CHRONOLOGIE DU NOUVEAU TESTAMENT

Chronologie du Nouveau Testament DICTIONNAIRE BIBLIQUE WESTPHAL

Les auteurs du Nouveau Testament, et même ceux des parties narratives du Nouveau Testament, ne se soucient guère en général de faciliter la tâche des chronologistes de l’avenir. Ils indiquent peu de dates précises. Cependant les déterminations de temps, comme celles de lieu, ne leur sont pas aussi indifférentes qu’on a bien voulu le dire. Ils ne font pas de la rédemption un drame qui se serait joué on ne sait où et on ne sait quand, en dehors de la série temporelle où s’inscrivent les gestes de l’humanité. Le grand fait auquel le Nouveau Testament rend témoignage est la manifestation d’une pensée éternelle ; mais il s’est produit à un moment providentiellement choisi et historiquement assignable (« quand le temps fut accompli, Dieu envoya son fils », Galates 4.4) ; il prend date avec une exactitude suffisante, quelque difficulté que l’on ait, dans le détail, à coordonner les indications chronologiques qui se rapportent soit à la carrière terrestre de Jésus-Christ, soit à l’activité des apôtres, continuateurs attitrés de son œuvre. On distingue la chronologie relative de la chronologie absolue. La première détermine les intervalles qui séparent les événements les uns des autres. La seconde situe chaque événement par rapport à un système général de notation chronologique ; plus précisément, quand il s’agit du Nouveau Testament, elle relève les correspondances qui existent entre les dates de l’histoire évangélique ou apostolique et celles de l’histoire profane. Quelle que soit l’utilité de cette distinction, il ne nous paraît pas à propos de traiter séparément en deux chapitres successifs les deux ordres de questions, ainsi qu’on le fait parfois. Nous noterons, à mesure que la suite naturelle de notre exposé l’exigera, les principaux synchronismes que les textes indiquent ou permettent d’établir, et les données concernant l’ordre relatif et l’espacement des faits, celles-ci venant s’insérer dans le cadre obtenu à l’aide de ceux-là.

I Chronologie de la vie de Jésus

1. La nativité

Jésus est né sous Hérode le Grand (Matthieu 2.1, cf. Luc 6). L’historien juif Flavius Josèphe (Ant., XVII, 8.1 ; Guerre des Juifs, I, 33.8) donne sur la durée du règne de ce prince des indications d’où il résulte qu’il mourut en l’an 750 de la fondation de Rome (4 avant Jésus-Christ). Cette date est confirmée par la chronologie des successeurs d’Hérode, ainsi que par le calcul des éclipses. Josèphe fait mention d’une éclipse de lune qui eut lieu peu avant la mort d’Hérode (Antiquités judaïques, XVII, 6.4).  Comme il nous apprend d’autre part que la fête de Pâque suivit de près cette mort (Antiquités judaïques, XVII, 9.3 ; Guerre des Juifs, II, 1.3), on est fondé à reconnaître dans l’éclipse en question celle que les astronomes disent avoir été visible en Palestine, dans la nuit du 12 au 13 mars de l’an 4 avant Jésus-Christ. Ainsi nous ne pouvons admettre, pour la naissance de notre Seigneur, une date postérieure à ce printemps de l’an 4 avant l’ère chrétienne. Il s’ensuit que cette ère, dont le début a été fixé par les calculs du moine Denys le Petit (VIe siècle), et dont la première année correspond à l’an 754 de Rome, commence trop tard.

Si la mort d’Hérode le Grand fournit un terme en deçà duquel nous ne saurions descendre, il paraît indiqué, par contre, de remonter un peu plus haut que l’année de cette mort. Le récit de Matthieu suppose que, lorsque survint le changement de règne dont la nouvelle ramena la sainte famille en Palestine, le séjour en Égypte durait déjà depuis un certain temps (2.15 et 19). La visite des Mages à Jérusalem ne doit pas se placer aux tout derniers jours de la vie du roi (d’après Josèphe il mourut à Jérico, après avoir vainement essayé des eaux de Callirrhoé, à l’est de la mer Morte). Il faut aussi considérer la consigne donnée quant à l’âge des enfants à massacrer : « deux ans et au-dessous » (Matthieu 2.16). Cela signifie que, vu la date à laquelle les Mages lui ont dit avoir vu l’étoile, Hérode juge prudent de remonter à deux ans en arrière pour être sûr d’atteindre le compétiteur dont il veut se débarrasser.

