Marthe-du-RÉDEMPTEUR
Cuba avant la révolution – Urgence des réformes
Ce serait témérité de ma part de prétendre donner ici un exposé nouveau et complet de ce qu’est le communisme. Des autorités compétentes l’ont fait avant moi et c’est sur leur parole que je m’appuie pour amorcer cette causerie.
Son Éminence le cardinal R. Cushing, dans son livre Questions et réponses sur le communisme, débute ainsi :
Au sens littéral, le communisme est la mise en commun de tous les biens matériels. Le communisme s’appuie d’abord et avant tout sur le matérialisme dialectique, une doctrine philosophique selon laquelle l’univers serait venu en existence sans le concours de Dieu.[1]
M’adressant à des prêtres et à des religieuses qui connaissent à fond la nature de ce virus, il me semble inutile de citer, soit les passages encycliques de plusieurs Papes ou les paroles d’auteurs versés en la matière. Qu’il me suffise de mentionner les ouvrages consultés pour mettre en parallèle les machinations du communisme de tous les pays soumis à sa domination et les tactiques observées à Cuba.
Marcel Clément, Le Communisme face à Dieu
S. Ém. le cardinal R. Cushing, Questions et réponses sur le Communisme
Mgr Guerry, L’Église catholique et le Communisme athée
R.P. Léo-Paul Bourassa, s.j., Tactiques communistes
Douglas Hyde, Le défi communiste
Yves Guilbert, La révolution de Fidel Castro
G. et A. Moreau, Devant le Communisme
Suzanne Labin, Il est moins cinq
Ecclesia (revue espagnole)
Frère DuFay, M.E.P., L’Étoile contre la Croix
Dans son ouvrage La révolution de Fidel Castro, Yves Guilbert expose très bien la situation de Cuba au temps de Batista, son pouvoir illégitime, les abus criants qui réclamaient d’urgentes réformes et le renversement de sa dictature. Des statistiques révèlent que 8 % des riches possédaient 75 % des terres agricoles. Donc, une réforme agraire s’imposait en faveur des paysans opprimés. Aussi une réforme urbaine car des milliers de taudis voisinaient avec de luxueux appartements. Enfin, une réforme éducationnelle. Suivant l’auteur précité, 24 % des Cubains étaient des illétrés.
C’est donc au nom de ces réformes sociales que le jeune leader Fidel Castro commença sa révolution. Son Plan enthousiasma les Cubains et lui gagna leur sympathie. Tous ignoraient alors que le plan idéal cachait entre les lignes le véritable schéma prémédité pour que la révolution sociale devienne communiste. On ne peut lire sans consternation les écrits publiés durant ces années, remplis de belles promesses et les confronter avec la déclaration de Fidel au mois de décembre 1961 : « C’est à dessein que du temps où je combattais dans la Sierra, j’ai caché au peuple mon véritable programme. »
Suzanne Labin, dans Il est moins cinq, dit que bien souvent le communisme s’appuie sur une société chancelante, minée ou abusée… La formule fondamentale est de séduire par l’ivresse et de retenir par la peur[2]. On voulait renverser Batista, on voulait posséder la liberté et les pauvres Cubains ne s’apercevaient pas qu’on se jouait d’eux. Cette main qui se tendait devait les égorger : expression bien communiste employée par Douglas Hyde.
Révolution – Espoirs et déceptions
Les esprits étaient prêts. La lutte des classes s’engageait dure et tenace. Confiant dans les promesses de Fidel, le peuple se rangea de son côté. Après de longues années de luttes, Castro triompha. Le monde entier applaudit à cette victoire et les peuples de l’Amérique latine y virent une grande espérance. Cuba servirait de mode aux autres Républiques pour sortir comme elle, rénovées, libres et indépendantes. Hélas ! si dans les débuts de la révolution, on put entretenir cet espoir, cela ne dura point. Impossible de ne pas mettre en doute la bonne foi de Fidel. Nous espérons que, maintenant, les esprits sont éclairés sur la question : Fidel est-il communiste? Il a lui-même déclaré à la face du monde entier qu’il était communiste depuis sa jeunesse et qu’il voulait le rester jusqu’à sa mort. La déception fut cruelle pour ceux qui avaient placé en lui leurs espérances.
Infiltration et progrès du communisme à Cuba
Le Frère Dufay affirme que le communisme est un, ses méthodes identiques partout[3], et le Père Bourassa posant la question : « Quelles ont été les tactiques communistes en Chine », répond : « Il serait mieux de se demander quelles ont été les tactiques communistes antireligieuses, car elles sont les mêmes »[4].
