Pablo RICHARD

Introduction

Espérance et compassion : deux attitudes fondamentales pour la nouvelle évangélisation

La tâche fondamentale en Amérique latine en ce moment c’est de rebâtir l’espérance, une espérance qui permette à tous de croire qu’ils ont le droit de vivre et qui permette de croire en Dieu comme étant le Dieu de la vie. Il faut que ce soit une espérance qui nous aide à édifier des alternatives économiques, culturelles et théologiques de vie pour affronter les forces et les structures de mort qui nous menacent. Il ne s’agit pas de construire une espérance volontariste ou irresponsable, mais plutôt une espérance solidement fondée sur une réflexion économique, culturelle et théologique.

En fait, il y a plusieurs bonnes raisons capables de faire perdre toute espérance. Le système capitaliste international impose au monde entier l’économie de libre marché comme l’unique alternative, détruisant toutes les alternatives réelles et tuant ceux qui sont capables de penser des alternatives possibles. (Mentionnons à titre d’exemple le massacre des jésuites au Salvador). Le Marché s’impose comme un absolu : le marché mondial, comme but de l’histoire; le marché mondial comme jugement final. C’est le marché qui juge et qui décide ce qui est bon et ce qui est mal, ce qui est rationnel et ce qui ne l’est pas; ceux qui peuvent vivre et ceux qui doivent mourir. Les vices et les vertus, ce sont les vices et les vertus du Marché. La tuberculose ou le choléra sont des problèmes s’ils portent atteinte au marché mais s’ils ne le dérangent pas, ce ne sont plus des problèmes. La mort du pauvre ou la destruction de la nature ne sont pas importantes si elles n’affectent pas l’efficacité du marché. Le Premier monde a besoin du tiers monde pour en extraire les richesses naturelles, pour le tourisme et comme poubelle pour ses déchets toxiques, mais il a de moins en moins besoin de la population du tiers monde. La majorité de notre population n’est pas nécessaire. C’est une population qui est de trop. Sa mort n’affecte pas l’économie « mondiale » du marché.

Les conséquences de tout ce que nous venons de dire constituent un tableau désolant de destruction et de mort. La pauvreté et l’extrême misère s’accélèrent sans arrêt et touchent maintenant 300 millions de personnes en Amérique latine et 70% de l’humanité. Mais il y a quelque chose de pire que la pauvreté et l’oppression : c’est l’exclusion totale du système. Sont exclus ceux dont le Marché n’a pas besoin. Le nombre de ceux qui ne sont pas invités au banquet néolibéral de la modernité s’accroît sans cesse. Être exploité devient un privilège, car la majorité demeure complètement en dehors du système économique, sans pouvoir et sans organisation. Elle n’entre tout simplement pas dans le calcul économique et dans les plans de développement. En ce monde des laissés pour compte et des exclus apparaît une nouvelle forme de pauvreté : la désintégration et la violence. C’est ainsi qu’on voit se développer la violence de l’homme contre la femme et celle des adultes contre les enfants et les jeunes. Les liens familiaux et sociaux sont rompus. La prostitution, l’alcoolisme et la drogue augmentent. Des épidémies massives comme la tuberculose, la rougeole et le choléra éclatent. Chaque jour, les gens ont de plus en plus peur, deviennent de plus en plus angoissés et désespérés.

De nos jours, parler de vie pour tous est considéré comme un discours romantique et utopique. On nous répète qu’il n’y a pas d’alternatives et que c’est la fin de l’espérance et de l’utopie. Il y en a d’autres qui se mettent en colère et deviennent agressifs. Ils nous traitent de radicaux, de violents, d’utopistes. On répète la phrase de Popper : « La tentative d’établir le ciel sur terre produit comme résultat invariable l’enfer » ou encore celle de Nietzsche : « Une race dominante peut se développer seulement en vertu de principes terribles et violents ». La grande espérance de tous les oppresseurs s’est réalisée : enfin nous avons réussi à construire un monde où les opprimés n’ont plus ni espérance ni utopie. « Quand tous deviennent fous, ce qui est rationnel c’est de devenir fous avec eux » (Kindleberger). Quand tous perdent l’espérance et l’utopie, ce qui serait rationnel ce serait de les perdre aussi.

En plus de reconstruire l’espérance, il est urgent de rebâtir la compassion : nous avons besoin d’un monde et d’une Église qui aient compassion des multitudes appauvries, écrasées, humiliées et marginalisées. Nos Églises sont pauvres, mais riches en miséricorde. Nous devons vivre, penser, élaborer des plans, écrire, juger, agir, évaluer et célébrer avec miséricorde, n’oubliant jamais les majorités souffrantes et crucifiées. L’Église de la loi, de l’orthodoxie, du pouvoir doit être remplacée par une Église remplie d’espérance et de miséricorde. La parabole du Bon Samaritain (Lc 10, 29-37) doit être l’âme de notre ecclésiologie et de notre spiritualité.

