Marie-Vincent FERRIER

Causerie prononcée par Sœur M.-Vincent Ferrier
des Sœurs Missionnaires de Notre-Dame d’Afrique

Dans une de ses instructions à ses premiers missionnaires partis au centre de l’Afrique, le Cardinal Lavigerie, insistant sur le caractère de leur zèle auprès des indigènes, leur disait avec toute son énergie habituelle : « Vous êtes des apôtres, vous n’êtes que cela, ou tout au moins, le reste ne doit venir que par surcroit… » l’apôtre, ne l’oubliez jamais, c’est exclusivement l’homme de Dieu et des âmes.

C’est pénétrée de cet enseignement, avec cette intime conviction que brevets, diplômes, ne doivent venir que par surcroît que la Sœur Missionnaire part pour les pays infidèles, voulant de tout cœur être apôtre et n’être que cela. Comme le grand Apôtre, c’est la charité du Christ qui la presse de se donner aux âmes qu’elle veut évangéliser. Mais la charité n’est pas une méthode d’apostolat, elle est la vie même de l’Église et de chaque chrétien, et là où elle n’est pas, il n’y a pas présence de l’Église.

La Sœur missionnaire ne travaillera pas seule en mission, elle appartient à un Institut qui, reçu par l’Église dans les rangs des apôtres, a son rôle précis et sa place assignée. Celle qui chercherait à réaliser des plans personnels dans l’accomplissement de l’œuvre qui lui est confiée montrerait qu’elle n’a pas compris ce qu’est l’apostolat. Elle n’oublie pas que son activité missionnaire appartient à l’Église et au Chef de mission nommé par le Saint-Siège, c’est lui qui dirige.

Modeste auxiliaire des missionnaires, son action, tout en relevant de l’autorité de ses Supérieures, est reliée à la volonté du successeur de Pierre dans l’œuvre de la formation de l’Église totale.

Dès son arrivée dans un des postes de mission, la Sœur missionnaire se voit attribuée un emploi, une œuvre, mais elle ne tardera pas à se rendre compte que l’accomplissement de cette œuvre est étroitement liée à un apostolat de contact qui se réalise par des visites, réceptions et autres occasions de rencontre avec les indigènes.

Se soumettre à la loi de l’adaptation devient pour la Sœur missionnaire un devoir pressant, impérieux pour répondre à sa vocation d’apôtre.

S’adapter aux conditions de vie matérielle, c’est relativement facile diront les missionnaires de certains pays où coulent le lait et le miel, où les fruits abondent, où la clémence du climat, le calme d’une nature toute baignée de soleil offrent une poésie dont on ne se lasse pas. Enthousiasme qui laisse froids les missionnaires des régions artiques (sic)… et pour cause. Question d’opinion personnelle, d’expérience personnelle… Pour ma part, j’ai gardé bonne souvenance des étés sahariens où le thermomètre oscille entre 1150 et 1250 Fahrenheit.

S’adapter à la mentalité des indigènes, c’est plus difficile, cela suppose un effort pour renverser les obstacles d’ordre psychologique qui s’opposent à tout contact de sympathie. Il faut par tous les moyens se faire agréer avec confiance. Il s’agit de se mettre de plain-pied avec ceux auxquels on veut faire du bien.

S’adapter non dominer, mais pour donner et pour recevoir. Pour donner en tenant compte de ce que les autochtones attendent de nous. Ce qu’ils attendent… c’est le témoignage d’une vie vraiment évangélique.

« Que votre vie nous parle », disait Gandhi à des chrétiens aux Indes; « comme la rose qui répand son parfum. Même l’aveugle qui ne la voit pas, en sent le parfum. »

Ce que nous attendons de vous, disent les Musulmans aux chrétiens, c’est la miséricorde et la bonté. Le mot miséricorde pour eux, c’est la bénédiction, car le missionnaire est toujours porteur d’une bénédiction. Puisse-t-il surtout voir se manifester un jour la miséricordieuse bonté de Dieu sur ce peuple si loin encore de la Lumière.

