146 Chapitre 72 : LES AMIS DE JESUS LE SAMEDI SAINT
LES AMIS DE JESUS LE SAMEDI SAINT
Je vis hier au soir environ vingt hommes rassemblés an Cénacle ; ils avaient de longs habits blancs avec des ceintures, et célébraient le sabbat, ainsi que je l’ai dit plus haut. Ils se séparèrent pour se livrer au sommeil, et plusieurs regagnèrent leurs demeures accoutumées. Aujourd’hui encore, je les vis rassemblés au Cénacle ; ils gardaient le silence la plupart du temps et se succédaient pour faire la prière ou la lecture ; de nouveaux venus étaient introduits de temps en temps.
Dans la partie de la maison où se tenait la sainte Vierge il y avait une grande salle où l’on avait pratiqué, au moyen de tapis et de cloisons mobiles, quelques cellules séparées pour ceux qui voulaient y passer la nuit. Lorsque les saintes femmes, revenues du tombeau, eurent remis en place les objets dont elles s’étaient servies, une d’elles alluma une lampe suspendue au milieu de cette salle, et sous laquelle elles vinrent se placer autour de la sainte Vierge ; elles prièrent à tour de rôle avec beaucoup de tristesse et de recueillement et prirent ensuite une petite réfection. Bientôt entrèrent Marthe, Maroni, Dina et Mara, lesquelles après le sabbat étaient venues de Béthanie avec Lazare, celui-ci était allé trouver les disciples dans le Cénacle. On leur raconta avec larmes la mort et la sépulture du Sauveur ; puis, comme il était tard, quelques-uns des hommes, parmi lesquels Joseph d’Arimathie, vinrent prendre celles des saintes femmes qui voulaient retourner chez elles dans la ville. Comme ils s’en revenaient ensemble, Joseph, ainsi que je l’ai déjà dit, fut enlevé prés de Caiphe et renfermé dans une tour.
Les femmes, restées au Cénacle, entrèrent dans les cellules disposées autour de la salle, s’enveloppèrent la tête de longs voiles et restèrent quelque temps silencieuses et tristes, assises par terre et appuyées contre les couvertures qui étaient roulées prés du mur ; puis elles se levèrent, déployèrent ces couvertures, ôtèrent leurs souliers, leurs ceintures et une partie de leurs vêtements, se voilèrent de la tête aux pieds, comme elles ont d’habitude de le faire pour dormir, et se placèrent sur les couches pour prendra un peu de sommeil. A minuit, elles se relevèrent, s’habillèrent, roulèrent leurs couches et se rassemblèrent sous la lampe autour de la sainte Vierge afin de prier encore.
Quand la mère de Jésus et ses compagnes, quoique brisées par de si grandes souffrances, eurent satisfait à ce devoir de la prière nocturne, que je vois soigneusement rempli dans toute la suite des temps par les fidèles enfants de Dieu et les âmes saintes qu’une grâce particulière y excite, ou qui le font pour se conformer à des règles prescrites par Dieu et son Eglise, Jean vint frapper à la porte de leur salle avec quelques disciples, et aussitôt elles s’enveloppèrent dans leurs manteaux et le suivirent au Temple avec la sainte Vierge.
Vers trois heures du matin, au moment à peu près où le tombeau fut scelle, je vis la sainte Vierge se rendre au Temple, accompagnée des autres saintes femmes, de Jean et de plusieurs autres disciples. Beaucoup de Juifs avalant coutume de se rendre au Temple avant l’aurore, le lendemain du jour où ils avaient mangé l’Agneau pascal ; aussi le Temple était-il ouvert dés minuit, parce que les sacrifices commençaient de très bonne heure. Mais la fête ayant été troublée, et le Temple rendu impur par les prodiges de la veille, on avait tout abandonné, et il me sembla que la sainte Vierge venait seulement prendre congé du Temple où elle avait été élevée, et où elle avait adora le Saint des saints, jusqu’à ce qu’elle-même portât dans ses entrailles le Saint des saints lui-même, le véritable Agneau pascal qui avait été si cruellement immolé la veille. Il était ouvert selon l’usage ; les lampes étaient allumées, et le parvis des prêtres accessible au peuple, ainsi que cela devait avoir lieu ce jour-là ; mais le Temple était presque vide, à l’exception de quelques gardiens et de quelques serviteurs ; tout y était encore en désordre par suite des terribles incidents de la veille : il avait été profané par les apparitions des morts, et je me demandais toujours : Comment pourra-t-on le purifier de nouveau ?
