Charles GODUE

C’est un thème assez vaste que celui de « foi et culture »; je vais l’aborder peut-être sur une note différente de celle de Mgr Sanon même s’il y a un certain nombre de recoupements, et je l’aborderai sur ce qui me semble la problématique que je définirais comme la question de l’autre, l’intéressé, la relation avec l’autre. Une précision avant de commencer; j’ai été médecin [trois] ans au Guatemala dans le projet des Missions-Étrangères; [trois] ans c’est très, très court pour connaître une réalité aussi vaste que celle du Guatemala; c’est donc sans prétention que je viens vous présenter ces réflexions qui posent d’ailleurs beaucoup plus de questions qu’elles ne présentent de réponses.

Je pense que tous ceux qui ont connu le Guatemala y ont trouvé un pays fascinant et c’est pour cela qu’on m’a demandé de participer à l’atelier de foi et culture. Le Guatemala est un pays peuplé en majorité d’Indigènes descendants de la fameuse civilisation Maya-Kitché qui représente une culture complètement différente de la nôtre. Contrairement à plusieurs pays d’Amérique latine qui sont majoritairement métis, comme par exemple le Mexique – bien qu’il y ait encore des groupes indigènes – le Guatemala, lui, au contraire est majoritairement Indigène avec tout ce que ça implique de traditions, de coutumes, de façons d’être, de langues (on compte 22 ethnies différentes au Guatemala et leurs langues sont distinctes; elles constituent donc une mosaïque même s’il y a une base commune à tous ces gens-là).

C’est donc une réalité radicalement différente; si dans le cours de mon intervention, vous avez l’impression que je me fais quelque peu l’avocat du diable, vous aurez probablement raison; je pense et je vous demande de voir cela comme une espèce de réflexion critique par rapport à ma propre expérience et s’il y en a qui sont rejoints, tant mieux. J’aimerais commencer seulement par un petit exemple, un exemple en apparence d’ordre médical puisque c’est mon domaine.

Je travaillais un jour à la clinique – une petite clinique qu’on avait dans un village à Genova; c’était un mardi; je m’en souviens très bien parce que le mardi était le jour du marché, et les gens qui venaient de tous les bourgs, de tous les villages profitaient de cette journée pour passer par la clinique et, par conséquant (sic) , le mardi c’était absolument bondé. Il y avait 50, 60, 80, 100 personnes qui attendaient à la porte et il fallait faire très vite; et comme on tombait toujours sur quelques-uns qui étaient très malades et qui prenaient beaucoup de temps, alors ceux qui avaient des problèmes relativement mineurs on les expédiait. Je me souviens de ce jour où entre une dame – une dame d’un certain âge, une indigène Mam qui portait le wipil, le vêtement des Indigènes au Guatemala. Elle passe dans mon bureau et va s’asseoir sur la table d’examen; je lui demande alors ce qui se passe et elle me montre son pied. Elle avait un bobo au pied; allons donc voir le pied. J’examine son pied et effectivement il y avait une plaie infectée. Je me dis : enfin un problème facile, un pied c’est moins compliqué que des poumons. Je l’envoie à l’infirmière et je dis à cette dernière de lui faire tremper le pied dans nos bons produits chimiques et de lui donner des antibiotiques et ça va se régler. J’explique à la femme que c’est pas compliqué, qu’on va tout lui arranger ça et qu’elle peut disposer. Elle reste, malgré tout, assise sur la table et elle ne bouge pas. Je lui dis : madame je vous ai expliqué que votre problème est relativement simple, voulez-vous passer avec l’infirmière, elle va s’occuper de vous; il y a beaucoup de monde qui attend vous savez. Elle me regarde et ne bouge pas. Je me dis que je suis venu ici à cause de mon option pour les pauvres, je ne suis quand même pas pour la chicaner. Mais bon sens elle ne comprend rien; qu’elle se grouille. Et puis là je m’approche d’elle et je lui dis : Señora por favor, s’il vous plaît déménagez. Elle me regarde et ce qu’elle fait, c’est simplement de prendre mon stéthoscope, ce petit appareil qui nous pend généralement dans le cou quand on est en travail officiel, elle soulève son wipil, son vêtement, et elle commence à se passer le stéthoscope sur son poumon, sur sa poitrine, sur les côtes. Mais je ne l’avais même pas dans les oreilles, je l’avais dans le cou, mon stéthoscope. Je la regardais faire et je me disais : mon Dieu, qu’est-ce que c’est ça? Qu’est-ce qui se passe? Et après qu’elle eut fait ça pendant un certain temps, elle laisse retomber le stéthoscope, elle se lève, passe la porte et s’en va directement chez elle, sans passer par l’infirmière. Pas de trempette de pied, pas d’antibiotique, rien.

