Danielle FOREST

Je voudrais d’abord vous dire que je ne suis pas une spécialiste de la question Femmes en Église. Chacune des femmes présentes ici pourrait vous en parler longuement et ajouter à mon exposé des informations fort pertinentes. Je me sens davantage une porte-parole. La porte-parole de centaines de femmes que j’ai eu la chance de rencontrer au cours des Forums sur le partenariat hommes-femmes en Église[1] qui se sont déroulés dans dix-sept (17) diocèses du Québec.

Ceux et celles qui ont côtoyé de plus près le milieu ecclésial au cours des derniers mois, ont sans doute entendu (l’article publié dans Le Devoir d’hier en témoigne) des commentaires semblables à celui-ci :

Qu’est-ce qui se passe cette année? Est-ce que les évêques ramollissent? On entend seulement parler des femmes : des Forums sur le partenariat hommes-femmes dans presque tous les diocèses, un document sur la violence conjugale, le message du 1er mai qui a failli porter sur la question des Femmes et l’emploi. Et en plus, il faut s’excuser pour un geste commis par d’autres en 1940. En tout cas, j’espère qu’après ça elles vont rester tranquilles et nous laisser travailler !

En réalité que se passe-t-il? On les avait modelées en femmes de service, soumises, consommatrices de la religion du marché. Voilà qu’elles osent suivre les traces des suffragettes et de bien d’autres femmes chrétiennes pour revendiquer non pas plus de place dans l’Église mais une part ÉGALE dans le choix des orientations et le partage des tâches et responsabilités qui concernent l’Église.

Elles en ont assez de préparer les baptêmes et de ne pas baptiser, de préparer les célébrations et ne pas célébrer, de faire le travail quotidien et de ne rien décider. Vous savez comme moi qu’il y a des milliers de femmes qui constituent les forces vives de l’Église à l’heure actuelle. Ce sont elles qui supportent l’Église et qui font en sorte que « la machine » continue de fonctionner. Imaginez si, durant une semaine, elles décidaient de ne pas effectuer leur travail bénévole ou rémunéré au sein de l’Église !!! Vous savez aussi comment elles effectuent ce travail dans l’ombre… l’ombre de la structure ecclésiale.

Vous pensez peut-être : « Elle exagère, il y a de plus en plus de femmes qui occupent des postes importants dans l’Église aujourd’hui ! » Et vous avez raison, il y en a de plus en plus. Mais je voudrais vous parler d’une femme rencontrée lors d’un Forum. Appelons-la Solange. Au cours d’un panel, Solange témoignait de son expérience de partenariat en Église comme d’une partie de badminton. Elle en disait à peu près ceci:

Lorsque je suis sur le terrain, je sens que l’on m’a choisie pour mes compétences. Je me sens supportée. On me reconnaît comme une partenaire d’expérience et crédible. Mais lorsque le volant tombe sur une certaine partie du terrain, on m’exclut du jeu. Je ne suis plus partenaire. Il y a donc toute une partie du terrain qui m’est interdite parce que je suis une femme.

Solange n’est pas la seule à vivre cette situation.

La majorité des personnes, hommes et femmes, présentes aux différents Forums se sont prononcées en faveur de l’ordination des femmes. Et entre nous, pourquoi pas ! Une femme bien choisie, bien encadrée, ferait un bon curé. Mais toutes les Margaret Thatcher que vous connaissez prouvent bien qu’il ne suffit pas de remplacer un homme par une femme aux postes de commande.

C’est justement sur ce point que l’opération Forums sur le partenariat hommes-femmes peut devenir subversive et avoir une incidence sur nos choix de projets d’Église et de projets de société. Les femmes n’ont pas seulement remis en cause le fait qu’elles ne peuvent accéder aux structures de pouvoir parce qu’elles sont des femmes, (elles ne veulent surtout pas prendre la place des curés); elles ont remis en cause la structure même de ce pouvoir.

