M. Gilles OUELLET

Introduction

Nous avons à étudier ensemble certains éléments du chapitre IV du Décret Ad Gentes intitulé « Les Missionnaires ». Ce chapitre, par sa matière, dépasse les cadres d’une conférence comme celle-ci. Il faudra se limiter à quelques points particuliers qui concernent spécifiquement la formation missionnaire.

1) Sommaire du chapitre IV

Cependant il est bon de donner une idée générale du chapitre qui porte sur trois chefs d’idées :

1) Description de la vocation missionnaire et de sa spiritualité (nos 23 et 24)

2) Il esquisse les objectifs à atteindre dans la formation missionnaire :

a) formation spirituelle et morale d’abord (nos 25 et 26)

b) également formation intellectuelle et apostolique (no 26)

3) Le rôle des Instituts et Communautés missionnaires comme agent de préparation et de formation des futurs missionnaires (no 27).

Avant d’aller plus loin, il serait bon de bien délimiter ce que l’on entend par mission et missionnaire, car ces deux mots ont acquis parfois une grande élasticité. Si on comprend bien ce que doit être la mission dans la pensée du Concile, on verra mieux quelle formation doit y préparer.

2) « Mission » et « vocation missionnaire » dans Ad Gentes

Le Décret nous donne deux données de base :

a) Il décrit la mission comme ceci :

Les initiatives particulières par lesquelles les prédicateurs de l’Évangile envoyés par l’Église et allant dans le monde entier s’acquittent de la charge de prêcher l’Évangile et d’implanter l’Église parmi les peuples où les groupes humains qui ne croient pas encore au Christ sont communément appelés « Missions ».

Il faut donc en conclure que le Concile restreint considérablement la notion de Mission en la décrivant surtout comme un travail d’évangélisation et d’implantation de l’Église en terres non-chrétiennes. On ne peut certainement pas trancher au couteau cette distinction entre le ministère dit pastoral et le ministère d’évangélisation : l’une et l’autre fonctions se trouvent constamment exercées dans la vie du missionnaire. Mais le Concile demande aux missionnaires de se souvenir qu’en tout son travail il doit demeurer tendu vers l’évangélisation comme sa fonction propre et spécifique. Ceci pose dans la pratique des problèmes graves soit dans le choix des territoires de mission, soit dans le genre d’œuvres auxquelles doivent se consacrer les communautés missionnaires.

Il faudra donc se souvenir au cours de cette conférence, que nous parlons de l’apôtre travaillant aux frontières mêmes de l’Église en pays de mission au sens strict c’est-à-dire en milieu non-chrétien où il faut apporter l’évangélisation et implanter l’Église.

b) La vocation missionnaire est décrite dans le texte du Concile comme un charisme spécial dans l’Église. C’est une fonction qui suppose un choix et une mise-à-part faits par le Christ. Une fois l’appel entendu, l’apôtre doit y apporter sa réponse par un engagement total et, de sa nature perpétuel.

Que devient le missionnaire à titre temporaire dans ce contexte? Le Concile ne rejette pas une participation de ce missionnaire à l’action évangélisatrice, mais il reconnaît à la vocation missionnaire dans son sens le plus plein un caractère de stabilité perpétuelle. La raison fondamentale de cette stabilité, c’est que la vocation missionnaire est avant tout un appel et un choix faits par le Christ comme il a choisi ses Apôtres et st. Paul (sic).

On a trop insisté, dans la vocation missionnaire, sur l’élément de départ vers l’étranger, d’exode vers les pays sous-développés. Ce caractère géographique de la mission existe encore dans l’immense majorité des cas mais pas dans la pensée du Décret. Ce n’est pas, dans la pensée du Décret, l’élément essentiel même s’il en est le plus apparent. Essentiellement, l’œuvre missionnaire est une œuvre d’évangélisation dans les masses non-chrétiennes et c’est là que se trouve le caractère propre et spécifique de la vocation missionnaire. Il va de soi que cette vocation exige des qualités spéciales et une formation « ad hoc ».

3) Le concept de la formation dans le Décret

Une autre idée ressort très clairement du Décret: le Concile exige la même formation spirituelle et apostolique de tout missionnaire, qu’il soit prêtre, religieux ou laïc, qu’il soit étranger au pays ou autochtone. Nous parlons toujours ici, bien entendu de la mission au sens strict d’évangélisation et d’implantation de l’Église.

