Augusta HENRIQUES
Garder les liens avec la Terre, promouvoir la souveraineté alimentaire
Avant tout, je voudrais remercier L’Entraide missionnaire de l’invitation à me joindre à vous pour ces journées de réflexion et d’échange autour des problématiques d’actualité qui nous affectent tous dans cette ère de globalisation. Une ère où nous connaissons des crises globales du point de vue alimentaire, environnemental, énergétique et économique.
Actuellement, on parle même d’une crise sanitaire liée à la pandémie déclarée de la grippe H1N1. Mais cela est une autre histoire racontée en versions différentes. Certains soutiennent que la vraie pandémie n’est pas celle de la grippe H1N1, mais plutôt une pandémie du profit liée à l’industrie pharmaceutique… Par l’entremise des médias, une psychose est générée à l’échelle mondiale sur les effets éventuellement néfastes de cette nouvelle grippe qui, jusqu’à présent, est loin d’être la plus mortelle que nous ayons connue. Cela a favorisé une ruée vers un médicament produit exclusivement par deux laboratoires, et a incité tous les États du monde et les organisations internationales de la santé à investir, en toute légitime conscience, des sommes astronomiques pour rendre ce médicament miracle disponible au public, finançant ainsi indirectement ces laboratoires…
Il est vrai que nous faisons face, depuis quelques années, à des crises cycliques nous rappelant que la gouvernance mondiale est elle-même affectée et en crise. À l’image des plus grosses banques du monde tombées en faillite l’année passée, les modèles sur lesquels nous conduisons nos sociétés s’effondrent, sur les plans autant économique, social, culturel et environnemental que spirituel et éthique.
Je viens de la Guinée-Bissau, un h etit pays côtier de l’Afrique occidentale de 36 000 km2 et d’un peu plus d’un million et demi d’habitants. Un beau pays aux multiples visages, brodé des tons infinis de vert. La Guinée-Bissau bénéficie d’une biodiversité impressionnante. Vraie mosaïque culturelle, elle est formée d’une vingtaine d’ethnies qui cohabitent jusqu’à présent en harmonie. Chaque ethnie a sa propre langue et ses modes spécifiques de gestion des espaces et des ressources naturelles qui l’entourent. Ce qui constitue, dans son ensemble, un authentique trésor de connaissances et de savoirs centenaires.
Paradoxalement, la Guinée-Bissau figure parmi les six pays les plus pauvres de la planète. Beaucoup parmi vous n’ont probablement jamais entendu parler de ce pays. Certains parmi vous ont peut-être appris par la presse que ce pays est devenu la plaque tournante la plus importante pour le narcotrafic en Afrique occidentale, entre l’Amérique latine et l’Europe. Mais plus récemment, l’image de la Guinée-Bissau qui a circulé partout dans le monde est celle du pays où l’on a assassiné son président en le coupant en morceaux, à coup de machette…
Moi, je préfère présenter la Guinée-Bissau comme la patrie d’Amilcar Cabral, un des plus brillants intellectuels nationalistes africains, défenseur de la théorie de la lutte de libération anticoloniale comme acte culturel, qui a guidé notre lutte armée de libération nationale vers l’indépendance. Ceux et celles qui ont pu connaître vraiment mon pays partagent mon avis, je crois, par exemple au Canada, Lise Latrémouille, ancienne directrice d’InterPares, et Manon Labrèche, ancienne coordinatrice du CECI en Guinée-Bissau. En réalité, l’une et l’autre réalité constituent des facettes différentes d’un même pays.