Appuyées par plusieurs hommes, surtout des laïcs, les femmes ont critiqué le supposé fonctionnement démocratique de l’Église. Elles ont clairement signifié qu’il est impensable que les décisions, les responsabilités et le discours même de l’Église reposent entre les mains de quelques hommes. La mission de Jésus-Christ n’a-t-elle pas été confiée à l’ensemble des baptisé-e-s, hommes et femmes?

Elles ont proposé que la structure actuelle de l’Église soit remplacée par des équipes décisionnelles composées d’hommes et de femmes, de laïques et de prêtres, choisies par l’ensemble de la communauté. Elles ont proposé que ces équipes sortent du chœur et s’installent au cœur de la vie parmi les plus démuni-e-s. Elles ont proposé d’ouvrir la porte aux exclu-e-s de l’Église à cause de leur statut. Parmi ces personnes, on retrouve combien de femmes qui, suite à un divorce ou une séparation, se sont retrouvées parmi les plus pauvres de notre société et qui, malgré leur foi profonde, ont vu les portes de l’Église se refermer.

Elles ont proposé ces gestes audacieux à la lumière des attitudes de Jésus-Christ envers les femmes, attitudes révélées de plus en plus par les théologiennes féministes qui apportent un nouvel éclairage aux textes bibliques. Ce nouveau savoir des femmes vient à l’encontre de l’idéologie dominante véhiculée depuis des siècles par les « hommes d’Église ». Elles questionnent ainsi la cohérence entre le discours traditionnel de l’Église et ses pratiques sociales.

Elles ont proposé ces gestes audacieux malgré les blocages structurels soutenus par le droit canon. De plus, elles sont conscientes que, de par leur statut de femmes, elles n’ont pas accès aux lieux de décisions concernant d’éventuelles modifications au droit canon.

Elles ont proposé ces gestes audacieux malgré le fait que les femmes soient encore nombreuses à cautionner la structure actuelle de l’Église. Il est difficile de contrer des siècles d’aliénation des femmes à qui on a dit d’obéir inconditionnellement et à qui on a dit que leur infériorité était la « volonté de Dieu ». Combien de fois on nous brandit le spectre du manque de solidarité des femmes dans les questions d’Église? Faudrait-il attendre d’être toutes d’accord avant d’agir alors que de telles conditions ne sont jamais exigées des hommes?

Malgré tous ces obstacles et bien d’autres qu’il serait trop long de nommer ici, les femmes ont décidé d’aller de l’avant tout en aidant d’autres femmes à prendre conscience de leur situation.

Et NOUS, aujourd’hui, qui réfléchissons sur nos projets d’Église et nos projets de société, allons-nous laisser les évêques du Québec être plus discrets sur le dossier de la condition féminine? Allons-nous rester tranquilles et les laisser travailler ou allons-nous nous servir de ces événements pour aller dans le sens de la religion de la libération des hommes et des femmes? Allons-nous seulement, au cours des mois prochains, nous questionner sur les intentions des évêques concernant leur geste et le 50e anniversaire de l’obtention du droit de vote des québécoises ? Geste réparateur ou geste récupérateur? Sommes-nous capables, à l’exemple de nos voisins et voisines de l’Amérique latine, de faire de cette fête un élément subversif, un geste prophétique?

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Danielle FOREST est agente de recherche pour le Réseau des femmes en Église de l’Assemblée des évêques du Québec. Elle se prépare à rédiger une synthèse nationale sur le contenu de Forums portant sur le partenariat hommes-femmes en Église.

Source : FOREST, Danielle, « Projets de femmes d’Église… Projets de société… », Dossier du Congrès – 1990 – Projets de société… Projets d’Église… conflits et légitimation, Montréal, 1990, p. 20-22.


  1. Les Forums diocésains sur le partenariat hommes-femmes en Église tenus entre le 7 octobre 1989 et le 21 avril 1990. Plus de 1,000 personnes ont participé à vingt-six (26) Forums tenus dans dix-sept (17) diocèses du Québec. Environ 60 % des personnes présentes étaient des femmes. La participation masculine comptait donc pour 40 % et était composée de 26 % de clercs et 14 % de laïcs.

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