3 (a) La formation générale du missionnaire

Qu’elle sera donc cette formation missionnaire proprement dite? Il faut dire d’abord que l’Église en Concile exige de ses missionnaires la formation de base qu’elle requiert de tous ceux qui participent à l’apostolat. Ceci est chose évidente.

Le Décret, il faut l’admettre, apporte très peu de nouveau au chapitre de la formation missionnaire. Il décrit plutôt la personnalité du missionnaire en termes très généraux, largement puisés aux documents pontificaux antérieurs. On remarque les nombreuses références faites en ce chapitre aux grandes Encycliques missionnaires du passé : 16 références en tout.

a) les dispositions morales requises de tout apôtre dans l’Église sont énumérées : esprit d’initiatives, la constance, la patience, le courage, l’ouverture…

b) au plan de la vie spirituelle, on exige du missionnaire que sa vie spirituelle soit intégrée à son apostolat pour que par « l’exercice quotidien de sa tâche il grandisse dans l’amour de Dieu et du prochain ». On veut que le missionnaire soit formé à l’image du Christ faisant fleurir en lui les vertus qui lui permettront de s’identifier au Christ : c’est l’apanage de tout apôtre dans l’Église. Il lui faut la foi, l’espérance, l’esprit de prières, la force, l’amour, la maîtrise de soi, le zèle des âmes, l’esprit de sacrifice et l’obéissance à la hiérarchie.

3 (b) La formation spécifique du missionnaire

a) Formation spirituelle :

Le Concile propose au no. 24 la spiritualité qui doit être propre aux missionnaires. Son fondement réside en ceci que le missionnaire endosse et prolonge dans le temps la mission même du Christ, mission de disponibilité à la Volonté du Père pour transmettre la Parole avec les mêmes méthodes de douceur et de persuasion que le Christ. Le missionnaire d’aujourd’hui doit savoir marcher à l’exemple du Christ, sur la voie de l’incompréhension, de la persécution et du sacrifice personnel.

Si toute spiritualité doit s’inspirer de la mission du Christ, le missionnaire doit s’inspirer surtout du mystère de sa vie apostolique qui se ramène en somme, comme le soulignait le Cardinal Alfrink, aux mystères de Pâques et de la Pentecôte. Le missionnaire doit donc faire de son Évangile son livre de chevet. Il doit constamment méditer les évangiles et les Actes des Apôtres afin d’imiter le Christ premier missionnaire en Galilée, s’identifiant à ses pensées, apprenant à porter sur son travail le jugement de foi et de charité qui fut celui du Christ.

b) Formation morale du missionnaire:

Dans toute cette description de la personnalité du missionnaire qui nous est faite par Vatican II, certaines vertus semblent s’imposer davantage aux missionnaires modernes en raison de circonstances particulières de l’apostolat actuel. Ce sont :

a- la constance et la persévérance animée par les vertus de foi et d’espérance;

b- l’adaptation animée par la vertu de pauvreté évangélique;

c- le sens de l’équipe (équipe de vie et de travail) animé par la charité.

Étudions sommairement ces trois points qui me paraissait être l’apanage spécial du missionnaire, surtout du missionnaire au sens strict qui travaille à l’évangélisation des milieux non-chrétiens.

c) Constance et persévérance

Le missionnaire doit d’abord être solidement armé de patience et de persévérance. Et pourquoi?

Un examen du milieu qu’il est appelé à évangéliser souligne l’importance de cette vertu que Jean XXIII dans Princeps Pastorum met au premier rang pour le missionnaire. Dans quelles situations donc est appelé à vivre le missionnaire de demain?

Les problèmes matériels de la vie missionnaire ont tendance à disparaître de plus en plus à mesure qu’avance partout la civilisation technique et que se multiplient les grandes agglomérations urbaines.

Par contre, les difficultés d’ordre moral se multiplient. L’indifférentisme religieux et le matérialisme ont peu à peu désaffecté les masses non-chrétiennes des valeurs religieuses.

Dans les milieux non-chrétiens où les religions ont encore pu conserver une certaine influence, on assiste à un regain, à une reprise de conscience des grandes religions tant sur le plan religieux que sur le plan social et culturel.

Ces deux facteurs, et bien d’autres, rendent le travail missionnaire plus difficile que par le passé. Le messager de l’Évangile devra réaliser que, malgré tout, il doit continuer à apporter le message du Christ à ces peuples. Toutefois, ces obstacles demeureront immenses et risqueront de rendre son travail à peu près infructueux. En bien des contrées, on peut prévoir que le Message évangélique ne dépassera pas en succès ceux que connu le Christ lui-même en Galilée et en Palestine. Mais, pour le missionnaire d’aujourd’hui, le mandat reste le même : « Allez, enseignez toutes les nations ». C’est avec raison que Paul VI a pu parler récemment du découragement comme de l’un des grands dangers qui guettent l’apôtre moderne.