Je travaille pour Tiniguena, une ONG bissau-guinéenne créée en 1991, dont la mission est de promouvoir un développement participatif et durable, fondé sur la conservation des ressources naturelles et culturelles et l’exercice de la citoyenneté. Le mot Tmiguena signifie en Cassanga, une des ethnies de mon pays, cette terre est à nous. En effet, depuis sa création, Tiniguena œuvre pour que les Bissau-guinéens s’approprient leurs espaces et leurs ressources naturelles, au niveau local et national, et soient responsables de leur bonne gestion, tout en valorisant ce riche patrimoine pour la promotion du bien-être des générations présentes et futures. La vision de Tiniguena, depuis sa création, est de faire en sorte que la Guinée-Bissau soit notre terre promise : un endroit où il fait bon vivre, où on peut élever nos enfants et voir le pays progresser pour offrir de meilleures conditions de vie à ses populations actuelles et aux générations futures. C’était le rêve d’Amilcar Cabral, le fondateur de notre nation. Cabral a inspiré beaucoup de leaders d’ONG comme nous, qui avons trouvé dans l’action citoyenne une façon de ne pas laisser tomber la Guinée-Bissau et de nous investir à fond pour aider à construire notre avenir et celui de nos enfants dans la terre de nos ancêtres.
Pendant des années, nous avons développé des actions d’information et de sensibilisation du public et des décideurs, pour les amener à mieux connaître et valoriser le riche patrimoine naturel et culturel de la Guinée-Bissau. Nous avons mené ce plaidoyer sur des dossiers stratégiques pour l’avenir de ce patrimoine. Nous avons soutenu les initiatives locales de paysans et de paysannes ainsi que de jeunes dans trois régions du sud du pays, pour améliorer leurs conditions de vie,-tout en assurant la conservation et la mise en valeur des espaces et des ressources naturelles. Nous avons appuyé leurs projets porteurs de changement notamment dans les domaines de l’agriculture intégrée, de la pêche artisanale responsable, de la sécurité alimentaire; nous avons soutenu le développement des activités génératrices de revenus, ainsi que les iniatives de promotion socioculturelle et d’appui au transport et à la communication pour le désenclavement des populations et de leurs produits.
Les crises énergétique, alimentaire et économique qui ont affecté le monde ces dernières années, ont frappé encore plus durement les populations les plus vulnérables de la planète, celles de notre région et de mon pays en particulier. Cela s’est traduit notamment par une augmentation vertigineuse des prix des denrées alimentaires et du coût de la vie en général. Vous avez certainement entendu parler des revendications populaires et des mouvements sociaux déclenchés un peu partout en Afrique, autour de la problématique de la vie chère. La crise économique ne fait qu’empirer la situation, bien qu’elle n’ait pas encore touché notre région aussi fortement qu’ailleurs. Peut-être n’est-ce qu’une question de temps?
Pourtant, notre pays est très riche en ressources naturelles et notre région capable de produire suffisamment de biens alimentaires pour nos populations. En Guinée-Bissau, nous avons plus de quatre mois de pluie par année, des cours d’eau douce, de la terre fertile en abondance, des semences et des cultures alimentaires diversifiées. Il s’y trouve une importante population encore liée à la terre, qui connaît son milieu comme personne d’autre et laboure ses champs en ayant recours à des techniques et des variétés de semences testées par la nature et améliorées par des paysans et paysannes depuis des siècles…
Alors, pourquoi sommes-nous affectés par la crise alimentaire? Pourquoi des enfants et des femmes des villes et de certains villages de mon pays souffrent-ils de malnutrition et/ou n’accèdent-ils que difficilement à de la nourriture de qualité? Pourquoi la famine continue-t-elle à tuer et à anéantir des enfants, des femmes, des paysans de notre continent?