S’adapter pour donner et pour recevoir… « Il serait absurde de vouloir recommencer à zéro », c’est un Congolais qui l’écrivait lui-même et en cela, il se faisait le porte-parole des Japonais, des Chinois, des Hindous, des Arabes. « Il est impossible », disait-il, « de faire taire le passé qui parle en nous, nous avons un passé qui nous a transmis un héritage de valeurs réelles, personnelles, originales. Je ne suis pas le premier à reconnaitre à l’âme africaine un certain accueil inné et profond à l’égard du sentiment religieux. Cette place d’attente a été longtemps occupé (sic) par des hôtes illégitimes, qui nous empêche de désaffecter cette place, de mettre à la porte les intrus et d’y installer le Christ? »

Pour nous, Sœurs Blanches d’Afrique, puisque le but précis de notre [institut], tel que fixé par notre Fondateur, reste que nous soyons apôtres au milieu des femmes africaines et arabes, notre effort d’adaptation doit se porter vers le milieu où vivent ces femmes afin de les préparer au rôle de premier plan qu’elles ont ou auront à jouer au foyer et dans l’éducation de leurs enfants, pour christianiser la famille, cellule vitale de l’Église.

Étude du milieu, étude de la langue, visites aux indigènes, voilà donc ce que demande de nous la pénétration du milieu. Louis Lochet, dans son livre Fils de l’Église, appelle cette pénétration du milieu – une démarche d’incarnation qui engage tout la vie du missionnaire et réalise sa vocation. Détachement matériel d’abord de son pays, de sa famille, de sa maison… et dépouillement de ses habitudes, de ses jugements tout faits, de réactions de sensibilité, de convenances humaines, en un mot de toute une mentalité.

Ce dépouillement, c’est une incarnation dans un milieu nouveau, que le missionnaire aborde sans esprit de retour. Il ne vient pas lui parler, il vient y vivre. C’est une vie nouvelle.

C’est en s’incarnant que le Christ dépouille l’éclat de sa divinité. Tout missionnaire reprend ce geste à sa manière. En agissant ainsi, il ne fait pas acte de condescendance, mais un acte d’amour. On ne se penche pas vers un milieu, on en est. Notre Seigneur s’est laissé enseigner la condition. Tout prendre du milieu sauf le péché.

Étude du milieu

À maintes reprises, les directives pontificales ont rappelé très explicitement aux missionnaires la nécessité d’adapter leur action aux possibilités des peuples et donc le devoir de l’étude pour connaître tout ce qui touche à leur mentalité, leurs coutumes, leurs tendances.

Pour atteindre ce but, la meilleure solution serait d’avoir des maisons d’étude dans chaque région de l’Afrique équatoriale où chaque peuple, chaque tribu a, non seulement sa langue propre, mais sa physionomie propre. Mais… combien de jeunes Sœurs, après les années de formation religieuse doivent encore consacrer 2, 3 autres années et parfois davantage à l’obtention de diplômes d’infirmières, institutrices parce qu’en mission, les œuvres progressent et réclament un personnel qualifié. Il y a aussi les missionnaires surchargées qui réclament du renfort et les fatiguées qui, elles, attendent la relève afin d’aller refaire leurs forces dans un climat moins débilitant pour reprendre ensuite avec plus d’ardeur le travail interrompu.

Voyons un peu une Communauté de Sœurs Blanches en pleine activité au Ruanda (sic), c’est une Sœur revenue l’an dernier après 38 ans de mission, qui nous donne l’énumération des œuvres de ce poste avec un personnel de 9 Sœurs.

