des ressources (informationnelles, temps, finances, amitiés, connaissances, talents, etc.). La rationalité invite les croyants à développer une pensée positive et entrepreneuriale pour réussir dans la vie (Matthieu 25 : 14-30). Les gens à succès sont proactifs, ponctuels et optimistes. Le retard n’est pas chrétien. C’est le résultat d’une mauvaise éducation. Les retardataires sont candidats à la pauvreté.
Dieu est au contrôle de tout. Il est omniscient. Le chrétien doit connaitre la sagesse et acquérir l’intelligence pour réussir dans ses entreprises. Pour y arriver, le Pasteur-Leader doit enseigner au Peuple de Dieu une conception de la vie basée plutôt sur la rationalité et sur les promesses de Dieu (Jérémie 29 :11). La conception rationnelle de la vie invite les croyants à penser qu’ils peuvent connaître et comprendre le monde qui l’entourent et agir en conséquence à leur bien-être (Jérémie 29 :7). - L’égalité et l’équité – La conception de la vie doit être orientée vers l’égalité et l’équité. Tous les humains sont égaux. Par conséquent, ils doivent être traités en tant que tel. Ils méritent tous le même traitement et le même respect. Nul individu n’est supposé être supérieur à l’autre sur la base de sa classe sociale, de sa couleur, de sa race ou de son statut social. La Bible déclare formellement que la justice élève une nation (Proverbes 14 : 34). Par conséquent, l’Église doit faire de son mieux pour promouvoir le droit et la justice parmi les fils de la nation (Jérémie 22 : 3; 15-17).
Dans le but de promouvoir l’égalité et l’équité dans la société haïtienne, les chrétiens doivent lutter contre la corruption dans l’administration publique et non-publique. Ils doivent se conformer aux normes bibliques et éthiques telles que l’intégrité, l’honnêteté, etc. Ils doivent aussi se conformer aux redevances fiscales du pays comme, par exemple, le paiement d’impôt locatif sur les propriétés bâties à la municipalité, la déclaration annuelle de l’impôt sur le revenu à la Direction Générale des Impôts (DGI). Les administrateurs, les comptables et les responsables d’entreprises doivent payer avant le 10ème jour de chaque mois les prélèvements effectués à la source sur les employés, les consultants et les contractés (acompte, CAS, FDU, CFGDCT, IRI et ONA) et toute autre taxe requise par la loi fiscale, le TMS par exemple. Le propriétaire d’entreprise est tenu de soumettre à la fin de chaque année fiscale le bilan des états financiers de l’entreprise soit le 1er octobre de chaque année. Dans cette perspective, il profite de l’occasion pour soumettre la déclaration définitive d’impôt, renouveler la patente pour l’exercice fiscal en cours, la carte d’immatriculation fiscale, la carte d’identité professionnelle, etc.
Ces trois aspects de notre conception de la vie déterminent la relation du croyant avec les autres, sa confiance envers les autres, son esprit de collaboration et son sens du bien commun, son attitude envers le travail et l’accomplissement de son devoir au regard des lois du pays. Ces attitudes, lorsqu’elles sont présentes, produisent les six conditions nécessaires à l’épanouissement de la créativité humaine qui sont : l’équité, le système d’éducation, le système de santé, la récompense selon le mérite, l’emploi correspondant aux capacités et enfin la stabilité ou la continuité.
Le développement holistique axé sur la promotion des droits de l’enfant
À mesure que les visions du monde du croyant changent, ses conceptions de l’enfant changent aussi. Longtemps considéré comme sujet, l’enfant, au niveau des familles et des églises, est maintenant perçu comme objet. À la campagne comme dans les villes de province, les familles perçoivent l’enfant comme un cadeau de Dieu en disant : « Pitit se kado Bondye », « Pitit se Richès ». Au niveau de la classe moyenne, des couples se font du souci pour avoir un enfant et vont jusqu’à en adopter lorsqu’il est impossible d’en avoir biologiquement. En attendant un nouveau-né, les couples expriment le bonheur qu’ils veulent pour l’enfant et l’attention qu’ils entendent lui offrir pour son plein épanouissement. L’enfant, qui a été appelé à devenir sujet, joue le rôle d’objet pour ses parents. Ce qui fait que l’enfant est perçu par les adultes comme objet lorsqu’il contribue à l’existence des couples.
En revanche, il est perçu comme sujet lorsque ces derniers existent indépendamment de lui. Cette conception de l’enfant-objet fait écho au droit à l’enfant qui émerge dans les pays occidentaux où les couples de même sexe revendiquent le droit d’avoir des enfants soit par la procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples de femmes soit par la gestation pour autrui (GPA) pour les couples d’hommes. Dès lors, l’enfant tombe dans le domaine du droit subjectif où il devient un objet qui peut combler une attente, un besoin ou une certaine jouissance subjective.