La paysannerie africaine a été déstructurée par l’adoption de politiques non adaptées, promues par les institutions de Breton Woods, qui ont amené nos États à imposer des cultures de rentabilité au détriment des cultures alimentaires. Le dumping des biens alimentaires à très bas coûts sur nos marchés peu organisés, en concurrence déloyale avec nos produits locaux, a découragé notre production alimentaire. D’où la perte de variétés de production et de savoirs stratégiques pour la souveraineté alimentaire de nos pays et d’une partie essentielle de notre précieux patrimoine génétique. L’importation des modèles de consommation qui nous sont étrangers, alliée à l’abandon de la paysannerie par l’État ainsi qu’à la macrocéphalie de nos villes, a favorisé l’exode rural, surtout parmi la jeunesse, laissant nos villages de plus en plus exsangues. Les villes se remplissent d’une population toujours plus nombreuse, sans pourtant être structurées pour les loger et les nourrir, favorisant ainsi le développement de toutes sortes de vices, la violence en particulier. Une fois éloignés de leur terre natale, les jeunes ne se sentent plus redevables à leur communauté. Ils remettent en question les valeurs transmises par leurs parents, face à des modèles importés qui les déracinent hélas! mais les séduisent et auxquels ils s’accrochent. Pire encore, à ceux qui restent encore aux villages, ils exhibent ces nouveaux modèles comme des signes de progrès. Plus question d’envisager le retour à la paysannerie !
Mais, quand la crise alimentaire frappe le monde, ce sont les habitants des villes qui en souffrent le plus : pas de travail, pas de terre à cultiver, pas de recours aux écosystèmes de la nature pour fournir des aliments… Un nouveau lumpenprolétariat pullule, erre en périphérie urbaine et sert à la perfection les intérêts de toutes sortes de trafiquants et de bandits.
Tiniguena a profité de ce contexte de crise pour donner un nouvel élan à son travail d’information, de sensibilisation et de plaidoyer, en rappelant aux Guinéens, que nous vivons de ce que la terre nous donne et (que) nous sommes profondément dépendants de ce que nous faisons d’elle. À l’aide d’outils de sensibilisation très efficaces développés depuis 15 ans, comme des cartes postales et un calendrier publiés annuellement, des émissions radiophoniques, nous abordons maintenant différemment la nouvelle problématique de la souveraineté alimentaire. Dans un langage simple, nous expliquons à nos gens que l’alimentation est une question de droit et de souveraineté, que la crise alimentaire est liée à une business qui exploite et fabrique la famine. Nous leur disons que nous avons à faire des choix fondamentaux pour notre avenir : promouvoir la souveraineté alimentaire ou se spécialiser pour l’exportation; produire pour nous nourrir ou pour fournir des agro-carburants aux voitures des riches; cultiver des variétés locales que nous sommes capables de renouveler à chaque année ou des cultures transgéniques qui dépendent des multinationales de l’agro-business?
Ces choix, leur disons-nous encore, doivent être faits par les populations, puisque ce sont elles qui payent toujours la facture des bonnes ou des mauvaises politiques. Nous expliquons à nos populations, à nos dirigeants, à notre jeunesse, que l’agriculture familiale est l’avenir d’une communauté, d’un pays et d’un peuple qui veut garder ses liens avec la terre et ne pas être dépendante des autres pour se nourrir. Cette agriculture est à notre portée, nous savons comment faire ! En situation de crise, on peut mieux comprendre comment il est fondamental de garder des liens avec la Terre, de conserver notre droit et notre capacité de produire ce qu’on mange et manger ce qu’on produit. En situation de crise, on peut mieux comprendre combien il est important de garder le contrôle de la production des biens dont nous avons besoin pour notre propre alimentation.
Nous avons mis en œuvre d’autres axes de travail en Guinée-Bissau pour expliquer à nos populations, surtout aux paysannes et paysans avec lesquels nous travaillons, l’origine de la crise alimentaire et les avenues possibles qui permettront de défendre leurs intérêts à court, moyen et long terme. En plus des débats et des conférences, des rencontres et des échanges autour de la question de la souveraineté alimentaire réalisés au niveau local, national et régional, nous avons investi sur le moyen et le long terme, en renforçant le travail déjà entrepris depuis quelques années, d’appui à la valorisation et à la promotion de la consommation des produits issus de la biodiversité, avec ancrage culturel et viabilité économique. À cet effet, nous soutenons des agriculteurs de trois régions du sud de notre pays, dans la production, la promotion et la commercialisation de quatre produits agro-alimentaires, de produits de l’artisanat et de la pharmacopée traditionnelle. Une ligne de produits a été créée, appelée kil ki di nos ten balur, ce qui signifie en langue locale : ce qui est à nous, c’est bon.