Quand, dès 1953, pour renverser la dictature de Bastista, Fidel s’adjoignit quelques hommes, les Cubains crurent que le jeune chef allait vraiment opérer les réformes promises, donner à tous justice, paix et liberté et que les pauvres bénéficieraient les premiers de ce nouvel ordre social. Ne déclarait-il pas au lendemain de la révolution au Père Llorente, S.J., qu’il désirait suivre les enseignements des encycliques? Dans les débuts, on ne verra donc jamais le Parti Communiste s’attaquer directement à la religion, mais bien se servir des chrétiens pour arriver à ses fins. Pourtant, une grande partie des catholiques et le clergé découvrirent tôt la ruse sous ce nationalisme prôné par Fidel : leur pays s’en allait vers le communisme. Dans notre collège, nos meilleurs élèves essayaient de nous convaincre que nous étions pessimistes. Ils apportaient à l’appui le témoignage d’hommes intègres, chevaliers catholiques, qui les assuraient que si le Gouvernement comptait des communistes, Fidel ne l’était point et que ses belles réformes s’inspiraient de la plus pure morale catholique. « Attendez, prenez patience », nous disait-on, « donnez à Fidel le temps d’effectuer l’épuration ».
Le mouvement national « Avec la Croix et la Patrie », ayant à sa tête quelques prêtres patriotes et des catholiques qui jusque-là avaient figuré parmi les militants de l’A.C., était bien propre à créer la confusion dans les esprits. La lutte n’était pas encore ouverte contre l’Église et Fidel affirmait qu’il ne la persécutait pas, mais se contentait d’éliminer les contre-révolutionnaires. Et il regardait comme contre-révolutionnaires tous ceux qui ne partageaient pas ses idées, qui n’acceptaient pas ses lois.
Le péril allait grandissant. De plus en plus, écoles primaires et secondaires, écoles normales, universités, devenaient le théâtre de violentes démonstrations. Un appel convoquait les élèves à entrer dans les mouvements spécialisés comme les Jeunes rebelles, organisation qui prendra plus tard le nom de Jeunesse Communiste et à qui le Président Dorticos donna comme mot d’ordre : Étude, travail, fusil.
Fidel attendait le moment où les évêques éleveraient la voix pour les taxer de contre-révolutionnaires, de pharisiens… « Capables de crucifier le Christ à nouveau, disait-il, de prêtres phalangistes, payés par les impérialistes ».
Enfin, le 7 août 1960, la lettre pastorale de l’épiscopat cubain porta à la connaissance des fidèles ses préoccupations et ses craintes au sujet du péril du communisme s’infiltrant dans le pays. L’épiscopat rappelait l’urgence pour les chrétiens d’étudier la doctrine sociale de l’Église et de l’appliquer. Il affirmait que l’Église sera toujours du côté des humbles, mais qu’elle ne sera jamais du côté du communisme. « Nous dirons toujours : Cuba, oui; Communisme, non; esclaves, jamais »[5].
La publication de la pastorale arriva trop tard. Fidel éclata de colère et déclara au peuple que l’Église n’avait pas le droit de se poser contre la révolution sociale, alors qu’elle n’avait pas su dénoncer les injustices criantes et les massacres sans nombre au temps de Batista. Pourtant, Mgr Serantes avait élevé la voix contre les mesures du dictateur, mais ses revendications n’avaient eu que valeur d’opinion personnelle. La démarche de Mgr Martin auprès de Batista était connue de Fidel puisque nous la trouvons consignée dans la revue Bohemia au début de la Révolution. Mais l’épiscopat cubain ne s’était pas uni à eux.
Tactiques mises en parallèle avec celles des autres pays communistes
Comment alors atteindre les masses, comment réfuter les mensonges journaliers débités par les ennemis de l’Église, par l’énorme propagande répandue partout? Une seule voix à la télévision, à la radio, celle de Fidel ou de son porte-parole. Dans les journaux, même doctrine matérialiste, athée, mêmes injures pour ceux qui s’élevaient contre la révolution castrite. À la propagande écrite, ajoutons le cinéma, les expositions montrant le progrès dans les pays socialistes, les meetings, les grandes assemblées populaires.
Nous pouvons dire cependant que si les tactiques sont les mêmes partout et que le résultat est identique, il faut excepter pour Cuba la fondation de l’Église nationale. Elle a été réellement un échec. Ne pourrait-on pas y voir une espérance?