Un indice chronologique précis peut-il être tiré de la mention même de l’étoile des Mages ? Cette idée n’est point à rejeter a priori. Pour amener au berceau du Rédempteur ces sages d’Orient, versés dans la science astrologique de leur époque, Dieu peut sans doute avoir suscité un miracle dont nulle astronomie ne saurait rendre compte. Mais il peut aussi s’être servi d’un fait naturel, qui pût prendre à leurs yeux la valeur d’un signe. Et du côté même de ceux qui nient la visite des Mages, certains auteurs tiennent pour possible que le récit qui nous en est fait se fonde sur le souvenir d’un phénomène astronomique dûment observé. Mais quel est ce phénomène, et se prête-t-il à une détermination de temps ? Origène pensait déjà à une comète. Cette hypothèse a été reprise par quelques modernes. On reconnaît aujourd’hui que les comètes n’ont pas toujours été regardées dans l’antiquité comme des présages de malheur. Plus précisément on a voulu identifier l’étoile des Mages avec la comète de Halley, qui aurait passé au périhélie en octobre de l’an 12 avant Jésus-Christ. Mais la date de la nativité serait reculée par là plus qu’il n’est vraisemblable d’après l’ensemble des données dont nous disposons. Et d’autres comètes, à révolution connue ou inconnue, ont pu être observées dans les années qui précédèrent la mort d’Hérode (les annalistes chinois en signalent bien une en 12, mais aussi en 8, en 5, en 4). De telle sorte que, s’il s’agit d’un de ces astres chevelus, la mention qui en est faite est dénuée de toute signification pour la chronologie. Même impossibilité de contrôle dans l’hypothèse d’une étoile temporaire, d’une brillante nova, ou dans celle encore d’un simple astéroïde entré en contact avec l’atmosphère terrestre (ceci d’ailleurs est quelque chose de trop fugitif pour que le récit de Matthieu s’y puisse rapporter).

Par contre, l’époque d’une conjonction d’astres peut toujours être déterminée. Kepler vit, en 1603, Jupiter et Saturne réunis dans la constellation des Poissons, et calcula que le fait avait dû se produire aussi en 7 avant Jésus-Christ. Ayant observé l’an d’après l’apparition d’une belle étoile temporaire, il supposa que les Mages avaient été témoins de la même coïncidence de phénomènes. En 1922, le professeur O. Gerhardt a savamment développé une exégèse qui se fonde sur les indications des tables astronomiques, mais sans mettre en cause l’invérifiable intervention d’une nova. L’étoile des Mages serait la planète Saturne, connue comme ayant une importance particulière pour les destinées d’Israël. Le moment décisif évoqué par les mots « nous avons vu son étoile…  » (Matthieu 2.2) serait celui du lever héliaque de cette planète, dans la partie du zodiaque où les Mages avaient prévu sa rencontre avec Jupiter. C’est cette conjonction remarquable et rare, signe pour eux de la naissance du Messie attendu par les Juifs, qui les aurait décidés à se rendre à Jérusalem. Et c’est la réapparition de l’astre à l’horizon méridional de cette ville, puis sa position par rapport à Bethléhem, alors qu’ils approchaient du but de leur voyage, qui les aurait réjouis comme une nouvelle preuve de direction providentielle. Cet ensemble de conditions astronomiques s’est trouvé exactement réalisé en l’an 7 avant Jésus-Christ. La conjonction dura neuf mois, d’avril en janvier de l’année suivante. Comme on le voit, cette interprétation est séduisante à plus d’un égard. On peut y objecter que Matthieu ne dit mot de la conjonction elle-même, qui pourtant serait l’essentiel. Encore n’est-il pas tellement inadmissible qu’un récit populaire se soit attaché au souvenir de l’étoile vue par les mages, en laissant de côté ce qui rendait alors l’observation de Saturne si intéressante pour des astrologues. Et de toute manière c’est bien dans les années 7 à 6 avant notre ère, deux ou trois ans avant la mort d’Hérode, que la naissance de Jésus se place avec le plus de probabilité. Quant à la date du 25 décembre, fixée assez tardivement par l’Église, les Évangiles n’ont rien qui la confirme, rien non plus qui l’exclue péremptoirement, car les bergers dont parle Luc 2.8 pouvaient être des nomades et non des villageois qui rentrent leurs troupeaux pour l’hiver.