Nous nous sommes engagés à travailler avec d’autres acteurs impliqués dans le même genre de projet, dans le but de créer un environnement économique, politique et social favorable à ce type de production et de valorisation des produits locaux, notamment en créant un label spécifique : Produits de la Terre made in GB.
Pendant que nous vivions la crise alimentaire, nous avons appris que notre pays était visé par un projet d’investissement à hauteur du milliard de capitaux liés aux casinos (Geocapital, groupe Stanley Ho), pour la production d’agro-carburants à partir de la jatropha, une plante non comestible. Nous nous sommes alliés à d’autres partenaires pour monter une stratégie de plaidoyer autour de ce projet. À la veille de son approbation au Conseil des ministres, nous avons produit et diffusé auprès de certains d’entre eux un mémorandum expliquant d’une façon très simple et claire, les enjeux liés aux agro-carburants. Nous avons appris récemment que, grâce à ce mémorandum et au plaidoyer fait par d’autres partenaires impliqués, ce projet a été fortement contesté et le Conseil des ministres a ajourné sa décision. Beaucoup d’entre nous ne croyaient pas que nous arriverions aussi loin ! C’est vrai, rien n’est encore gagné, mais rien n’est perdu non plus ! Voilà une des leçons que nous avons apprises : nous sommes bien plus puissants que nous ne le croyons! Mais, pour y arriver, nous devons nous organiser, tisser des alliances et des complicités, être persévérants et combatifs.
Cependant, nous avons encore besoin de renforcer nos capacités de plaidoyer et de travailler en réseau, de lier davantage notre travail du niveau national avec celui du niveau régional et international mené par d’autres coalitions telles que la COPAGEN.
La COPAGEN est la Coalition pour la défense du patrimoine génétique africain, créée en février 2004, à Grand Bassin en Côte d’Ivoire. J’y étais et j’ai eu l’honneur de compter parmi les membres fondateurs. Un moment historique ! C’était exaltant de voir tous ces militantes et militants de mouvements sociaux provenant de tous les pays de l’Afrique occidentale, des animateurs et des cadres d’ONG, des paysans, des scientifiques et des intellectuels, réunis pour débattre de la situation de la biosécurité dans chacun de nos pays, définir des objectifs et des stratégies d’action à court et à long terme et, au même moment, adopter une charte constitutive du mouvement présentée au monde entier à travers les médias.
Depuis sa création, la COPAGEN s’est battue et se bat encore pour informer et sensibiliser les populations africaines, en particulier les paysans, les scientifiques, les intellectuels, les leaders d’opinion et nos dirigeants, aux enjeux et risques associés à l’introduction des organismes génétiquement modifiés (OGM) en Afrique. La COPAGEN milite pour que nos États adoptent un cadre institutionnel et juridique assurant la biosécurité et protégeant la biodiversité dans nos pays et dans la région. Elle intervient aussi pour dénoncer des initiatives et des projets pouvant menacer le patrimoine génétique de la région et l’agriculture paysanne en Afrique.
Depuis le Forum Mondial pour la souveraineté alimentaire réalisé en février 2007 à Selingue au Mali, un événement plus connu sous le nom de Forum de Nyéléni, la COPAGEN, qui a participé activement à son organisation, a réorienté son action vers la promotion de la souveraineté alimentaire. Nous n’y étions pas cette fois. Depuis quelques années, notre investissement dans ce formidable réseau s’affaiblit peu à peu par manque de temps. En effet, l’une de nos grandes faiblesses à Tiniguena et en Guinée-Bissau, c’est le manque de disponibilité en temps et en énergie pour nous investir dans le travail de coalition non seulement dans notre pays, mais aussi aux niveaux régional et international. Nous sommes trop pris par le travail au jour le jour pour faire avancer nos projets et nos engagements. Nous sommes submergés par les événements politiques qui affectent notre quotidien et la vie des populations avec lesquelles nous travaillons, des événements qui nous détournent de notre action.