1. Mission fondamentale de l’Église en Amérique latine dans le contexte du nouvel ordre international

La mission fondamentale de l’Église actuelle en Amérique latine, c’est de sauver la vie des pauvres. Voilà le plus grand impératif de l’Église. C’est un impératif non seulement économique et politique mais également éthique, théologique, pastoral et spirituel. C’est un impératif absolu et transcendant. L’option pour la vie c’est option pour la vie de tous. La vie signifie concrètement travail et terre pour tous, maison, alimentation, santé, éducation, participation, environnement et possibilité pour tous de fêter. Voilà l’Évangile, voilà la Bonne Nouvelle.

Existe-t-il une lueur d’espoir, fondée sur des alternatives possibles, qui rende crédible l’option pour la vie de tous? Certainement, même si pour cela il faut regarder très profondément et très loin. Les alternatives sont en train de naître, non pas chez les gouvernements ou dans les universités mais à partir de l’expérience accumulée dans le peuple. Il n’existe pas encore d’alternative globale et définitive mais seulement des espaces et des chemins par où nous nous approchons d’alternatives variables et possibles. « Il vaut mieux allumer une lumière que maudire l’obscurité. »

Il ne s’agit pas de chercher des alternatives à la situation actuelle du marché en tant que tel. Nous ne pouvons pas dire que le marché soit le problème et que par conséquent la solution soit de refuser le marché. Ce rejet radical du marché dans son ensemble rendrait impossible la recherche de solutions réelles et intermédiaires. Il ne s’agit pas, par conséquent, de chercher une alternative au marché comme tel sinon de chercher des alternatives à la logique du marché. Il s’agit, à l’intérieur de l’économie de marché, de résister à la logique de mort du marché : résister à son idolâtrie, à son éthique de mort. L’alternative est de lutter pour le contrôle conscient et collectif du marché et contre ses tendances destructrices. Nous pouvons aussi créer des alternatives techniques productives qui soient une réponse efficace de production c’est-à-dire une production de biens où l’être humain et la nature, sources de toutes productions, soient conservées, reproduites et développées.

Si on cherche bien, il est possible de trouver une alternative à la logique de mort du marché. Les alternatives surgissent de la résistance, des luttes, de la praxis de libération ce qui nécessite une insertion profonde parmi le peuple opprimé, la recherche de nouvelles formes d’organisation et une nouvelle pensée critique capable d’apporter des transformations. Le capitalisme se présente comme l’unique alternative, non pas parce qu’il le soit en fait, mais parce qu’il détient le pouvoir de détruire toutes les alternatives possibles. Mais nous aussi nous pouvons créer des espaces où les alternatives puissent se développer. Nous devons résister au triomphalisme suicidaire du nouvel ordre international et au chantage de « l’unique » alternative. Nous devons résister à l’éthique de mort et de désespoir qu’on veut nous imposer. Nous devons aussi rejeter l’utilisation idéologique qu’on fait de la crise du socialisme historique et du marxisme pour détruire toute réflexion critique et alternative. Quand tous perdent l’espérance c’est alors le moment de la rebâtir et de lutter pour la défense de la vie humaine comme un absolu et pour renouveler la foi dans le Dieu de la Vie. Voilà la mission de l’Église en Amérique latine et aux Caraïbes.

Un des espaces privilégiés où nous allons rencontrer de nos jours des alternatives c’est la société civile. Par le passé nous nous sommes surtout centrés sur le pouvoir politique (« prendre le pouvoir ») sans assez tenir compte de la manière de sentir et de parler du peuple. Le pouvoir politique se conquérait ou se maintenait par la manipulation des idéologies et des organismes de la société civile. Maintenant nous découvrons la société civile et nous nous concentrons sur la reconstruction du tissu social de base, du consentement populaire alternatif, de tout ce qui unit, organise et révèle le peuple. De plus, dans la société civile, les mouvements sociaux se multiplient : mouvements d’agriculture alternative, technologie appropriée, marché populaire, mouvements de solidarité, mouvements indigènes et afro-américains; mouvements de la libération de la femme; mouvements d’éducation populaire et de communication alternative; mouvements écologiques et de santé populaire traditionnelle; mouvements de paysans, de jeunes, de sans-logis, de sans-terre, etc. Dans tous ces mouvements, il ne s’agit pas d’organiser la prise du pouvoir politique dominant sinon la construction, depuis la base et à long terme, d’un nouveau pouvoir. On cherche davantage à créer des pouvoirs populaires (pouvoir indigène, noir, jeune, féminin…) pour créer des espaces où, tout de suite, la vie soit possible. Dans ces espaces, surgissent des alternatives futures et ainsi croît l’espérance des pauvres et du monde. L’Église trouve dans la société civile et dans les mouvements sociaux un espace privilégié d’insertion et d’action. Cet espace est de nos jours plus fort et plus fécond qu’il y a quelques années. C’est un espace pour annoncer l’Évangile et le rendre crédible. La nouvelle évangélisation devient réelle et véritable dans les mouvements sociaux et populaires de libération.

