J.-Marie CONNOLLY

Introduction

L’encyclique Princeps Pastorum nous rappelle l’importance d’un clergé autochtone en pays de mission. Cette importance vient du « but même du travail missionnaire qui est d’établir de façon stable l’Église parmi les autres peuples ». Ce travail comporte donc nécessairement l’établissement d’une hiérarchie locale avec prêtres et évêques et les organismes nécessaires à leur formation, i.e. petits et grands séminaires.

À cette raison fondamentale s’ajoutent plusieurs raisons d’ordre apostolique. L’encyclique Maximum Illud nous avait déjà signalé que le prêtre autochtone par son origine, son caractère, ses sentiments, ses inclinations et ses intérêts est lié plus intimement au peuple dont il est issu, ce qui lui donne une facilité sans pareille pour introduire la foi chrétienne dans l’esprit de son peuple, un pouvoir plus grand de persuasion, un accès plus facile dans certains endroits ou milieux où le missionnaire ne peut pénétrer, une connaissance plus sûre des méthodes les plus aptes à gagner ce peuple. L’encyclique Rerum Ecclesiae mentionnait qu’une connaissance plus parfaite de la langue donne à sa prédication une plus grande efficacité. Pie XI ajoutait que le seul moyen de résoudre vraiment le problème du besoin des prêtres en pays de mission, c’était d’en former sur place.

Les circonstances actuelles rendent plus urgente encore la formation non seulement de prêtres mais d’évêques autochtones placés à la tête de ces territoires. L’évolution des pays sous tutelle ou colonies, en effet, vers l’autodirection politique, évolution encouragée par la doctrine sociale de l’Église, oblige l’Église à préparer et à réaliser aussi dans son sein cette autodirection, sous peine de passer aux yeux de ces peuples pour un agent des pays colonisateurs n’ayant d’autre visée que de maintenir leur influence, ou de passer pour hypocrite prêchant une doctrine et en pratiquant une autre.

Formation du clergé local

A) Un principe général : Une vérité fondamentale doit s’imposer à nos esprits missionnaires dans la formation de ce clergé : le but poursuivi ne peut être de former un clergé destiné à jouer inférieur de serviteur, de catéchiste ou même d’auxiliaire du clergé missionnaire, mais bien de remplacer le missionnaire de plus en plus. Comme dans tous les pays du monde le clergé local est « le plus grand espoir de l’Église » (Maximum Illud). Il est « normal qu’il soit appelé à cultiver son propre champ » (Rerum Ecclesiae). Le seul esprit vraiment missionnaire est l’esprit de Jean Baptiste : Il faut qu’il (clergé local) croisse et que je (clergé missionnaire) diminue.

Deux conséquences se tirent de ce principe. La hiérarchie d’origine étrangère doit remettre de plus en plus les positions clefs au clergé local et le clergé missionnaire doit être prêt à lui céder sa place. Et au point de vue du sujet qui nous occupe, la formation donnée dans les petits et grands séminaires par le clergé missionnaire au futur clergé local doit préparer ce futur clergé local à prendre, dans le travail apostolique, la place qui lui revient de droit.

Les objections pratiques apportées trop souvent contre cette politique de l’Église ne valent pas. Il n’y a pas de race foncièrement inférieure comme nous l’enseignent la philosophie et le confirme la psychologie expérimentale. Fréquemment l’expérience montre que les étudiants en pays de mission ne sont pas moins doués que ceux des pays d’occident (sic)(Rerum Ecclesiae). Et si on constate chez eux quelque lenteur d’esprit, cela s’explique très bien par le manque de « back ground » et les conditions de vie antérieures à l’entrée au Séminaire, conditions qui n’ont pas favorisé le développement des ressources latentes de leur esprit. L’incapacité d’opinion, de décision et d’initiative personnelles, ou d’administration financière dont on les accuse, n’est pas telle qu’une formation vraiment éclairée par les principes de la psychologie et dirigée sagement, ainsi que des exercices appropriés ne puissent corriger. Ainsi la formation favorisera le développement des qualités restées à l’état latent chez eux.

D’où la formation du clergé local ne doit pas être indûment hâtée ou raccourcie. Elle doit être donnée selon les meilleures méthodes de psychologie et de technique modernes (Rerum Ecclesiae). Elle doit être, en principe, aussi poussée et au point de vue de quantité et à celui de qualité de science à la [fois] profane et sacrée, que celle reçue par le clergé missionnaire lui-même. En pratique, en tenant compte des possibilités limitées des missionnaires, peut-être peut-on donner cette mesure : le clergé local doit pouvoir se sentir au moins sur un pied d’égalité avec les plus évolués du pays où ils sont appelés à exercer leur ministère.

