Suzanne LOISELLE

Au nom de l’équipe préparatoire du Congrès, il me fait grand plaisir de vous souhaiter la bienvenue.

Pourquoi un Congrès consacré à nos sociétés et à notre Église en mal de démocratie? À l’occasion des questionnements radicaux sur les limites des démocratisations de nos sociétés et sur l’avenir de nos démocraties, nous sommes invité-e-s avec d’autres mouvements et organismes à réfléchir sur nos acquis, sur nos contradictions, sur nos essais. Vers quels projets de société voulons-nous aller? Nous sommes-nous vraiment posé la question dans le présent contexte électoral et au plus fort des « négociations » des employé-e-s du secteur public avec l’État employeur? Qu’on pense à la grève des infirmières…

Nous sommes aussi invité-e-s à nous situer dans l’Église face aux mises au silence de théologien-nes, d’évêques, de biblistes, de communautés de base; face au désaveu actuel de la CLAR par le CELAM; face au huit-clos (sic) de prochaines rencontres ecclésiales chez nous; face à l’imposition par Rome du nouveau serment de fidélité à tous ceux et celles qui exercent une fonction au nom de l’Église.

Ce Congrès voudrait nous permettre de saisir l’importance et la pertinence de nos luttes pour les droits démocratiques dans nos sociétés et dans nos églises. Que nous vivions au Nord ou au Sud, dans des démocraties dites libérales ou populaires, dans des démocraties formelles ou de façade, dans des régimes dictatoriaux, civils ou militaires, au cœur des traditions occidentale et orientale ou au cœur des urgences des sociétés du tiers-monde, nous constatons une grande divergence de perspectives en matière de démocratie et de démocratisation.

Pouvons-nous par exemple parler de véritable démocratie quand chaque quatre (4) ans, les présidents ou les premiers ministres de nos pays sont élus avec moins de 50% des votes de l’électorat? Quels sont les choix de société qui favorisent ou retardent l’avènement de sociétés démocratiques? Comment se pose la question de la démocratisation dans une église reconnue comme un organisme centralisateur ayant à sa tête un évêque, celui de Rome? Comment comprendre la cohérence entre les grands discours de l’Église, en particulier ceux sur les droits de l’homme, et « les choix stratégiques, en particulier quant aux nominations épiscopales, particulièrement dans des Églises comme celle des Pays-Bas, de l’Autriche, et comme celles d’Amérique latine, où la préférence va nettement aux hommes d’ordre plutôt qu’aux prophètes »[1] ?

D’où viennent la non-place faite aux femmes, l’infériorisation toujours actuelle du laïc par rapport au clerc, la romanisation des églises locales qu’elles soient africaines, asiatiques ou latino-américaines?

Comme l’écrit Paul Valadier, jésuite, démis de ses fonctions de directeur de la revue Études,

Faut-il nous rappeler la vive polémique développée au XIXe siècle contre les droits de l’homme qui a rangé l’Église du côté des courants anti-républicains, nous dirions aujourd’hui antidémocratiques… L’anti-républicanisme conduira aussi à de coupables complaisances envers les régimes politiques opposés aux principes démocratiques, et donc à de longs aveuglements devant la montée des fascismes. (Paul Valadier, L’Église en procès, pp. 153-154)

À l’heure où deux logiques s’affrontent dans notre Église, la logique institutionnelle et la logique missionnaire, comme nous le rappelait Gregory Baum au cours du Congrès de l’an dernier,

à l’heure où les fascismes refont surface un peu partout,

à l’heure où l’appauvrissement gagne du terrain au Québec,

à l’heure où la vie religieuse est mise au pas par la condamnation du projet Parole et Vie de la CLAR par le CELAM,

à l’heure où les jeunes sont exclus dans la construction de projet de sociétés nouvelles (chez nous, en Chine…),

à l’heure où nos sociétés refusent aux autochtones la reconnaissance de leurs droits et l’accessibilité à leurs terres, les démocraties, les démocrates et les démocratisations ont-ils encore de l’avenir?

Au cours de ce Congrès, nous n’avons certainement pas la prétention de vider ces questions. Nous n’avons pas non plus la prétention de faire des consensus dans nos réponses à ces questions. Nous croyons cependant que l’heure est venue de nous demander de quoi est faite la véritable démocratie, de reconnaître les contradictions et de vérifier les chances réelles de participer à la construction de sociétés démocratiques. Nous croyons aussi pertinent de rêver à l’établissement d’une démocratisation dans nos églises. Nous souhaitons que le Congrès nous fasse surtout entrevoir des Églises qui contribuent à construire aujourd’hui des sociétés sans exclus, sans appauvris et sans exploités. Nous souhaitons enfin que le Congrès nous aide à préciser des pratiques alternatives qui orientent nos engagements de travail, nos solidarités et nos pratiques missionnaires face aux nombreux défis à relever pour changer nos mondes et nos églises.

[…] C’est pourquoi il faut se remettre en route, dans une condition d’homme et de femme libres à la recherche du Seigneur, qui toujours précède les siens… à celui qui prétend que jamais rien ne changera vraiment dans une église « intransigeante », on ne peut que demander… de se mettre… collectivement devant les nouvelles conditions sociales et culturelles de l’annonce du message évangélique. C’est seulement dans la mesure où l’Église, dans tous ses membres et à travers toutes ses structures, devient consciente d’un cours nouveau des choses que des modifications de mentalités, d’idées, de structures s’opéreront peu à peu. Là est l’originalité du Concile : il a brisé par rapport aux conceptions d’un catholicisme assiégé et il a ouvert la voie à une relation sans peur ni timidité avec le monde moderne. (Paul Valadier, L’Église en procès, p. 176)

Souhaitons-nous ensemble de ne pas avoir peur, de ne pas tourner le dos trop longtemps à l’esprit de Vatican II et de nous « remettre en route » !

Avant de terminer, il me fait extrêmement plaisir de remercier tous ceux et celles qui ont rendu possible ce congrès. Je remercie de façon particulière Jacques Bélanger et Jean-Marie Ladouceur qui se sont joints à l’équipe des permanent-e-s de l’Entraide dans la préparation de ce Congrès. Je remercie tous ceux et celles qui ont accepté d’intervenir, Marcel Pepin, Rémi Parent, Pierre Vallières, Yvette Bellerose, Franklin Midy. Je remercie de façon spéciale Ivone Gebara qui nous arrive du Brésil et qui nous accompagne tout au long du Congrès. Je remercie Thérèse Bouchard pour l’animation du Congrès. Je remercie tous ceux et celles qui sont à l’accueil, qui animeront des ateliers, qui nous aideront à prier et à célébrer notre espérance.

Merci à chacun-e de votre présence ce soir et de votre participation à cet événement annuel. Je vous souhaite un bon et stimulant Congrès !

§

Suzanne Loiselle, directrice de l’Entraide missionnaire.

Source : LOISELLE, Suzanne, « Ouverture du Congrès », Congrès – 1989 – Monde… Église… En mal de démocratie, Montréal, 1989, p. 5-7.

 

 


  1. « Quelle Église pour demain? » François Biot, Échanges no 227-28, nov.-déc. 1988)

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