Viateur ALARIE

Le Bulletin de l’Entraide Missionnaire se plait à souligner
le Cinquantenaire de fondation de la Société des Missions Étrangères,
en reproduisant le texte intégral de l’allocution du Supérieur Général
faite lors des célébrations du 20 mai dernier.

Mgr Paul Grégoire, Son Éminence le Cardinal Roy et Mgr Pignedoli nous ont tour à tour prodigué lumières et encouragements qui nourriront notre réflexion et soutiendront notre action. Nous avons partagé aussi le pain eucharistique, et le repas qui s’achève a restauré nos forces. Nous avons donc reçu beaucoup en cette journée, aussi n’ai-je pas l’intention, en me faisant le porte-parole de mes confrères missionnaires, de vous servir un autre plat substantiel.

Je voudrais simplement vous communiquer les pensées que cette [célébration] éveille en chacun de nous et vous faire part de nos espérances.

En fêtant ce cinquantenaire, nous n’avons pas voulu que cette célébration soit uniquement un rappel du passé. Nous avons cru plutôt que le moment était tout indiqué pour réviser notre rôle missionnaire dans le monde d’aujourd’hui et de demain. Nous avons voulu aussi profiter de cette occasion pour attirer l’intérêt du public canadien sur les problèmes du Tiers-Monde et de la Mission. C’est pourquoi quelques-uns de nos confrères ont préparé un programme audio-visuel qui a déjà été présenté à travers la province et ailleurs.

Les principales étapes de l’évolution de notre Société pendant ces cinquante années ont été évoquées dans le dernier numéro de la revue « Missions-Étrangères », je ne veux pas refaire ici l’histoire de la Société, mais, après cinquante ans, on peut s’arrêter un moment pour apprécier davantage le geste de foi et de confiance des évêques fondateurs de la Société.

Depuis 1921, 392 prêtres séculiers sont devenus membres de la Société et d’autres prêtres diocésains se sont joints à elle pour le service missionnaire. Ce nombre de prêtres ne représente qu’une petite partie des effectifs missionnaires canadiens, et pourtant, la Société a exercé son action dans huit pays en dehors du Canada. Elle a connu des expériences missionnaires variées, elle a été en contact avec divers peuples et civilisations, elle a subi les épreuves de la guerre et elle a fait l’expérience de deux révolutions communistes; aujourd’hui, nos confrères vivent sous des régimes marxistes dans deux pays, et le message que le Saint-Père adressait récemment à Son Éminence le Cardinal Roy rejoint vraiment les préoccupations et les recherches de nos missionnaires en ces pays. À travers tous ces bons et mauvais jours, nos prêtres ont sans cesse entrepris des œuvres nouvelles et travaillé à la croissance de l’Église.

Actuellement, nos 250 missionnaires à l’étranger ont la responsabilité directe de deux millions de chrétiens et encore davantage de non-chrétiens. Ils travaillent à la formation du clergé au niveau national dans trois pays; ils exercent toutes sortes de fonctions pastorales et participent aussi un peu partout au processus de libération des peuples.

Ici, au Canada, plusieurs se dévouent à la formation des futurs prêtres tandis que d’autres font un travail d’animation missionnaire.

Nous devons rendre grâce à Dieu pour tout ce qui a été accompli durant ces années, car c’est « par le don de sa grâce que nous sommes devenus des ministres de l’Évangile » (Éph. 3, 7).

Nous devons rendre ici un hommage reconnaissant aux évêques de 1921 qui ont été nos pères et nos modèles dans la foi.

Et, depuis ce temps, c’est à toute l’Église que nous sommes redevables, car c’est tout le Peuple de Dieu qui a soutenu et rendu possible le ministère de nos prêtres.

