89 Chapitre 15 : COUP D’OEIL SUR JERUSALEM

EXTRAIT DU LIVRE DE ANNE CATHERINE EMMERICH

COUP D’OEIL SUR JERUSALEM

La grande et populeuse ville et les tentes des étrangers venus pour la Pâque étaient plongées dans le repos et le sommeil, succédant à beaucoup de prières et de cérémonies publiques et privées par lesquelles on s’était préparé à la fête, lorsque la nouvelle de l’arrestation de Jésus réveilla tous ses ennemis et ses amis ; et sur tous les points de. la ville on vit se mettre en mouvement les personnes convoquées par les messagers des Princes des prêtres. Ils allaient et clair de lune ou à la lueur de leurs torches, le long des rues, sombres et désertes à cette heure, car la plupart des maisons avaient leurs fenêtres et leurs sorties sur des cours intérieures. Tous montent vers Sion d’où leur arrive un bruit tumultueux et où ils voient briller la lueur des torches. On entend ça et là frapper aux portes pour éveiller ceux qui dorment ; le bruit et le tumulte renaissent en divers endroits ; on ouvre à ceux qui frappent, on les interrogea, on se rend à la convocation. Des curieux et des serviteurs vont voir ce qui se passe pour raconter à ceux qui restent ; on entend verrouiller et barricader plusieurs portes, car quelques personnes s’inquiètent et craignent une émeute. Parfois des gens se montrent aux portes et demandent des nouvelles à des passants de leur connaissance, ou ceux-ci échangent rapidement quelques paroles avec eux. On entend mille propos dictés par une joie maligne, ainsi qu’il arrive aussi de nos jours dans de semblables occasions. Ainsi l’on entend dire, par exemple : “Lazare et ses soeurs vont voir à qui ils se sont livrés ; Jeanne, femme de Chusa, Suzanne et Salomé se repentiront trop tard de leur imprudence ; Séraphia, la femme de Sirach, sera obligée de s’humilier devant son mari qui lui a si souvent reproché sa partialité pour le Galiléen. Tous les partisans de cet agitateur, de ce fanatique, semblaient prendre en pitié ceux qui pensaient autrement qu’eux, et maintenant plus d’un ne saura où se cacher. Il n’y a plus là personne pour jeter sous les pieds de sa monture des vêtements et des branches de palmier. Ces hypocrites, qui veulent toujours être meilleurs que les autres, vont avoir ce qu’ils méritent, car ils sont tous impliqués dans les affaires de ce Galiléen. La chose est plus grave qu’on ne le croyait. Je voudrais savoir comment Nicodème et Joseph d’Arimathie s’en tireront : il y a longtemps qu’on se méfie d’eux. Ils sont d’accord avec Lazare ; mais ils sont adroits. Tout va s’éclaircir maintenant, etc., etc ”.

C’est ainsi qu’on entend parler beaucoup de gens qui sont irrités contre quelques familles dévouées à Jésus, et surtout contre les saintes femmes qui se sont attachées à Jésus et qui lui ont publiquement rendu témoignage. En d’autres lieux, la nouvelle est reçue d’une manière plus convenable : quelques-uns sont terrifiés, d’autres gémissent secrètement, ou cherchent quelque ami dont les sentiments soient conformes aux leurs pour s’épancher avec lui. Il en est peu qui osent exprimer hautement l’intérêt qu’ils prennent à Jésus.

Tout n’est pourtant pas réveillé dans la ville, mais on l’est seulement là où les messagers portent les invitations du grand-prêtre, où les Pharisiens vont chercher leurs faux moins et où les rues aboutissent au chemin qui conduit vers Sion. Il semble qu’on voie en différents points de Jérusalem jaillir des étincelles de haine et de fureur qui, par. Gourant les rues, en rencontrent d’autres auxquelles elles se joignent, et croissant et grossissant toujours, montent vers Sion, et vont aboutir au tribunal de Caïphe comme un sombre fleuve de feu. Les soldats romains ne prennent aucune part à ce qui se fait. Mais leurs postes sont renforcés et leurs cohortes rassemblées ; ils observent avec soin tout ce qui se passe. Ils sont toujours ainsi en observation au temps des fêtes de Pâques, à cause de la grande affluence d’étrangers. Les Juifs évitent les environs de leurs corps de garde, parce que les Pharisiens souffrent d’être obliges de répondre à leur appel. Les Princes des prêtres n’ont pas manqué de faire savoir à Pilate pourquoi ils ont occupé avec des soldats Ophel et une partie de Sion. Mais il y a entre eux défiance réciproque. Pilate ne dort pas, il reçoit des rapports et donne des ordres. Sa femme est couchée ; son sommeil est profond, mais elle soupire et pleure comme si elle avait des songes pénibles. Elle dort, et cependant elle apprend bien des choses, plus de choses que son mari.

