109 Chapitre 35 :INTERRUPTION DES TABLEAUX DE LA PASSION

INTERRUPTION DES TABLEAUX DE LA PASSION

La soeur Emmerich vit jour par jour cette suite de tableaux, depuis le 18 février jusqu’au 8 mars, veille du quatrième dimanche de carême, et pendant ce temps elle souffrit d’inexprimables douleurs du corps et de l’âme. Plongée dans ces contemplations, fermée à toutes les sensations extérieures, elle pleurait et gémissait comme un enfant livré aux bourreaux ; elle tremblait, tressaillait et se tordait sur sa couche en gémissant ; son visage ressemblait à celui d’un homme mourant dans les supplices, et une soeur de sang ruisselait souvent sur sa poitrine et sur ses épaules. En général, sa soeur était si abondante, que tout ce qui était prés d’elle en était trempé et que son lit en était pénétré. Elle souffrait aussi de la soit au point qu’on eût dit d’un homme altéré, perdu dans un désert sans eau. Sa bouche était desséchée le matin. et sa langue retirée et contractée, en sorte qu’elle ne pouvait demander qu’on la soulageât qu’avec des sons inarticulés et des signes d’une fièvre continuelle accompagnait toutes ses souffrances ou en était la suite, et en outre ses douleurs habituelles et celles dont elle se chargeait au profit d’autrui continuaient sans relâche. Ce n’était qu’après avoir repris quelque force à grand peine qu’elle pouvait raconter les tableaux de la Passion : encore ne les racontait-elle pas tous les jours et d’une haleine, mais en s’y prenant à plusieurs reprises.

Le samedi 8 mars 1823, elle avait raconté avec une souffrance infinie la flagellation de Jésus-Christ, qui avait été la vision de la nuit précédente, et qui sembla lui être encore présente pendant une partie de la journée : mais vers la fin du jour il y eut une interruption dans la série, jusque-là régulière, de ses visions de la Passion. Nous en rendons compte ici, comme faisant mieux connaître la vie intérieure d’une personne aussi extraordinaire, et aussi comme un point de repos pour le lecteur de ce livre. Car nous avons éprouvé nous-mêmes qu’il y a pour les faibles une certaine fatigue dans la représentation de la Passion du Sauveur, bien quelle se soit accomplie pour leur salut.

La vie spirituelle et corporelle de la Soeur était en union continuelle avec la vie journalière de l’Eglise dans le temps. C’était un rapport plus impérieux peut-être que celui qui met notre vie dans la dépendance des saisons, des heures du jour, du soleil et de la lune, du climat et de la température, et par suite duquel elle rendait un témoignage perpétuel de l’existence et de la signification de tous les mystères Et de toutes les solennités célébrées par l’Eglise dans le temps. Elle les suivait si fidèlement, qu’au moment où commençait l’office de chaque fête, c’est-à-dire la veille au soir, tout son état intérieur et extérieur, spirituel et corporel, éprouvait un changement. Quand le soleil spirituel d’un des jours de l’Eglise s’était couche, elle se tournait à l’instant vers celui du jour suivant pour pénétrer toutes ses prières, tous ses travaux, toutes ses souffrances de la grâce spéciale attachée à cette nouvelle journée, de même qu’une plante se baigne dans la rosée, se joue dans la lumière et la chaleur de l’aurore naissante.

Il se faisait une révolution dans tout son être, non pas précisément quand la cloche du soir tintait l’Angélus, lequel peut être sonné trop tôt ou trop tard, à cause de l’ignorance ou de la paresse de ceux qui en sont chargés, mais quand ce moment d’une nouvelle reproduction de l’ordre éternel dans le temps arrivait réellement, à une heure dont les autres humains ne pouvaient être avertis par leurs sens.

Si l’Eglise célébrait une fête douloureuse, on la voyait accablée, languissante et comme flétrie : mais au moment où commençait une fête de réjouissance, son corps et son âme se relevaient soudainement comme ranimés par la rosée d’une grâce nouvelle, et elle restait jusqu’au soir suivant calme, sérieuse, joyeuse, comme si un voile eût été jeté sur ses douleurs, rendant par là témoignage à la vérité intime et éternelle de cette fête. Or, tout cela se passait en elle sans la participation de sa volonté, au moins n’en avait-elle pas plus la conscience réfléchie que l’abeille, lorsqu’avec le suc des fleurs, elle construit artistement des rayons de miel : mais comme elle avait eu dès sa plus tendre enfance le désir sincère d’être toujours obéissante envers Jésus et l’Eglise, elle avait trouvé grâce devant Dieu, qui pour récompenser sa bonne volonté, avait transformé sa nature de manière à ce qu’elle se tournât spontanément et irrésistiblement vers l’Eg1ise comme une plante vers la lumière, même quand on l’entoure d’une nuit artificielle.