Nous disons donc d’abord notre reconnaissance à celui qui est le premier parmi les missionnaires, au Pape Paul VI, qui a la responsabilité de toutes les Églises (et qui est présent aujourd’hui parmi nous en la personne de Son représentant, Monseigneur le Pro-Nonce). Nous remercions aussi Monseigneur Pignedoli d’être venu nous visiter en ce jour; et, en lui, c’est son Éminence le Cardinal Préfet de la Congrégation pour les Missions que nous remercions, ainsi que tous ceux qui collaborent avec lui. Auprès d’eux, nous avons toujours trouvé encouragement et compréhension. Que le Saint-Père et tous ces collaborateurs immédiats soient assurés de notre désir de continuer notre service à l’Église et à chacun de nos frères.

Et cette assurance, nous la donnons également à nos évêques qui sont parmi nous aujourd’hui et qui sont les successeurs de ceux qui ont fondé la Société. Ils ont, avec le Saint-Père, la responsabilité de l’Église universelle et c’est en étroite collaboration avec eux que nous faisons un véritable travail d’Église et que nous annonçons l’Évangile.

Je remercie Son Éminence le Cardinal et Monseigneur notre Archevêque qui se sont faits les interprètes de l’Épiscopat, et je remercie tous les autres évêques qui sont ici. Vous êtes les premiers pasteurs de l’Église et votre présence est le signe de la réelle dimension de notre mission.

Je voudrais dire en particulier aux évêques du Québec, qui ont tenu leur Assemblée plénière au Séminaire de Pont-Viau, que ce geste nous a beaucoup impressionnés. C’est la première fois qu’une telle assemblée épiscopale se tient hors de la ville de Québec. De toutes les longues traditions que je connaisse, c’est celle qui m’a semblé se rompre le plus facilement ! Que ce geste ait été posé par nos évêques à l’occasion d’un événement missionnaire, cela lui donne une signification toute particulière et nous voyons que les horizons de notre Église s’étendent bien au-delà de ses frontières.

Je remercie tous ces représentants d’instituts et communautés différentes qui ont voulu nous manifester aujourd’hui leur amitié; leur présence est le signe concret du lien qui nous unit dans le service de l’Évangile.

Je voudrais vous remercier tous en particulier, mais je n’en finirais plus d’énumérer les circonstances et les entreprises dans lesquelles vos missionnaires ont si souvent collaboré et collaborent encore avec les nôtres en missions ou au Canada. Ils ont si souvent partagé les mêmes travaux, les mêmes joies et les mêmes épreuves qu’il devient parfois difficile de dire ce qui est de l’un et ce qui est de l’autre.

Vous me permettrez cependant de mentionner ici quelques instituts envers lesquels nous avons une dette toute spéciale de reconnaissance.

Les Sœurs Missionnaires de l’Immaculée-Conception ont mis aujourd’hui cette salle à notre disposition, je les en remercie. Comme vous le voyez, elles sont nos voisines ici, depuis 1923, et elles se dévouaient déjà pour nous bien avant que la Société n’existât. Leur fondatrice, Marie du Saint-Esprit, fut une collaboratrice discrète et éclairée des évêques dans l’œuvre de fondation de notre Société. Monseigneur Bruchési la consultait volontiers et elle participa même un jour à une réunion d’évêques qui précéda de peu la fondation de la Société. Vous voyez que les journalistes ont eu tort de dire que c’était la première fois, en avril dernier, à Ottawa, que des femmes prenaient part à une réunion d’évêques canadiens ! Le rôle qu’elle a joué en cette occasion est difficile à apprécier, parce qu’elle a toujours été d’une grande discrétion sur cette question. Nous connaissons mieux l’action missionnaire de ses filles pour en avoir été si souvent les témoins. Elles ont collaboré avec nos missionnaires depuis la Chine jusqu’au Pérou. Je leur en dis ici toute notre reconnaissance.

