Jaime Paz ZAMORA

Il y a deux jours, à l’occasion d’une réunion que nous avons eue à Montréal, j’ai pu dire que, malgré la distance géographique entre le Canada et la Bolivie et le fait que ces deux pays n’ont pas de relations commerciales très intenses, la Bolivie n’était toutefois pas loin du Canada, parce qu’elle était convaincue que lorsque le moment serait venu de lutter pour la liberté et la démocratie, personne ne serait loin de personne, que nous serions partout présents et que nous formerions un tout.

Cela touche une réalité très précise dans le cas bolivien et je désire vous le dire ici – je crois que c’est le lieu et le moment — que le Canada, et peut-être d’une manière plus particulière le Québec, ont été présents en Bolivie, principalement par le biais des religieuses et des religieux qui sont arrivés dans mon pays il y a environ une vingtaine d’ années . La présence du Canada et du Québec surtout, fut une présence missionnaire, une présence qui s’est manifestée à travers l’Église.

Et c’est pour cela que je désirerais, dans ces quelques minutes, dire l’importance et la qualité de la présence religieuse canadienne dans mon pays. je crois que ce sera la meilleure façon de me référer au problème bolivien car, en ce qui concerne les caractéristiques du coup d’État du 17 juillet, je pense que vous avez déjà là une information de base. Les religieuses et religieux canadiens nous ont aidés en Bolivie à faire que 1’Église bolivienne puisse cesser d’être une Église coloniale et se convertisse pour devenir une authentique Église nationale. Quand je souligne cette différence entre Église coloniale et Église nationale, je ne me réfère pas au fait de l’origine des individus qui forment cette Église, particulièrement sa hiérarchie, mais il me semble qu’une Église en Amérique latine se convertit en Église nationale au moment où, en tant que structure ecclésiale, elle commence à faire partie de l’histoire de libération et du changement du continent latino-américain, et dans ce cas, de la nation bolivienne.

S’insérer dans un processus national de libération, c’est définir le rôle de la foi dans une société en transformation, dans un processus de changement. Et ceci veut dire parvenir à passer cette frontière si importante au-delà de laquelle la foi cesse d’être l’idéologie officielle du système et devient une contre-idéologie, comme cela se produisit au cours des trois premiers siècles du christianisme. C’est dire qu’avant que 1’Empereur Constantin – je me permets de faire cette référence un peu lointaine – ait consacré la religion catholique ou chrétienne comme religion officielle de l’Empire romain, la religion fut une contre-idéologie à Rome: elle fut essentiellement subversive, et c’est pourquoi elle fut également persécutée; mais très concrètement, elle alimenta idéologiquement toutes les forces qui luttaient pour la transformation de l’Empire romain.

Pour nous, le problème fut 1’officialisation du christianisme au niveau des structures du pouvoir.

Je me suis référé à l’Empire romain de Constantin parce qu’en définitive, c’est là que commença la reconnaissance par l’État de la religion ce qui, par l’intermédiaire de Rome, de l’Espagne, nous est arrivé en Amérique latine et en Bolivie, comme un fait officiel. Et je crois que le problème aujourd’hui en Bolivie est de savoir comment cette religion peut devenir un agent de changement et par conséquent, cesser d’être un appareil de cohésion pour l’idéologie officielle. Et c’est à partir de là que je reviens à mon premier thème : je désire signaler le grand apport des religieux et des prêtres canadiens qui se sont établis en Bolivie dans les années 60 et qui furent des agents très importants de ce processus de changement de l’Église bolivienne dans la société bolivienne.

C’est ce qui explique, par exemple, le martyre, l’assassinat d’un prêtre canadien Maurice Lefebvre, en Bolivie. Je dirais qu’il fait partie, avec d’autres chrétiens, des premiers martyrs de l’Église nationale bolivienne entendue dans le sens que je viens d’expliquer.

Cela explique aussi le conflit actuel, je crois, le plus grave de toute l’histoire de l’Église en Bolivie, entre l’Église et l’État. C’est la nouvelle vision, c’est la nouvelle réalité de la foi au sein de la société bolivienne, qui fait qu’actuellement, un archevêque comme Mgr Manrique à La Paz, représente un facteur de contre-idéologie face à la dictature. C’est là la manière dont se vit la foi actuellement. La foi aujourd’hui en Bolivie veut dire démocratie, lutte contre la dictature, processus de changement, libération.

Enfin, parce que je vois que vous êtes critiques de la même façon que le peuple bolivien lui, conteste, dans sa lutte, la dictature, je désire vous dire que cette nouvelle manière de vivre la foi qui commence à se percevoir en profondeur dans mon pays, garantit la survivance même de la religion et de la foi dans le processus révolutionnaire que nous vivons. Je suis convaincu que ce sont les hommes et les femmes qui, à un certain moment, s’inscrivent comme des dissidents par rapport à la manière officielle de vivre la foi qui, finalement, feront survivre la foi quand commencera le processus de transformation sociale.

Les 2 000 ans d’histoire de l’Église nous enseignent qu’à un moment critique du changement social, l’Église est divisée en une hiérarchie conservatrice et en une Église populaire qui opte pour le changement, de manière générale. Ce phénomène que l’on a observé durant les 2 000 années de l’histoire de l’Église nous mène à une conclusion : normalement, c’est cette Église du peuple qui, à chaque moment, garantit la survivance de l’Église pour l’étape suivante parce que c’est d’elle que surgira la hiérarchie de l’étape révolutionnaire postérieure. Je veux dire que c’est du moins ce que l’histoire universelle nous enseigne. L’histoire de mon pays aussi. Dans la capacité de changement des structures de l’Église, il y a également la capacité de survivance de la foi dans une société déterminée.

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Jaime Paz ZAMORA, Vice-Président du gouvernement en exil de Bolivie.

Source : ZAMORA, Jaime Paz, « Allocution de M. Jaime Paz Zamora », Dossier du Congrès – Foi et sociétés – 1980, Montréal, 1980, p. 75-76.

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