C’est ainsi que nous avons loupé un momentum unique à Nyéléni, qui aurait pu nous inspirer et renforcer notre action citoyenne chez nous. Nos combats ne peuvent pas avoir d’issues durables si nous ne nous associons pas à des combats similaires près de nous, dans notre région, dans notre planète.
Actuellement, la COPAGEN se bat contre des projets, des initiatives et des politiques qui menacent la souveraineté alimentaire dans notre sous-région. L’une de ces menaces, c’est l’accaparement des terres, au Sénégal, au Mali, au Bénin, en Guinée-Bissau en particulier, par des multinationales et des hommes d’affaires étrangers, avec la complicité de nos dirigeants et des entrepreneurs privés, pour le développement d’une agriculture intensive liée à la production des agro-carburants et d’autres cultures de rentabilité. Les agriculteurs qui cultivaient de petites parcelles de terre pour leur alimentation quotidienne sont souvent réduits à la condition d’ouvriers agricoles sur leur propre terre, ce qui constitue une entrave majeure à la souveraineté alimentaire en Afrique de l’Ouest.
L’autre menace contre laquelle la COPAGEN se bat c’est le fameux projet AGRA, une sorte de réédition de la Révolution Verte en Afrique, soutenue par des institutions privées et publiques américaines, mais aussi par des Africains, entre autres, des personnalités reconnues mondialement. À première vue, le projet semble intéressant, puisqu’il veut appuyer le développement de l’agriculture en Afrique.
Mais, à la lumière du diagnostic établi dans le cadre de ce projet sur l’origine et les causes de la famine en Afrique, nous pouvons discerner les vraies intentions des promoteurs. Ils considèrent que l’Afrique souffre de la famine parce qu’elle n’est pas en condition de produire des aliments en quantité suffisante pour nourrir ses populations. Un ensemble d’obstacles sont identifiés parmi lesquels l’insuffisante productivité et la faible résistance des variétés utilisées aux maladies et aux insectes, etc. Nous comprenons donc que, une fois ce problème identifié, la solution au cœur du projet consiste à introduire des variétés plus productives et plus résistantes aux maladies, aux insectes, à la sécheresse, etc. Évidemment, ces semences sont fabriquées ailleurs, aux États-Unis, au Canada ou en Europe, par de grosses compagnies de l’agro-business, qui en détiennent le monopole et se font financer par leur gouvernement pour trouver de nouveaux marchés, faisant des affaires avec la FAMINE. Les paysans africains qui, jusqu’à présent, reproduisaient et échangeaient gratuitement leurs semences en utilisant des techniques adaptées aux sols et aux climats, vont perdre ainsi leur autonomie dans la production des cultures alimentaires et deviendront dépendants des multinationales de l’agro-business. Nos populations et nos pays deviendront ainsi entièrement dépendants de l’extérieur pour assurer leur alimentation.
De plus, pour avoir toutes les « qualifications » requises, les variétés à introduire seront certainement des OGM ou des variétés améliorées selon des critères déterminés par d’autres intervenants que les paysans. De cette façon, en plus de rendre dépendant des semences étrangères, le projet AGRA va, en réalité, « financer » la production et l’introduction de variétés transgéniques en Afrique, contaminant les semences locales et conduisant à la perte d’un riche patrimoine génétique stratégique pour la vie en Afrique et de valeur inestimable pour l’humanité.
Nous vivons une époque où grâce à la défense farouche des droits de propriété intellectuelle par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la biopiraterie est protégée et encouragée. Il s’agit d’une nouvelle forme de colonisation, si bien décrite par l’écrivaine Vandana Shiva dans son livre La bio piraterie ou le retour de Colombo 500 années plus tard.