En aucun lieu de la ville on ne prend une part plus touchante aux maux de Jésus qu’à Ophel, parmi les pauvres serviteurs du temple et les journaliers qui habitent cette colline. Ils ont été réveillés subitement, au sein d’une nuit tranquille, pour voir, comme dans une horrible vision nocturne, leur maître, Leur bienfaiteur, celui qui les a guéris et consolés, accablé d’injures et de mauvais traitements. Puis ils ont vu passer au milieu d’eux la douloureuse Mère de Jésus, et leur affliction a redoublé à son aspect. Ah ! c’est un spectacle déchirant de voir, dans leur douleur poignante, la mère et les amies de Jésus, obligées de courir les rues tremblantes et inquiètes, à cette heure de minuit, si indue pour de si saintes femmes, afin d’aller d’une maison d’ami à une autre. Tantôt elles sont obligées de se cacher à l’approche d’une troupe grossière et insolente, tantôt on les injurie comme des femmes de mauvaise vie ; souvent elles entendent des discours pleins d’une joie cruelle qui leur déchirent le cœur, plus rarement une parole de compassion sur Jésus. Enfin, arrivées à leur asile, eues tombent accablées, pleurant et joignant les mains, elles se soutiennent et s’embrassent, ou s’affaissent sur leurs genoux, la tête cachée sous un long voile. On frappe doucement et timidement : ce n’est pas un ennemi qui frappe ainsi ; elles ouvrent en tremblant : c’est un ami ou le serviteur d’un ami de leur maître. Elles se pressent autour de lui, en le questionnant, et ses réponses sont de nouvelles douleurs. Elles ne peuvent rester en repos, se hasardent de nouveau dans les rues, et reviennent toujours avec un redoublement de tristesse.

La plupart des apôtres et des disciples errent effrayés dans les vallées qui entourent Jérusalem, et se cachent dans les cavernes du mont des Oliviers. Ils tremblent quand ils se rencontrent, se demandent des nouvelles à voix basse, et le moindre bruit interrompt leurs timides communications. Ils changent sans cesse de place, et cherchent à se rapprocher de la ville. Quelques-uns se glissent dans les campements des étrangers où ils ont reconnu des gens de leur pays venus pour la fête, et ils y cherchent des nouvelles ou envoient à la ville des messagers qui puissent en rapporter. Plusieurs montent sur le mont des Oliviers ; ils regardent avec inquiétude les torches qui se remuent à Sion, écoutent les bruits lointains, se livrent à mille conjectures différentes, puis redescendent dans la vallée, dans l’espoir d’y trouver des nouvelles positives.

Le bruit augmente de plus en plus autour du tribunal de Caiphe. Cette partie de la ville brille de l’éclat des torches et des falots. Autour de Jérusalem, on entend crier les animaux que tant d’étrangers ont amenés pour les sacrifier. Il y a quelque chose de singulièrement touchant dans le bêlement des innombrables agneaux qui doivent être immolés dans le Temple le lendemain. Un seul est sacrifié parce qu’il l’a voulu, et il n’ouvre pas la bouche ; semblable à la brebis qu’on mène à la boucherie, à l’agneau qui se tait devant le tondeur : celui-là, c’est l’agneau de Dieu, pur et sans tache, c’est Jésus-Christ.

Sur toutes ces scènes s’étend un ciel sinistre où se montrent des signes extraordinaires ; la lune y monte menaçante et troublée de taches étranges, car c’est en ce moment que Jésus mourra. Pendant ce temps, au midi de la ville, Judas Iscariote, le traître, aiguillonné par le diable, erre dans la sauvage vallée d’Hinnom : le remords le pousse par des sentiers impraticables à des endroits maudits, marécageux, pleins de fange et l’immondices. Seul, sans compagnons, il fuit devant son ombre. Des milliers de mauvais esprits sont répandus partout, troublant la raison des hommes et les poussant au mal. L’enfer est déchaîné : il excite partout au péché ; le fardeau de l’Agneau s’accroît : Satan, redouble de rage et sème partout le désordre et la contusion. L’Agneau prend sur lui tout ce fardeau, mais Satan veut le péché, et, si ce juste ne pèche point, si la tentation est impuissante à le faire tomber, il faut au moins que ses ennemis meurent dans leur péché. Les Anges sont entre la douleur et la joie, ils voudraient prier devant le trône de Dieu, et pouvoir porter secours à Jésus ; mais ils ne peuvent qu’adorer dans leur étonnement le miracle de la justice et de la miséricorde divine, qui était dans le ciel de toute éternité et qui commence à s’accomplir dans le temps ; car les Anges aussi croient en Dieu le Père tout-puissant créateur du ciel et de la terre ; et en Jésus-Christ, son Fus unique Notre Seigneur, qui a été conçu du Saint Esprit, est né de la Vierge Marie, qui commence cette nuit à souffrir sous Ponce Pilate, qui demain sera crucifié, mourra et sera enseveli : qui descendra aux enfers et ressuscitera le troisième jour : qui montera au ciel où il est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant ; d’où il viendra juger les vivants et les morts : eux aussi croient au Saint Esprit, à la sainte Eglise catholique, à la communion des Saints, à la rémission des péchés, à la résurrection de la chair et à la vie éternelle. Ainsi soit-il.

Tout cela n’est qu’une faible partie des impressions qui nécessairement remplissaient d’angoisses, de repentir de consolation et de compassion, jusqu’au point de le briser, un pauvre coeur tout souillé de péchés, quand la contemplation, comme pour implorer du secours, se détournait des souffrances du Sauveur, cruellement traîné par ses bourreaux, et s’élevait au-dessus de Jérusalem à cette heure de minuit, la plus solennelle des siècles, où la justice infinie et l’infinie miséricorde de Dieu, se rencontrant, s’embrassant et se pénétrant, commencèrent la plus sainte œuvre de la charité envers Dieu et les hommes, pour châtier sur l’Homme-Dieu et expier par l’Homme-Dieu les péchés de l’humanité.

Tel était l’état des choses lorsque notre cher Sauveur fut conduit devant Anne.

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