« L’Envoyé, dit le Décret, entre en effet dans la vie et la mission de celui qui s’est anéanti en prenant la forme d’esclave (Épitre aux Phil., 2,7).

« La fidélité profonde à une pareille mission n’est pas chose facile. Le mal qui la mine agit, de l’avis du Concile, sur cette « confiance » qui doit marquer profondément le témoignage missionnaire. »(G. Martelet, SPIRITUS, 27, p. 175). Pour conserver cette confiance en sa mission, le missionnaire devra constamment cultiver en lui un grand esprit de foi, puisé à la méditation constante des Évangiles et à un retour aux exemples que nous a donnés le Maître tout au cours de sa vie publique.

Le missionnaire doit marcher toujours plus avant dans la foi, « Comme s’il voyait l’Invisible », ainsi que le décrit si bien le Père Jacques Loew, o.p., dans son livre du même titre.

Si je puis recourir à mon expérience personnelle de supérieur de missionnaires depuis 8 ans et demi, je me rends compte de jour en jour que la vie de foi est le garant de la persévérance en mission et la clé du succès réel dans l’apostolat, même si ce succès ne se traduit pas toujours en chiffre ou en apparence.

Comment développer cette vie de foi au niveau de la formation? C’est à vous, au cours de la discussion qui va suivre, d’en tracer les jalons.

Pour le missionnaire déjà à l’œuvre, le Concile lui-même pose cependant un jalon :

« Les missionnaires ne doivent pas négliger la grâce qui est en eux et se renouveler chaque jour par une transformation spirituelle ».

En outre, la confiance ou la foi nécessaire au missionnaire résulte d’abord d’une vie d’union profonde avec le Christ dans l’acte même de la mission. C’est la révision de vie fréquente qui s’impose ici.

Au plan communautaire, il faut cependant ajouter avec le Concile, que cette confiance, cette foi, n’est pas séparable de l’influence bienfaisante des confrères dans l’apostolat, de l’unité de cette communauté apostolique dont parle le no. 25, 2 du Décret. La portée des réunions doit être bien comprise. Ces réunions ne sont pas simplement des réunions de confrères mais doivent assurer l’unité d’hommes répondant tous ensemble à une semblable vocation d’Église et leur permettre de « se fortifier dans l’espérance de leur vocation et de se renouveler dans leur ministère apostolique » (Ad Gentes, No.25, 2). D’où l’importance du ressourcement périodique et communautaire.

d) Esprit d’adaptation

Ce fut pour le missionnaire la vertu de toutes les époques. Malheureusement, on l’a souvent restreinte à une simple accommodation matérielle : manger, dormir, vivre comme les indigènes ou, du moins, leur être le plus près possible. Ce genre d’adaptation demande un grand esprit de pauvreté individuelle et communautaire. Il est plus nécessaire que jamais dans le contexte social des missions. Il est également le plus facile à réaliser dans la vie du missionnaire, quoiqu’on en pense.

Mais il faut au missionnaire d’autres adaptations autrement plus difficiles et exigeantes, bâties sur le véritable esprit de pauvreté spirituelle dont parle le Sermon des Béatitudes.

En effet, le Concile demande à l’Église missionnaire de s’indigéniser non seulement dans les formes extérieures de la liturgie, mais surtout de rendre l’Église capable d’assumer, de baptiser en quelque sorte les cultures et les traditions des peuples à évangéliser. Il demande aux missionnaires de trouver également dans les religions non-chrétiennes les points de contact et les pierres d’attente que l’Esprit y a déjà semés. « Les grandes religions, le Bouddhisme, l’Hindouisme, l’Islam, sont plus que jamais des forces qui comptent. Les travaux du Concile et la création à Rome d’un Secrétariat pour les croyants non-chrétiens ont mis à l’ordre du jour la recherche du dialogue avec ces religions. Il est trop tôt pour dire quels développements naîtront de cette orientation. Mais on peut prévoir qu’elle exigera certains réajustements d’attitudes, des initiatives nouvelles et des spécialisations indispensables si on veut que le dialogue envisagé soit correctement engagé et fructueux » (Bruls, « MISSIONNAIRES POUR DEMAIN » p. 54).

