131 Chapitre 57 : MORT DE JÉSUS. — CINQUIEME, SIXIEME ET SEPTIEME PAROLES

 MORT DE JÉSUS.

— CINQUIEME, SIXIEME ET SEPTIEME PAROLES
SUR LA CROIX

Lorsque la clarté revint, on vit le corps du Sauveur livide, épuisé et plus blanc qu’auparavant à cause du sang qu’il avait perdu. Il dit encore, je ne sais si ce fut intérieurement ou si sa bouche prononça ces paroles : “ Je suis presse comme le raisin qui a été pressé ici pour la première fois : je dois rendre tout mon sang jusqu’à ce q le l’eau vienne et que ! ‘enveloppe devienne blanche, mais on ne fera plus de vin en ce lieu ”. J’eus plus tard une vision relative à ces paroles, où je vis comment Japhet fit du vin en cet endroit. Je la raconterai plus tard.

Jésus était en défaillance, sa langue était desséchée, et il dit : “ J’ai soif ” ! Comme ses amis le regardaient tristement, il dit : “ Ne pouviez-vous me donner une goutte d’eau ” ? Faisant entendre que pendant les ténèbres on ne les en aurait pas empêchés. Jean, tout trouble, lui répondit : “ O Seigneur, nous l’avons oublié ”. Et Jésus dit encore quelques paroles, dont le sens était : “  Mes proches aussi devaient m’oublier et ne pas me donner à boire, afin que ce qui est écrit fût accompli ”. Cet oubli l’avait douloureusement affecté. Ses amis offrirent alors de l’argent aux soldats pour lui donner un peu d’eau, ce qu’ils ne firent pas ; mais l’un d’eux trempa une éponge en forme de poire dans du vinaigre qui se trouvait là dans un petit baril d’écorce, et y répandit aussi du fiel. Mais le centurion Abénadar, qui avait déjà le coeur touché, prit l’éponge, la pressa et y versa du vinaigre pur. Il adapta un bout de l’éponge à une tige creuse d’hysope qui servait comme de chalumeau pour boire, l’assujettit au bout de sa lance et l’éleva jusqu’à la hauteur du visage de Jésus, de manière à ce que le roseau atteignit la bouche du Sauveur, et qua celui-ci pût aspirer le vinaigre dont l’éponge était imbibée. Je ne me souviens plus de quelques mots que j’entendis encore prononcer au Seigneur pour servir d’avertissement au peuple ; je me rappelle seulement qu’il dit : “ Lorsque ma voix ne se fera plus entendre, la bouche des morts parlera ”. Sur quoi quelques-uns s’écrièrent : “ Il blasphème encore ”. Mais Abénadar leur ordonna de se tenir tranquilles. L’heure du Seigneur étant venu, il lutta avec la mort, et une soeur froide jaillit de ses membres. Jean se tenait au bas de la croix et essuyait les pieds de Jésus avec son suaire. Madeleine, brisée de douleur, s’appuyait derrière la croix. La sainte Vierge se tenait debout entre Jésus et le bon larron, soutenue par Salomé et Marte de Cléophas, et elle regardait mourir son Fils. Alors Jésus dit : “ Tout est consommé ! ” Puis il leva la tête et cria à haute voix : “ Mon Père, je remets mon esprit entre vos mains. ” Ce fut un cri doux et fort qui pénétra le ciel et la terre ; ensuite il pencha la tête et rendit l’esprit. Je vis son âme comme une forme lumineuse entrer en terre au pied de la croix pour descendre dans les limbes. Jean et les saintes femmes tombèrent le front dans la poussière.

Le centurion Abénadar, Arabe de naissance, baptisé plus tard sous le nom de Ctésiphon, depuis qu’il avait présenté le vinaigre au Seigneur, se tenait tout contre l’éminence où la croix était plantée de façon que les pieds de devant de son cheval étaient posés plus haut que les pieds de derrière. Profondément ébranlé et livré à des réflexions sérieuses, il contemplait, sans détourner les yeux, la face couronnée d’épines du Sauveur. Le cheval terrifié baissait la tête, et Abénadar, dont l’orgueil était subjugué, laissait aller les rênes. En ce moment le Seigneur prononça d’une voix forte ses dernières paroles et mourut en poussant un cri qui pénétra la terre, le ciel et l’enfer. La terre trembla et le rocher se fendit, laissant une large ouverture entre la croix de Jésus et celle du mauvais larron. Dieu se rendit témoignage par un avertissement terrible qui ébranla jusque dans ses profondeurs la nature en deuil. Tout était accompli : l’âme de Notre Seigneur abandonna son corps et le dernier cri du rédempteur mourant fit trembler tous ceux qui l’entendirent, ainsi que la terre, qui reconnut son Sauveur en tressaillant. Toutefois le coeur de ceux qui l’aimaient fut seulement traversé par la douleur, comme par une épée. Ce fut alors que la grâce vint sur Abénadar. Son cheval trembla : son âme fut ébranlée : son coeur, orgueilleux et dur, se brisa comme la roche du Calvaire ; il jeta sa lance, frappa sa poitrine avec force, et cria avec l’accent d’un homme nouveau : “ Béni soit le Dieu tout-puissant, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ; celui-ci était un juste : c’est vraiment le fils de Dieu. ” Plusieurs soldats, frappés des paroles de leur chef, firent comme lui. Abénadar, devenu un nouvel homme, et ayant rendu hommage au Fils de Dieu. ne voulait plus rester au service de ses ennemis. Il donna son cheval et sa lance à Cassius, l’officier inférieur, appelé depuis Longin, qui prit le commandement ; puis il adressa quelques paroles aux soldats et quitta le Calvaire. Il s’en alla, par la vallée de Gihon, vers les cavernes de la vallée d’Hinnom, où étaient cachés les disciples. Il leur annonça la mort du Sauveur. et s’en retourna vers Pilate dans la ville.

