147 Chapitre 73 : FRAGMENT SUR LA DESCENTE AUX ENFERS
FRAGMENT SUR LA DESCENTE AUX ENFERS
Lorsque Jésus, poussant un grand cri, rendit sa très sainte âme, je la vis, semblable à une forme lumineuse. entrer en terre au pied de la croix ; plusieurs anges, parmi lesquels était Gabriel, l’accompagnaient. Je vis sa divinité rester unie avec son âme aussi bien qu’avec son corps suspendu sur la croix ; je ne puis exprimer comment cela se faisait. Je vis le lieu où l’âme de Jésus entra divisé en trois parties : c’étaient comme trois mondes ; j’eus le sentiment qu’ils étaient de forme ronde et que chacun d’eux avait sa sphère séparée.
Devant les limbes était un lieu plus clair et, pour ainsi dire, plus verdoyant et plus serein : c’est là que je vois entrer les âmes délivrées du purgatoire avant qu’elles soient conduites au ciel. Les limbes où se trouvaient ceux qui attendaient leur délivrance étaient entourés d’une sphère grisâtre et nébuleuse, et divisés en plusieurs cercles. Le Sauveur, resplendissant de lumière et conduit comme en triomphe par les anges, passa entre deux de ces cercles, dont celui de gauche renfermait les patriarches antérieurs à Abraham ; celui de droite, les âmes de ceux qui avaient vécu depuis Abraham jusqu’à saint Jean-Baptiste. Quand Jésus passa ainsi, ils ne le reconnurent pas encore, mais tout se remplit de joie et de désir, et il y eut comme une dilatation dans ces lieux étroits, séjour de l’attente et d’un désir plein d’angoisse. Jésus passa entre ces deux cercles jusque dans un lieu enveloppé de brouillards, où se trouvaient Adam et Eve ; il leur parla, et ils l’adorèrent avec un ravissement inexprimable. Le cortège du Seigneur, auquel s’était joint le premier couple humain, entra maintenant à gauche dans le cercle des patriarches antérieurs à Abraham : c’était une espèce de purgatoire. Parmi eux se trouvaient ça et là de mauvais esprits qui tourmentaient et inquiétaient de bien des manières les âmes de quelques-uns. Les anges frappèrent et ordonnèrent d’ouvrir, car il y avait là une entrée, une espèce de porte qui était fermée ; il me sembla que les anges disaient : Ouvrez les portes et Jésus entra en triomphe. Les mauvais esprits s’éloignèrent en criant : Qu’y a-t-il entre toi et nous ? que viens-tu faire ici ? veux-tu aussi nous crucifier ? Les anges les enchaînèrent et les chassèrent devant eux. Les âmes qui étaient en ce lieu n’avait qu’un faible pressentiment et une connaissance obscure de Jésus, il s’annonça à elles, et elles chantèrent ses louanges. L’âme du Seigneur se dirigea ensuite à droite, vers les limbes proprement dits ; il y rencontra l’âme du bon larron, conduite par les anges dans le sein d’Abraham, et celle du mauvais larron, que les démons menaient en enfer. L’âme de Jésus leur adressa la parole ; puis, accompagnée des anges, des âmes délivrées et des mauvais esprits captifs, elle entra dans le sein d’Abraham.
Ce lieu me parut un peu plus élevé ; c’est comme quand on monte de l’église souterraine dans l’église supérieure. Les démons enchaînés résistaient et ne voulaient pas entrer la, mais les anges les y forcèrent. Là se trouvaient tous les saints Israélites : à gauche, les patriarches, Moïse, les juges et les rois ; à droite, les prophètes, les ancêtres du Christ et ses parents, tels que Joachim, Anne, Joseph, Zacharie, Elisabeth et Jean. Il n’y avait point de mauvais esprits en ce lieu : la seule peine qu’on y éprouvât était l’ardent désir de l’accomplissement de la promesse, lequel se trouvait maintenant satisfait. Une joie et un bonheur inexprimables entrèrent dans toutes ces âmes, qui saluèrent et adorèrent le Rédempteur ; quant aux mauvais esprits enchaînés, ils furent forcés de confesser devant elles la honte de leur défaite. Plusieurs d’entre elles furent envoyées sur la terre pour reprendre momentanément leurs corps et rendre témoignage au Sauveur. Ce fut dans ce moment que tant de morts sortirent de leurs tombeaux à Jérusalem. Ils apparurent comme des cadavres errants, et déposèrent de nouveau leurs corps dans la terre, de même qu’un messager de la justice dépose son manteau officiel lorsqu’il a rempli l’ordre de ses supérieurs.