    1. Le dispensaire avec une présence de 4 à 500 malades par jour. Une Sœur s’en occupe aidée de 4 infirmiers et d’une femme africaine.
    2. L’école fréquentée par 1075 enfants et dirigée par une Sœur Blanche aidée de 8 Sœurs africaines et 5 monitrices.
    3. Le catéchisme aux femmes chrétiennes dont plusieurs viennent d’une ou deux heures de marche; elles sont 300 tous les jours, donc 1800 par semaine. C’est le travail de la Supérieure.
    4. Le catéchisme aux filles chrétiennes, un groupe de 250 qui se renouvelle tous les jours comme chez les femmes. Une Sœur qui compte près de 50 ans de mission s’en occupe.
    5. Les cours d’enseignement ménager à ces jeunes filles, en préparation au mariage.
    6. Le catéchisme aux filles et femmes catéchumènes. Elles sont 200.
    7. Le catéchisme aux enfants de la Première Communion pendant 2 ans.
    8. Un internat pour les enfants mulâtres – une centaine.
    9. Un refuge pour les femmes abandonnées.
    10. Visite aux indigènes dans un rayon de 8 à 10 milles.

La nouvelle Sœur qui arrive dans cette mission, consacrera environ 4 mois à l’étude de la langue tout en comptant sur l’expérience des Sœurs plus anciennes, sur ses contacts journaliers avec ses malades ou avec les enfants en classe pour connaître la mentalité de ceux qui l’entourent.

Dans le Nord de l’Afrique, en pays musulman, les Œuvres ont aussi leurs exigences bien qu’elles ne se développent pas au même rythme accéléré. Les Sœurs ont plus de temps à consacrer à l’étude car, leur apostolat pour être fructueux, doit se soumettre à une méthodologie qui n’est pas celle de l’apostolat chez les Noirs.

Trois maisons d’étude, l’une en Tunisie, l’autre en Kabylie et une troisième au Désert, initient les Sœurs, non seulement à l’étude de la langue, mais aussi à cet ensemble de mœurs, de coutumes, de superstitions, de politesse, d’étiquette et de savoir-vivre, voire même d’art, de littérature qui constituent la mentalité d’un peuple. Les Sœurs y apprennent également l’histoire de l’Islam; il faut connaître les croyances de l’Islam; il serait trop long de tout citer, bornons-nous à celles-ci.

L’Islam, par la voix de ses docteurs, enseigne carrément la prédestination à l’éternelle damnation d’un grand nombre d’hommes sans autre raison que le bon plaisir de Dieu. Êtes-vous prédestiné au bonheur sans mélange de la céleste patrie? Vous aurez beau entasser péchés sur péchés, la divine Providence saura juste au moment où vous serez à une coudée de l’abîme, vous faire accomplir par nécessité (en vertu d’une prédétermination) quelque acte de vertu. Vous entrerez de plain-pied au séjour des bienheureux parce que vous ne pouvez pas y échapper. [Si], au contraire, sa volonté mystérieuse vous avait créé au nombre de ceux qu’il hait a priori et qu’il se plait à vouer à un malheur éternel, vos bonnes œuvres ne vous garantiront nullement de votre sort. Un instant avant de quitter l’exil pour prendre possession de la terre des vivants, Dieu le Tout-Puissant, vous fera culbuter dans le mal afin de trouver en vous un motif de damnation.

« L’aumône efface la multitude des péchés », dit la Sainte Écriture. Les arabes, eux, disent : « l’aumône éloigne le malheur ». Une femme arabe me l’a expliqué ainsi : « tu vois, nous sommes toutes deux assises ici et, par exemple, tu veux me tuer, je te dis : je ten prie, ne me tue pas. Jai des enfants encore petits. Toi, tu me dis : si, il faut que je te tue … et tu me mets à mort. Et voilà qu’un pauvre frappe à la porte, tu lui donnes une pièce de 5 sous, Dieu te pardonne ».

Profond est l’abîme qui sépare la mentalité musulmane de notre mentalité. Tant que le [jugement] d’un musulman n’est pas reformé par les études profanes d’abord, ensuite par une saine philosophie, notre travail ne sera que perte de temps et fatigues inutiles.

Après une ou deux années d’études spécialisées, les Sœurs sont loin de tout savoir, elles sont loin d’avoir pénétré le milieu c’est un travail qui dépasse les possibilités d’une vie, mais elles sont capables de mettre en commun leurs observations, leurs découvertes qu’elles ont notées et rédigées sous forme de fiches de façon claire, simple, exacte et qui permette de les classer logiquement et de les consulter facilement. Chaque poste de mission en pays arabe a son fichier contenant une documentation aussi intéressante que précieuse pour la pénétration du milieu.