J’ai toujours été énormément surpris de constater le peu de renseignements que possèdent les missionnaires sur les coutumes et les traditions religieuses des peuples qu’ils évangélisent. Rares sont les missionnaires qui ont une connaissance approfondie des religions non-chrétiennes dans les pays où ils travaillent. Ceci n’est pas pour jeter la pierre à personne, mais il y a une correction de perspectives à inaugurer. Ce n’est pas une lacune intellectuelle qu’il faut combler, mais un changement de mentalité. En effet, instinctivement, le missionnaire traditionnel arrive en mission porteur d’un immense complexe de supériorité, fort de traditions chrétiennes et de cadres religieux qui l’ont formé. Il ne s’en rend pas toujours compte, mais il agit parfois comme le porteur indiscuté d’une vérité totale et le fils d’une civilisation incomparable. Il blesse et écrase sans s’en apercevoir.

Au contraire, le missionnaire de demain devra apprendre que la mission est un dialogue, un échange, il devra savoir qu’il doit d’abord beaucoup recevoir avant de pouvoir à son tour donner aux autres.

Il importe donc, plus que jamais auparavant, d’inculquer à nos futurs missionnaires, le sens de la pauvreté spirituelle et évangélique. Ce sens lui permettra de se dépouiller de ce qui lui est de plus intime pour recevoir et accepter ce qui vient des autres. Il devra apprendre la voie de la réceptivité, du dialogue qui lui seront des atouts absolument nécessaires dans son apostolat.

Par ailleurs, dans le choix des partants, il faudra faire la sélection nécessaire pour donner à l’Église ceux dont elle a besoin pour cette mission nouvelle. « C’est pourquoi il me parait important que nous n’envoyons vers eux ni des gardiens rigides de traditions périmées, ni non plus des apprentis-sorciers prêts a tout bouleverser, mais bien des témoins compétents et sensés de l’aggiornamento harmonieux, qui sachent allier le respect des traditions valables aux renouveaux les plus hardis. » (Bruls, Ib. p. 55)

Comment insérer ces attitudes et ces vertus dans la formation de nos futurs missionnaires? À nous tous de chercher par le dialogue et en équipe les jalons d’une telle formation à l’adaptation et au véritable esprit de pauvreté tant matériel que spirituel.

e) Esprit et sens de l’équipe : expression de la charité

Une telle tâche d’adaptation ne peut être l’apanage d’un seul homme. Il doit y apporter un sens de solidarité apostolique avec ses frères dans l’apostolat. En cette matière, la mission d’aujourd’hui et de demain comporte une double exigence :

(1) Le missionnaire est appelé à vivre et à travailler non seulement avec ses confrères, mais avec les éléments indigènes (prêtres et religieux) qui deviennent de plus en plus nombreux dans les missions.

(2) Le Concile invite les laïcs à prendre leurs responsabilités dans l’apostolat, à tel point que l’entrée en scène des laïcs (étrangers, mais surtout indigènes) sera la grande caractéristique et la transformation la plus importante des missions de demain.

En présence de ces facteurs nouveaux, le Concile s’attarde longuement sur la vie et le travail en équipe.

En plein accord avec eux, avec une charité réciproque, le missionnaire apportera son travail à ses frères et à tous ceux qui se consacrent à la même besogne, en sorte qu’ils soient à l’imitation de la communauté apostolique, un seul cœur et une seule âme (Ad Gentes, No. 25, 1)

Nous n’avons ici ni l’espace, ni le temps de parler de la formation à la vie d’équipe et de l’ascèse qu’elle suppose. Dans certains séminaires, déjà, des formules de travail en équipe ont surgi. Il faut les favoriser dans l’espérance que du travail en équipe des missionnaires puisse déboucher dans la vie en équipe. Posons également, dès la formation, les jalons d’une plus étroite collaboration entre les divers groupes et les diverses communautés missionnaires. Il faut avouer que bien des fois dans le passé le travail missionnaire a souffert immensément du manque d’unité, de l’esprit de clocher, des rivalités intestines. Nous en avons tous été témoins. Le témoignage à donner doit commencer par notre charité mutuelle pour s’étendre ensuite à tous ceux qui sur place sont appelés à travailler avec nous. Ce travail d’équipe, surtout avec les éléments indigènes, et surtout avec les laïcs, exigera de nos missionnaires de demain un renoncement et une ascèse constantes. Il est bon qu’ils en prennent conscience dès leur temps de formation et qu’ils s’y préparent en apprenant à travailler d’une façon étroite et fraternelle avec leurs confrères.

