Georges E. SIOUI
Salutations et remerciements aux deux présentateurs (Lucie et Guy), ainsi qu’à l’Entraide missionnaire. Salutations ensuite à l’assistance. La tradition amérindienne me dicte de m’incliner d’abord devant le poids de l’âge et de la sagesse représenté dans cette salle. Ce sera donc en toute humilité que je proposerai les idées qui suivront. Je remercie, en dernier lieu, les gens qui nous accueillent dans leurs maisons.
J’ai apporté avec moi quelque chose que connaissent les gens familiers de la campagne et de la forêt. Il s’agit d’un foin appelé ici le foin d’odeur, un foin qui a la propriété d’être parfumé lorsqu’il est humé ou lorsqu’on le fait brûler, tel que je le fais en compagnie de ma famille, chaque matin. C’est un lien avec la Nature, même lorsqu’on est parmi le béton, le plastique et le métal. Ainsi, on ne se sent jamais complètement isolé de la Nature, d’où l’on vient, en tant qu’être humain.
Je commencerai ma présentation par un rappel du principe fondamental de toutes les cultures autochtones ou amérindiennes. Je sais que certains d’entre vous sont familiers avec les cultures du Sud, mais nous parlons d’un principe reconnu par toutes les nations, ou peuples amérindiens, ainsi que par tous les peuples qui ont conservé une capacité d’harmonie avec l’environnement, ou encore la Nature, ou la Création. Je les appelle les sociétés du Cercle.
Une première constatation serait la dichotomie, ou la différence entre la pensée linéaire et la pensée circulaire, donc entre le Cercle et la Ligne. Vous savez que pour les Amérindiens, ainsi que pour tous les peuples du Cercle, la vie, l’existence, est une chaîne de relations, ainsi qu’une reconnaissance de parenté avec les autres êtres de la Création : une reconnaissance d’un caractère spirituel contenu dans toutes les manifestations de la Vie, non seulement dans les êtres humains ou, bien souvent, dans certaines classes d’êtres humains, mais aussi dans les êtres, ou « peuples » non-humains, si on peut parler de « peuples » d’animaux, peuples de poissons, peuples de pierres, de montagnes, d’esprits, etc. Les peuples autochtones, pour parler de ceux de l’Amérique en particulier, se rejoignent très facilement au niveau de la pensée du Cercle. Ils reconnaissent facilement qu’ils sont dépendants de la Nature pour vivre. C’est là un trait culturel qui peut dépendre surtout de l’éducation reçue, mais aussi d’un long contact avec les forces vives de la Nature. Il est ainsi facile de reconnaître que l’on ne peut impunément maltraiter la Nature, ou les êtres non-humains de façon régulière et indéfiniment. Tous ceux qui ont vécu au contact de la Nature et au contact de communautés paysannes ou forestières, spécialement en tant que missionnaires, savent que ces gens rejoignent facilement la Nature, c’est-à-dire qu’ils peuvent parler et communiquer avec des plantes ou des animaux, et donc reconnaître spontanément leur parenté avec le reste de la Création. Voilà ce dont on parle lorsqu’on dit le Cercle. Le Cercle est une réalité sécurisante, non seulement pour les autochtones, mais pour quiconque en a connaissance. Les sociétés qui suivent la Ligne, ou les sociétés évolutionnistes ne connaissent pas la sécurité du Cercle, puisqu’elles suivent un certain progrès dont personne ne peut connaître l’aboutissement; une majorité de gens, aujourd’hui, ont plutôt la certitude que ce progrès ne réserve rien d’harmonieux pour le genre humain, ainsi que pour le reste de la Création. Alors que lorsque l’humain reconnaît sa place dans le Cercle, tout est circulaire : on ne va nulle part en particulier; on ne fait que respecter l’ordre établi depuis toujours pour l’homme et les autres créatures par Dieu, par le Créateur, ou peu importe le nom par lequel on le désigne dans les langues du monde. On ne ressent donc pas le besoin d’« évoluer » vers de plus en plus de progrès, de confort, parce que ces choses-là isolent l’être humain par rapport à la Vie elle-même, à ce qui donne et entretient la Vie elle-même. Et spécialement quand on est Amérindien, on fait périodiquement un retour délibéré vers le Cercle, de façon à se réajuster par rapport à celui-ci. Par exemple, dans plusieurs cultures nord-amérindiennes, mais aussi chez certains peuples sud-américains (et de toutes façons, tous les peuples ont leurs propres moyens de le faire), nous pratiquons la « quête de la vision », c’est-à-dire que les hommes (au sens masculin du terme) ont une tendance naturelle à en arriver à se croire supérieurs au reste de la Création. Aussi, périodiquement, de préférence au printemps, à l’époque où toute la Nature se renouvelle, il est coutumier que les jeunes hommes (les jeunes filles peuvent aussi le faire) s’isolent et se privent de nourriture, d’eau, de compagnie humaine, de façon à se rendre compte de notre dépendance des autres êtres. Après un, deux, trois ou même quatre jours sans eau, ni nourriture, ni société, on perd son sentiment d’être important ou grand et on redevient humain et ajusté au Cercle. Voilà une des voies par lesquelles les Amérindiens peuvent enseigner quelque chose d’important au reste du monde.