Les conseils de mission sous la présidence du Père Supérieur de la mission, une fois par mois, et au Vicaire apostolique lors de ses visites fournissent aux Sœurs les directives qui orientent leur action en les mettant en garde contre les erreurs à éviter, en les aidant à trancher les cas et à prendre les décisions opportunes.

Étude de la langue

Au premier rang des connaissances que doit acquérir et posséder à fond le missionnaire, il faut placer évidemment la langue du pays qu’il se propose d’évangéliser. Voilà un (sic) consigne donnée par Sa Sainteté Benoît XV et reprise par les Souverains Pontifes jusqu’à nos jours, car malgré le progrès des langues européennes dans les pays de mission, rien de profond ne peut se faire si on ne pénètre jusqu’à l’intimité du peuple par la langue maternelle des indigènes.

Le Cardinal Lavigerie a imposé sa volonté sur ce point d’une façon très forte : « Un missionnaire zélé », disait-il, « qui donne à l’étude des langues toute son importance, la situe après les exercices de piété en bonne place et trouve le moyen d’y progresse ».

L’ambition de la Sœur missionnaire est d’arriver à parler comme les indigènes eux-mêmes qui l’écoutant lui diront : « Tu parles comme nous, tes paroles sont douces comme du miel dans ta bouche. » Cela demandera des efforts constants, persévérants, non pas seulement une année, quelques années, mais toute la vie. Jusqu’à mon retour au pays, j’ai toujours consacré une heure chaque jour à l’étude de la langue arabe. Dans toutes nos maisons, en pays arabe, cette étude se prend en commun. Deux fois par semaine, le cours est donné par un professeur ou par un missionnaire.

Les textes à étudier sont des conversations recueillies de la bouche même des indigènes, riches de vocabulaire, tout émaillées d’anecdotes, de proverbe. Ce sont aussi des cours de morale sur le Décalogue rédigés par un Père Blanc en langage vivant, concret. Ces textes appris par cœur nous fournissent des sujets de conversation très appréciés des femmes musulmanes lors de nos visites.

On dit que la langue arabe est difficile, l grande difficulté vient de la prononciation. L’alphabet comprend des lettres inexistantes en français. Le fait de prononcer une lettre du bout des lèvres ou du fond du gosier change totalement le sens des mots. Il faut ensuite se former l’oreille à cette langue gutturale si différence de la nôtre. Il faut savoir rendre l’intensité d’une syllabe, sa hauteur musicale ou sa durée par rapport aux syllabes voisines.

Une autre difficulté, plus sérieuse celle-là, est qu’il faut savoir que les mots, même textuellement traduits, éveillent souvent, dans l’esprit musulman, une idée tout à fait différente de celle que nous croyons suggérée. Seule la connaissance de la langue et de son esprit peut nous mettre en garde contre ces erreurs que nous ne soupçonnons même pas, si nous sommes insuffisamment préparées.

Ainsi Gelb çafi, avoir le cœur pur, ne veut pas dire, pour les musulmans, avoir le cœur sans péché, innocent, mais avoir le cœur sans rancune, qui n’en veut à personne, le contraire, gelb akhak, cœur noir, qui a de la rancune. J’ai entendu plusieurs Sœurs avouer s’être heurtées à cette difficulté en préparant des malades à mourir, elles insistaient auprès des malades disant que personne n’est sans péché, et les malades, de leur côté, insistaient disant que leur cœur était pur. Si elles avaient connu cette difficulté, elles auraient pu encourager les malades à ce pardon à l’égard de leur prochain et en les louant de pardonner, leur faire désirer le pardon de Dieu.

Visites à domicile

« Que les prédicateurs de l’Évangile, a dit le Pape des missions, se souviennent qu’ils doivent se comporter vis-à-vis des indigènes comme le faisait le Divin Maître envers le peuple durant sa vie terrestre. »

Le Cardinal Lavigerie recommandait à ses missionnaires de rayonner de proche en proche dans le pays, et considérait la visite dans les tribus comme une des marques du zèle.

