Marie-Andrée ROY
Poser la question des droits des femmes dans l’Église est-ce soulever une question superflue au moment où il existe tant de souffrances, tant de drames humains dans le monde? Est-ce une question pour petites bourgeoises, pour intellectuelles qui ont le temps et les moyens de se préoccuper de telles questions? S’il est vrai que le débat à ce niveau a surtout été porté par les femmes scolarisées issues des classes moyennes, je soutiens que cette question concerne toutes celles et ceux qui sont épris de justice.
Mais poser la question des droits humains et notamment la question des droits des femmes dans l’Église c’est poser une question extérieure au réseau sémantique traditionnel de cette institution. En effet, pendant longtemps l’Église s’est tenue à l’écart de ce discours associé au libéralisme qu’elle dénonçait. Aujourd’hui elle accepte de s’impliquer, aux plans national et international, dans certains dossiers concernant la défense des droits des personnes mais elle continue de refuser de reconnaître la validité de certains de ces droits pour sa propre organisation (non discrimination en ce qui a trait au sexe, à l’orientation sexuelle, au statut civil). Autrement dit, l’Église soutient qu’elle, c’est pas pareil. Les grandes religions sont d’ailleurs parvenues à faire admettre ce point de vue au plan légal et échappent par exemple aux règles qui touchent la discrimination des sexes. Quoi penser de cette situation?
Pour ma part, je vous répondrai sans hésiter, que si l’Église n’a pas à se mettre à la remorque des États pour proclamer une chartre des droits, il importe qu’elle reconnaisse la pleine égalité des femmes et des hommes, égalité déclarée et concrètement mise en œuvre dans tous les paliers de son organisation parce que :
- il ne s’agit pas de se plier à une quelconque mode de la modernité mais bien d’être fidèle à sa propre tradition évangélique qui proclame la liberté et l’égalité de tous les humains.
- il s’agit de répondre à une exigence interne de sa propre organisation qui a besoin de la participation pleine, entière, libre de tous les membres de la communauté pour accomplir la mission que le Christ lui a confiée.
- mais il en va aussi de la crédibilité de cette institution dans ses interventions pour la défense de l’ensemble des droits humains auprès des autorités civiles. L’Église mine son poids moral en continuant de pratiquer la ségrégation des sexes à l’heure où l’on admet des femmes aux plus hauts postes de responsabilités dans la société civile.
- le non-respect des droits des femmes dans l’Église constitue une caution, une légitimation du non-respect des droits des femmes dans l’ensemble des autres sociétés. Soyons clair : s’il existe des femmes violentées, battues, violées c’est notamment parce que les femmes ne sont pas des sujets pleinement égaux dans notre société. On ne bat pas son égal; on bat celui ou celle sur qui on croit avoir des droits, on bat son inférieur. L’Église, en perpétuant l’inégalité institutionnelle des femmes et des hommes, apporte sa contribution à ce système de violence. Réclamer la pleine reconnaissance des droits des femmes dans l’Église, c’est vouloir poser une pierre pour l’édification d’une société de partenaires égaux.
1. Les résistances de la communauté engagée
J’identifie, dans la communauté des croyants, cinq obstacles majeurs à la défense des droits des femmes dans l’Église (je ne parlerai pas des traditionnalistes (sic) ou des intégristes où les résistances sont quasi insurmontables et surtout d’un autre ordre). Ces cinq obstacles sont : la naturalisation, la banalisation, la particularisation, la spiritualisation et l’universalisation. Reprenons ces cinq obstacles :
- La naturalisation. Nous sommes tellement habitués à vivre dans des rapports inégalitaires, notamment dans l’Église, que cette situation semble normale, naturelle. On ne perçoit pas le mode de division des rôles entre les sexes comme un produit social mais plutôt comme une réalité innée, qui a toujours existée (sic) et qui n’est pas nécessairement appelée à changer. Il s’agit donc de rendre visible les rapports inégalitaires entre les sexes, de les considérer comme un construit social plutôt que comme un produit de la volonté de Dieu.
- La banalisation. Ici on reconnaît l’inégalité des sexes mais on la qualifie de problème secondaire en insistant sur le fait qu’il y a des problèmes autrement plus importants ou urgents. Pensons aux discours sur les luttes de libération nationale : la libération des femmes est supposée intervenir avec la libération de la nation. Les femmes qui ont déjà été engagées dans ces luttes savent trop bien ce qu’il arrive de leurs revendications une fois la libération nationale assurée. Le naturel mâle revient vite au galop et les femmes doivent retourner à leurs fourneaux et faire beaucoup de marmots !! La même chose ne risque-t-elle pas de se reproduire dans l’Église chez ceux qui aspirent au changement de l’ensemble des rapports de pouvoir dans l’Église? Pour contrer cette banalisation il importe donc que tous les tenants du changement acceptent de faire de l’égalité des rapports hommes-femmes une priorité.