Je me suis posé la question après : qu’est-ce qui se passe? Mon Dieu qu’est-ce que c’est que cette affaire-là? Je me suis rendu compte, évidemment sans comprendre ce qui s’était passé, à quel point on vivait dans deux univers complètement différents et pratiquement hermétiques. Pour moi elle avait un problème très concret, elle avait un bobo sur le pied; je l’ai vu et je savais quoi faire et je lui ai dit quoi faire mais pour elle, c’était loin d’être important. Et je me suis demandé par après ce que je pouvais symboliser pour elle, ce que je représentais pour elle; qu’est-ce que cette espèce d’appareil de stéthoscope dont elle ne savait strictement rien en terme scientifique, symbolisait pour elle? Qu’est-ce que le fait de le passer sur son corps symbolisait pour elle? Et c’est pour cela que je vous disais que j’allais vous donner un exemple d’apparence médicale parce que pour moi, il représente une expérience du quotidien alors que si elle était ici aujourd’hui et qu’elle nous communiquait ce qu’elle a vécu à ce moment-là, probablement qu’elle nous décrirait tout ça en terme très religieux.

Qu’elle était sa conception du mal dont elle souffrait et quel rôle m’a-t-elle fait jouer là-dedans sans que je le sache? Je l’ignore, mais ce que je sais c’est que son pied, elle ne voulait pas le faire tremper et que ce qu’elle voulait, c’était venir me voir pour ce « rite » – j’interprète ainsi ce fait. À partir de cette expérience et de bien d’autres que j’ai vécues au Guatemala, il y a un certain nombre de questions qui surgissent et une des questions que je me suis posée souvent et que je me pose encore, c’est comment peut-on et a-t-on le droit d’imposer à l’autre ce que l’on considère et ce que l’on croit fermement être très bon pour nous?

J’ai vu des enfants très jeunes, atteints de poliomyélite, qui sont restés paralysés. Il n’y a pas de bien-être social au Guatemala, les gens sont pauvres, ils représentent un fardeau, ils ne produisent pas… Il faut vacciner ces enfants-là ça n’a pas d’allure ! Madame, vous avez une pneumonie, il faut que vous preniez vos antibiotiques ! Mais est-ce que j’ai le droit d’imposer cela à l’autre parce que moi je suis convaincu que c’est bon pour lui? Et le problème là-dedans c’est que je suis toujours juge et partie, et c’est moi qui définit ce qui est bien pour l’autre. Et si, parce que cela arrive parfois – il faut bien le reconnaître – mes trucs, mes médicaments, mes injections, mes patentes ne fonctionnent plus ou donnent des succès mitigés, je m’explique ce manque de succès en termes négatifs, en termes de carence. Si ça n’a pas marché, c’est parce qu’ils n’ont pas d’argent pour acheter les mé­dicaments, parce qu’il n’y a pas d’accessibilité à cause des routes qui sont mauvaises, parce qu’ils ne peuvent pas venir à la clinique, parce qu’ils manquent de formation, qu’ils ne savent pas; s’ils savaient, ils feraient comme tout le monde. Ils mangent mal, ils n’ont pas d’argent pour s’acheter des souliers, il y a des vers qui entrent par la peau, etc. Alors les succès plus ou moins relatifs que je peux avoir et les insuccès, je les explique en termes négatifs, en termes de carence. En d’autres mots si les gens n’acceptent pas et n’entrent pas dans mon univers, dans ma conception des choses, dans ce que moi je crois être bon pour eux, ce n’est pas parce qu’ils ne veulent pas; c’est parce qu’ils ne peuvent pas.