Depuis, les œuvres se sont multipliées, ont progressé, toutes mettent la Sœur missionnaire en contact avec le milieu familial et social en tenant compte de ses besoins, de sa mentalité.

Ces visites aux femmes africaines ou arabes n’ont pas pour but de satisfaire un besoin de détente après des besognes harassantes dans les œuvres, elles n’obéissent pas non plus à une certaine sentimentalité escomptant une accueil chaleureux de la part de celles que nous visitons, elles ne sont pas dominées par un esprit d’enquête afin d’apprendre ce qu’on ne peut apprendre dans les livres, car ainsi elles aboutiraient fatalement à la méfiance… C’est parce qu’elle est apôtre que la Sœur Missionnaire cherche à pénétrer le milieu familial et c’est porteuse du message évangélique, dans un grand esprit de simplicité, qu’elle se dirige vers ces maisons aux portes mystérieusement closes et qui ne s’ouvriront qu’après l’habituel  « Ach koun?, qui est là? » pour laisser entrer les mourabouat ou les lasourat qu’on est heureuse d’accueillir en se saluant mutuellement : « Comment vas-tu, ma petite sœur? »

Les salutations d’usage ont aussi une grande importante – : « Vous autres, me disait un jour un poète arabe, vous vous saluez en disant:  Bonjour » tandis que nous, nos souhaits ont combien plus de sens…  « Que ton jour soit béni, que ton jour soit heureux, que ton matin soit avec le bien, que Dieu éloigne de toi tout mal. » Oui, autres pays, autres moeurs, autres coutumes qu’il faut connaître pour être admises avec sympathie et cordialité dans le milieu familial.

Ici encore, il faut [s’adapter], adaptation faite de prudence, de tact, de discrétion. Avec quelle divine psychologie, Notre-Seigneur adaptait son enseignement aux foules avides de l’entendre. Nos rencontres avec ces femmes musulmanes, nous les avons préparées par la prière, la réflexion, choisissant à l’avance un sujet de conversation, attendant le moment opportun de donner un enseignement moral bien adapté; car il faut leur apprendre à mettre Dieu dans leur vie autrement qu’en paroles; celles-ci sont abondantes et souvent fort belles, mais devenues banales et usées comme des vieux clichés qui ne s’impriment plus sur la conduite sauf les plus résistants, justement ceux-là mêmes qu’il faudrait éliminer : le Gader, la Puissance de Dieu qui laisse tomber, fait tomber sa créature dans le péché et le Mektoub (c’est écrit) qui déchargent abusivement le musulman de toute responsabilité et annihile ses énergies pour le bien.

Patiemment, nous essayons de retrouver la mèche qui fume encore, l’étincelle de vérité qui, en elles peut se rallumer. Avec leurs frères musulmans, elles nous objecteront peut-être : « Chacun dans sa Voie. » Formule tranchante et fataliste, c’est la Voie que Dieu a décrétée de toute éternité pour les uns et pour les autres et nous, nous leur disons : « Il n’y a qu’une Voie décrétée par Dieu pour tous et d’après laquelle nous serons jugés : » Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ton âme et ton prochain comme toi-même.’ Cette Voie, c’est la Voie de fidélité aux Commandements, c’est la Voie des Béatitudes.

Cette Voie n’est pas connue de l’Islam officiel. Aucun de ses Docteurs ne l’enseigne. Ses foules ne savent qu’une chose : la fidélité à la chahadda (Il n’y a de Dieu que Dieu et Mahomet et son prophète), formule vaine et trompeuse qui ne peut leur ouvrir les portes du ciel.

Nous sommes sincères lorsque nous disons aux femmes arabes que nous les aimons; cette charité qui veut avant tout leur salut nous animera d’un vrai zèle pour leur montrer la Voie et y engager toutes les bonnes volontés qui accepteront de nous écouter et de prendre au sérieux cette révélation essentielle et première du message que nous leur apportons.

