Françoise DAVID

J’ai ouï-dire que vous êtes des gens informés… des gens qui ont à cœur la justice sociale. Je présume alors que vous vous sentez concernés par la justice à l’égard des femmes. Vous m’excuserez si, par moments, je vous parais un peu répétitive. On va quand même essayer d’apprendre ensemble certaines choses. Je souhaite échanger avec vous sur les interventions possibles non seulement face à l’exclusion des femmes, mais aussi à l’égard de l’exclusion qui touche tellement de personnes dans la population. Mon exposé, divisé en trois points, tentera de décrire les symptômes de l’exclusion des femmes, les conséquences de cette exclusion et un certain nombre de réponses de la part des femmes.

Des symptômes de l’exclusion des femmes

L’exclusion économique

D’abord, quelques faits en rapport avec l’exclusion économique des femmes. Partout dans le monde, — mais je vais parler davantage du Québec que je connais mieux — les femmes sont sujettes à ce que l’on appelle le travail précaire. Les femmes sont sous-payées parce qu’on ne reconnait pas la valeur de leur travail avec la même équité accordée au travail des hommes. Dans l’ensemble des pays du monde, s’occuper des personnes n’a pas la même reconnaissance financière que de construire des routes. C’est pourquoi ici au Québec les femmes réclament une loi sur l’équité salariale.

Championnes du travail à temps partiel, — au Québec, 75% des personnes travaillant à temps partiel sont des femmes — les femmes occupent largement ce qu’il est convenu d’appeler les ghettos d’emplois féminins. C’est frappant : encore aujourd’hui, par exemple au CÉGEP, en formation professionnelle, les femmes se concentrent très majoritairement dans des secteurs comme l’esthétique, la coiffure, le secrétariat, la vente au détail. Vous le savez aussi bien que moi, ce ne sont pas forcément ni des secteurs en expansion ni des emplois très bien rémunérés. Ce n’est pas ce que l’on peut appeler de la haute technologie. Une autre réalité — loin d’être disparue à Montréal — c’est le travail fait par des femmes à partir de leur domicile. De ce temps-ci, on parle beaucoup des travailleuses et des travailleurs autonomes : on les voit assis devant un ordinateur. Oui, cela existe, et c’est en développement important : les travailleuses et les travailleurs autonomes représentent actuellement au Québec 13% de la main-d’œuvre. Là encore — on l’oublie souvent — les femmes se retrouvent concentrées dans le travail à faible teneur technologique, un travail toujours sous payé. Selon le président de la FTQ très au courant sur le sujet, on compte à Montréal 10,000 femmes œuvrant à la maison dans le secteur de la couture. Emplois mal payés évidemment, très, très bas salaires sans parler de l’isolement pénible et des nombreuses heures de travail. Dans beaucoup de pays du Sud, les femmes occupent massivement ce secteur du travail informel ou du marché informel. Tout se passe comme si le travail informel équivalait à ne pas travailler. Cela signifie plutôt travailler sans aucune protection, sans être reconnu, travailler constamment dans la précarité. Enfin, que dire des pertes d’emplois en ce moment au Québec en particulier. Des pertes d’emplois dans le secteur public occupé massivement par des femmes. Sur ce terrain, on recule de façon particulièrement dramatique. Le secteur public, au Québec comme ailleurs, constitue un secteur relativement dépendant des métiers, un secteur bien payé, mieux protégé par ses conditions de travail, un secteur syndiqué à presque 100%. Les pertes d’emplois subies en juillet dernier ne résultent pas de la température estivale. Elles résultent surtout de la fermeture d’hôpitaux, d’importantes coupures budgétaires dans les services de la santé et de l’éducation. Là encore principalement des femmes. Plusieurs d’entre elles risquent de se retrouver, peut-être pour la moitié de leur salaire habituel, dans ce que le gouvernement appelle « l’économie sociale », mais qui ne correspond pas exactement à ce que les mouvements de femmes désignent par « l’économie sociale ».