B) Différents points de formation : Il semble inutile de donner, devant un groupe comme le nôtre, tous les items de cette formation avec leurs détails techniques. Nous ne considérerons donc que quelques points qui peuvent plus facilement être oubliés.

  1. Rappelons-nous simplement la primauté à donner à la formation surnaturelle de l’âme. « C’est, en effet, par la sainteté avant tout que les prêtres peuvent et doivent être la lumière du monde et le sel de la terre entière; c’est par la sainteté avant tout qu’ils peuvent faire connaître à tous la beauté de l’Évangile, sa puissance surnaturelle et apprendre à tous que la perfection de la vie chrétienne est le but que tous les enfants de Dieu peuvent et doivent atteindre »… (Princeps Pastorum). On n’a qu’à lire Menti Nostrae sur la sainteté sacerdotale et songer que tout cela s’applique avec autant de rigueur au clergé local de mission qu’au clergé des pays déjà chrétiens.
  2. Au point de vue des sciences sacrées, deux rappels pratiques. Bien des méthodes de pastorale, de pédagogie catéchétique ou tout autre point du ministère peuvent sembler bien faciles au missionnaire élevé dans un milieu chrétien, dans la pratique de l’action catholique ou dans une école catholique, alors que pour le séminariste de pays de mission elles sont des nouveautés incomprises et qu’il apprendra par cœur peut-être sans en comprendre le pourquoi et ainsi sans devenir capable de les adapter aux conditions du ministère ou de les améliorer suivant les besoins, si nous n’y prenons garde.

    L’Histoire des Missions de l’Église dans le monde et surtout dans le continent en question peut avoir une grande influence sur l’esprit du futur clergé. Car elle provoquera en lui une grande fierté vis-à-vis de l’Église dans son rôle civilisateur, et lui fera mieux comprendre et accepter ce que fait et veut faire l’Église missionnaire dans son pays jusqu’à ce que la chrétienté doit arriver à la maturité et que le clergé ait atteint un nombre suffisant.

  3. Dans la formation du clergé local en mission, il y a un certain danger pour le clergé missionnaire de donner au futur clergé une collaboration fausse.

Le missionnaire peut facilement croire plus ou moins inconsciemment dans la valeur primordiale de telle ou telle caractéristique à faire pénétrer dans le séminariste alors qu’en fait ces caractéristiques sont le propre du caractère national du missionnaire et non le propre du prêtre du Christ et qu’on peut concevoir un prêtre sans elles, ou au moins un prêtre dans lequel ces caractéristiques ont une place moindre et d’autres une plus grande place. Il faut nous rappeler que nous formons des prêtres de notre pays d’adoption et pour ce pays, et non pas pour notre pays d’origine. Ils pourraient un jour nous reprocher avec raison alors de les avoir comme vidés de leurs qualités ou de leur caractère national pour leur faire revêtir une civilisation française, belge, allemande ou anglaise, etc.

Dans le même sens mais au point de vue spirituel, on est exposé à considérer comme essentielle à la perfection sacerdotale une caractéristique de sa propre congrégation religieuse comme par exemple des exercices spirituels de telle longueur, à telle heure, telle vertu propre à sa congrégation du moins par la place que cette vertu tient dans la formation et dans certaines de ses manifestations caractéristiques etc. Ici encore nous devons nous rappeler que nous ne formons pas des membres de notre congrégation, mais des prêtres séculiers appelés à la perfection sans doute comme tout prêtre, mais non pas par la voie bien particulière de la vie religieuse. Il existe des différences entre la voie de chacune des congrégations, encore davantage entre la voie religieuse et la voie purement sacerdotale. Ces différences, nous n’avons pas le droit de les oublier au point d’imposer une formule qui est la nôtre et non pas une formation unique et universelle de sainteté.

Conclusion

Il y aurait bien d’autres points à rappeler, dangers courus, écueils à éviter, accent à placer. Mais le temps manque et d’autres problèmes se posent aussi à notre attention. Nous voulons simplement, en terminant, rappeler l’avertissement sage de l’encyclique Princeps Pastorum : « Il faut prendre garde que ces jeunes gens ne soient formés dans une ambiance trop séparée du monde » où ils sont appelés à faire leur ministère pour que « peu à peu et prudemment ils pénètrent les pensées intimes du peuple et ses aspirations ». Sans cette précaution, la formation reçue risque de faire des étrangers de ces prêtres.

§

J.-Marie CONNOLLY, Père Missionnaire d’Afrique.

Source : CONNOLLY, J.-Marie, « Formation du clergé indigène », Assemblée générale annuelle : Enseignement en pays de mission, 1960.

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