Aujourd’hui, on est unanime à reconnaitre la valeur de l’enfant aux yeux des familles haïtiennes, des structures religieuses, des organisations para-ecclésiales et de la société en général. Ainsi, la Constitution de 1816 dispose en son article 35 : « Il sera créé et organisé un établissement général de secours publics, pour élever les enfants abandonnés, soulager les pauvres infirmes et fournir du travail aux pauvres valides qui n’auraient pu s’en procurer ». L’article 36 se lit ainsi : « Il sera aussi créé et organisé une institution publique, commune à tous les citoyens, gratuite à l’égard des parties d’enseignement indispensables pour tous les hommes et dont les établissements seront distribués graduellement dans un rapport combiné avec la division de la République ». L’article 53 dispose : « Les droits des enfants nés hors mariage seront fixés par les lois qui tendront à répandre les vertus sociales, à encourager et cimenter les liens des familles ».
La Constitution haïtienne de 1987, quant à elle, accorde une importance particulière à l’enfance et dispose que l’éducation primaire est gratuite pour tous les enfants. L’Institut du Bien-Être Social et de Recherches (IBESR) prône la protection de l’enfant en garantissant son intérêt supérieur à travers les activités de prise en charge tels les programmes d’adoption et de famille d’accueil, etc. Le Bureau de Protection des Mineurs (BPM) de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) de la Police Nationale d’Haïti (PNH) offre un service visant à protéger les mineurs victimes de violence, d’abus et de négligences. En conséquence, beaucoup d’organisations non gouvernementales (ONG) abondent aussi dans le même sens en offrant un ensemble de services pour la prise en charge des enfants abandonnés, négligés, orphelins et démunis.
Dans les universités, la question de l’enfance et de son développement a été l’objet de plusieurs études scientifiques en psychologie, en sociologie et en éducation. C’est le cas des chercheurs tels que Piaget (1923) en Suisse, Montessori (1935) en Italie, Freinet (1969) en France, Gardner (2008), Golman (2006) et Dewey (1925, 1931) aux États-Unis. Ces chercheurs prônent une pédagogie nouvelle basée sur le respect, la liberté et la période sensible de l’enfant dans le contexte de l’apprentissage. Des praticiens haïtiens tels que Odette Roy Fombrun, Colimon Hall et bien d’autres encore ont apporté une contribution particulière à la promotion et à la protection de l’enfance à travers des fascicules, matériels didactiques et des manuels scolaires. Ce qui fait que l’enfance est devenue aujourd’hui une catégorie peu négligeable. On en parle dans les médias, à l’église, l’école, l’université, etc. Mais au niveau des séminaires et facultés théologiques, c’est le silence total ou presque. Il s’agit là d’un paradoxe dans la mesure où l’enfant occupe une place capitale dans les Évangiles.
La littérature biblique, en effet, montre que Dieu se sert souvent des enfants comme intermédiaire auprès de son peuple. Grassi (1992) explique que, dans la Bible, l’enfant est perçu de trois manières. Premièrement, il est un don, un cadeau de Dieu et un miracle divin. Samuel, Isaac, Élisabeth, Jésus et autres appartiennent à cette catégorie. Anne explique le nom de l’enfant en des termes : « Dieu a exaucé » parce qu’elle était stérile. Deuxièmement, l’enfant était symboliquement une garantie de l’alliance entre Dieu et son peuple. L’alliance de Dieu avec Abraham fait d’Isaac un enfant de la promesse. Troisièmement, l’enfant est comme l’instrument de l‘action de Dieu. Il a agi par l’intermédiaire des enfants comme Joseph, David et Salomon.
La place de l’enfant dans l’église
Aujourd’hui, il est important d’analyser la place des enfants dans l’espace religieux haïtien. Gauthier (1992) suggère trois modèles cultuels pour caractériser l’enfant. Le premier modèle consiste à organiser un culte multigénérationnel dans lequel ceux qui font partie de cette dernière seront totalement intégrés dans des activités transgénérationnelles multilingues telles que la prière, la lecture, les chants, l’accueil, les danses chrétiennes, la musique, la chorégraphie, etc. Ce modèle s’applique surtout dans des congrégations qui ne disposent pas encore d’une infrastructure dédiée.
Le second modèle consiste à organiser un culte catégoriel dans lequel les enfants participent exclusivement aux cultes qui leur sont destinés. Dans cette perspective, les adorateurs accueillent l’Évangile dans un style qui leur est propre. Il suffit d’avoir des leaders qui sont conscients de la valeur de la tâche et qui les aident dans la planification et la réalisation du culte.
Le troisième modèle consiste à combiner les cultes multigénérationnel et catégoriel autour d’une approche intermédiaire dans laquelle les enfants assistent à une partie du culte commun et regagnent l’espace de culte qui leur est spécifiquement dédié en fonction de leur groupe d’âge et leur intérêt propre. Un tel modèle s’applique mieux dans des congrégations disposant d’une infrastructure physique adéquate. Par exemple, la congrégation religieuse dispose d’un sanctuaire pour enfants avec des mobiliers appropriés et répondant aux normes de sécurité.