Le tiers monde est, bien sûr, pauvre en argent, en technologie et en armes mais il est riche en humanité. Nous pourrons difficilement défendre la vie si nous menons notre confiance seulement dans les recours financiers, technologiques ou dans l’utilisation de la violence armée. Sur ces terrains, le monde riche est inventif. Nous devons, au contraire, chercher notre force là où nous sommes forts : dans la réserve d’humanité qui existe toujours dans le tiers monde et surtout dans sa richesse culturelle, éthique et spirituelle. Il est important de chercher la justice et la solidarité internationale au point de vue économique et technique et de développer nos propres ressources sur ce terrain mais la force pour reconstruire la vie et l’espérance vient de noce richesse humaine. Pour cela, actuellement, la force culturelle de nos peuples acquiert une importance toute spéciale : le développement des cultures indigènes, nationales, paysannes et suburbaines; des cultures communautaires et écologiques, celles de la paix et de la solidarité. Nous découvrons aussi aujourd’hui l’importance de la force éthique et morale toujours vivante chez nos gens. C’est l’éthique où nous reconnaissons comme unique valeur la vie humaine, contre une éthique du marché, du profit et de la loi. Finalement nous possédons la force spirituelle accumulée durant des millénaires dans les traditions religieuses de nos peuples. Toute cette force se développe dans la société civile et dans les mouvements sociaux et alternatifs, fortifie l’identité du peuple comme sujet historique et le mobilise dans son espérance et sa volonté de changement. C’est à partir de tous ces espaces de vie que l’Église d’aujourd’hui en Amérique latine peut reconstruire l’espérance des opprimés et commencer à programmer et à construire des alternatives pour la vie de tous. En résumé, nous pouvons dire que la mission de l’Église, la nouvelle évangélisation, c’est la défense de la vie, de la vie pour tous. Rendre crédible la vie humaine et la vie du cosmos afin de rendre crédible l’évangile et le Dieu de la vie.

Il y a un texte de théologie indienne qui nous conseille ainsi :

Nous avons fait germer nos idées
pour savoir survivre au milieu de tant de faims,
pour nous défendre de tant de scandales et de tant d’attaques,
pour nous organiser au milieu de tant de confusions,
pour nous réjouir malgré tant et tant de tristesses et pour rêver au-delà de tout désespoir.

2. Où est notre force? Où l’Église peut-elle trouver la force pour remplir cette mission?

La construction de l’espérance, en plus de ses racines économiques et culturelles, possède des racines spirituelles, théologiques et ecclésiales. L’espérance de construire un monde où tous aient la vie et qu’ils l’aient en abondance et où nous puissions découvrir et célébrer Dieu comme le Dieu de la vie, exige une profonde transformation spirituelle, théologique et ecclésiale. Ce qui en Amérique latine a rendu possible le maintien de l’espérance, ce fut la naissance et le développement d’une spiritualité de libération, d’une Église des pauvres et d’une théologie de la libération. Ce courant spirituel de libération a été l’âme de l’espérance des pauvres. Pour maintenir cette espérance bien vivante, nous devons continuer à renouveler notre spiritualité, à transformer l’Église à partir de son option pour les pauvres et surtout à faire plus que jamais la théologie de la libération. Nous mentionnerons ensuite trois champs où ce renouvellement se manifeste avec le plus de force et où l’espérance se reconstruit avec une plus grande vitalité.

2.1 Les communautés ecclésiales de base

On a beaucoup écrit sur ce thème. L’essentiel, c’est de capter l’importance des communautés de base dans la nouvelle conjoncture et sa fonction dans le renouveau de l’Église et la reconstruction de l’espérance. Avec l’importance croissante de la société civile et des mouvements populaires et l’importance de la force culturelle, éthique et spirituelle du peuple dans la nouvelle conjoncture, il y a présentement un très grand espace qui s’ouvre pour les communautés de base. Ces communautés, pour répondre à leur mission et à leur nature, doivent se développer avec un certain degré d’autonomie et de légitimité. Les communautés de base forment la structure la plus significative et la plus nécessaire dans le processus de la construction d’un nouveau modèle d’Église.