De la même façon que les Amérindiens ont accueilli, inclus dans leur Cercle, et reconnu l’existence des autres ordres de vie, ils ont accueilli les Européens qui sont venus ici, il y a presque cinq cents ans, en pensant que les Européens allaient aussi les accueillir. Mais ils se sont vite rendus compte que si les circulaires étaient capables d’accueillir les sociétés linéaires, l’inverse n’était pas vrai. Les gens qui suivent la Ligne, qui croient au progrès, qui croient en la suprématie de certaines cultures, surtout des cultures européennes, ne sont pas capables, ne sont pas disposées culturellement à reconnaître leur parenté, leur égalité vis-à-vis les autres cultures. Je viens d’une Nation (la Nation des Wendats, ou des Hurons) qui a de façon particulièrement dure subi l’effet de l’incapacité des Européens à rejoindre l’esprit du Cercle. Mes ancêtres, les Wendats, étaient un peuple nombreux qui avait développé une civilisation remarquable, bien que méconnue. J’ai fait moi-même le suivi archéologique de mes ancêtres wendats. Il est visible que ce peuple a adopté l’agriculture vers les années 900 ou 1000 de notre ère et qu’à partir de ce point, il s’est constitué une place centrale auprès de ce qui devint une grande famille de Nations amérindiennes du Nord-est. Vers les années 1200 et 1300, les Wendats étaient actifs au cœur de grands réseaux de commerce et d’échanges, non seulement matériels, mais aussi d’échanges à tous les niveaux : on s’échangeait des pratiques religieuses, des croyances, des gens, etc. Une harmonie remarquable était déjà en possession de toute cette grande société de Nations bien avant l’arrivée des Français et d’autres Européens parmi eux.
L’arrivée des Européens en Amérique du Nord-est, au début du 16e siècle impliqua assurément un grand bouleversement, surtout en raison des épidémies d’origine européenne. Cependant, les Wendats, comme tous les Amérindiens en général, eurent le réflexe culturel d’accueillir les nouveaux venus et d’échanger avec eux et reconnurent que cette arrivée devait être dans l’ordre des choses, ou dans le plan d’une Volonté bien supérieure à la nôtre, la Volonté d’un Grand Esprit, et qu’il fallait commercer et étendre les réseaux d’échanges existants à ces gens. Bien sûr, les épidémies firent leur œuvre de façon très rapide et radicale. Après quelques générations, les gens ne furent plus capables de maintenir leurs cultures et leur société, leur grande société, leur Ordre continental. La société wendate commença à se désintégrer. Cette désintégration s’accentua à partir du moment où les religieux, surtout les Jésuites, à partir de 1634, régularisèrent et imposèrent une présence forte de leur Ordre parmi les Wendats. En l’espace d’une quinzaine d’années, tout ce qui avait constitué le cœur de cette grande société de Nations amérindiennes a été détruit.
Il est bien sûr impensable que les gens sont venus ici dans le but de détruire toute cette civilisation. Néanmoins, l’intention de ces missionnaires, à l’époque dont on parle, était, fondamentalement, de recréer les conditions nécessaires à la naissance d’une église, d’une église chrétienne. On reconnaissait que l’église chrétienne avait pris naissance dans des conditions d’une dureté absolue, c’est-à-dire la maladie, la guerre, la destruction et toutes ces choses. Ils n’ont donc pas pu compatir au sort des Wendats et des autres Amérindiens. Dans leurs écrits, on remarque facilement et de façon constante, l’indifférence de ces religieux vis-à-vis du sort des Amérindiens, vis-à-vis de la disparition de grandes quantités de gens. Ils imputèrent de façon facile cette disparition aux guerres, surtout celles entre les Hurons et les Iroquois, qui avaient été intensifiées. On n’a pas intégré, dans l’interprétation de l’histoire, le fait que ces gens avaient, bien sûr, leurs guerres, leurs divisions, leurs querelles, mais qu’ils s’équilibraient, c’est-à-dire qu’un ordre existait. Personne ne voulait détruire ou exterminer personne. Le dossier archéologique est clair à ce sujet : les gens ne se faisaient pas grand tort par leurs guerres; il s’agissait plutôt d’exercices de jeunes gens, de vengeances, de raccords, d’échanges de captifs tel que cela se fait encore aujourd’hui, en ce moment-même, dans certaines parties intactes de l’Amérique, comme au Centre du Brésil. Je sais, par exemple qu’en 1988, et probablement au moment où je vous parle, il y a des gens qui vivent encore de cette façon-là et qui ont connu la même séquence de malheurs que les Wendats d’il y a 350 ans.