Le samedi 8 mars 1823, après le coucher du soleil, comme elle venait de raconter, non sans beaucoup de peine, les scènes de la flagellation de Notre-Seigneur, elle se fut tout à coup, et celui qui écrit ces pages croyait que son âme était déjà passée à la contemplation du couronnement d’épines. Mais après quelques minutes de repos, son visage, altéré et défait comme celui d’une agonisante, brilla d’une douce et aimable sérénité, et elle prononça quelques paroles de ce ton affectueux avec lequel une personne innocente parle à des enfants : “  Ah ! l’aimable petit garçon ! disait-elle. Qui est-il donc ? Attendez, je vais le lui demander.–il s’appelle le petit Joseph.–Il vient à moi en courant à travers la foule. – Le pauvre enfant ! – il est si aimable, il sourit ; il ne sait rien de ce qui se passe.– il me fait pitié ; il est presque nu ; j’ai peur qu’il n’ait froid.–L’air est si frais ce matin.–Attends, je vais te couvrir un peu ”. Après ces paroles, prononcées avec tant de vérité qu’on eût pu regarder autour de soi si l’enfant n’y était pas, elle prit des linges qui étaient prés d’elle, et fit tous les gestes d’une personne compatissante qui veut préserver du froid un petit enfant. Son ami l’observa attentivement et soupçonna que ces gestes indiquaient une prière et un acte intérieur comme il l’avait souvent remarqué déjà.
Cependant il ne put avoir alors l’explication de ce qui avait motivé ses paroles ; car il y eut un changement subit dans son état. Une personne qui la soignait fit entendre le mot d’obéissance : ce mot était le nom d’un des voeux par lesquels elle s’était consacrée au Seigneur, et à l’instant elle recueillit ses esprits comme un enfant docile que sa mère appelle à elle, en le réveillant d’un profond sommeil. Elle saisit vivement son rosaire et le petit crucifix qu’elle avait toujours sur elle, ajusta ses vêtements, se frotta les yeux, et se mit sur son séant ; puis on la porta de son lit sur une chaise, incapable qu’elle était de se tenir debout ou de marcher : c’était le temps où l’on faisait son lit. Son ami la quitta pour mettre par écrit ce qu’il avait recueilli dans la journée.

Le dimanche 9 mars, il demanda à la personne qui la soignait : “ Que voulait dire la malade hier soir, lorsqu’elle parlait d’un enfant appelé Joseph ” ? Et cette personne répondit : “  Elle a été encore longtemps occupée du petit Joseph, c’est le fils d’une de mes cousines qu’elle aime beaucoup. J’ai peur que cela ne présage d’une maladie a cet enfant ; car elle a dit plusieurs fois qu’il était presque nu, qu’elle craignait qu’il n’eût froid ”. Son ami se ressouvint alors d’avoir vu, en effet, ce petit Joseph jouer plusieurs fois sur le lit de la malade, et il crut seulement qu’elle avait rêvé la veille à cet enfant. Lorsque plus tard il la visita, pour se faire raconter par elle la suite des scènes de la Passion, il la trouva, contre son attente, plus sereine et en meilleur état que les jours précédents. Elle lui dit qu’elle n’avait plus rien vu après la flagellation et lorsqu’il la questionna au sujet de ce petit Joseph dont elle avait tant parlé, elle ne se souvint plus d’avoir pensé cet enfant. Il lui demanda ce qui faisait qu’elle était en ce jour beaucoup plus calme, plus sereine et mieux portante, et elle répondit qu’il en était toujours ainsi au milieu du Carême, que l’Eglise chantait avec Isaïe à l’introït du saint sacrifice de la messe : “ Réjouis-toi, Jérusalem ! Rassemblez-vous, vous tous qui l’aimez ; réjouissez-vous, vous qui étiez tristes ; soyez dans la joie, et rassasiez-vous des mamelles de votre consolation ” ; que c’était donc un jour d’allégresse ; que d’ailleurs, dans l’Evangile du jour, le Seigneur avait nourri cinq mille hommes avec cinq pains et deux poissons, dont il était reste douze corbeilles, qu’il fallait donc se réjouir. Elle ajouta qu’il l’avait aussi nourrie le matin avec la sainte communion, et qu’en ce jour de Carême, elle s’était sentie fortifiée corporellement et spirituellement. Son ami jeta les yeux sur l’almanach de Munster, et il y vit qu’outre le dimanche de Laetare, on célébrait encore, dans ce diocèse, la fête de saint Joseph, ce qu’il ignorait, parce qu’ailleurs cette fête tombe le 19 mars. Il le lui rit remarquer, et lui demanda si ce n’était pas là ce qui l’avait fait parler de Joseph, et elle lui dit qu’elle savait bien que c’était la fête du père nourricier de Jésus ; mais qu’elle n’avait point pensé à cet enfant qui portait son nom et qu’on amenait quelquefois près d’elle. Au milieu de cette conversation, elle se souvint tout à coup de ce qui avait été l’objet de sa vision de la veille. C’était, en effet, une joyeuse image de saint Joseph, qui, à l’occasion de sa fête et du dimanche de Laetare, s’était introduite tout d’un coup au milieu des visions de la Passion.