L’élément essentiel et constitutif de la communauté de base, c’est la participation. La communauté permet la participation du peuple dans l’Église et la participation de l’Église dans la vie du peuple. Surtout chez les majorités pauvres et opprimées, la communauté est un espace privilégié de participation. En elle et à travers elle le peuple peut agir comme sujet dans l’Église et dans la société. Il s’agit ici d’une participation créative : le peuple pauvre et croyant participe à la communauté en tenant compte de sa situation économique, culturelle et religieuse, en créant de nouvelles formes de prières et de liturgie, de nouveaux ministères, une nouvelle interprétation biblique et une réflexion théologique propre. Mais en même temps, à travers les communautés, la grande Église participe à la vie du peuple, se rend présente dans les mouvements sociaux de base et réussit de cette façon une authentique évangélisation de libération au cœur de la société civile. La communauté est l’espace privilégié où l’Église peut parvenir à découvrir la présence et la révélation de Dieu dans l’histoire, à l’exprimer, à la célébrer et à y réfléchir. C’est dans la communauté que peuvent surgir le mieux les nouveaux sujets évangélisateurs : les pauvres et les opprimés de notre continent. Enfin les communautés de base sont les lieux où se reconstruit l’Église dont nous avons besoin et d’où sortiront les alternatives qui rendent crédibles la vie et le Dieu de la vie dans la nouvelle conjoncture. La communauté de base est le grand Kairos de Dieu pour notre Église actuelle. Elle est capable de relever tous les défis que nous avons esquissés antérieurement.

L’expérience des vingt dernières années et les défis de la nouvelle conjoncture nous pressent de réfléchir en profondeur et de faire des ajustements à la vie des communautés. Ce sont également des chemins concrets pour répondre aux défis de la décade des années [19]90. Nous pourrions énumérer les ajustements suivants :

a) une plus grande insertion: les communautés de base dans les mouvements sociaux et populaires, spécialement dans tous ces mouvements où s’opèrent les plus grands changements de la société civile et d’où vont surgir de nouvelles alternatives et de nouvelles formes de vie dans l’avenir. Les mouvements sociaux qui actuellement ont la plus grande importance et qui présentent les plus grands défis aux chrétiens-nes et aux Églises sont les mouvements qui luttent pour sauver la vie des plus pauvres : mouvements d’agriculture, de santé et d’éducation alternatives; mouvements d’écologies et de solidarité. Mentionnons aussi d’autres mouvements qui ont acquis une importance particulière : mouvements indigènes et de groupes afro-américains, de libération de la femme et des jeunes.

b) Une plus grande insertion dans la religiosité populaire et dans la vie quotidienne de nos peuples. Devant la croissance de la pauvreté, de l’exclusion, de la dégradation et de la violence, devant la croissance du désespoir et de l’angoisse des gens, l’accompagnement quotidien du peuple devient un véritable défi. Il s’agit d’un accompagnement social, culturel, religieux, spirituel et pastoral. Le fait d’avoir négligé ce point et de n’avoir pas renouvelé les églises historiques, voilà ce qui a rendu possible la montée des sectes fondamentalistes. Il est urgent de développer une évangélisation de la vie quotidienne, spécialement chez les pauvres et les jeunes. Cette vie quotidienne des pauvres est navrante, violentée, pleine d’angoisse, de peur et de désespoir. Une Église signe d’espérance doit se retrouver parmi les pauvres et les désespérés.

c) Un développement encore plus grand de la spiritualité. Nous nous référons ici non pas à une spiritualité aliénante et fondamentaliste sinon à une spiritualité libératrice, II est nécessaire de dépasser l’activisme et le rationalisme qui ont tellement marqué le militantisme chrétien ces derniers temps; valoriser davantage la transcendance et la gratuité dans l’engagement, développer des formes de prières et de célébrations nouvelles et créatrices. C’est dans la spiritualité que réside la force capable de répondre aux défis du futur. Cette spiritualité naît du cri des opprimés et se développe dans la construction d’alternatives de vie pour le peuple. Elle sait discerner le Dieu de la vie des idoles de la mort. Elle croit au Dieu de la vie, qui veut que tous aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. Elle garde vivante la mémoire des martyrs et croit que Dieu est transcendant parce qu’à l’intérieur de notre histoire il assure une vie pleine par-delà l’oppression et par-delà la mort (Is 65 et Ap 21).

d) Une plus grande participation dans la vie de l’Église. Dépasser les attitudes de marginalisation dans l’Église et d’agressivité contre les structures de l’Église. Cette stratégie de participation doit remplacer la polarisation. Durant longtemps, nous, les chrétiens dans nos communautés engagées dans la libération, avons vécu en état de confrontation avec la hiérarchie et les hautes autorités du Vatican. La vie ecclésiale restait ainsi polarisée autour de deux pôles : celui avec la base, engagé, animé par l’évangélisation et la théologie de la libération et un autre pôle institutionnel, autoritaire, dogmatique, centré sur la défense des intérêts de l’Église. Cette confrontation-polarisation était peut-être inévitable à une époque où il était nécessaire de définir des positions, d’ouvrir de nouveaux chemins, de construire l’expression publique d’un christianisme alternatif libérateur. Mais depuis quelques années, nous avons découvert que cette polarisation est un piège qui nous empêche d’avancer. Maintenant que les positions sont claires, il s’agit de les incarner dans le peuple de Dieu et que ce soit ce peuple, comme sujet, qui les fasse exister et grandir. A cette plus grande intégration des chrétiens engagés dans cette Église, doit correspondre de la part de la hiérarchie une claire diminution de ses attitudes autoritaires et cléricales. Un signe des temps est cette plus grande intégration du peuple de Dieu où on dépasse les attitudes sectaires d’une part et les attitudes autoritaires d’autre part. Nous devons sur ce point être disciples de Paul de Tarse qui sut toujours unir deux valeurs apparemment contradictoires : la vérité de l’Évangile et l’unité de l’Église.