Les fils de Siméon et les neveux de Joseph d’Arimathie, que la nouvelle de l’emprisonnement de leur oncle avait fort attristés, vinrent joindre la sainte Vierge et ses compagnons, et les conduisirent partout, car ils étaient surveillants dans le Temple ; tous contemplèrent avec terreur les signes de la colère de Dieu, dont ils adorèrent les desseins en silence ; seulement ceux qui conduisaient la sainte Vierge racontaient de, temps en temps, en peu de mots, les événements de la veille. On n’avait encore réparé presque aucun des dégâts causés par le tremblement de terre. Au lieu où le parvis et le sanctuaire se réunissent, le mur s’était tellement écarté de part et d’autre, qu’on pouvait passer dans l’ouverture ; tout menaçait encore de s’écrouler. Le linteau qui était au-dessus du rideau placé devant le sanctuaire s’était affaissé : les colonnes qui le supportaient avaient fléchi et le rideau, déchire du haut au bas, pendait des deux côtés. La chute de la grosse pierre qui s’était détachée du cote septentrional du Temple, près de l’oratoire du vieux Siméon, avait ouvert, à l’endroit où Zacharie était apparu, une telle brèche dans le mur du parvis, que les saintes femmes purent y passer sans obstacle, et, placées prés de la grande chaire où Jésus, encore enfant, avait enseigné, voir dans l’intérieur du Saint des saints à travers le rideau déchiré, ce qui, autrement, ne leur eût pas été permis. Ce n’était partout que murs crevassés, dalles enfoncées, colonnes ébranlées et penchées. La sainte Vierge se rendit à tous les endroits que Jésus avait rendus sacrés pour elle ; elle se prosterna pour les baiser, et exprima ses sentiments par des larmes et par quelques paroles touchantes : ses compagnes l’imitèrent.
Les Juifs ont une grande vénération pour tous les lieux sanctifiés par quelque manifestation de la puissance divine ; ils les touchent, les baisent et s’y prosternent je visage contre terre. Je ne saurais m’en étonner, car, sachant et croyant que le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob est un Dieu vivant, qu’il habitait parmi son peuple, dans sa maison, le Temple de Jérusalem, il eût été bien plus étonnant qu’ils ne lui donnassent pas ces marques de respect. Celui qui croit à un Dieu vivant, père, rédempteur et sanctificateur des hommes, ses enfants, ne s’étonne pas qu’il habite vivant parmi les vivants et que ceux-ci lui témoignent, à lui et à tout ce qui le touche, plus d’amour, de respect et d’adoration qu’à leurs parents, amis, maîtres, magistrats et princes terrestres. Le Temple et les lieux sanctifiés faisaient éprouver aux Juifs quelque chose de ce que nous autres chrétiens éprouvons devant le Saint Sacrement. Mais il y avait, chez les Juifs, des aveugles et de soi-disant éclairés, de même qu’il y en a chez nous, qui n’adorent pas le Dieu vivant et présent, tandis qu’ils rendent un culte superstitieux aux idoles du monde. Ils ne se souviennent pas des paroles de Jésus-Christ : Celui qui me renie devant les hommes, je le renierai devant mon Père céleste . Ces hommes qui mettent sans relâche au service de l’esprit du monde et de ses mensonges, leurs pensées, leurs paroles et leurs actions, qui rejettent tout culte extérieur envers Dieu, disent bien, quand ils n’ont pas rejeté Dieu lui-même comme trop extérieur, qu’ils adorent Dieu en esprit et en vérité , mais ils ne savent pas que cela veut dire l’adorer dans le Saint Esprit et dans le Fils, qui a pris chair de la Vierge ! Marie, qui a rendu témoignage à la vérité, qui a vécu parmi nous, qui est mort pour nous sur la terre et qui veut rester près de son Eglise, présent dans le Saint Sacrement, jusqu’à la consommation des siècles.