L’exclusion politique

Un mot maintenant de l’exclusion politique. Plus visible celle-là peut-être… nous la connaissons peut-être mieux. Dans à peu près tous les pays du monde, les femmes sont totalement sous-représentées politiquement. Cette situation ne s’améliore pas, au contraire. Le nombre de femmes aux postes politiques du milieu municipal augmente, c’est vrai. Mais dès que l’on dépasse le monde municipal, le portrait change considérablement. Le Québec et le Canada comptent peu de femmes dans les rangs de leurs députés. Le poids des responsabilités des femmes dans la famille constitue le principal obstacle à leur accès aux fonctions politiques. Il est extrêmement difficile, pour ne pas dire quasi impossible, pour une mère de famille ayant de jeunes enfants d’occuper un poste au plan politique quand on sait toute la disponibilité qu’exigent ces fonctions, alors que, selon des données récentes fournies par La Presse, les hommes québécois ne détiennent pas le championnat des heures passées à la maison à s’occuper de leurs enfants. Le Québec, société distincte… de cette « marque distinctive des hommes québécois », les femmes s’en passeraient bien. La faiblesse de la représentation des femmes dans les lieux de décisions politiques masque forcément leurs intérêts. Leurs préoccupations se trouvent ainsi relayées au second rang la plupart du temps.

L’exclusion sociale

L’exclusion sociale marque aussi la destinée des femmes. Au chapitre du rôle des femmes à l’intérieur de la famille, on peut se réjouir du progrès réalisé par les femmes québécoises. Il y a bien pire ailleurs dans le monde, bien sûr. Pas d’illusion cependant. Même dans les cas qui évoluent bien, les femmes continuent d’être les contremaîtres du foyer tandis que les hommes risquent un discret « Est-ce que je peux t’aider? » Les avancées des femmes n’ont pas encore réussi à les libérer vraiment de la responsabilité familiale. Aussi sont-elles moins disponibles pour occuper des postes ailleurs, pour promouvoir leur avancement dans la carrière et s’impliquer dans différentes fonctions. Et pourtant les statistiques montrent que les femmes s’impliquent beaucoup dans toutes sortes d’organisations… Miracle, peut-être ! À ce sujet, comment ne pas penser aux pays où les gouvernements sont dirigés par des groupes musulmans intégristes, ou encore comme en Algérie fortement influencés par les mêmes groupes intégristes. Dans ces pays, l’autorité patriarcale extrêmement dictatoriale mène une attaque en règle contre les femmes cherchant à les éliminer pour de bon de la sphère publique et à les maintenir strictement dans la famille.

L’insécurité des femmes, qui vient de la peur, voilà une forme bien particulière d’exclusion sociale. Pas uniquement dans les pays du Sud ou dans les pays musulmans. C’est vrai dans tous les pays, chez nous aussi. Une forme d’exclusion tellement bien intégrée qu’elle est devenue presque normale. Les femmes ont même développé des tas de mécanismes pour se sentir en sécurité à l’intérieur comme à l’extérieur de leurs maisons. Des exemples : les portes de voiture qu’on ferme même en circulant, les places de stationnements que l’on choisit, le choix des heures de sortie et des heures de rentrée… Des habitudes de vie tellement bien intégrées qu’à moins de s’en parler on n’y pense même plus. Exclusion sociale, oui, parce que cela veut dire qu’il y a des heures, des activités et des lieux qui sont interdits aux femmes, simplement parce qu’on est une femme. Ou alors on amène son garde-du-corps préféré même si ce n’est pas la fonction qu’on a envie de lui faire jouer. C’est bel et bien de la violence… Une forme d’exclusion sociale devenue normale ! Absolument inacceptable !