e) Un œcuménisme plus grand et profond. Dans l’avenir, l’Église sera œcuménique ou elle cessera tout simplement d’être une Église capable de rendre témoignage. Le scandale ce n’est pas qu’il existe beaucoup d’églises chrétiennes sinon qu’elles se disputent entre elles, au lieu de se mettre toutes au service du Royaume de Dieu. Le pluralisme religieux est une richesse quand il est au service du peuple de Dieu. De nos jours, l’œcuménisme n’est pas une exigence seulement entre chrétien-ne-s mais aussi entre chrétiens et non-chrétiens. Il est urgent d’établir un dialogue œcuménique avec nos propres religions indigènes d’Amérique latine et avec toutes les grandes religions du tiers monde. Le contenu de ce dialogue sera fondamentalement le Dieu de la vie et comment sauver la vie des pauvres.

2.2 Lecture populaire de la Bible

La nouvelle évangélisation est un processus populaire, massif. La nouvelle évangélisation est une réforme et ici l’essentiel c’est de remettre la Bible au peuple. La nouvelle évangélisation réside dans la nouvelle rencontre du peuple avec la parole de Dieu.

De nos jours, en Amérique latine, les pauvres lisent la [Bible]. Durant des années nous avons lu la Bible au peuple de Dieu; maintenant c’est le peuple de Dieu qui est le sujet du processus de la lecture et de l’interprétation de la Bible. L’amour pour les Saintes Écritures grandit spécialement chez les plus pauvres et les plus opprimés. La Bible est un espace privilégié de l’irruption des pauvres dans l’Église. La hiérarchie et le magistère de l’Église doivent répondre avec espérance et joie à ce nouveau mouvement de l’Esprit sur notre continent.

Le peuple de Dieu lit la Bible en communauté et c’est avec la Bible que se crée la communauté. Ce sont principalement les communautés ecclésiales de base qui ont rendu possible cette rencontre du peuple avec la parole de Dieu. La Bible est lue communautairement dans un climat de foi et de prière fidèle à la tradition et au magistère de l’Église. Ce sont spécialement les plus pauvres et les plus simples qui trouvent dans la communauté un accès continu et systématique à la lecture et à l’interprétation de la Bible.

La science biblique se met au service de la lecture communautaire de la Bible. Il y a une convergence croissante entre science et communauté. La science biblique apprend à la communauté chrétienne l’esprit, la perception par le cœur et le sens de la parole de Dieu. La communauté apprend à la science biblique les rudiments des méthodes historico-critiques et la nécessaire information pour une lecture correcte de la Bible. En Amérique latine, on voit se multiplier les cours, les séminaires et les ateliers au service de la formation biblique des agents de pastorale, des coordonnateurs de communautés et des délégués de la parole de Dieu. On voit aussi augmenter le nombre de publications bibliques (commentaires, revues, bibliographies) spécialement consacrées au service du mouvement biblique populaire.

La lecture communautaire de la Bible se fait à partir de la réalité et au service de la libération intégrale du peuple. La Bible illumine la vie et à partir de la vie on comprend mieux la parole de Dieu. Bible, communauté et libération en viennent à former trois moments d’un même processus. Peu importe celui qui commence, le plus important c’est qu’aucun de ces moments ne fasse défaut. Les conflits Rugissent quand un de ces aspects se transforme en absolu et qu’on oublie les autres.

La lecture communautaire de la Bible est une lecture pour la défense radicale de la vie, illuminée par la foi dans le Dieu de la vie. En ce sens, c’est une lecture profondément œcuménique. Le mouvement biblique latino-américain recrée et renouvelle le mouvement œcuménique à partir de la base et avec des perspectives nouvelles.

Le peuple de Dieu est en train de s’approprier le texte de la Bible et son interprétation. Il se transforme ainsi en un peuple prophétique. La parole de Dieu que la communauté trouve dans la [Bible] lui donne lumière, force et autorité. Le peuple de Dieu redonne l’autorité à la parole de Dieu dans l’Église et dans la société. La lecture de la Bible, faite avec foi et en Église, concède aux communautés ecclésiales de base une sécurité, une légitimité et une autorité plus grandes.