Il était extrêmement difficile de détecter les communistes même parmi nos élèves. Pour quelques-uns qui nous étaient connus, combien d’autres qui agissaient dans le secret. Nous savions qu’il s’en trouvait dans toutes les classes et que, parmi elles, quelques-unes appartenaient à la G-2, police secrète. Les membres juraient de dénoncer tout contre-révolutionnaire. Ainsi, une de nos anciennes graduées, d’abord fervente de l’A.C., durant ses deux premières années d’École Normale, s’était laissé endoctriner. Chef révolutionnaire de son groupe, elle dit un jour à ses parents : « Cessez de parler contre Fidel, car j’ai juré de vous dénoncer ». Personne n’était en sûreté. On mit sur pied des organisations pour l’endoctrinement de la jeunesse : cercles d’études, cours spéciaux visant surtout à enlever de l’esprit de nos enfants l’idée même de Dieu. Et ce n’était pas toujours nos élèves médiocres qui tombaient dans le piège. Mais il faut dire, à la gloire des Cubains, qu’ils résistèrent. Qu’on me permette de citer ici, le cas de notre Directrice qui ne craignit pas d’affronter 19 heures en mer sur un bateau de pêche pour sauver ses deux jeunes enfants menacés d’être emparqués pour la Russie. À ce moment-là, 3 000 en avaient pris le chemin. On parle aussi de 12 000 enfants sans parents aux E.U. et, en tout, de 300 000 exilés. L’exode serait de 6 000 par mois. On connaît sans doute de quelle manière l’État s’est emparé des écoles en mai 1961, comment tant de prêtres et de religieuses furent chassés du pays. L’éducation est donc entre les mains des communistes.
Comment préparer nos jeunes à faire face au péril montant du communisme?
Pour pouvoir arrêter le flot montant du communisme, il faut connaître le secret de son expansion. Mettons en toute première ligne la conjuration du silence, comme dit Pie XI. Lui fait écho Mgr Guerry, quand il parle du retour des missionnaires dans leur pays après avoir souffert de terribles tortures dans les prisons communistes. Pourtant, ils apportaient l’expérience d’une vie de luttes, et surtout le témoignage du sang de beaucoup de leurs frères. On s’endort dans une fausse sécurité. Quand la maison du voisin brûle, ne convient-il pas d’être sur nos gardes, de surveiller jusqu’aux moindres étincelles qui pourraient mettre la nôtre en péril? Notre voisin, c’est Cuba pour le moment et la leçon devrait porter.
Si vous avez lu des ouvrages révélant les tactiques communistes pour s’emparer des pays maintenant soumis à sa main de fer, vous avez pu constater partout que le coup final semble n’avoir pas été prévu. Et les plaintes viennent trop tard, amères et stériles : « On nous a trompés! »
Comment alors enrayer le péril dans notre pays et le monde catholique? La littérature ne manque pas pour documenter nos jeunes. Citons, entre autres, le fascicule Tactiques communistes du R.P. Léo-Paul Bourassa, à la portée des étudiants. Douglas Hyde donne aussi de précieux conseils dans Le défi communiste. Lui aussi parle d’expérience quand il présente les vertus communistes comme secret d’expansion et pièges pour tromper. Il serait trop long de relever tous les points qui pourraient nous profiter. Qu’il nous suffise de mentionner « L’Art de former des chefs« . Le communiste y travaillera longtemps et avec patience. Pour lui, tout est là : chefs compétents, convaincus, dévoués, prêts au sacrifice, entreprenants, actifs.
Combien de missionnaires de Chine et de Cuba ont passé la réflexion et donné ainsi la raison des échecs et défections : « Nos jeunes n’étaient pas prêts pour la lutte! »Nos Canadiens le sont-ils?
Le communiste connaît à fond sa doctrine; il a foi en elle; il n’épargnera ni son temps, ni son argent pour triompher. Douglas Hyde cite le cas de sa femme qui ne se laissait rebuter par aucune injure, aucune intempérie, pour se poster au coin de la rue et vendre son Journal[6].
Il connaît sa doctrine en l’étudiant dans des cercles d’études? Étudions la doctrine sociale de l’Église, étudions-la et enseignons-la. Le Pape Jean XXIII, après tant d’autres de ses prédécesseurs a montré l’urgence d’enseigner cette doctrine pour faire face au communisme. « Tout en observant avec satisfaction que, dans divers Instituts, cette doctrine sociale est déjà enseignée depuis longtemps. Nous insistons pour que l’on étende l’enseignement dans les cours ordinaires et, en forme systématique, dans tous les Séminaires, dans toutes les écoles catholiques, à tous les degrés »[7].
Le communiste est patient, persévérant? Ne nous rebutons pas devant les difficultés. Dans une lettre, un communiste disait à un catholique, entre autres comparaisons : « Comment quelqu’un peut-il croire en la valeur surpassant toute chose de votre Évangile, si vous ne le pratiquez pas? Croyez-moi, c’est nous qui allons conquérir, parce que nous croyons en notre évangile communiste et que nous sommes prêts à faire tous les sacrifices même la vie pour que la justice puisse triompher ». Montrons à nos jeunes que l’heure est à la lutte. Qu’ils aient foi dans l’Église, foi dans la hiérarchie fidèle à Rome, foi dans leur propre foi.