Prochain sujet… Terrain glissant… Je mets mes gants blancs… Au milieu de vous, je pense être dans un lieu bien choisi pour parler de l’invisibilité des femmes dans l’Église. Une forme d’exclusion là aussi. Même si je ne me réclame pas de la foi catholique, je partage beaucoup de valeurs avec les croyants. J’ai été élevée dans cette culture. J’observe ce qui se passe dans l’Église avec beaucoup d’intérêt parce que c’est aussi le reflet de ce qui se passe dans la société. L’une n’est pas complètement étanche à l’autre. Impossible de ne pas me rendre compte qu’il y a beaucoup d’invisibilité des femmes. Pourtant Dieu sait comme elles sont présentes dans l’Église : agentes de pastorale, responsables de la condition féminine, femmes extrêmement actives dans différentes tâches ecclésiales sans avoir les mêmes droits que les hommes. Pas le droit, par exemple, à l’ordination, donc pas le droit d’occuper les lieux de décision les plus importants. Parce qu’il faut grimper dans la hiérarchie pour se rendre aux lieux décisionnels, les femmes n’y arriveront jamais : elles n’ont même pas accès au premier palier. Allons imaginer une femme au plus haut niveau de la hiérarchie… Impossible… peine perdue ! Difficilement acceptable partout ailleurs, on l’accepte encore moins dans l’Église. Davantage invisibles, certaines catégories de femmes. Des femmes qui se réclament et qui vivent de la foi, des femmes qui veulent appartenir à l’Église. Pensons, entre autres, aux femmes lesbiennes. On n’en parle pas, ou si peu. Pourtant dans le mouvement des femmes et partout dans la société, ces femmes d’une orientation sexuelle différente de la majorité vivent beaucoup d’invisibilité. Qu’en est-il dans l’Église? Invisibilité plus grande, j’imagine. Pourquoi ne participeriez-vous pas à une réflexion collective sur ce sujet?

Un mot rapide, très rapide, pour une catégorie importante de femmes exclues. Dans notre pays tout particulièrement, l’exclusion sociale la plus répandue ou presque est beaucoup liée à la monoparentalité. Quand on est une femme monoparentale, quand une femme doit s’occuper seule d’un enfant ou de plusieurs, quand une femme responsable des enfants n’a pas accès à une aide suffisante, cette femme vit doublement ou triplement l’exclusion sociale parce qu’elle la partage avec ses enfants.

À ce portrait déjà sombre, j’en conviens, — comment parler autrement de l’exclusion — une dernière touche pour évoquer la montée de la droite et du conservatisme social un peu partout dans le monde, mais en particulier aux États-Unis. Inquiétude d’autant plus grande qu’un certain nombre de ces mouvements se réclament de la foi, catholique ou autre, pour tenter de faire admettre à l’ensemble de la société des valeurs qui ne relèvent ni de la foi ni de ce qui pourrait ressembler à la justice, à la charité, à la compassion. Un seul exemple. Dans certains états américains, il est question de forcer des jeunes filles qui déjà ont un enfant, — femmes monoparentales et assistées sociales — à une stérilisation temporaire ou définitive pour continuer d’avoir droit à l’aide sociale. Totalement inacceptable ! De son côté, le Président Clinton, lors d’une émission télévisée, se prononçait en faveur du libre choix à l’avortement — position tout à fait acceptable pour les femmes de son parti — et, dans le même souffle, il proposait de « donner de l’argent aux couples qui veulent adopter un enfant ». Quelle aberration ! Depuis quand donne-t-on de l’argent aux couples qui veulent adopter des enfants? Discours rentable politiquement pour le Président Clinton, certes. Genre de propos par ailleurs révoltants ! Retour aux années [19]50 où les jeunes filles québécoises mettaient au monde des enfants et se voyaient forcées par la pression sociale de les faire adopter. Totalement inacceptable ! De toutes façons on a bien vu les problèmes qui s’ensuivent.

Les conséquences de l’exclusion des femmes

Pauvreté

Quelles sont les conséquences de l’exclusion sociale, économique et politique des femmes? Elles sont assez connues, mieux connues parce qu’elles sont souvent plus visibles. D’abord la pauvreté des femmes, dans notre pays comme ailleurs dans le monde. La pauvreté des femmes, c’est un phénomène indiscutable. Certains voudraient peut-être qu’on ne fasse aucune différence entre les hommes et les femmes au niveau de la pauvreté. Les pauvres ne sont pas toutes des femmes, bien sûr. Mais la majorité des pauvres sont des femmes, c’est également sûr et connu. La raison se trouve dans les phénomènes décrits plus haut : la précarité des emplois féminins, les ghettos d’emplois féminins, le travail sous-payé et encore davantage la monoparentalité. Être une femme monoparentale, c’est, à coup sûr, être assurée à 62% d’être pauvre. C’est la situation actuelle au Québec.