La lecture communautaire de la Bible en récupère le sens complet : le sens littéral, historique et spirituel. Le sens littéral du texte c’est le sens fondamental. Toute interprétation biblique est finalement l’interprétation d’un texte. Mais le sens historique est important lui aussi : c’est celui que prend un texte quand nous reconstituons l’histoire derrière le texte, l’histoire du texte et l’histoire faite par le texte. De nos jours, les communautés accentuent le sens spirituel de la Bible : celui qu’acquiert le texte quand il nous permet de découvrir la parole de Dieu dans notre histoire quotidienne. La lecture communautaire de la Bible est orientée vers cette découverte de la parole de Dieu dans la vie de la communauté. Cette découverte à son tour enrichit le sens littéral et historique de la Bible.

La recherche du sens complet de la Bible est ce qui permet à la communauté chrétienne de dépasser le fondamentalisme et toute manipulation possible de la Bible. Le fondamentalisme, très présent dans les sectes religieuses, ignore le sens historique et spirituel. Une Bible sans histoire et sans esprit est une Bible abstraite, facilement manipulable, ou bien interprétée dans une histoire ou dans un esprit étrangers au texte de la Bible. Le peuple de Dieu réussit à dépasser toute manipulation possible de la Bible quand il la lit en communauté, fidèle à la tradition et au magistère de l’Église, dans un contexte de foi et de prière, avec l’appui des sciences bibliques et quand il met la lecture de la Bible au service de la libération intégrale du peuple.

2.3 Nouvelle élaboration de la théologie de la libération

Plusieurs pensent qu’avec la chute du socialisme historique en Europe de l’Est, avec la crise du marxisme et l’instauration du nouvel ordre international, la théologie de la libération n’a aucun avenir. Nous serions en train de vivre la fin de l’histoire, le triomphe final du capitalisme où tout système de pensée alternatif, toute espérance d’un monde différent, toute utopie libératrice seraient sans importance et condamnés à l’échec. Déjà la théologie de la libération n’aurait plus aucun sens. Tel est l’espoir de tous ceux qui jouissent du nouvel ordre international : l’espoir que jamais plus il n’y aura de gens qui gardent l’espérance. Mais les choses ne se passent pas ainsi. Le triomphalisme et l’espoir des oppresseurs contredisent brutalement la réalité de la pauvreté, de la misère et de l’oppression qui continuent toujours à dominer la grande majorité de l’humanité. Les conditions historiques qui ont donné naissance à la théologie de la libération existent toujours. Tant et aussi longtemps qu’existera le scandale de la pauvreté et de l’oppression, qu’il y aura des chrétien-ne-s qui vivront et réfléchiront d’une façon critique leur foi dans la lutte pour la justice et la vie, il y aura une théologie de la libération. Cela dit, ce qui est fondamental, ce n’est pas l’avenir de la théologie de la libération, sinon le futur de la vie des pauvres, le futur de la vie humaine et du cosmos, le futur de la libération et l’engagement des chrétien-ne-s face à cette vie et à cette libération. Nous faisons de la théologie de la libération pour que ce futur et cet engagement continuent à exister. Mais la théologie de la libération ne continuera pas d’exister par inertie ou seulement en répétant ses schémas originaux. Il est nécessaire aussi de repenser la théologie de la libération dans la nouvelle conjoncture; recréer et reprogrammer la théologie de la libération vers le futur. La théologie de la libération c’est le droit que possèdent les pauvres de penser d’une manière critique leur foi et leur espérance, pour la défense de la vie.

Les transformations structurelles du système de domination, de la situation des pauvres et des pratiques de résistance exigent de la théologie de la libération une révision très profonde de tout son espace théorique : il est nécessaire d’élaborer de nouveaux concepts théoriques, une nouvelle théorie ou rationalité qui nous permettent d’analyser d’une façon critique et systématique l’expérience de foi dans cette nouvelle conjoncture. La crise du marxisme a été manipulée pou réprimer toute réflexion critique et libératrice, pour détruire toute considération fondée sur l’espérance et la solidarité, pour tuer toute pensée alternative qui permette d’envisager un avenir différent de celui rêvé par le système dominant actuel. On utilise la crise du marxisme plus spécifiquement pour proclamer la fin de la théologie de la libération. On dit faussement que le marxisme constituait la base rationnelle de la théologie de la libération. Puisque cette rationalité est morte, la théologie de la libération va mourir elle aussi. Nous ne pouvons aborder ici le thème du marxisme et de sa relation avec la théologie de la libération. Nous rappellerons seulement que la théologie de la libération n’est pas née du marxisme, sinon de l’expérience de Dieu dans le monde des pauvres et dans la pratique en vue de la libération.