Cette indifférence que l’on remarque dans les relations des jésuites en particulier, et dans les relations de tous les religieux vis-à-vis du sort des Wendats et du sort de tous les Amérindiens, est quelque chose qui a laissé des marques profondes dans la conscience et dans l’inconscient des Nations amérindiennes. On a voulu leur bien, on a voulu les convertir, mais est-ce qu’on a toujours voulu convertir pour des motifs vraiment humanitaires ou spirituels? On peut mettre un point d’interrogation là-dessus. On a dit tout à l’heure que les Amérindiens accueillaient les nouvelles idées religieuses, de façon naturelle, puisque tout a sa place autour du Cercle. Cependant, les Amérindiens ont vite et souvent remarqué que, dans bien des cas, c’étaient des motifs matériels qui inspiraient les convertisseurs. Tout comme aujourd’hui, comme on a pu voir dans le film qui nous a été présenté hier, La Terre de nos enfants, on est encore en train de « convertir » les Cris; parce que ce qu’on veut convertir, au fond, c’est le territoire. On veut convertir le territoire en argent. Là est la vraie conversion. Conséquemment, les Amérindiens sont marqués profondément par l’idée d’être convertis, parce qu’on arrive au terme de la conversion du continent américain. On a enlevé les populations amérindiennes; ce qui est arrivé aux Cris nous est arrivé aussi et de façon encore plus radicale et à l’insu de la majorité du monde, mais c’est le même processus qui se perpétue. Ce qui arrive aux Kayapos au Centre du Brésil, au moment où on se parle, est encore la même chose : c’est le désir de « convertir » ces gens-là, pour les neutraliser, les réduire et prendre tout ce qu’on pourra prendre de cette Amérique matérielle.
Je pense qu’à l’occasion du 500e anniversaire de l’arrivée des Européens en Amérique, les Amérindiens en général tournent leur regard vers les traditions de leurs ancêtres; simultanément, ils retrouvent l’idéologie originelle des gens qui s’occupent encore à les convertir; et je ne parle pas seulement des religieux, mais aussi des développeurs de toutes sortes qui, trop souvent, ne sont pas suffisamment dénoncés par les Églises. Mais, ils se rendent compte que pour survivre collectivement, ils ont, eux aussi, une mission; une mission de convertir. Lorsque l’on parle de convertir la pensée et le cœur des humains, des personnes, on se tourne premièrement vers leurs chefs spirituels. Les chefs spirituels, ce sont, évidemment, les gens des Églises, les gens les plus portés à vouloir comprendre les intérêts profonds et réels de l’humanité, des sociétés. Et je suis sûr de véhiculer l’idée d’une grande quantité d’Amérindiens traditionalistes en faisant appel aux représentants des Églises chrétiennes et des autres, en disant que nous avons besoin des chefs spirituels des Églises autour du Cercle. Notre mission est de circulariser les Églises chrétiennes et les autres.
Dans un ouvrage produit il y a deux ans et qui était ma thèse de maîtrise intitulée Pour une autohistoire amérindienne, je parle de l’américanisation du monde. La plupart des traditionalistes amérindiens ont reçu l’enseignement de la bouche de leurs Anciens, que cette façon de traiter l’humanité et le milieu naturel ne pourra pas durer toujours, et même, qu’il ne durera pas très longtemps. Cinq siècles, à l’échelle du temps et de la vie, sont très peu de temps. Les Anciens ont dit qu’un jour, assez tôt, nous parviendrions à prendre conscience qu’il faut changer l’idée et la conception spirituelles du monde et se rendre compte de la valeur de l’idéologie fondamentale des Amérindiens; et que cette idée doit représenter le vrai salut, non seulement physique, mais aussi et surtout spirituel, de l’humanité. Il s’agit d’un processus initié lors de l’arrivée des Européens en Amérique. Au début, ces gens arrivèrent avec la ferme conviction qu’ils venaient porter la lumière à un continent qui en était privé, un continent où le diable régnait en maître. Seulement cinq cents ans plus tard, les Amérindiens voient leur conviction confirmée que ces premiers arrivants étaient ceux qui avaient besoin de venir ici pour ajuster la conception spirituelle de leur société en fonction de la réalité naturelle. Encore une fois, je crois interpréter fidèlement le sentiment de mon peuple en faisant un appel aux Églises de venir s’asseoir avec nous autour du Cercle et de délaisser l’idée qu’elles ont de vouloir nous faire rejoindre la Ligne. Nous ne voulons pas rejoindre la Ligne, parce que le monde est fait pour être circulaire.