La sainte Vierge, accompagnée de ses amies, visita plusieurs endroits du Temple avec un respect religieux ; elle leur montra le lieu de sa présentation lorsqu’elle était encore enfant, ceux où elle avait été élevée, où elle avait épousé saint Joseph, où elle avait présenté Jésus, où Siméon et Anne avaient prophétisé ; elle pleura amèrement à ce souvenir, car la prophétie était accomplie, le glaive avait traversé son âme. Elle montra aussi l’endroit où elle avait trouve Jésus enseignant dans le Temple, et elle baisa respectueusement la chaire. Elles s’arrêtèrent encore près du tronc où la veuve avait jeté son denier et au lieu où le Seigneur avait pardonné à la femme adultère. Quand elles eurent ainsi rendu l’hommage de leurs souvenirs, de leurs larmes et de leurs prières, à toutes les places sanctifiées par Jésus, elles retournèrent à Sion.
La sainte Vierge se sépara du Temple avec une profonde tristesse et en versant des larmes abondantes ; la désolation et la solitude qui y régnaient en un jour si saint témoignaient des crimes de son peuple ; elle se souvint que Jésus avait pleuré sur le Temple, et qu’il avait dit : Renversez ce Temple, et je le rebâtirai en trois jours. Elle pensa que les ennemis de Jésus avaient détruit le temple de son corps, et désira ardemment voir luire le troisième jour, où la parole de l’éternelle vérité devait s’accomplir.
De retour au Cénacle au point du jour, Marie et ses compagnes se retirèrent dans la partie des bâtiments située à droite. Jean et les disciples se séparèrent d’elles à l’entrée et se joignirent aux autres hommes, au nombre d’une vingtaine, qui, rassemblés dans la grande salle, y passèrent dans le deuil toute la journée du sabbat, priant alternativement sous la lampe. De temps en temps de nouveaux venus s’introduisaient timidement, et l’on s’entretenait en pleurant : tous éprouvaient un respect mêlé d’un peu de confusion pour Jean qui avait assisté à la mort du Seigneur. Jean était bienveillant et affectueux pour tous, et il avait la simplicité d’un enfant dans ses rapports avec eux. le les vis manger une fois : du reste le plus grand calme régnait dans la maison, et les portes étaient fermées. On ne pouvait d’ailleurs les y inquiéter, car cette maison appartenait à Nicodème et ils l’avaient louée pour le repas pascal.
Je vis de nouveau les saintes femmes rassemblées jusqu’au soir dans la grande salle, éclairée seulement par la lumière d’une lampe, car les portes étaient fermées et les fenêtres voilées. Tantôt elles priaient autour de la sainte Vierge sous la lampe, tantôt elles se retiraient à part, couvraient leur tête de leurs voiles de deuil, et s’asseyaient sur des cendres en signe de douleur, ou priaient je visage tourné vers la muraille. Toutes les fois qu’elles se rassemblaient pour prier sous la lampe ; elles déposaient leurs manteau : de deuil. Je vis que les plus faibles d’entre elles prirent un peu de nourriture, les autres jeûnèrent.
Mon regard se tourna plusieurs fois vers elles et je les vis toujours prier ou marquer leur douleur de la manière que j’ai décrite. Quand ma pensée s’unissait à celle de la sainte Vierge qui était toujours occupée de son fils je voyais le saint Sépulcre et six ou sept gardes assis à l’entrée : contre la porte du caveau se tenait Cassius, plongé dans la méditation. Des portes du tombeau étaient fermées, et la pierre était devant. Je vis pourtant encore à travers les portes le corps du Seigneur, tel qu’on l’y avait déposé, entouré de splendeur et de lumière, et deux anges en adoration. Mais ma méditation s’étant dirigée vers la sainte âme du Rédempteur, je vis un tableau si vaste et si compliqué de la descente aux enfers, que je n’ai pu en retenir qu’une faible partie : je vais la raconter du mieux que je pourrai.