Nous assistons actuellement à une renaissance de la théologie de la libération. Cette renaissance est liée aux mouvements sociaux de base. Le mouvement indigène est en train de produire une théologie indienne de la libération. Le mouvement afro-américain, une théologie noire de la libération. Le mouvement de libération de la femme, une théologie féministe de la libération. On voit également apparaître des théologies paysannes, suburbaines, écologiques; des théologies reliées à la médecine naturelle, à l’agriculture alternative, à la solidarité. Les communautés de base continuent à développer leur propre théologie orale à partir de leurs pratiques sociales. Dernièrement on a vu aussi se développer une théologie propre des mouvements juvéniles. La lecture populaire de la Bible, pour sa part, est aussi une source féconde de théologies populaires de la libération nouvelles et originales.

La nouvelle théologie de la libération qui est en train de naître est une théologie plus populaire, plus collective, plus symbolique et moins rationnelle que la théologie antérieure. Maintenant, le sujet qui fait la théologie est plus clairement le peuple de Dieu lui-même qui s’exprime dans ses mouvements sociaux.

La transformation de la théologie de la libération peut être interprétée, si on utilise des catégories bibliques, comme le passage d’une théologie prophétique à une théologie apocalyptique. La théologie prophétique agit dans un monde plus ou moins organisé où on annonce le projet de Dieu et où on dénonce les injustices et les péchés contre le projet en question. La théologie apocalyptique, au contraire, agit dans un monde cahotique (sic), marginal et désintégré. Maintenant la tâche fondamentale n’est plus la dénonciation prophétique, mais la reconstruction de la conscience populaire, de l’espérance et de l’utopie. Dans cette théologie apocalyptique, l’utilisation de symboles, de mythes et de visions acquiert une importance particulière. C’est nettement une théologie de la communauté, une théologie politique de l’espérance et une théologie confirmée par le témoignage des martyrs. La théologie de la libération, comme théologie prophétique, continue bien sûr à exister, mais celle qui est maintenant prédominante c’est plutôt une théologie à caractère apocalyptique. (Il serait important de redéfinir en des termes positifs le courant apocalyptique.)

3. Un changement significatif de l’Église en Amérique latine est-il possible? Le courant évangélisateur pourra-t-il s’imposer au courant néoconservateur?

3.1 Forces opposées au changement dans l’Église

Forces traditionnelles : alliance de l’Église avec l’État, alliance de l’Église et des groupes dominants. Persistance d’un modèle de chrétienté coloniale (le christianisme est arrivé en Amérique latine avec l’expansion du colonialisme européen et continue d’être en état permanent de dépendance coloniale et néo-coloniale), avec ses conséquences de centralisme romain, de structure pyramidale du pouvoir, d’autoritarisme, de patriarcat, de cléricalisme, etc.

Mouvement néo=conservateur dans l’Église et dans la société : mouvements spiritualistes et ceux rattachés aux sectes, mouvements ecclésiaux transnationaux (charismatiques et autres semblables), contrôle du « pouvoir sacré » dans l’Église (nomination des évêques, contrôle des séminaires, de la liturgie, de l’orthodoxie), Églises électroniques, Lumen 2000, Évangélisation 2000, etc.

Décalage entre l’Église latino-américaine et la Curie romaine. Nous croyons que la Curie romaine a été victime de sa propre campagne et de celle d’autres groupes contre la théologie de la libération et contre l’Église des pauvres. Elle a fini par croire toutes les calomnies contre ces mouvements. Il existe aujourd’hui une analyse totalement erronée sur la situation de l’Église en Amérique latine et à Rome on ne comprend rien aux changements des trente dernières années.

3.2 Crise de la chrétienté, naissance de l’Église

On peut imaginer un changement de l’Église latino-américaine, malgré toutes les forces et toutes les structures qui s’opposent à un tel changement, si nous partons d’une analyse qui établit la différence du processus ecclésial qui a été vécu en Europe et celui vécu en Amérique latine. Nous pensons que l’Église de la chrétienté européenne, si on fait exception de ses minorités prophétiques, est une Église qui, pour l’essentiel, a échoué et a perdu sa crédibilité. La mission de l’Église en Europe durant les trois derniers siècles a été l’évangélisation de la modernité : rendre crédible l’Évangile, comme force de libération pour l’homme et la femme modernes. Nous croyons que l’Église de la chrétienté européenne a raté sa mission. De plus, toutes les tentatives positives de certains groupes de chrétien-ne-s pour rendre possible cette évangélisation ont été réprimées par l’Église elle-même.