Nous avons souvent reconnu que celui qui lui parlait lui envoyait souvent ses messagers sous une forme enfantine, et que cela arrivait toujours dans des cas où l’art humain aussi aurait pu se servir d’une figure d’enfant pour interpréter sa pensée. Si, par exemple, une de ses visions de l’histoire sainte lui représentait une prophétie accomplie, elle voyait courir près du tableau qui se déroulait sous ses yeux un enfant qui, dans sa pose, dans son vêtement. dans la manière dont il portait à la main ou faisait flotter en l’air au bout d’un bâton un écrit prophétique reproduisait les traits caractéristiques de tel ou tel prophète. Avait-elle de grandes douleurs à souffrir, il venait vers elle un petit enfant doux et silencieux, habillé de vert ; il s’asseyait, d’un air résigné, dans une position très incommode, sur le bord étroit et dur de son lit, se laissait porter d’un bras à l’autre, ou poser à terre sans rien dire. Il la regardait constamment d’un air affectueux, et lui donnait des consolations : c’était la patience. Si, dans un moment de fatigue ou de souffrance extraordinaire prise pour soulager autrui, elle entrait en rapport avec un saint, soit par la célébration de sa fête, soit par l’intermédiaire d’une relique, elle ne voyait que des scènes de l’enfance de ce saint, tandis que, dans d’autres cas, elle voyait son martyre, avec les plus terribles circonstances. Dans ses plus grandes souffrances, lorsqu’elle était totalement épuisée, la consolation, souvent même l’instruction et l’avertissement lui venaient par des figures d’enfants. Il arrivait souvent aussi que, dans certaines peines, dans certaines angoisses auxquelles elle ne savait pas résister, elle s’endormait, et se trouvait reportée à quelque danger couru pendant son enfance. Elle croyait, comme le montraient ses paroles et ses gestes pendant son sommeil, être redevenue une pauvre petite paysanne de cinq ans, qui, en voulant traverser une haie, restait prise dans les épines et pleurait. C’étaient toujours des scènes réelles de son enfance qui se reproduisaient alors, et l’application en était souvent faite par des paroles comme celles-ci : “ Pourquoi cries-tu ? Je ne te tirerai pas de la haie tant que tu n’attendras pas mon secours patiemment, en me priant avec amour ”. Elle avait obéi à cet ordre étant enfant, lorsqu’elle se trouvait dans la haie, et elle le suivait dans sa vieillesse, lors de ses plus terribles épreuves, puis, quand elle était réveillée, elle parlait en riant de la haie où elle avait été emprisonnée, de ce moyen de la patience et de la prière qui lui avait été donné comme une clef pour en sortir, qu’eue avait reçu dans son enfance et qu’elle avait souvent négligé, mais auquel elle recourait de nouveau avec une confiance qui n’était jamais trompée. Ce rapport symbolique de certaines circonstances de son enfance avec les événements de sa vie postérieure, montrait qu’il y a dans la vie de l’individu, comme dans cette de l’humanité, des types prophétiques. Mais à l’individu, comme au genre humain, un type divin a été donné dans la personne du Rédempteur, afin que l’un et l’autre, s’élançant sur ses traces, et dépassant avec son aide les bornes de la nature, arrivent à la pleine liberté de l’esprit, à l’âge de la plénitude du Christ ; en sorte qua la volonté de Dieu se fasse sur la terre comme dans le ciel et que son règne nous arrive.

Elle raconta les fragments suivants des visions qui, la veille, avaient interrompu les scènes de la Passion, au moment des premières vêpres de la fête de saint Joseph.

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LA PASSION DE JESUS© par campionpierre. Tous droits réservés.

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