On aimerait pouvoir emprunter une sûre indication de temps au texte du 3e Évangile qui dit que Joseph et Marie, celle-ci enceinte, se rendirent à Bethléhem à l’occasion du recensement ordonné par César Auguste (2.1 et suivants). Mais, sans parler d’autres objections de moindre importance, une grosse question de concordance chronologique se pose précisément à propos de ce texte. On lit au verset 2 : « Ce premier recensement eut lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie ». Publius Sulpicius Quirinius est un personnage connu dans l’histoire romaine. Il fut consul en l’an 12 avant Jésus-Christ. Tacite rapporte (Ann., III, 48, cf. Strabon, XII, 6.5) qu’après son consulat il fit à travers la Cilicie une expédition victorieuse contre les Homonades, montagnards du Taurus ; après quoi il reçut les honneurs du triomphe, puis fut donné pour tuteur au jeune Caïus César quand celui-ci, petit-fils d’Auguste, eut à réduire les Arméniens insoumis. D’autre part, Josèphe nous apprend que Quirinius, nommé par Auguste gouverneur (légat) de la province impériale de Syrie, avec mission d’y dénombrer les biens des habitants, fit faire en Judée un recensement qui provoqua une révolte (Antiquités judaïques, XVII, 13.8 ; XVIII, 1.1 2.1, cf. Actes 5.37). Mais selon l’historien juif, cette mesure fut prise au lendemain de la déposition d’Archélaiis, en la 37e année après la bataille d’Actium, date évidemment trop tardive pour pouvoir être celle de la naissance du Sauveur, puisqu’elle correspond à l’an 6 à 7 de notre ère. Une inscription latine atteste que la population de la ville d’Apamée sur l’Oronte fut recensée par ordre de Quirinius. Cela vient à l’appui des dires de Josèphe quant à l’activité de ce haut fonctionnaire impérial en Syrie même ; cela ne nous aide pas à résoudre la difficulté en présence de laquelle nous nous trouvons.

Cette difficulté tomberait si l’on pouvait traduire, comme certains le font : « Ce recensement eut lieu avant que Quirinius gouvernât la Syrie », ou encore : « fut antérieur à celui qui eut lieu Quirinius étant gouverneur…  » Ces essais de solution exégétique, et tels autres que nous passons sous silence, ne sortent pas du domaine de la conjecture, quoiqu’on puisse les appuyer de certains exemples grammaticaux. Dans l’interprétation ordinaire, selon laquelle le cens mentionné par Luc se place pendant le gouvernement de Quirinius, il faut expliquer pourquoi ce cens est qualifié de « premier ». Ou bien l’évangéliste veut marquer la grande nouveauté d’une telle mesure, au moins pour la Judée ; ou bien il croit devoir distinguer ce cens-là d’un ou de plusieurs autres, effectués dans la suite, mais aussi pendant que la Syrie avait Quirinius pour gouverneur. De toute façon, la phrase discutée se justifierait s’il était établi que Quirinius a été à deux reprises légat de Syrie, et la première fois à une époque qui pût convenir pour le dénombrement rendu célèbre par le texte de Luc.