Incertitude et insécurité

Une autre conséquence de l’exclusion à tous les niveaux — social, politique et économique —c’est le sentiment constant de vivre dans la précarité, dans l’incertitude. Être rongée comme femme à force de se demander si on peut encore mettre au monde des enfants. Pas parce qu’on ne veut pas, pas parce qu’on ne les aime pas, mais parce que les moyens de s’en occuper ne sont pas sûrs. Cette problématique atteint beaucoup de jeunes femmes. À cette angoisse s’ajoute, bien sûr, le travail au noir. Quand on est une femme assistée sociale, quand on n’a pas d’argent et qu’il faut malgré tout élever ses enfants, comment faire autrement? Compte tenu de toutes les coupures budgétaires annoncées depuis quelques mois, faudrait-il s’étonner que le travail au noir augmente en flèche? Et qui serions-nous pour adresser des reproches à ces femmes? Travail au noir, prostitution aussi. Toutes sortes de problèmes amènent des jeunes filles ou des femmes à se prostituer. Mais ne soyons pas dupes : c’est prouvé, il existe un lien direct entre la pauvreté et la prostitution.

Maladies mentales

Les femmes exclues ont le sentiment de n’être pas écoutées, d’être invisibles, de n’exister pour personne. La plupart d’entre elles oscillent entre la résignation et la révolte. Rien de pire pour la santé mentale. La résignation entraîne souvent la dépression, l’abus de médicaments généreusement prescrits d’ailleurs par les médecins, l’alcoolisme, la toxicomanie. Des problèmes qui nous échappent souvent parce que, encore une fois, les femmes vivent ces problèmes à l’abri des regards, dans le silence de leurs maisons, de façon invisible. L’alcoolisme, entre autres, c’est une maladie vécue dans beaucoup de solitude. La résignation est, somme toute, une voie destructrice. L’autre choix : la révolte. Beaucoup plus intéressante, elle conduit les femmes à trouver des réponses. Une révolte peut être individuelle et collective. Il faut qu’elle soit individuelle d’abord. La révolte collective ne peut se vivre que dans la mesure où on se sent individuellement touché, concerné. La révolte collective s’organise à partir d’une certaine estime de soi, d’une part de confiance en soi, de confiance en sa capacité d’affirmer ses droits comme membre de la société.

Prendre le droit de parler, prendre le droit d’exprimer ses besoins à son mari, à son conjoint ou sa conjointe. Prendre le droit d’exprimer ses besoins et le faire en solidarité avec beaucoup d’autres femmes et beaucoup d’autres hommes. J’ai le droit d’exprimer moi aussi mes besoins et à ce moment-là je peux le faire avec beaucoup d’autres femmes et beaucoup d’autres hommes.

Des réponses de femmes

Victimes jusqu’à un certain point, victimes des systèmes économique et politique, victimes d’exclusion, victimes de violence, les femmes se considèrent aussi comme des individus à part entière dans la société. Beaucoup d’entre elles luttent individuellement et collectivement pour changer l’ordre des choses. Elles le font avec des stratégies un peu différentes de celles auxquelles on est habitué historiquement. Les stratégies de lutte, nous le savons bien, c’est comme les stratégies économiques ou politiques : elles ont souvent été définies dans la sphère publique occupée par les hommes. Il peut y en avoir d’autres que celles-là, significatives pour les femmes.