« Unité, unité » clame le communiste ! Unité nous aussi, clergé, communautés religieuses, catholiques. Qu’on ne donne pas prise aux critiques.
Le Parti Communiste s’ingénie à former des chefs convaincus? Que ce soit notre rôle aussi. Formons-les par des réunions où ils étudient leur religion et les moyens de combattre les erreurs. Qu’ils apprennent le vrai sens de PAIX JUSTICE AMOUR. Ce ne sont pas les communistes qui doivent exploiter ces mots.
Dans un couvent, à la suite d’une conférence, on interrogeait les élèves. Les unes disaient qu’elles ne croyaient pas au péril imminent du communisme pour le Canada. D’autres, que notre pays comptait trop de communautés religieuses. D’autres, enfin, ne s’intéressaient pas au problème. Tout à coup, une se lève et la voix pleine d’émotion : « Eh bien, moi j’y crois ! Quand on a été traqué comme des bêtes durant des semaines et des mois, quand on a eu faim, quand on a eu peur, quand on a vu sa Patrie déchirée par la guerre communiste et surtout notre famille massacrée ou dispersée, on y croit »… C’était une Hongroise.
Je ne vous apprend rien en vous disant que nos jeunes ne bénéficient plus de la forte influence d’un foyer chrétien. Ils sont aigris par les problèmes qui divisent leurs parents. Si ces élèves ne trouvent pas auprès de nous une grande compréhension, une grande charité, ils iront grossir les rangs des mécontents et seront du nombre de ceux qui demanderont à grands cris la confiscation des collèges et la fermeture des églises.
On dit du communisme que c’est une espèce de religion à laquelle il manque l’AMOUR. Que les âmes avec lesquelles nous venons en contact sentent que nous les aimons et nous pourrons leur faire du bien. Nous établirons ainsi, selon le mot si juste du Père Legault, « une circulation horizontale de sainteté » capable d’entretenir un dialogue d’une âme à une autre. Orientons vers la lumière ces intelligences avides de connaître, formons ces cœurs qui ne demandent qu’à se donner. Quand l’intelligence ne veut pas comprendre, quand notre parole ne peut arriver à persuader, descendons jusqu’à son cœur et laissons parler le nôtre. Montrons à nos élèves à nourrir leur âme de vérité qu’elles puiseront largement dans l’Eucharistie.
« La victoire ou la défaite du communisme est entre nos mains. Je crois possible que le communisme se répande sur toute la terre, les communistes le croient. Mais il ne faut pas que cela arrive[8]. C’est par ces énergiques paroles que termine Douglas Hyde. C’est ainsi que se couronnent les ouvrages écrits par des catholiques, convaincus que Dieu triomphera.
Et le Cardinal Cushing, « Vivons chez-nous sous le regard de Dieu. Prions comme si tout dépendant de Dieu. Prions comme si tout dépendait de Dieu; travaillons comme si totu dépendant de nous-mêmes[9].
Enfin, ces belles paroles de M. l’abbé Moreau, « On comprendra mieux maintenant qu’il faut autre chose que des réformes sociales même profondes pour détourner du communisme et prouver aux foules que la foi et l’espérance qu’elles mettent en lui sont trompeuses… Le mal est plus profond, il s’agit d’une crise spirituelle. Les âmes, plus que les corps, sont sous-alimentées; elles sont esclaves du péché, elles vont à la dérive. Qui va apporter aux hommes la nourriture dont ils ont besoin? Dieu et Dieu seul… Une société sans Dieu finit par écraser l’homme.[10] »
Puisse la Vierge de la Charité, patronne de Cuba, aider tous ceux et celles qui ont charge d’âmes à comprendre leur grand rôle dans la rechristianisation de la société.
§
Sœur Marthe-du-Rédempteur, Sœur missionnaire de l’Immaculée-Conception.
Source : Sœur Marthe-du-Rédempteur, « Tactiques communistes », Assemblée générale annuelle : enseignement en pays de mission, septembre 1962, p. 44-50.
- S. Ém. le cardinal Cushing, Questions et réponses sur le communisme, p 9. ↵
- Suzanne Labin, Il est moins cinq, p. 16. ↵
- Frère Dufay, M.E.P., L’Étoile contre la Croix, p. 14. ↵
- R.P. Léo-Paul Bourassa, Tactiques communistes, p. 36. ↵
- Lettre pastorale de l’épiscopat cubain dans Ecclesia. ↵
- Douglas Hyde, Le défi communiste, p. 18. ↵
- Sa Sainteté le Pape Jean XXIII, Enclyclique Mater et Magistra, p. 54. ↵
- Douglas Hyde, op. cit., p. 47. ↵
- Cardinal Cushing, op. cit., p. 180. ↵
- G. et A. Moreau, Devant le communisme, p. 214. ↵