Qu’il y ait eu deux légations de Quirinius, beaucoup l’admettent pour les raisons que voici. Une campagne comme celle que Quirinius mena dans le Taurus avait normalement pour chef le gouverneur de la province où elle devait se faire ou d’où elle devait partir. Quirinius gouvernait donc alors une province. Laquelle ? Il est naturel de penser à celle de Syrie, dont la Cilicie dépendait vraisemblablement. Mais si Quirinius était légat de Syrie quand il vainquit les Homonades, cette légation est antérieure à l’office qu’il eut à remplir auprès de Caïus César ; elle ne peut se placer après l’an 3 de notre ère, puisque le jeune prince mourut à son retour d’Arménie, en février de l’année 4. Donc il s’agit d’une légation qu’on ne saurait confondre avec celle pendant laquelle se fit le recensement dont parle Josèphe. L’argumentation paraît correcte. Et comme il est question dans une inscription de Tibur d’un personnage qui obtint deux fois d’Auguste la province de Syrie (tel est le sens généralement admis), plusieurs érudits, à la suite de Sanclemente (1793), ont estimé pouvoir reconnaître en lui notre Quirinius. Cette restitution d’un texte malheureusement mutilé n’est cependant pas acceptée par tous les archéologues. Supposons néanmoins que les deux légations syriennes de Quirinius soient acquises à l’histoire. Reste à savoir à quelle époque exactement se place la première des deux ; de là dépend la concordance des dates. Le terminus a quo est donné par l’année du consulat de Quirinius : 12 avant Jésus-Christ.

De l’an 10 environ à l’an 4, Josèphe mentionne comme s’étant succédé en Syrie les légats Titius, Saturninus et Varus. D’après Momrn-sen et Schurer, la première légation de Quirinius ne saurait trouver place qu’après l’expiration des fonctions de Varus, de 3 à 2 avant Jésus-Christ. Mais, si c’est alors qu’on procéda au recensement qui fut la cause occasionnelle de la venue de Marie à Bethléhem, il y a là de nouveau contradiction avec l’attestation formelle de la naissance de Jésus « aux jours du roi Hérode ».

D’autres combinaisons ont été proposées. Nous ne pouvons les signaler toutes. Ramsay a découvert en 1912 à Antioche de Pisidie une inscription dans laquelle Quirinius est qualifié de duumvir. Il suppose que ce titre fut décerné à l’ancien consul par les autorités de la colonie à la suite de son heureuse campagne, qui avait pacifié le pays. Un milliaire, témoin de la construction de la route impériale destinée à relier Antioche aux cinq colonies pisidiennes nouvellement fondées, sert de preuve au savant anglais pour établir que cette pacification était chose faite vers l’an 6 avant Jésus-Christ, et que par conséquent la guerre des Homonades doit remonter aux années préceédentes.

Quirinius aurait été pour la première fois gouverneur de la Syrie dans les années 10 à 7 (ou 11/10 à 8/7) avant Jésus-Christ. Une assertion à ne pas négliger est celle de Tertullien (Adversus Marcionem, IV, 19), qui dit que le recensement fut fait en Judée par Sentius Saturninus. Ceci s’accorde, au moins quant à la date, avec les conclusions auxquelles Ramsay est amené par les témoignages épigraphiques, vu que Saturninus a été en charge, selon les indications de Josèphe, de 9 à 6 environ. Ramsay pense qu’il y a eu en Syrie deux gouverneurs à la fois. Zahn recourt à une explication qui mérite aussi d’être mentionnée. Il ne croit pas que Quirinius ait été chargé deux fois du gouvernement de la Syrie. D’après lui, quand le recensement palestinien a été ordonné et entrepris (vers 6 avant Jésus-Christ), la Syrie était gouvernée par Varus, mais Quirinius s’y trouvait déjà en qualité de commissaire impérial extraordinaire. Luc lui attribuerait par anticipation le titre de gouverneur, qui ne devait lui appartenir que plus tard, après la mort d’Hérode, non pas d’ailleurs à la date indiquée par Josèphe, mais de 4 à 3 avant Jésus-Christ.