Je vis ensuite le cortège triomphal du Sauveur entrer dans une sphère plus profonde, où se trouvaient, dans une espèce de lieu de purification, les pieux païens qui avaient pressenti la vérité et l’avaient désirée. Il y avait de mauvais esprits parmi eux, car ils avaient des idoles. Je vis les démons forcés de confesser leur fraude, et ces âmes adorèrent le Seigneur avec une joie touchante. Les démons jurent encore ici enchaînés et emmenés captifs. Je vis ainsi Jésus traverser rapidement en triomphateur et en libérateur beaucoup de lieux où des âmes étaient renfermées et accomplir une infinité de choses ; mais mon triste état ne me permet pas de tout raconter.
Je le vis enfin s’approcher avec un air sévère du centre de l’abîme. L’enfer m’apparut sous la forme d’un édifice immense, effrayant, formé de noirs rochers brillant d’un éclat métallique, à l’entrée duquel étaient d’énormes portes noires fermées avec des serrures et des verrous et dont l’aspect faisait frémir. Un hurlement de désespoir se fit entendre, les portes furent enfoncées et un horrible monde de ténèbres apparut.
La céleste Jérusalem m’apparaît ordinairement comme une ville où les demeures des bienheureux se montrent sous la figure de palais et de jardins pleins de fleurs et de fruits merveilleux, selon leurs conditions de béatitude : de même, ici, je crus voir un monde tout entier, avec ses édifices, ses demeures et ses champs. Mais, dans le séjour des bienheureux, tout est disposé selon des rapports de pais infinie, d’harmonie et de joie éternelle : tout a la béatitude pour source et pour base, tandis qu’en enfer tout se trouve dans des rapports de colère éternelle, de discordes et de désespoir. Dans le ciel, ce sont des édifices diaphanes d’une beauté inexprimable, faits pour la joie et l’adoration, des jardins pleins de fruits merveilleux qui communiquent la vie. En enfer, ce sont des cachots et des cavernes, des déserts et des marais pleins de tout ce qui peut exciter l’horreur et le dégoût. Je vis des temples, des autels, des châteaux, des trônes, des jardins, des lacs, des fleuves, formes de la malédiction, de la haine, de l’abomination, du désespoir, de la contusion, de la peine et du supplice : de même que dans le ciel, tout est bénédiction, amour, concorde joie et béatitude. Ici, l’éternelle et terrible discorde des réprouvés ; là, l’union bienheureuse des saints. Toutes les racines de la corruption et de l’erreur produisent ici la douleur et le supplice dans un nombre infini de manifestations et d’opérations : chaque damné a cette pensée toujours présente que les tourments auxquels il est livré sont le fruit naturel et nécessaire de son crime : car tout ce qu’on voit et qu’on éprouve d’horrible dans ce lieu n’est que l’essence, la forme intérieure du péché démasqué, de ce serpent qui dévore ceux qui l’ont nourri dans leur sein. Je vis là une effrayante colonnade où tout se rapportait à la terreur et à l’angoisse comme dans le royaume de Dieu à la paix et au repos, etc. Tout cela peut se comprendre quand on le voit, mais c’est presque impossible à expliquer par des paroles.
Lorsque les portes eurent été enfoncées par les anges ce fut comme un chaos d’imprécations, d’injures, de hurlements et de plaintes. Je vis Jésus adresser la parole à l’âme de Judas. Quelques anges terrassèrent des armées entières de démons. Tous durent reconnaître et adorer Jésus, et ce fui le plus affreux de leurs supplices. Beaucoup furent enchaînés dans un cercle qui entourait d’autres, lesquels se trouvèrent aussi emprisonnés. Au milieu de l’enfer était un abîme de ténèbres : Lucifer y fut jeté chargé de chaînes, et de noires, vapeurs bouillonnèrent autour de lui. Tout cela se fit d’après certains décrets divins. J’appris que Lucifer doit être déchaîné cinquante ou soixante ans avant l’an 2000 du Christ, si je ne me trompe Beaucoup d’autres chiffres, dont je ne me souviens plus, furent indiqués. Quelques démons doivent être relâchés auparavant pour punir et tenter le monde. Quelques-uns, à ce que je crois, ont dû être déchaînés de nos jours, d’autres le seront bientôt après. Il m’est impossible de dire tout ce qui m’a été montré : il y a trop de choses pour que je puisse les mettre en ordre. D’ailleurs, je suis bien malade, et, quand je parle de ces objets, ils se représentent devant mes yeux, et leur vue pourrait faire mourir.