En fait, compte tenu de la réalité infrastructurelle de l’église, il n’y a pas un modèle qui soit supérieur à l’autre. Quel que soit le modèle choisi, les pasteurs-leaders doivent s’assurer de l’intégration de cette catégorie sociale dans les cultes et dans la vie religieuse.
Vers une théologie de l’enfant
Gauthier (1992) propose une démarche en trois étapes pour construire une théologie de l’enfance comme acteur dans l’église de demain. La première étape consiste à partir à la recherche de l’enfant en considérant son parcours historique. Cette démarche consiste pour le pasteur à dresser un portrait de famille où l’enfant est tour à tour malmené et reconnu. Il convient aussi de jeter un regard sur les principales civilisations patriarcales qui influençaient le peuple d’Israël pour remonter jusqu’à nos jours avec la convention relative aux droits de l’enfant. Il y a lieu également de questionner l’organisation de notre société patriarcale traditionnelle et de chercher quelle est la meilleure structure pour la reconnaissance de l’enfant en tant que personne humaine à part entière.
D’une manière générale, le système patriarcal se nourrit de stéréotypes et s’appuie sur la répartition des rôles et des fonctions de l’homme et de la femme. Dans ce système de pensée, le pouvoir appartient généralement aux hommes et est souvent transmis aux garçons de génération en génération. Jusqu’à présent, dans la paysannerie haïtienne, les parents, faute de moyens financiers, n’envoient que leurs fils à l’école. Ces derniers apprennent leurs leçons et font leur devoir à la maison pendant que les filles vont chercher de l’eau, font la lessive et s’occupent de la cuisine en compagnie de leur maman.
Cette étape dans le processus de construction d’une théologie de l’enfant doit aussi passer par l’aménagement d’une infrastructure éducative permettant à celui-ci de se redéfinir à partir de nouvelles bases de questionnement de soi. Elle doit aussi lui donner la possibilité de se déconstruire à partir des méthodes créatives de résolutions de problèmes puis de se reconstruire sur la base des valeurs chrétiennes, l’objectif étant d’arriver à une société forte et juste pour l’avenir. Dans cette démarche, le rôle des éducateurs, des pasteurs et des parents s’avère à la fois prépondérant et incontournable.
La deuxième étape dans le processus de construction d’une théologie de l’enfant consiste à interroger les données bibliques éclairées par la critique exégétique et contextuelle. Sous ce rapport, la Bible est considérée comme étant la Parole de Dieu entrelacée dans les paroles humaines. Donc, toute interprétation littérale qui ne tient pas compte du sens et de l’essence du texte est susceptible d’entraîner des problèmes d’application et des comportements à la fois sexistes et machistes.
Dans cette démarche, le pasteur averti analyse l’attitude de Jésus envers les enfants, recueille des données susceptibles de permettre aux éducateurs et aux leaders d’en prendre connaissance. Par exemple, le patriarcat est sanctionné dans la Bible par un Dieu représenté toujours comme un mâle dominant. D’où l’injonction faite aux femmes et aux enfants de se soumettre aux hommes. Maintenir cette conception aujourd’hui consisterait à enfermer Dieu dans une image anthropomorphique et teintée d’idolâtrie. Car, nulle part dans les Saintes Écritures, Dieu ne se fait jamais passer pour un homme : Dieu n’a pas de physionomie ni de sexe, ni de couleur, encore moins de statut social.
De plus, à travers Son ministère, Jésus a accordé une importance considérable à l’enfance. Dans ses enseignements, il a fait une représentation symbolique de l’enfant. Tantôt, il le représente comme symbole de son royaume et tantôt comme modèle de caractère (humilité, pureté, etc.). Il a, en outre, accordé une valeur sans pareil à cette catégorie dans Son ministère. Donc, le pasteur avisé analyse la valeur que représente l’enfant pour Jésus.
La troisième étape consiste à dégager un humanisme théologique qui tient compte de la personne humaine et qui aborde l’âge de l’enfant comme une poétique tout en questionnant les défis que posent la famille, la société ainsi que l’école aux enfants d’aujourd’hui. Ce questionnement se fait dans le cadre d’une théologie pratique qui privilégie la pédagogie de l’action pour mieux cerner les besoins de ces derniers dans le monde d’aujourd’hui. Si théologiquement la place de l’enfant est reconnue, elle l’est aussi juridiquement par la convention des droits de l’enfant. Une telle théologie s’enracine dans la convention des droits de l’enfant qui est à la fois la reconnaissance de celui-ci en tant que sujet de droit et la reconnaissance de son statut inégal vis-à-vis des adultes, en raison de sa condition et des besoins qui lui sont propres comme la protection de ses parents, l’éducation et la santé, entre autres.