Le point n’est pas encore définitivement éclairci. Mais on voit déjà par les inscriptions qu’il n’y a pas lieu de donner systématiquement raison à Josèphe lorsqu’il est en conflit réel ou apparent avec le Nouveau Testament. L’histoire de l’administration romaine en Syrie est plus compliquée que ne le montre l’historien juif. Et la plus inacceptable des hypothèses est bien celle d’après laquelle toute cette affaire de recensement aurait été imaginée ou truquée dans l’Évangile, à seule fin de faire naître le Christ à Bethléhem, selon les prophéties.

2. Début du ministère de Jésus

L’activité publique de notre Seigneur a commencé tôt après celle de Jean-Baptiste. C’est pourquoi Luc tient à dater celle-ci avec précision. La parole du Seigneur se fit entendre à Jean, dit-il, « la quinzième année du règne de Tibère César » (3.18). Ce synchronisme, qui paraît si clair, n’exclut cependant pas pour nous toute hésitation, parce que nous ne sommes pas sûrs de la manière dont Luc compte les années de Tibère. Si l’on prend pour point de départ la mort d’Auguste, qui survint le 19 août de l’an 14 après Jésus-Christ, la 15e année du gouvernement de son successeur doit aller du 19 août 28 au 19 août 29. Mais il est probable que Luc s’est conformé à l’habitude orientale de compter pour la 1ère année d’un souverain le temps compris entre son élévation au trône et le nouvel an suivant, qui devenait ainsi le début de sa 2e année. Et comme le calendrier syrien, sur lequel il y a lieu de croire qu’il s’est réglé, faisait commencer l’année au 1er octobre, l’année 15 de Tibère serait pour notre évangéliste celle qui va d’octobre 27 à octobre 28, l’année 13 à 14 étant censée être la première du règne.

Si la prédication de Jean-Baptiste, prélude de celle de Jésus, a commencé en 27/28, la première Pâque dont parle l’Évangile de Jean est celle de l’an 28, et le baptême de notre Seigneur doit se placer quelque temps auparavant. Le seul inconvénient de cette date, c’est que si on l’adopte il faut admettre, ou bien que l’année 30 n’est pas celle de la Passion, et l’on a par ailleurs de bonnes raisons de croire qu’elle l’est (voir plus loin), ou bien que l’intervalle de la première à la dernière Pâque n’a été que de deux ans. Or, l’Évangile de Jean paraît plutôt réclamer pour le ministère de Jésus une durée de trois ans. Nous gagnerions de la marge en supposant, avec certains chronologistes, que Luc date les années de Tibère à partir du moment où celui-ci avait été associé par Auguste au gouvernement de l’empire, fin de l’an 11 ou début de l’an 12 de notre ère. La quinzième année correspondrait alors à l’an 26. On invoque à l’appui de cette hypothèse un texte de Tertullien (Adversus Marcionem, I, 15) qui indique la 12e année de Tibère comme celle où le Seigneur s’est révélé (un manuscrit porte : la 15e, mais on peut croire que c’est une correction). La différence entre ce chiffre et celui de Luc est résolue, à quatre mois près, si la 12e année est comptée à partir de la mort d’Auguste, et la 15e année à partir de la corégence de Tibère. Il suffirait d’ailleurs de pouvoir reporter la première Pâque de 28 à 27 pour donner le jeu voulu aux inductions de la chronologie relative. C’est facile dans la supposition dont nous parlons. Si l’activité du Précurseur a débuté vers le milieu ou la fin de 26, l’intervalle à laisser entre ce début et le baptême de notre Seigneur, puis le temps nécessaire pour ce qui est raconté dans Jean 1.19-2.12, nous amènent sans difficulté à la Pâque de l’an 27. Seulement, on n’a pas la preuve que cette manière de compter, qui fait commencer le règne avec la corégence, fût couramment en usage, et il est hasardeux de la prêter à Luc. Tout ce que nous pouvons dire, et allons encore montrer, c’est que l’hésitation est permise en faveur d’une date qui faciliterait la coordination des diverses données du problème.