Alors la réaction qu’on a – ça a été la mienne, je ne sais pas la vôtre, ceux qui sont allés à l’étranger – la réaction qu’on a c’est de monter des services; comme ils n’entrent pas dans mon univers parce qu’ils ne peuvent pas, parce qu’ils manquent de facilité pour le faire, alors donnons-leur les facilités. Ils ne comprennent pas, alors on va former des promoteurs de santé; le curé qui était avec moi, Édouard Morin, a formé des catéchètes; les catéchètes on va leur enseigner; ils vont comprendre, ils ne sont pas fous; on va diminuer le prix des médicaments pour qu’ils puissent les avoir même s’ils n’ont pas tellement d’argent; on va aller en jeep dans les différents hameaux pour leur donner l’accessibilité aux soins, etc… On fait les choses, on prend l’option pour les pauvres, on aide les pauvres, on leur apporte parce qu’on considère que s’ils n’entrent pas dans notre univers et s’ils n’acceptent pas ce qu’on leur propose, c’est parce que cela ne leur est simplement pas accessible.

Cette perspective qui paraît peut-être un peu grossière, un peu caricaturale quand je la présente comme ça a été, dans mon cas, consciemment ou pas, tellement présente dans ma façon d’entrer en relation avec l’autre. Enfin ce que je distingue, c’est deux attitudes par rapport à l’autre, par rapport à celui qui est là; c’est à la fois différent mais à la fois semblable. Ou on met l’accent sur le semblable, c’est-à-dire il est égal. Celui qui est en face de moi m’est égal. Bon d’accord on est égal, il m’est égal, nous sommes égaux, pas de chicane; et du principe d’égalité, on dévie plus ou moins consciemment, plus ou moins rapidement, à un principe d’identité. On est égal donc on est pareil; et du principe d’identité on dérive tranquillement sur le principe d’assimilation. Cet individu là qui est en face de moi, il est très intelligent; il est pauvre et tout cela mais il est très intelligent. Je vais lui expliquer que c’est bon pour lui qu’il prenne la pillule (sic) et il va comprendre parce qu’il est aussi intelligent que moi; et il va faire ce que je lui demande. S’il est intelligent il va comprendre ce que je lui dis et puis il va le faire. Donc je lui impose, je l’embarque, je le force dans mes propres conceptions à partir d’un point de vue d’égalité; on est égal donc il est aussi intelligent que moi donc il va comprendre donc il va le faire.

Ou alors notre point d’approche par rapport à l’autre c’est la différence. On reconnaît d’emblée qu’il est différent. Il n’est pas pareil à moi; il est « moreno », il a la peau plus foncée que la mienne, il a les cheveux noirs; il n’est pas allé à l’école, il est pauvre, il n’a pas d’argent. Il est différent cet individu-là et d’un principe de différence on passe plus ou moins consciemment, ou parfois très consciemment, à un rapport d’inégalité. Il est différent donc nous sommes inégaux et de l’inégalité un rapport de force s’établit toujours en termes de supérieur/inférieur où, bien entendu, nous les chrétiens occidentaux sommes toujours les supérieurs. Après tout il ne comprend pas, mais j’ai quand même fait plusieurs années d’études de médecine; il devrait comprendre; j’ai étudié la théologie je sais très bien, il devrait comprendre, etc. C’est donc une espèce de relation de supériorité/infériorité; et ça par exemple, c’est très manifeste dans les hôpitaux. J’imagine que c’est ainsi dans plusieurs pays du monde. Dans les hôpitaux guatémaltèques, dans les hôpitaux publics – et si vous allez dans ces hôpitaux là, vous allez voir que les médecins sont des métis, des ladinos, des criollos, des descendants des espagnols – quand l’Indigène entre à l’hôpital, on ne lui explique pas ce qu’il a. On ne lui dit absolument rien; on ne parle pas à cet indio, cet Indigène qui ne vaut rien. On lui met son sérum, on lui donne ses injections dans les fesses, on lui donne ses pillules (sic), il ne sait pas ce qui se passe, il ne sait pas où il s’en va, c’est une relation de supérieur/inférieur et quand il est à peu près guéri on le met dehors. En fait ce que j’essaie de décrire par cette expérience, c’est cette espèce de conception plus ou moins claire dans notre esprit qu’on s’adresse souvent à un terrain vierge. C’est-à-dire que ces gens-là avec lesquels on entre en relation n’ont pas d’univers mental, n’ont pas de bagage culturel organisé qui intègre les différentes composantes de leur existence aussi bien religieuse, que sociale ou économique; comme je l’ai dit tantôt, ces gens-là n’ont pas d’univers mental et ce qu’ils ont, ce ne sont que des carences, des limitations, des privations que l’on s’évertue le plus possible à remplir. Et on détruit l’autre comme on l’a vu lors de la conquête espagnole, où les bons curés qui étaient aussi bien intentionnés que moi j’ai pu l’être au cours des [trois] années que j’ai passées là-bas. Ces bons curés considéraient que s’il fallait tuer cent Indigènes pour en garder un qui, par la frousse, décide d’être baptisé, alors ça valait la peine parce qu’un Indigène qui n’aurait pas à souffrir les flammes éternelles, ce n’était quand même pas négligeable.