Que pouvons-nous faire en pratique pour développer la vie d’équipe chez nos futurs missionnaires à nous d’étudier la question au cours de nos équipes de discussion?

3 (c) Formation intellectuelle

Il reste trop peu de temps dans le cadre de cette conférence, pour s’attarder longuement sur la formation intellectuelle qu’il faut donner aux missionnaires dans l’esprit de Vatican II.

Une chose parait l’évidente, l’époque du missionnaire paysan du Danube, aventurier, pas trop exigeant et peut-être pas trop intelligent, mais plein de santé et de débrouillardise, homme a tout faire et parfois envoûté par les problèmes simples de survivance sur place est certainement dépassée. Les encycliques missionnaires avaient tenté de l’exécuter haut et court, le Concile lui donne certainement le coup de grâce.

La mission de demain ne demande rien moins que des effectifs de choix qui pourront, il va de soi, être étayés par d’autres confrères de moindre envergure mais d’excellente volonté. Il nous faut [pouvoir] chaque mission de quelques sujets d’élite qui puissent aider à l’orientation apostolique et apporter dans le groupe le « leadership » nécessaire. Peut-être des équipes volantes pourraient aider!

On peut distinguer pour le futur missionnaire une double préparation, l’une éloignée qui se fait au cours des études, et l’autre prochaine qui se continue, de préférence, une fois arrivé en mission.

1. Une formation universelle et catholique par l’étude de la missiologie

Les manuels ne manquent pas : les livres du père Rétif, par exemple, peuvent grandement aider en ce sens. Faute d’autre chose, il pourra suffire de bien étudier, le plus possible en équipe, les grandes encycliques missionnaires qui, dans l’après-concile comme avant, n’ont rien perdu de leur actualité. Elles donneront ce sens d’universalité et de catholicité, ce sens d’Église que le Concile exige de tous les missionnaires; ce n’est qu’après avoir ouvert le futur missionnaire à ce sens d’universalité qu’on peut songer à le spécialiser sur la mission à laquelle il se destine.

La missiologie lui apprendra à connaître les cheminements de la mission, en les succès et les échecs, à juger de la portée de son propre apostolat futur. La missiologie le mettra en contact avec les grandes religions qu’il sera important de comprendre afin de les pénétrer dans l’avenir.

2. Deuxième exigence intellectuelle: Le Concile demande une bonne connaissance de la Bible, non seulement pour la vie spirituelle du missionnaire, mais également pour apprendre les cheminements du Peuple de Dieu à travers l’histoire.

L’Ancien Testament, en particulier, mérite une étude spéciale. Le Concile prévoit que les étapes du Salut seront progressives mais parfois très lentes chez certains peuples.

« Selon la condition humaine antérieure au Salut instauré par le Christ, les livres de l’Ancien Testament permettent à tous de connaître Dieu et l’homme, non moins que la manière dont Dieu dans sa justice et sa miséricorde agit avec les hommes. Ces livres, bien qu’ils contiennent de l’imparfait et du caduc, sont pourtant les témoins de véritables pédagogies divines. « (D.B. 15)

Pédagogie divine ! Cette expérience doit éclairer les missionnaires dans cette intelligence respectueuse et aimante de ces règles et doctrines qui selon la déclaration sur les religions non-chrétiennes, quoique qu’elles (sic) diffèrent de ce que l’Église propose, apportent souvent un rayon de vérité qui illumine tous les hommes.

3. Le Concile exige du futur missionnaire qu’il ait une solide formation catéchétique, qui comprend cette nécessité de pouvoir ainsi transmettre plus pleinement le message évangélique. Cependant, il ne faut pas se faire d’illusion sur les cours formels de catéchèse pour les futurs missionnaires. Ils devront réadapter le tout aux exigences religieuses et sociales du milieu où ils vivront. Là encore, une adaptation très profonde devra se faire. Les missionnaires du Japon, qui ont suivi la catéchèse au Canada, ont réalisé le besoin de repenser totalement cette catéchèse en fonction de la mentalité japonaise. Cependant, un bon cours de catéchèse pose déjà les jalons qui permettent d’aller plus loin.