La marche des femmes contre la pauvreté

Par exemple, la marche des femmes contre la pauvreté. Remarquez, on n’a rien inventé. Les Noirs ont marché dans les années 1960 aux États-Unis, des peuples ont marché au Pérou, dans d’autres pays. De la marche des femmes du Québec contre la pauvreté, ce qui a frappé l’imagination au-delà des revendications, au-delà du geste de marcher, c’est surtout le climat de la marche, typiquement féminin, avec tout ce que cela fait apparaître de questionnant pour beaucoup de gens. C’était une marche où les femmes portaient des revendications très claires, neuf revendications touchant la pauvreté, des revendications à caractère économique. C’était aussi, surtout peut-être, une marche où les femmes affirmaient leur existence, tentaient de convaincre la population de les appuyer. Les politiciens eux-mêmes, — proximité du référendum sur la souveraineté oblige — se sont montrés plutôt ouverts. Les femmes revendiquaient avec des roses. Le 4 juin marquait le point culminant des roses… Imaginez un peu : 10,000 roses ! Voilà ce qui a beaucoup frappé l’imagination. Les gens comprenaient très bien que les femmes étaient là pour lutter, qu’elles étaient là avec des exigences claires et qu’elles allaient revenir plus tard avec d’autres stratégies de lutte. Les gens voyaient aussi que les femmes pouvaient agir, revendiquer avec une espèce de sérénité nouvelle par rapport à d’autres stratégies de lutte. Si le climat de sereine tendresse a beaucoup frappé, les femmes, elles, ont-elles fait des gains? Oui, pas encore tous réalisés évidemment. Pensons à des logements en train d’être rénovés, d’être construits. En train de… c’est fou comme c’est long parfois, surtout quand il s’agit de logements sociaux. Non, tout n’est pas tout réglé. Pensons à la formation professionnelle pour les femmes sans chèque. Oui, les directives existent, mais le gouvernement fédéral coupe les fonds; ou bien directives et formulaires sont prêts, mais il n’y a pas de place. Pensons à la nouvelle conjoncture économique, au virage à droite, à mon avis, du gouvernement du Québec; pensons aux attaques du gouvernement fédéral, notamment à la réforme de l’assurance chômage.

Rattrapées très vite par ces malaises économiques importants, les femmes constatent avec peine que leurs gains se sont transformés en demi-gains. La lutte n’est pas terminée. Pensons enfin à un gain majeur : le mouvement des femmes figure désormais sur la place publique et à l’agenda politique. Depuis la marche des femmes, tout le monde, les hommes et les femmes, s’aperçoivent que ce mouvement-là travaille non seulement à améliorer la situation des femmes, mais aussi à donner le jour à un nouveau projet de société. Ça, c’est bon pour tout le monde. C’est le plus gros gain de la marche : le gain de l’espoir !

La Coalition nationale des femmes contre la pauvreté

En concertation avec la Coalition nationale des femmes contre la pauvreté, le mouvement des femmes du Québec a élaboré d’autres stratégies sous toutes sortes de formes. L’opération Sac de miettes, à l’occasion du 1er mai, revendiquait une hausse du salaire minimum. La vigile d’encerclement du parlement, suivie du rassemblement le 2 juin, rappelait l’existence des femmes et leur détermination à poursuivre leur lutte. Au Sommet socio-économique de mars dernier, les femmes ont tenté d’obtenir le retrait des coupures à l’aide sociale… sans succès, c’est vrai. Il était cependant important de le demander, car il s’est trouvé au moins quelques voix dans cet auguste endroit pour dénoncer la pauvreté. On pourra bien discuter de déficit et de tout son cortège de mesures. On ne peut plus oublier au Québec que plein de gens vivent dans la pauvreté et l’exclusion. Il faut s’en occuper.

Et le prochain Sommet socio-économique en octobre… La Coalition existe toujours, un peu essoufflée. Les gains sont plus difficiles à obtenir, mais les femmes n’ont pas l’intention d’arrêter leur lutte. Pour cette année, pas de grand plan d’action, pas de nouvel encerclement du parlement à moins que la conjoncture en décide autrement, pas de grande manifestation à l’horizon. Plutôt consolider nos gains, tenter de réfléchir ensemble, les femmes et les hommes, sur tous ces problèmes qui nous confrontent. Tenter de développer de nouvelles alternatives très concrètes au néolibéralisme.

La marche internationale des femmes en l’an 2000

Durant la dernière année, la Conférence mondiale des femmes à Beijing, à laquelle j’ai participé dans le Forum des ONG, a mis en lumière les consensus des femmes du monde entier. Trente mille femmes venues de partout à travers le monde, à peu d’exceptions près, partageaient exactement les mêmes points de vue. Deux problèmes majeurs confrontent les femmes à l’échelle mondiale : d’abord l’appauvrissement des femmes et des populations puis la montée de la droite dans beaucoup de pays du monde et, avec elle, l’érosion des droits démocratiques qui atteint toujours les femmes d’abord de même que l’ensemble des minorités avant de s’attaquer à la majorité des populations.