Alors selon un principe de destruction, dans l’imposition à l’autre de ce que je crois être bon pour lui, on est souvent passé – et là je caricature, vous me le pardonnerez – à un principe de l’option pour l’autre où dans les deux concepts, le danger c’est qu’on soit toujours au centre de la relation, c’est-à-dire que je fais de l’autre l’instrument de mon salut; la relation répond alors à mes propres nécessités. Et dans les deux cas, très souvent malheureusement, il y a méconnaissance très profonde de l’autre; on ne sait pas qui est l’autre; on l’aide, on est là, on est bon pour lui, on va le voir, on entre dans la maison, on n’a pas peur de prendre des cafés, on se fiche de l’hépatite, mais on se fiche moins de ceux qui en sont atteints. Ce que je veux dire, c’est qu’on est peut-être très près des gens sans réaliser quelle vision ils ont du monde et comment ils vivent dans leur propre valeur, leur propre culture.

Je vais vous donner un exemple très rapidement. On raconte que lors de la conquête espagnole, quand Cortez est arrivé au Mexique, il a rencontré le grand chef aztèque Montezuma; Montezuma avait compris que la foi que les chrétiens avaient pour leur Dieu était très importante à cause de toute cette agressivité si manifeste. Alors avec un sens très aigu du compromis, et aussi de tolérance et d’ouverture, Montezuma lui dit : écoute, nous autres on a plein de Dieux qu’on vénère. On les aime tous. Il y en a certains qu’on vénère plus que d’autres; il y en a qu’on connaît moins. On a d’ailleurs un temple qu’on appelle le temple pour les dieux divers c’est-à-dire ceux qu’on connaît plus ou moins et qu’on vénère plus ou moins, mais on leur fait un temple quand même pour leur dire qu’on pense à eux. Si vous avez votre Dieu et vos statues et que vous voulez entrer dans le temple, et bien allez-y; entrez-le et ça nous fera plaisir d’avoir un autre dieu, un autre aspect de la divinité à adorer qui va venir s’ajouter aux nôtres. La réponse de Cortez n’a pas été très favorable, voyez-vous; Cortez a dit non et s’est empressé de détruire tout ce qui était divinité pour les Aztèques. Et si par hasard, il y en a parmi vous qui ont l’occasion d’aller visiter Mexico, alors il faut aller au Socalo, à la place centrale. Vous allez voir que la cathédrale, l’immense cathédrale que les chrétiens ont construite est de fait édifiée pile au-dessus des temples aztèques. Comme pour en nier complètement l’existence.

La conception de Cortez est simple; c’est que la religion chrétienne occidentale est fondamentalement universelle et égalitaire. Et était universelle et égalitaire, avec un Dieu unique, elle est intolérante et elle ne tolère pas les autres croyances, les autres divinités. Montezuma proposait les nôtres et le vôtre et Cortez a dit non, c’est le nôtre ou c’est rien. Cette attitude des conquérants, puisque c’est quand même dans un rapport de forces que se joue l’enjeu religieux, cette attitude a produit des effets divers sur la population. D’un côté, ce qui est le culte proprement Maya des Indigènes guatémaltèques, ce qu’ils savent par expérience historique et qui est inacceptable aux prêtres catholiques, ils le cacheront; ils le pratiqueront d’une façon très discrète.