Je tiens à remercier aussi les Sœurs Antoniennes de Marie qui se dévouent au Séminaire de Pont-Viau depuis 1923, ainsi qu’à notre Maison centrale. Elles ont été d’une patience et d’une générosité admirables. Elles ont connu elles aussi des heures difficiles, en Chine; tout ceci ne semble pas avoir altéré leur joie et elles se dévouent encore au Pérou, au service du Séminaire et de la Pastorale. Elles sont, elles aussi, d’insignes bienfaitrices de notre Société.

Et, je salue maintenant la foule presqu’innombrable de nos parents, bienfaiteurs, amis, membres des Cercles missionnaires et zélatrices, tous nos collaborateurs laïques au Canada. En un mot, c’est tout le peuple canadien que je dois remercier, parce que c’est lui qui a rendu possible ces cinquante ans d’action missionnaire; c’est lui qui a répondu dès le premier instant à l’appel des évêques et qui ne s’est jamais démenti par la suite. Le peuple du Canada a vraiment partagé notre tâche missionnaire, il est juste qu’il partage aujourd’hui notre joie et c’est à lui surtout que revient l’honneur du travail accompli.

Cet appui continu de l’Église canadienne et l’expérience missionnaire acquise durant cinquante ans devraient nous faire regarder l’avenir avec une assurance plus grande que jamais. Cependant, la mission devient tellement difficile de nos jours qu’elle nous apparait comme un véritable défi.

Nous sommes confrontés, en missions, avec une foule de réalités nouvelles. En plus des mutations à l’échelle du monde, il y a les problèmes propres au Tiers-Monde. La plupart des pays où nous œuvrons sont de jeunes nations à la recherche de leur identité. Une légitime fierté nationale se transforme parfois en un nationalisme qui rend délicat le travail des étrangers. Les régimes politiques sont souvent instables et les situations socio-économiques inhumaines. Le missionnaire, fidèle à l’Évangile, doit se solidariser avec les pauvres, les opprimés et travailler à leur libération. Mais sa fidélité à l’Évangile et son amour des hommes le mettent parfois en conflit avec les gouvernements et les pouvoirs établis qui considèrent son action comme une menace. En plusieurs pays, le marxisme est présenté comme le nouvel Évangile et les chrétiens eux-mêmes sont parfois partagés ou cherchent des voies possibles de rapprochement et de collaboration. Il existe presque partout une grande diversité de situations et d’idéologies. Les heures de crise que nous avons traversées, ici au Québec, l’automne dernier, nous donnent une idée de ce que beaucoup de missionnaires éprouvent, à l’année longue, au milieu de tensions et de déchirements entre les hommes.

La mission se complique aussi du fait des difficultés éprouvées à l’intérieur de l’Église. Comme missionnaires, nous sommes pour ainsi dire au cœur de l’Église et nous ressentons vivement les transformations et remises en question qui surgissent non seulement dans l’Église canadienne, mais dans chacune des Églises que nous servons,

Autrefois, les difficultés du missionnaire étaient plutôt du genre que décrit saint Paul dans la Deuxième Épître aux Corinthiens : voyages sans nombre, péril des rivières, dangers des brigands, jeûnes, fatigues, maladies et persécutions. Aujourd’hui, les difficultés se situent à un autre niveau; elles sont plutôt intérieures et mettent parfois en cause la vocation elle-même et l’engagement de tout l’être.

Tout comme les jeunes pays, les jeunes Églises prennent de plus en plus conscience de leur autonomie et de leur identité propre. C’est normal, et la diversité des Églises et des cultures constitue une richesse pour l’Église universelle, mais l’évolution ne va pas sans heurt. Le missionnaire doit réviser bien des concepts et des attitudes; il doit transmettre à d’autres les tâches de responsabilités et de direction et se consacrer lui-même à un humble service de l’Église locale. Les uns tiennent à ce service, tandis que d’autres voudraient s’en passer…

Une autre des grandes souffrances du missionnaire, et qu’on peut difficilement saisir sans l’avoir vécue, c’est de se sentir perpétuellement étranger partout. Même après dix, vingt ou trente ans de service dans un pays, même s’il connaît les gens, leurs us et coutumes plus que la plupart des autochtones eux-mêmes, même s’il s’est fait naturaliser et s’il manifeste un amour qui va jusqu’au don de sa vie, le missionnaire passe toujours pour un étranger. Et, lorsqu’il revient dans son pays natal, il s’y sent encore étranger et souvent il est perçu comme tel.