Le propos tenu par les Juifs à l’occasion de l’expulsion des vendeurs : « On a mis quarante-six ans à bâtir ce temple…  » (Jean 2.20), est d’un intérêt chronologique évident, et intéresse bien la date des débuts du ministère. L’Évangile de Jean donne à l’épisode de la purification du temple sa vraie place, en le mettant au commencement de son récit. Les synoptiques l’ont déplacé conformément au plan de leur narration, qui ne comporte qu’une Pâque et qu’un séjour à Jérusalem, celui qui précède la Passion. La construction du nouveau temple de Jérusalem avait été entreprise la 18e année du règne d’Hérode le Grand (Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, XV, 11.1), soit, d’après le compte de Schurer, à qui nous renvoyons, dans l’hiver de 20 à 19 avant Jésus-Christ. Tout le principal fut fait du vivant d’Hérode, mais ce n’est qu’au temps du procurateur Albinus (62 à 64 après Jésus-Christ) que Josèphe signale le complet achèvement de ce grand ouvrage (Antiquités judaïques, XX, 9.7). La parole des Juifs doit donc signifier qu’on y travaillait déjà depuis quarante-six ans, ce qui sans doute n’exclut pas certaines interruptions. Si ces années sont comptées comme révolues, la Pâque au temps de laquelle cette parole a été prononcée est celle de l’an 28 de notre ère. Mais il se peut aussi que l’année courante soit la 46e, que l’on soit à la 46e Pâque, celle de l’an 19 ayant été la première à dater de la reconstruction. Alors on serait en 27.

Luc 3.23 dit que Jésus avait « environ trente ans » au commencement de sa carrière publique. Cette indication ne saurait nous obliger à retarder la date approximative que nous avons admise pour la nativité. Sans doute, si le Sauveur est né en 7 ou en 6 avant l’ère vulgaire (747 ou 748 de Rome), l’année 28 de cette ère (781 de Rome) est celle où il a dû atteindre ses 33, si ce n’est même ses 34 ans accomplis (chiffres à remplacer par 32 et 33 si l’on pense à l’année 27). Mais le mot environ n’est pas pour rien dans le texte. Luc ne garantit pas la rigueur de son chiffre. En outre, chez les anciens, la trentaine était l’âge où l’on vous tenait pour un homme fait, capable d’accéder aux emplois publics ; c’est alors notamment que les lévites entraient en fonctions (Nombres 4.29). Les « trente ans environ » de Le déterminent moins un laps de temps qu’ils ne marquent une étape de la vie. Ils signifient que le Fils de Dieu n’est pas apparu sur la scène du monde avant l’âge qui est pour les fils des hommes celui de la maturité. Toutefois ce renseignement, même compris de la sorte, nous invite à écarter les combinaisons qui feraient Jésus trop proche de la quarantaine lorsqu’il commença son enseignement et ses miracles. Il n’y a pas à citer en sens contraire la parole des Juifs : « Tu n’as pas encore cinquante ans » (Jean 8.57). Elle ne dit rien de plus que ceci : « Tu parles comme si tu avais vécu des siècles, et tu n’as pas même un demi-siècle derrière toi ! »

Dans Luc 3.18, le synchronisme que nous avons examiné est suivi de plusieurs autres, qui ne s’énoncent pas en chiffres comme le premier, mais qui, tels quels, nous offrent un utile moyen de contrôle. Ce sont d’abord ceux-ci, destinés à donner un tableau de l’état politique de la Palestine, au moment où Jésus allait s’y manifester : « Pilate étant gouverneur de la JudéeHérode tétrarque de la GaliléePhilippe son frère tétrarque de l’Iturée et de la Trachonitide, et Lysanias tétrarque de l’Abilène…  » Pour commencer par ce dernier personnage, deux inscriptions ont établi qu’un Lysanias, dont parle aussi Josèphe (Antiquités judaïques, XIX, 5.1 ; XX, 7.1), était en effet au temps de Tibère à la tête d’une tétrarchie qui avait pour capitale Abila, dans l’Antiliban. Il n’y a donc pas d’erreur chronologique à reprocher à Luc, comme l’ont cru des critiques qui pensaient au roi du même nom, mis à mort par Antoine en 36 avant Jésus-Christ (Dion Cass., XLIX, 32).