Les combats que la COPAGEN mène en Afrique doivent être reliés à ceux que vous menez ici au Canada et que d’autres citoyens mènent dans les pays du Nord. Il s’agit d’un même combat ! Vous ne voulez pas d’OGM chez-vous, n’est-ce pas? Ni à votre table, ni dans vos champs ! Mais les OGM sont fabriqués par des compagnies qui ont leur siège chez-vous, en Amérique du Nord et en Europe. Vous pouvez et vous devez les suivre et les poursuivre pour tous les dégâts qu’ils sont en train de semer dans la nature et d’une façon irréversible, chez vous et chez nous!
C’est pour cela qu’il nous faut encore plus travailler ensemble! Au-delà de cette Conférence ! Chacun et chacune de nous assumant ses responsabilités là où il se trouve, mais sans oublier de se connecter, de se relier, d’échanger et de se renforcer mutuellement pour être plus forts dans nos actions. C’est pour cela que j’ai accepté de venir de loin vous joindre ici au Canada, à ce congrès, à un moment où notre agenda à Tiniguena et en Guinée-Bissau est bien chargé. Si nous ne tissons pas les liens qui nous unissent et qui peuvent nous rendre plus forts, nous ne pourrons pas nous en sortir. Nous sommes trop peu nombreux, nous envisageons des combats trop complexes et durs, pour nous payer le luxe de rester seuls!…
Je reviens sur le début de ma présentation. Nous connaissons des crises mondiales globales, parmi lesquelles une crise alimentaire qui condamne à la famine et la malnutrition des millions d’êtres un peu partout dans le monde, mais en particulier en Afrique. Ces crises nous rappellent que la gouvernance mondiale est elle-même en crise ! Mais ce système qui est à la base de notre gouvernance est aussi en crash ! ! ! Nous ne serons jamais capables de trouver, à l’intérieur de ce système, des solutions aux problèmes actuels qui nous oppriment et nous font souffrir, qui attaquent et érodent notre propre humanité!
Il est, en effet, impossible de comprendre et d’expliquer qu’avec toutes les connaissances, toute la richesse accumulée, les capacités de communiquer et de se déplacer, dans une ère d’abondance, nous vivions et acceptions paisiblement de vivre à côté de la pauvreté de millions d’êtres humains. Cela démontre l’aberration de ce système qui ne noug sert plus! Bien plus, les mesures de secours pouvant nous saliver n’existent pas. Il faut changer ce système !
Il faut concevoir et expérimenter de nouvelles façons de nous gouverner. NOUS SOMMES CAPABLES DE LE FAIRE! Car nous n’avons pas hérité de Dieu les modes de vie qui nous détruisent. Ce sont des humains qui les ont conçus et nous ont conduits là où l’on se trouve. Sans les changements qui s’imposent, nous allons droit contre un mur! Les hommes et les femmes peuvent aussi changer ces méthodes, s’ils sont déterminés à le faire !
Ce nouveau système de gouvernance passera, à mon avis, par UN RETOUR À LA TERRE! Par la construction du paradis, là où on est. Pour redonner aux gens, là où ils sont, le droit de s’approprier leurs espaces et leurs ressources et de les gouverner avec dignité, d’une façon responsable, en gardant l’équilibre et l’harmonie entre les humains et avec tous les êtres avec lesquels ils partagent ces richesses. Équilibre et Harmonie qui se trouvent dans l’essence de la VIE! Garder et faire progresser notre humanité. Comme l’a dit tout à l’heure, M. Jacques Gélinas, « le seul vrai progrès n’est-il pas celui de la conscience??? »
§
Augusta HENRIQUES, directrice de Tiniguena-Esta terra è Nossa, une organisation de développement et d’éducation écologique de Guinée-Bissau. Diplômée de l’Institut supérieur de Service social de Lisbonne, Portugal, elle a une longue expérience en alphabétisation et éducation des adultes notamment au sein d’une équipe dirigée par le pédagogue brésilien Paulo Freire.
Source : HENRIQUES, Augusta, « Crise alimentaire : Perspectives africaines. Garder les liens avec la Terre, promouvoir la souveraineté alimentaire », Dossier du Congrès – 2009 – Le monde en criseS : quelles voies de sortie?, Montréal, 2009 – p. 22-29.