- La particularisation. Dans ce cas on reconnaît bien qu’il y a ici et là quelques abus de pouvoir ou problèmes de sexisme, mais on refuse de percevoir l’Église comme institution globalement discriminatoire à l’égard des femmes. Ou encore, tout en acceptant qu’il existe de sérieux problèmes, on va soutenir que cette situation ne s’applique pas à ce que l’on vit personnellement. La personne se fait croire qu’elle parvient à échapper à la loi sexiste qui vicie tous les rapports hommes-femmes dans l’Église. Il importe donc de se rappeler que l’inégalité des droits dans l’Église c’est comme les nuages de BPC, ça n’épargne personne, toutes sont touchées même si c’est à des degrés divers.
- La spiritualisation. Dieu n’a pas de sexe, dans le Christ se dit-on il n’y a plus ni homme ni femme, pourquoi se révolter alors sur des questions qui ont trouvé leur résolution dans la personne du Christ? Ne faudrait-il pas plutôt se dire que tant qu’on accepte le péché du sexisme dans notre Église on retarde l’avènement de l’humanité nouvelle dans le Christ?
- L’universalisation. Le vrai problème soutient-t-on ici c’est la libération de l’humanité. Un autre échappatoire où on oublie que les femmes composent plus de la moitié de l’humanité, où on refuse de reconnaître cette blessure spécifique qu’impose le patriarcat à toutes les femmes de l’humanité. Défendre les droits des femmes, notamment les droits des femmes dans l’Église c’est simplement se préoccuper qu’elles aient elles aussi les instruments dont elles ont besoin pour accomplir pleinement leur mission de filles de Dieu.
2. Les résistances institutionnelles
Existe-t-il maintenant des éléments explicatifs qui permettent de comprendre la lenteur quand ce n’est pas l’opposition de la direction de l’Église à la reconnaissance effective de l’égalité des femmes et des hommes? Il y en a plusieurs, je me limiterai à en retenir trois, un premier d’ordre politique, un autre d’ordre anthropologique et un dernier à caractère théologique.
- La raison politique concerne particulièrement la question de la répartition, du partage des pouvoirs. L’Église est une organisation hyper-centralisatrice où le pouvoir est particulièrement concentré à Rome. Parler de l’égalité des femmes c’est rappeler l’égalité de tous les baptisés, c’est vouloir instaurer une Église-communauté-responsable. Si ce projet inspire de plus en plus de chrétiennes et de chrétiens, il affronte l’opposition de la machine vaticane qui s’affaire actuellement à modeler les épiscopats nationaux en fonction de la vision romaine de l’Église.
- Un motif anthropologique. L’anthropologie officielle de l’Église; je ne parle pas ici des propos de l’Église québécoise où on a pu noter ces dernières années des signes d’ouverture, mais plutôt de l’anthropologie qui continue d’être mise de l’avant par Rome et qui défend encore la complémentarité des sexes, complémentarité qui implique évidemment une certaine hiérarchie. On continue de reproduire dans ce discours les divers stéréotypes sexistes sur la nature de l’homme et de la femme. La sexualité demeure encore tabou et les femmes associées à l’autre sexe. En ce sens, l’avènement de l’égalité des femmes chambarderait complètement cette vision du monde, longtemps enseignée et encore malheureusement trop promue. À quelle force le vent de l’Esprit devrait-il souffler pour faire admettre à ces hommes célibataires, qui sont à peu près tous en âge d’être mes grands-pères, que, ce qu’ils ont appris au petit puis au grand séminaire sur les femmes et qu’ils se sont efforcés d’appliquer toute leur vie, c’est-à-dire à s’en tenir loin, que cela n’est plus valide aujourd’hui?
- Un motif théologique. À mon point de vue on ne peut accéder à la pleine égalité des sexes sans sortir Dieu du ghetto masculin. C’est la responsabilité de la communauté des croyantes et des croyants. Voilà un formidable défi qu’il vous appartient de relever même si vous soupçonnez déjà toutes les objections qu’il peut soulever.
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Marie-Andrée ROY, Professeure au département de sciences des religions de l’UQÀM – Cofondatrice de la collective de femmes chrétiennes et féministes, L’autre Parole.
Source : ROY, Marie-Andrée, « Les droits des femmes dans l’Église », Dossier du Congrès – 1988 – Défendre les droits humains. Pourquoi au juste?, Montréal, 1988, p. 38-40.