Par ailleurs, en raison de cette conception de divinités multiples, ils peuvent facilement intégrer notre religion comme un élément de la leur; pas central, même si on veut le croire et que cela nous fait plaisir de le croire, mais comme un élément périphérique au sein de leur monde religieux. Et comme on les a forcés à utiliser nos cérémonies, nos cultes et que les Indigènes étant très religieux, ils sont des experts dans les communica­tions avec le monde et avec Dieu (par conséquent ce sont des gens qui donnent beaucoup d’importance aux cultes et aux rites), alors ils vont utiliser la symbolique chrétienne mais attention : en maintenant un contenu qui peut être complètement différent de ce qu’on s’imagine. Comme moi avec la patiente que j’ai vue et que j’ai soignée pour son pied alors que pour elle, cela répondait à un schéma complètement différent du mien.

Si le Guatemala est assez célèbre pour sa fameuse semaine sainte remplie de processions absolument interminables et fastidieuses (on transporte des statues et il y a des fleurs partout, les gens sont habillés en Romains, en Juifs, etc.) et c’est tellement phénoménal que les gens disent alors que le Guatemala est à 95 % catholique : n’est-ce pas merveilleux? Vous avez vu un million d’Indigènes à Quetzaltenango qui sont allés recevoir le Pape, etc… La question qu’on peut se poser, c’est à savoir que représente le Pape pour eux; peut-être que leur perception serait fort différente de celle qu’on s’imagine. Et quand on dit catholique à 80 %, que veux dire catholique pour eux?

C’est un peu les préoccupations que je voulais vous apporter; ce danger, au plan personnel comme au plan de l’Église, de toujours se voir au centre de ce qui se passe. On est encore au temps de Copernic et ça a été mon cas dans mon expérience personnelle; cette espèce de danger de dire – par exemple au plan politique et ça on l’entend parfois – que l’Église est actuellement au centre du changement au Guatemala. On a dit il y a quelques années que la conquête s’est faite avec le bon curé en arrière. L’Église a joué un rôle très important dans la destruction des cultures et de l’identité et aujourd’hui on dit que s’il y a un changement social qui est en train de se produire au Guatemala et au Nicaragua, c’est grâce à l’Église populaire. Alors de toutes façons, c’est toujours l’Église qui est au centre de tout et ce ne sont jamais les Indigènes.

Je ne nie pas le rôle de l’Église et son importance mais souvent, l’interprétation qu’on fait, est un peu rapide; c’est qu’on se met toujours au centre de ce qui se passe. Et enfin, devant cette attitude des Indigènes, beaucoup de gens ont réagi en disant que c’est une fourberie parce qu’ils vont à la messe, qu’ils font le culte, qu’ils sont catéchètes; et on se rend compte souvent que les plus grands catéchètes, ce sont aussi les plus grands prêtres mayas. Alors on dit : ça c’est une fourberie; ils nous utilisent. Ce ne sont pas des vrais catholiques, ce sont des catholiques de façades alors que pour l’Indigène je pense que cette interprétation est fausse. Mais nous, on peut le voir comme ça.

Et alors vient la préoccupation de l’acculturation; et l’acculturation m’apparaît possiblement dangereuse dans la mesure où on accepte de faire des compromis secondaires. On s’intéresse à leur univers, on essaie de comprendre leur univers, on parle leur langue. Nous, ces compromis qu’on fait sur le secondaire, c’est pour mieux passer l’essentiel qui est le nôtre; c’est la vérité qu’on porte et on est prêt à faire des compromis sur le secondaire justement pour réussir à passer ce qui est essentiel. Et devant ça, je dis : est-ce que c’est ça l’acculturation ou s’il n’y a pas une forme d’acculturation qui soit beaucoup plus importante et beaucoup plus juste en fait?

C’est la question que je porte et que je résumerais de la façon suivante : est-ce que dans ma relation avec l’autre, je veux à la fois avoir une rencontre qui le considère comme égal et tout en étant égal, différent avec un univers mental différent? Est-ce que c’est possible et que veut dire l’acculturation là-dedans? J’espère qu’il y aura des réponses dans les ateliers.

§

Charles GODUE, m.d.

Source : GODUE, Charles, m.d., « Le concept de terrain vierge », Dossier du Congrès – 1983 – La mission ici et ailleurs, relire l’histoire pour mieux inventer l’avenir, Montréal, 1983, p. 39-44.

Licence

Partagez ce livre