Une grande épouvante s’empara de tous les assistants, au dernier cri de Jésus, lorsque la terre trembla et que la roche du Calvaire se tendit. Ce fut une terreur qui se fit sentir dans toute la nature, car ce fut alors aussi que le rideau du Temple se déchira en deux, que beaucoup de morts sortirent de leurs tombeaux, que des murailles s’affaissèrent dans le Temple et que des montagnes et des édifices s’écroulèrent dans plusieurs contrées. Lorsqu’Abénadar rendit témoignage de la divinité de Jésus, plusieurs soldats témoignèrent avec lui ; un certain nombre de ceux qui étaient présents, et même quelques Pharisiens venus en dernier lieu se convertirent. Beaucoup de gens se frappaient la poitrine, pleuraient et retournaient chez eux par la vallée ; d’autres déchiraient leurs vêtements et jetaient de la poussière sur leur tête. Tout était plein de stupeur et d’épouvante. Jean se releva ; quelques-unes des saintes femmes qui s’étaient tenues éloignées, vinrent prendre la Sainte Vierge et l’emmenèrent à quelque distance de la croix pour lui donner leurs soins.

Lorsque le Sauveur plein d’amour, le maître de la vie, paya pour les pécheurs la dette de la mort, lorsqu’il recommanda son âme humaine à son Dieu et à son Père, et abandonna son corps à la mort, ce saint vase brisé prit la teinte pâle et froide de la mort. Le corps de Jésus tressaillit dans une dernière convulsion, puis devint d’une blancheur livide, et ses blessures où le sang s’était porté en abondance se montrèrent plus distinctement comme de sombres taches ; son visage se tira, ses joues s’affaissèrent, son nez s’allongea st s’enfla, ses yeux pleins de sang restèrent à moitié ouverts. Il souleva un instant sa tête couronnée d’épines, et la laissa retomber sous le poids de ses douleurs ; ses lèvres livides et contractées s’entrouvrirent, et laissèrent voir sa langue ensanglantée ; ses mains, contractées d’abord autour des clous, se détendirent ainsi que ses bras, son des se raidit le long de la croix, et tout le poids du corps porta sur les pieds : ses genoux s’affaissèrent et allèrent du même côté, et ses pieds tournèrent un peu autour du clou qui les transperçait.

Alors les mains de sa mère se raidirent, ses yeux se couvrirent d’un nuage, elle devint pâle comme la mort, ses oreilles cessèrent d’entendre, ses pieds chancelèrent et elle s’affaissa sur elle-même. Jean et les autres tombèrent aussi, la face voilée et ne pouvant plus résister à leur douleur. Lorsque la plus aimante, la plus désolée des mères, relevés par ses amis, leva les yeux, elle vit le corps de son fils conçu dans la pureté par l’opération du Saint Esprit, la chair de sa chair, l’os de ses os, le coeur de son coeur, ce vase sacré formé dans son sein lorsque le Très-Haut l’avait couverte de son ombre, elle le vit privé de toute beauté, de toute forme ; séparé de sa très sainte âme ; assujetti aux lois de la nature dont il était l’auteur, mais dont l’homme avait abusé et qu’il avait défigurée par le péché ; brisé, maltraité, défiguré, mis à mort par les mains de ceux qu’il était venu relever et vivifier. Hélas ! le vase contenant toute beauté, toute vérité, tout amour, était là, vide, rejeté, méprisé, semblable à un lépreux, suspendu à la croix entre deux voleurs. Qui pourrait peindre la douleur de la mère de Jésus, de la reine de tous les martyrs ?

La lumière du soleil était encore troublée et voilée : air fut lourd et étouffant pendant le tremblement de terre : mais ensuite il franchit sensiblement. Le corps de Notre-Seigneur mort sur la croix avait quelque chose qui inspirait le respect et qui touchait singulièrement. Les larrons, au contraire, étaient dans d’horribles contorsions, comme des gens ivres. A la fin, ils se turent l’un et l’autre : Dismas priait intérieurement.

Il était un peu plus de trois heures lorsque Jésus rendit l’esprit. Quand la première secousse du tremblement de terre fut passée, plusieurs des Pharisiens reprirent leur audace : ils s’approchèrent de la fente du rocher du calvaire, y jetèrent des pierres et essayèrent d’en mesurer la profondeur avec des cordes. Comme ils ne purent pas en trouver le fond, cela les rendit pensifs, ils remarquèrent avec quelque inquiétude les gémissements du peuple et quittèrent le Calvaire. Beaucoup de gens se sentaient intérieurement changés ; la plupart des assistants s’en retournèrent à Jérusalem frappés de terreur ; plusieurs étaient convertis. Une partie des cinquante soldats romains qui se trouvaient là alla renforcer ceux qui gardaient la porte de la ville, en attendant l’arrivée des cinq cents autres qu’on avait demandés. La porte avait été fermée et d’autres postes voisins furent occupés pour prévenir l’affluence du peuple et toute espèce de mouvement tumultueux. Cassius et cinq soldats environ restèrent autour de la plate-forme circulaire, s’appuyant au terrassement qui la soutient. Les amis de Jésus entouraient la croix, s’asseyaient vis-à-vis elle, et pleuraient. Plusieurs des saintes femmes étaient revenues à la ville. Le silence et le deuil régnaient autour du corps de Jésus. On voyait au loin, dans la vallée et sur les hauteurs opposées, se montrer çà et là quelques disciples, qui regardaient du côté de la croix avec une curiosité inquiète et disparaissaient s’ils voyaient venir quelqu’un.

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LA PASSION DE JESUS© par campionpierre. Tous droits réservés.

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