Je vis encore des troupes innombrables d’âmes rachetées s’élever du purgatoire et des limbes à la suite de l’âme de Jésus, jusqu’en un lieu de délices, au-dessous de la céleste Jérusalem. C’est il que j’ai vu, il y a peu de temps, un de mes amis décédé. L’âme du bon larron y vint et vit le Seigneur dans le paradis, selon sa promesse. Je vis qu’en ce lieu étaient préparées pour les âmes des tables célestes comme celles que je vois souvent dans des visions de consolation (1), et qu’elles y prenaient une nourriture qui les remplissait de force et de joie.
Je ne puis préciser dans tout cela aucun temps ni aucuns succession. Je ne saurais non plus raconter tout ce que j’ai vu et entendu ; il y a bien des choses que je ne comprends plus, il y en a d’autres qui seraient mal comprises si je les racontais. J’ai vu le Seigneur en différents endroits, notamment dans la mer : il semblait sanctifier et délivrer toute la création, Partout les mauvais esprits fuyaient devant lui et se précipitaient dans l’abîme. Je vis aussi son âme en différents endroits dans l’intérieur de la terre. Je la vis paraître dans le tombeau d’Adam, sous le Golgotha : les âmes d’Adam et d’Eve vinrent l’y trouver, et il leur parla Je le vis avec elles visitant sous la terre les tombeaux de plusieurs prophètes dont les âmes vinrent se joindre à lui, prés de leurs ossements. Puis, avec cette troupe élue dont David faisait partie, je le vis paraître en plusieurs lieux marqués par quelque circonstance de sa vie, leur expliquant avec un amour ineffable ce qui leur était arrivé de figuratif dans ces mêmes lieux et comment il avait accompli toutes les figures. Je la vis notamment expliquer aux âmes beaucoup d’événements figuratifs qui avaient eu lieu, sous l’ancienne loi, à l’endroit où il devait être baptisé, et je méditais avec une émotion profonde sur l’infinie miséricorde de Jésus qui les rendait, participants des fruits de son saint baptême. Il était singulièrement touchant de voir l’âme du Seigneur, accompagnée de ces âmes bienheureuses, passer comme un rayon de lumière à travers la terre, les rochers, les eaux et les airs, ou planer doucement sur la terre.
(1) Voir la note plus haut.
C’est là le peu que je puis me rappeler de mes visions sur la descente de Jésus aux enfers et sur la rédemption des âmes des patriarches accomplie après sa mort. Mais outre cet événement accompli dans le temps, je vis une image éternelle de la miséricorde qu’il exerce en ce jour envers les pauvres âmes. Je vis que, chaque anniversaire de ce jour, il jette, par l’intermédiaire de l’Eglise, un regard libérateur dans le purgatoire : aujourd’hui même, au moment où j’ai eu cette vision, il a tiré du lieu de purification les âmes de quelques personnes qui avaient péché lors de son crucifiement. J’ai vu la délivrance de beaucoup d’âmes connues et inconnues, mais je ne les nomme pas.
Aujourd’hui, la soeur étant dans son état extatique, dit encore à peu près ce qui suit : La première descente de Jésus aux limbes est l’accomplissement de figures antérieures et elle est à son tour une figure dont l’accomplissement est la rédemption actuelle. La descente aux enfers dont j’ai eu la vision, est un tableau appartenant à un temps qui n’est plus, mais la rédemption d’aujourd’hui est une vérité permanente : car la descente de Jésus aux enfers est la plantation d’un arbre de grâce, destiné à communiquer ses mérites aux âmes en souffrance. La rédemption continuelle et actuelle de ces âmes est le fruit que porte cet arbre dans le jardin spirituel de l’Eglise. Mais l’Eglise militante doit prendre soin de l’arbre et recueillir les fruits, afin de les communiquer à l’Eglise souffrante qui ne peut rien faire pour elle-même. Il en est ainsi de tous les mérites du Christ : il faut travailler avec lui pour y avoir part. Nous devons manger notre pain à la soeur de notre front. Tout ce que Jésus a fait pour nous dans le temps porte des fruits éternels ; mais nous devons les cultiver et les recueillir dans le temps, sans quoi nous ne pourrions en jouir dans l’éternité. L’Eglise est un père de famille accompli : son année est le jardin complet de tous les fruits éternels dans le temps. Il y a dans un an assez de tout pour tous. Malheur aux jardiniers paresseux et infidèles, s’ils laissent se perdre une grâce qui aurait pu guérir un malade, fortifier un faible, rassasier un affamé ! ils rendront compte du plus petit brin d’herbe au jour du jugement.