Les Euro-américains ont traditionnellement invoqué bien des raisons pour déprécier les sociétés autochtones. Parmi celles-ci, il y a eu l’absence d’une tradition écrite chez beaucoup de ces peuples, et la différence de leur conception du temps. Encore une fois, le temps des sociétés euro-américaines est un temps linéaire, un temps qui se découpe en un passé, un présent et un futur. Tout ce qui est passé est inférieur à ce qui va venir, puisqu’il faut progresser. Mais personne ne sait réellement vers où cet ordre linéaire nous emmène. En revanche, pour les sociétés autochtones, le passé n’existe pas réellement, ni le futur : il n’y a qu’un présent, un présent continu, dans lequel l’ordre de la vie doit être maintenu. On n’a pas de respect fondamental pour les hauts faits de grands personnages. On n’a pas le désir d’enregistrer les événements, ni de goût pour les chronologies, ni pour ce type d’histoire. L’histoire, son écriture, ou plutôt sa réécriture, doit être une réflexion morale, une réflexion spirituelle, parce que le temps n’existe pas aussi absolument que chez d’autres sociétés. L’homme n’a que le devoir de reconnaître et d’aider au maintien d’un ordre parfait et éternel, et tout effort d’enregistrer ou de reconnaître le passé, ou un besoin d’évoluer vers quelque chose d’autre est un sacrilège pour les Amérindiens. C’est la négation de l’œuvre de Dieu lui-même.
Les Amérindiens ont été intéressés et attirés vers l’Église chrétienne d’une façon spontanée. C’est vrai et ils le sont toujours, parce que l’Église, les Églises, prêchent l’amour. Mais je crois que jusqu’à présent, les Églises n’ont pu prendre d’autres intérêts que ceux de la société de laquelle elles originent. Je suis cependant convaincu que nous sommes à la conjoncture historique où les Églises doivent aussi reconnaître, au niveau du cœur et de l’esprit, le besoin qu’a l’humanité entière de revenir plus près de la Vie et cesser de seulement prêcher le Cercle, pour enfin le reconnaître et le pratiquer. Il leur faut dorénavant inclure dans leur discours, les droits et l’existence des autres êtres, des autres peuples de la Création, car si on est incapable de reconnaître ces autres peuples de la Création, on a automatiquement le réflexe d’aider à les détruire, ou, en tout cas, on reste indifférent à leur destruction. Beaucoup de peuples amérindiens, peut-être dirais-je la totalité des peuples amérindiens, attendent le moment où l’Église, où les Églises, vont avouer leur responsabilité dans leur démantèlement et leur spoliation matérielle. Je pense qu’à partir du moment où il y aura admission d’une conduite qui jadis fut dommageable à tous ces peuples et à l’humanité et fut donc cause d’une perte profonde d’un capital spirituel de l’humanité, nous pourrons commencer à parler d’une rencontre entre les autochtones et les allochtones.
On parle beaucoup actuellement de rencontre à l’occasion de ces dates, 1492-1992, sans se rendre suffisamment à l’évidence que l’on a emmené quelqu’un de force sur son terrain, qu’on l’a converti par tous les moyens possibles, qu’on leur a fait ainsi admettre qu’il était inférieur; on voudrait maintenant que cette personne, cette collectivité, parle de la même façon de rencontre, ou admette qu’il s’est agi d’une rencontre; en réalité, la rencontre n’a pas encore eu lieu. Je pense bien que 1992 sera le moment et l’occasion d’une vraie rencontre. L’exercice que nous sommes collectivement en train de faire ici, ce matin, me donne encore davantage la conviction que les gens sont maintenant prêts à faire cette rencontre. Car si les Églises viennent à la rencontre des Amérindiens, tel que je sens qu’elles le font ce matin, je suis assuré que la société elle-même va suivre ses chefs spirituels et venir à la rencontre des peuples amérindiens, et non plus simplement arriver ici et nier ce qui existe. Il s’agit de rencontrer avec le cœur et l’esprit ce qui existe déjà ici. Comme le disait hier une dame du Mexique : « L’Esprit de ce continent a fonctionné très longtemps avant que les Européens n’arrivent ici ».