C’est ainsi qu’en terre d’Islam, l’apostolat de la Sœur missionnaire doit s’adapter, cherchant toujours sous quelle forme envelopper son enseignement des vérités religieuses pour qu’il ne heurte pas et qu’il soit porteur, malgré tout, des grâces divines et ouvre à ces âmes musulmanes la « Voie qui mène à la Vie. »

Rencontrons-nous ces âmes de bonne volonté? Oui, il y a des cas particuliers, celui des mourants qui, plus ou moins, reçoivent la Lumière à leur dernière heure; cas des âmes encore destinées à vivre dans leur milieu et qu’une sorte d’instinct surnaturel guide vers nous, avec un besoin de vérité que nous sommes amenées à satisfaire.

Des essais de groupements, selon l’esprit guidisme, adaptés au milieu indigène aident à la formation morale de la jeunesse et font beaucoup espérer pour l’avenir. En Kabylie, la Ruche fusionne – notre méthode pédagogique et notre formule d’apostolat. Une « Abeille » membre de la Ruche, disait ingénument à une Sœur : « Ce ne sont ni les Sœurs, ni les Pères qui vont convertir les Kabyles, c’est nous les Abeilles. Vous verrez le beau travail que nous ferons d’ici 20 ans. » Combien de ces Abeilles, musulmanes ou non, sont apôtres dans leur milieu.

Conclusion

Plusieurs fois le jour, nous adressons à Marie cette invocation en faveur des Musulmans : « Notre-Dame d’Afrique, priez pour nous, pour les Musulmans et pour les infidèles de l’Afrique. » Sans déroger en rien aux vues de la Providence qui gouverne le monde, nous avons la ferme confiance que Marie obtient aux âmes de bonne volonté dans l’Islam, des grâces de Salut; n’est-elle pas le canal de toutes les grâces, la Médiatrice dont la prière n’est jamais repoussée, pas plus qu’elle repousse notre prière à nous.

Un jour, je me dirigeais au Désert vers un village, un ksar, à l’heure de la prière musulmane; les hommes attendaient assis sur la place le moment précis d’accomplir les prostration d’usage.

En nous voyant, ils nous saluent d’abord, puis nous interpellent :

– « Dites-nous les Mourabouat, est-ce vrai que les Mourabouts (les Pères) parlent avec Sidna Aissa (Notre-Seigneur)? » Ils faisaient sans doute allusion au Saint Sacrifice de la Messe. Que répondre?
– « Est-ce que les Pères ne viennent pas eux aussi dans votre village?
– « Oh oui, dirent-ils.
– « Alors pourquoi ne pas le leur demander? » Je savais que ce village était peu ouvert aux Missionnaires.
– « Quant à nous, leur dis-je, vous connaissez le dicton « Chacun recherche les gens de son espèce » c’est vers vos maisons que nous allions pour voir les femmes, nous n’avions pas l’intention de nous arrêter ici. Restez avec le bien (Au revoir). Mais quant à votre question, c’est bien vrai que les Pères parlent avec Notre-Seigneur et les Sœurs aussi. »

C’est dans notre rencontre de chaque jour avec Notre-Seigneur que nous lui disons nos désirs immenses pour la conversation des 350,000,000 de musulmans qui sont par le monde et que nous lui faisons l’aveu de notre impuissance personnelle à les réaliser. Lui seul peut combler l’abîme qui sépare nos projets de leur réalisation. Avec courage et confiance, nous continuons, à l’exemple du grand ermite saharien le Père Foucauld, à crier l’Évangile par toute notre vie, à apporter à ces âmes la Bonne Nouvelle du Salut.

§

Marie-Vincent FERRIER, Soeur missionnaire de Notre-Dame d’Afrique.

Source : Soeur Marie-Vincent Ferrier, « Causerie prononcée par Sr. M-V Ferrier des Soeurs Missionnaire de N.D. d’Afrique, à la réunion de l’Entraide Missionnaire, le 9 novembre 1955 », Formation missionnaire. Adaptation en pays de Mission, 1955.

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