La situation de l’Église latino-américaine est radicalement différente. Notre mission comme Église n’a pas été l’évangélisation du monde moderne, mais plutôt l’évangélisation des victimes du monde moderne : le monde des pauvres et des opprimés. Notre mission a été de rendre crédible l’Évangile comme force de libération auprès des pauvres. Nous croyons humblement, tout en reconnaissant nos erreurs et nos limites, que pour l’essentiel, comme Église latino-américaine, nous n’avons pas échoué dans cette mission évangélisatrice. Je me réfère surtout au nouveau modèle d’Église qui depuis 1492 est apparu sur notre continent et qui dans les trente dernières années a acquis une étendue et une force significatives. Voilà pourquoi l’Église latino-américaine a actuellement une crédibilité en Amérique latine, spécialement chez les pauvres et les jeunes. Ces groupes encore aujourd’hui croient dans l’Église et ils confirment à opter pour elle.

Ce qui précède signifie que nous ne pouvons pas parler d’une crise généralisée et universelle dans l’Église. Nous croyons que ce qui est en crise c’est l’Église de la chrétienté dont le centre principal est en Europe, même s’il se ramifie à travers tout le tiers monde. Le nouveau modèle d’Église qui naît en Amérique latine n’est pas en crise. Nous sommes une Église persécutée, dont on met en doute la légitimité, calomniée mais pas une Église en crise. Nous vivons dans un monde en crise, mais l’Église représente encore une espérance et une réponse face à ce monde en crise.

Nous ne pouvons pas permettre que la crise de la chrétienté européenne affecte d’une façon négative la naissance d’un nouveau modèle d’Église en Amérique latine. Face à une Église de chrétienté, nous devons affirmer notre identité historique, remplie d’espérance et authentifiée par le sang de milliers de martyrs. Cela ne signifie nullement rompre l’unité de l’Église, pas plus que cela signifie rompre avec la catholicité de l’Église. Nous continuerons à être fidèles à l’Église, spécialement à la tradition apostolique représentée par le successeur de Pierre dans l’Église de Rome. Mais nous croyons que nous ne devons pas maintenir une conception coloniale de la catholicité et de l’unité de l’Église. Il est nécessaire de les redéfinir, ces attributs de l’Église, depuis le tiers monde, à partir des majorités pauvres, à partir des Églises naissantes qui constituent l’avenir et l’espérance de l’Église universelle. La dépendance de Rome NE peut PAS signifier l’imposition d’un modèle d’une Église en crise et la destruction de trente ans de renouveau ecclésial en Amérique latine.

4. La nouvelle évangélisation et la IVe conférence de Saint-Domingue

La nouvelle évangélisation c’est ce qui se fait en Amérique latine depuis longtemps et que nous appelons l’évangélisation libératrice. Elle est nouvelle en opposition avec l’ancienne qui fut une évangélisation conquérante et colonisatrice. L’évangélisation libératrice a toujours été présente en Amérique latine dès les premières années de la conquête. Antonio de Montesinos et Bartolomé de las Casas ont créé, avec leur courant prophétique au XVIe siècle, une authentique nouvelle évangélisation. De même la nouvelle évangélisation est née avec la théologie indienne créée par les indigènes eux-mêmes contre l’évangélisation conquérante des dominateurs. A titre d’exemple, citons le NICANMOPOHUYA ou légende de Tepeyac au sujet de la Vierge de Guadalupe. De même les indigènes et les secteurs populaires ont su créer une nouvelle conception de l’évangile dans la religiosité populaire. Cette nouvelle évangélisation, dans son rôle libérateur, a toujours été présente tout au long des cinq cents ans même si ce ne fut jamais le modèle unique d’évangélisation. Aujourd’hui, cependant, elle apparaît avec force à Medellin, à Puebla, dans les communautés de base, dans la vie religieuse intégrée dans les milieux défavorisés, dans les différentes théologies de la libération, dans les mouvements œcuméniques et dans tous les mouvements de réforme et de renouvellement des Églises. En Amérique latine, au début de la préparation de la IVe conférence de l’épiscopat latino-américain à Saint-Domingue, on a voulu imposer un concept bizarre, étranger et ambigu de Nouvelle évangélisation. L’expression elle-même n’est pas venue d’Amérique latine. Ce concept prévalait dans les deux premiers documents préparatoires à la rencontre de Saint-Domingue. A partir du second Document (février 1992) et du Document de travail (Août 1992) s’est imposé définitivement le concept de nouvelle évangélisation comme évangélisation libératrice.

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Pablo RICHARD, Chilien, théologien, docteur en sociologie religieuse. Professeur de théologie à l’Université nationale de Costa Rica et membre du Département oecuménique de recherche (DEI) de Costa Rica. Auteur de plusieurs ouvrages dont La fuerza espiritual de la Igjesia de los poires.

Source : RICHARD, Pablo, « La nouvelle évangélisation : une évangélisation libératrice face au nouvel ordre international », Dossier du Congrès – 1992 – D’un “nouvel” ordre mondial à une “nouvelle” évangélisation, Montréal, 1992, p. 38-49.

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