Revenant à notre propos de conversion, j’ai parlé d’une mission que l’Amérindien conçoit pour lui-même, auprès des autres peuples. Il faut cependant parler ici d’un trait de la philosophie amérindienne distinctif entre tous. Il s’agit du respect sacré et inviolable pour la vision de toute personne ainsi que pour la liberté d’accomplir celle-ci. Ce respect de la liberté individuelle, élément essentiel de la démocratie elle-même, avait existé en Europe, mais à l’état d’utopie. Chez les Grecs, réputés avoir inventé la démocratie, le respect de la liberté individuelle était fonction de l’existence de classes d’esclaves. Ici, en Amérique, la liberté individuelle n’était pas une utopie. Les premiers observateurs européens ont invariablement remarqué l’absence de classes parmi la vaste majorité des sociétés autochtones. Chaque individu était vu naturellement comme la volonté d’un Grand Esprit et d’un monde spirituel insondable pour l’humain. Les gens étaient laissés libres dans leur individualité et intègres dans leur humanité. Beaucoup de gens sont donc venus ici à cause de leur soif de respect pour leur propre personne, de même que pour leur famille et leur collectivité. Ils sont venus se transplanter en Amérique parce qu’existait ce respect de façon réelle et effective, et non seulement à l’état d’utopie ou dans des volumes. Ces Européens virent des gens pratiquer ce respect entre eux. Je parle de la presque totalité des peuples autochtones. Il y eut, bien sûr, des sociétés hiérarchiques, mais celles-ci étaient, à un degré considérable, des sociétés également circulaires. Je parle évidemment des Incas, des Mayas, des Aztèques.
Je pense qu’on peut dire que ce pouvoir convertisseur qu’a l’Amérique est un pouvoir qui origine de la reconnaissance du droit à la liberté de chaque individu, de chaque être. Lorsqu’on parle de ce type de respect, on parle en même temps d’amour et si on parle d’amour, on se comprend tous, parce que les messages des Églises sont des messages d’amour. Et si nous nous rejoignons autour de l’idée que nous voulons tous et recherchons tous la même chose et si nous sommes arrivés, après cinq cents ans, au point de nous écouter mutuellement dire ce que cette chose représente dans nos esprits respectifs, je pense que nous ne sommes pas loin de nous comprendre d’une façon très profonde.
Nous allons, en terminant, faire référence au film visionné hier, La Terre de nos enfants, qui fut une bonne illustration de ce que nous ressentons tous. Nous y avons vu des gens à l’œuvre pour convertir la Baie James en argent et en pouvoir, non pas pour nous, mais pour certains individus ou certaines classes d’individus. Et il faut résister, il faut résister à cela. Parce que l’homme est très petit pour avoir la prétention de changer, de convertir à ce point son environnement, de le détruire; nous sommes en train de détruire notre lieu naturel, notre habitat, et l’Église doit inclure dans son discours et dans son rapport d’amour avec la Vie, l’amour pour la Création aussi. Car on sait qu’à la base, les sociétés amérindiennes célèbrent la Vie, célèbrent la joie, célèbrent la beauté de la vie.
Et ce que l’on voit aujourd’hui dans les sociétés industrielles, c’est le mépris; le mépris pour la vie, pour la beauté de la vie. Et que de tant enseigner de mépriser la vie, de mépriser la foi, et d’attendre dans un autre monde pour avoir accès à une foi ou à des beautés, nous avons contribué à mépriser aussi et à détruire l’environnement. Il faut apprendre à aimer profondément la maison que le Grand Esprit nous a donnée qui est la terre. À partir du jour où l’on l’aimera et célébrera sa beauté, nous aurons réellement changer d’esprit et pourrons réellement constituer un Cercle tous ensemble.
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Georges E. SIOUI, De la nation Wendat (Huron). Docteur en histoire. Poète et musicien. Auteur de Pour une autohistoire amérindienne.
Source : SIOUI, Georges S., « Relecture autochtone de l’événement des 500 ans », Dossier du Congrès – 1991 – 1492-1992 : À la redécouverte de notre et de notre mission, Montréal, 1991, p. 9-15.