« Un homme planta une vigne ; il l’entoura d’une haie, y creusa un pressoir, bâtit une tour, l’afferma à des vignerons et partit en voyage. En son temps, il envoya aux vignerons un serviteur pour qu’il reçût des vignerons sa part du produit de la vigne. Ceux-ci se saisirent de lui, le battirent et le renvoyèrent les mains vides. Une seconde fois, il députa vers eux un autre serviteur ; celui-là, ils le frappèrent à la tête et l’accablèrent d’outrages. De nouveau il leur en envoya un autre, ils le tuèrent ; et beaucoup d’autres : ils frappèrent les uns et tuèrent les autres. Il avait encore son fils unique très aimé : il le leur envoya en dernier lieu, disant : ils respecteront mon fils. Mais les vignerons se dirent entre eux : voici l’héritier ; allez, tuons-le, et l’héritage sera nôtre. Ils se saisirent de lui, le tuèrent et le jetèrent hors de la vigne. Que fera donc le maître de la vigne ? Il viendra et fera périr les vignerons, et il donnera sa vigne à d’autres. »
On trouve encore, en Judée, d’antiques excavations, vestiges de pressoirs creusés dans la roche dans lesquels les raisins étaient foulés et d’où le jus s’écoulait pour être vinifié. On rencontre aussi des tas de pierres, qui proviennent des ruines des tours de garde dans lesquelles le chef des ouvriers viticoles exerçait sa surveillance. En Judée, au temps de Jésus, les vignes constituaient un élément essentiel du paysage et les travaux s’y rapportant, déterminaient le rythme de la vie locale.
Il ne faut pas imaginer les vignobles tels que nous les connaissons aujourd’hui. Chaque pied de vigne était marié avec un arbre fruitier qui lui servait de tuteur. Cette technique de culture dite en « hautain » perdurera très longtemps. Dix siècles plus tard, les moines-vignerons du Moyen Âge la pratiquent encore. Dans l’Empire romain, les grands domaines viticoles étaient affermés à des vignerons qui l’exploitaient en échange d’un loyer annuel. C’est son versement que le propriétaire vient justement réclamer par l’intermédiaire de serviteurs qui seront tous tués par les vignerons félons.
Le maître de la vigne ne semble pas vouloir admettre la réalité de la forfaiture et de la cruauté de ses fermiers prêts à tout pour s’emparer de son bien. Il est disposé à leur trouver des circonstances atténuantes. Peut-être ont-ils cru que les messagers n’agissaient pas sur ordre de sa part, qu’ils étaient des usurpateurs. Il finira alors par envoyer son fils unique, son héritier légitime, celui dont les droits sont indiscutables. Il y a trop longtemps que ces mauvais vignerons considèrent la bonté de leur maître comme de la faiblesse. Ils pensent pouvoir agir une fois encore en toute impunité. Ainsi, le fils connaîtra le même sort. Il ne faut pas voir dans cette parabole la mise en scène d’un quelconque conflit social entre un propriétaire intransigeant et ses fermiers exploités et révoltés. Jésus est confronté aux Pharisiens et aux Docteurs de la loi qui se sont approprié la vigne, c’est-à-dire le peuple d’Israël. Ils l’ont détourné de Dieu pour lui faire emprunter leur propre chemin et satisfaire leurs intérêts personnels. Ils ont parfaitement compris que cette parabole les visait directement en les assimilant aux « vignerons homicides ».
Dieu a envoyé son propre Fils pour nous racheter et nous continuons de le crucifier par nos propres péchés.
À partir de ce moment, ils n’auront de cesse de chercher à faire arrêter Jésus pour qu’il soit jugé et châtié. Leurs prédécesseurs ont tué les prophètes que l’on peut assimiler aux serviteurs et eux mettront à mort l’Héritier, le Fils unique de Dieu. Comme les vignerons homicides, ils se croient intouchables ; comme eux ils seront condamnés et remplacés par d’autres. Cette parabole s’adresse également à chacun d’entre nous. Dieu comme le propriétaire parti en voyage, nous fait confiance et nous laisse libre sans chercher à nous contraindre et à nous écraser de sa puissance.
Il a envoyé son propre Fils pour nous racheter et nous continuons de le crucifier par nos propres péchés. Il nous suffit pourtant quelles que soient nos fautes de répondre favorablement à la miséricorde et à l’amour de Dieu pour retrouver notre place dans les vignes du Seigneur. Dieu ne veut pas la mort du pécheur, c’est ce que cette parabole nous invite à comprendre lorsqu’elle insiste sur les différentes médiations que le propriétaire de la vigne met en œuvre pour exprimer son indulgence envers les vignerons homicides.