4. Le Concile exige une formation apostolique très poussée.Les cours de pastorale qui se donnent fréquemment sont peut-être centrés sur la pastoration et l’administration des sacrements. La formation apostolique doit insister sur trois éléments principaux:

  • Il faut songer que pour le missionnaire en instance de départ vers les terres d’évangélisation, il importe de l’avoir accoutumé par un travail pratique à s’attarder surtout aux problèmes d’évangélisation de notre milieu. Il aura été nécessaire de le préparer à travailler auprès des adultes. On s’imagine souvent qu’une formation préliminaire s’acquiert par un travail apostolique chez les enfants. On risque, dans une telle pédagogie, de centrer beaucoup trop la sollicitude pastorale de nos futurs missionnaires sur la génération de demain, oubliant que celle-ci se prépare auprès de la génération d’aujourd’hui.
  • Que la formation apostolique donne surtout à nos futurs missionnaires le souci de l’évangélisation, fin première de la mission.
  • Enfin, le missionnaire va partir pour des régions qui sont économiquement sous-développés. Il sera tenté de travailler sur le plan économique et social négligeant parfois le plan proprement spirituel. Il lui faudra constamment se souvenir que l’action au plan social et économique n’est qu’un moyen pour parvenir à l’élévation spirituelle des peuples qu’il évangélise. Sur ceci, le décret sur les missions est absolument catégorique. Tout en impliquant les dons et les compétences strictement humaines, dont parle aussi le texte du Décret, l’activité missionnaire est d’un tout autre ordre que ces moyens. La grande responsabilité du missionnaire est d’être un initiateur spirituel des païens au Dessein admirable de Dieu sur le monde. Le missionnaire porte la charge d’introduire ceux qui sont encore loin du Christ à la vie de communion avec Lui dans l’Esprit et à cette grande oblation de soi-même qui, caractérisant l’existence chrétienne, donne un sens éternel à la vie du plus humble et du plus pauvre des hommes, indépendamment de son rang social et de ses standards économiques.

Terminons en soulignant, sans nous y arrêter, les éléments de la préparation prochaine qui doit être prodiguée à chaque missionnaire. Cette préparation se fait intensément dès le début mais doit se continuer par des cours de recyclage tout au cours de son apostolat. La préparation intellectuelle prochaine doit comprendre l’histoire, la sociologie et les coutumes locales. Elle doit s’attarder aux mœurs religieuses et au folklore religieux du pays. Elle doit pénétrer les concepts de Dieu, du monde et de l’homme qui dominent dans le pays à évangéliser. Elle doit pousser le missionnaire à apprendre à fond la langue du pays, dans la mesure de ses capacités, parce que la langue sera l’instrument de l’évangélisation et l’outil de son travail tout au cours des années à venir.

Conclusion

Il devient de plus en plus nécessaire que nous choisissions, parmi les missionnaires en action, ceux qui pourraient s’offrir au niveau d’une spécialisation particulière. Nous aurons besoin de spécialistes dans l’avenir, pour opérer les transformations de l’apostolat qui nous sont demandées par le Concile. Il est donc nécessaire de prévoir la formation de spécialistes, choisis parmi les missionnaires qui ont déjà connu la vie apostolique en mission et qui se sentent capables de se spécialiser dans un domaine particulier de l’apostolat.

La chose devient d’autant plus nécessaire que nous travaillerons côte-à-côte avec des prêtres et des religieux indigènes qui auront besoin de spécialistes pour guider leur travail apostolique et orienter la mission sur les sentiers que Dieu lui réserve dans l’esprit du Concile de Vatican II.

« L’approfondissement de la foi dans les zones déjà touchées par l’évangélisation demande toutes les formes modernes d’apostolat, depuis le catéchuménat jusqu’à l’Action catholique, jusqu’aux étudiants, aux dirigeants, aux professeurs, aux écoles, au monde rural, les retraites fermées, etc., d’où la nécessité d’un personnel missionnaire et local de plus en plus spécialisé… Cela suppose, dans les congrégations et les instituts traditionnellement missionnaires, une reconversion dans l’orientation et la préparation de leurs sujets… Tout cela crée un nouveau genre de besoins. Le perfectionnement des cadres africains actuels exige qu’on puisse envoyer beaucoup de prêtres en Europe ou ailleurs, ou bien qu’on les remette aux études, ce qui crée de grands vides dans les postes. Nous souhaiterions beaucoup que les instituts missionnaires traditionnels tiennent grand compte de ces besoins spécifiques, afin de mieux préparer ceux qui doivent venir nous aider. » (Mgr Zoa, lettre du 3/7/64 au Centre national des Vocations.)

§

Gilles OUELLET, Prêtre de la Société des Missions-Étrangères.

Source : OUELLET, Gilles, « La formation missionnaire », Bulletin de l’Entraide Missionnaire, vol. VII, no 4, décembre 1966, Montréal, p. 45-55.

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