Et puis, le missionnaire s’interroge aussi sur la mission elle-même, au moins sur la façon de l’accomplir dans le contexte actuel et sur le rôle des instituts missionnaires. Quant aux Théologiens, ils ne viennent pas toujours l’éclairer suffisamment et opportunément dans ses recherches.

Enfin, la diminution du nombre des vocations est un autre sujet d’inquiétude pour le missionnaire.

Ce tableau peut paraître sombre, mais il me semble conforme à la réalité.

Faut-il en conclure que la mission aurait fait son temps? Ou qu’une Société comme la nôtre répondait aux besoins d’une époque maintenant révolue?

Nous croyons fermement que non.

La Bonne Nouvelle de l’Évangile qui se répandit sur le monde comme un souffle d’air frais au début de l’Église, n’a pas perdu sa fraicheur et son actualité.

L’humanité n’a cessé de grandir en nombre depuis le début de notre ère, et les hommes d’aujourd’hui ignorent encore pour la plupart l’Évangile. Ils en ont pourtant autant besoin, sinon plus, que leurs ancêtres.

Il y a la foule innombrable des pauvres qui aspire à la libération, laquelle ne peut se faire sans amour… Il y a aussi le monde de la technique et de l’industrie qui se sent frustré, malgré les progrès de la science. La technique n’a pas apporté toutes les solutions aux problèmes de l’heure; les pays très avancés connaissent eux-mêmes beaucoup de difficultés intérieures.

On n’a pas encore épuisé toute la richesse de l’Évangile et sa puissance de transformation pour notre temps.

L’Évangile n’est pas dépassé parce qu’il a été annoncé, écrit, vécu dans un contexte socio-culturel différent. Son inspiration, enrichie par l’expérience vivante de la tradition chrétienne au long des siècles, reste toujours neuve pour la conversion des hommes et le progrès de la vie en Société… (Paul VI dans sa Lettre Apostolique au Cardinal Roy).

Voilà pourquoi le commandement du Seigneur d’aller enseigner toutes les nations conserve toute son actualité et son urgence.

Nous croyons que la crise actuelle de la mission n’est pas un signe de sa fin prochaine, mais plutôt un signe de transformation, d’un passage vers une nouvelle étape. Il nous faut alors repenser la mission, car l’humanité d’aujourd’hui n’est plus celle d’hier.

Le Christ est toujours à l’œuvre dans le monde. C’est lui qui conduit l’humanité vers le monde à venir. Il a encore quelque chose à dire à l’homme de demain et il se choisira encore des porteurs de son message.

Ces messagers seront probablement des missionnaires d’un type nouveau. Que sera-t-il exactement, nous ne le savons pas.

Ce qui est certain, c’est que tout au long de l’histoire du salut, surtout aux époques de crises et de transformations, les envoyés du Seigneur ont été des hommes de foi et d’espérance; des hommes extrêmement souples à l’action de l’Esprit, des hommes de leur temps, sensibles aux signes des temps et disposés à lire les événements à la lumière de la foi.

Nous espérons que l’Église canadienne produira encore de tels apôtres.

C’est ce geste de foi des apôtres de tous les temps et de nos fondateurs que nous renouvelons en ce cinquantième anniversaire, et nous sommes heureux de le renouveler avec vous, en Église.

Viateur Alarie, pmé

Supérieur général

§

Viateur ALARIE, Supérieur général – Société des Missions-Étrangères.

Source : ALARIE, Viateur, p.m.é., « 50 ans d’action missionnaire », Bulletin de l’Entraide Missionnaire, vol. XII, no 4, juin 1971, p. 133-139.

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