À cette heure des consensus entre les femmes, est apparu un projet complètement fou, le projet d’une marche internationale des femmes en l’an 2000. Complètement fou, un peu « flyé »!  Le plus drôle, c’est qu’on va réussir. La suggestion vient de femmes qui, après la marche des femmes du Québec contre la pauvreté, ont voulu agrandir leur solidarité. Les femmes du Québec, oui, les femmes du Canada, les femmes d’autres pays… Un moment quelque part où les femmes manifestent ensemble, où les femmes posent un geste commun pour faire savoir à l’ONU, aux organismes qui dépendent de l’ONU, à la Banque Mondiale et au Fonds monétaire international que ça ne peut plus continuer comme cela. De fil en aiguille, ces femmes très courageuses, militantes et dynamiques, ont formé un comité de femmes qui se sont réunies plusieurs fois. Pour le moment, le projet provisoire prévoit une journée en l’an 2000 dans la plupart des pays du monde. Une journée, un moment où les femmes de partout à travers le monde, à partir de leurs réalités propres, pourraient poser un geste de très grande solidarité. Quelques-unes pourront marcher, d’autres pourront faire autre chose. Durant cette même journée, une délégation nombreuse se rendrait probablement à l’ONU à Genève ou à New York. Cette marche sera connue sous le nom de Marche internationale des femmes pour l’égalité. Sur internet cet automne, le comité va envoyer une lettre en dix ou douze langues partout dans le monde, aux réseaux de femmes pour vérifier leur intérêt à un tel événement. Si la réponse est positive, dès le mois de janvier, le comité se met à la tâche de l’organisation. Ce n’est pas trop tôt, l’an 2000, c’est dans trois ans seulement.

Conclusion

En terminant, rappelons-nous qu’à très court terme et très localement se déroulera à Montréal, à la fin d’octobre, le deuxième et le plus décisif Sommet socio-économique. Pour le Mouvement des femmes, c’est une réunion importante. Le gouvernement du Québec convoque les patrons, les syndicats, les mouvements sociaux et d’autres personnes à une même table pour définir des ententes sur des sujets aussi importants que la relance de l’emploi, la révision de la fiscalité, l’éducation, la sécurité du revenu, etc. Est-ce possible de s’entendre à partir d’intérêts aussi différents, même divergents très souvent… on verra bien… Processus intéressant et démocratique. Processus très inquiétant aussi dans la mesure où les mouvements sociaux ne se sentent pas vraiment en position de force, où le gouvernement du Québec est obsédé strictement par la réduction et même l’élimination du déficit. La Presse d’hier évoquait des projets de coupures de milliards de dollars dans la santé, l’éducation et, certainement aussi, dans la sécurité du revenu. Le Mouvement des femmes et d’autres mouvements sociaux voient ce Sommet socio-économique un peu comme un champ de bataille, un peu comme un terrain de lutte où il va falloir, en front commun, parler de l’exclusion, parler des pauvres, parler des vrais problèmes que vivent, d’après un calcul rapide, au moins un million de Québécoises et Québécois sur les sept millions que nous sommes. C’est beaucoup de monde ! Ensemble on essaie de s’y préparer au mieux.

Déprimés peut-être après cet exposé. Un peu déprimés sans lâcher prise cependant. Ensemble, nous sommes des gens qui veulent travailler à lutter contre l’exclusion, contre la précarité, contre la pauvreté, celle des femmes et celle de tous les autres. À l’occasion du Sommet socio-économique, le mouvement des femmes sollicitera votre participation à une mobilisation particulière. Quelle qu’en soit la forme, les femmes, les pauvres comptent sur votre solidarité.

§

Françoise DAVID, Présidente de la Fédération des femmes du Québec. Diplômée en Service social de l’Université de Montréal, elle a été impliquée dans plusieurs organismes populaires et communautaires. Elle a initié la Marche des femmes contre la pauvreté et a participé au Forum mondial des femmes à Beijing.

Source : DAVID, Françoise, « Les femmes, des exclues au Nord comme au Sud », Dossier du Congrès – 1996 – Le temps des exclusions, Montréal, 1996, p. 23-28.

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