Pour établir la date de l’entrée en fonctions de Pilate, il faut d’abord déterminer celle de sa révocation. Il avait passé dix ans en Judée quand il dut se rendre à Rome pour répondre aux accusations portées contre lui (Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, XVIII, 4.2). Comme il n’y arriva qu’après la mort de Tibère (16 mars 37), on serait porté à croire qu’il quitta son poste au début de 37 seulement. Mais après le départ de Pilate se place une visite que le légat de Syrie, Vitellius, fit à Jérusalem au moment d’une Pâque qui ne peut être que celle de l’année 36, car il devait y revenir, cette fois à l’époque même où Tibère mourut (ibid., 4.3 et 5.3). Ces deux visites ne peuvent pas être identifiées, vu la différence des circonstances et celle des noms des grands-prêtres que Vitellius déposa et nomma dans les deux occasions. Ou bien donc Josèphe brouille étonnamment l’ordre des faits quant à la première visite de Vitellius et au départ de Pilate, ou bien Pilate, obtempérant à l’ordre reçu, est parti en 36, mais a profité de quelque circonstance pour n’arriver à destination qu’au bout d’une année. Il reste un certain doute à ce sujet. En aucun cas cependant Pilate ne peut être entré en charge avant 26, et l’on ne saurait par conséquent faire remonter au delà de cette année la date où Jean-Baptiste se mit à prêcher. Hérode

Antipas et Philippe avaient reçu leurs tétrarchies lors du partage qui suivit la mort d’Hérode le Grand, en 4 avant Jésus-Christ. Ils les gouvernèrent longtemps, Philippe jusqu’à sa mort (34), Hérode Antipas jusqu’à sa déposition par Caligula (39). C’est pour avoir blâmé le coupable remariage d’Antipas que Jean-Baptiste fut mis en prison (Marc 6.17 et suivant, Matthieu 14.3). Motif personnel, nullement exclu par celui qu’indique Josèphe : crainte de quelque soulèvement (Antiquités judaïques, XVIII, 5.2). On ne sait pas au juste quand le tétrarque épousa Hérodias ; on ne sait pas quand, où et dans quelles circonstances Jean fit entendre sa censure ; on ignore également si son emprisonnement eut lieu tout aussitôt ou quelque temps après. Il appert seulement d’une remarque du 4e Évangile (3.24) que le ministère du Précurseur s’est poursuivi, parallèlement à celui de Jésus, plus longtemps qu’on ne s’en rendrait compte d’après la narration synoptique (cf. Marc 1.14 ; Matthieu 4.12). La première femme d’Antipas, fille du roi des Arabes Nabatéens, Arétas IV, s’était retirée chez son père en apprenant que son mari allait la répudier. Arétas garda de cette affaire un vif ressentiment contre le tétrarque. Des contestations territoriales ayant surgi, les deux princes se firent la guerre. L’armée d’Hérode ayant été complètement battue, cette défaite fut regardée dans le peuple comme un châtiment du meurtre de Jean-Baptiste (Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, XVIII, 5.1 et suivant). De là on a voulu tirer la preuve que les hostilités avaient suivi de près la mort de Jean, ce qui rapprocherait cette mort, et par conséquent celle de Jésus, de la fin du règne de Tibère (la nouvelle de la mort de cet empereur arrêta Vitellius qui allait marcher sur Pétra avec des troupes pour châtier le vainqueur d’AntipasIbid., 5.3). Mais les Juifs qu’avait émus la fin tragique de Jean ont pu, à bien des années d’intervalle, interpréter le revers subi par Hérode comme une juste punition. Et s’il est vrai que l’offense faite à la fille d’Arétas fut à l’origine du conflit, on n’en doit pas conclure que le temps qui s’écoula entre ce drame de famille et la guerre ne put être que très court. Les princes ennemis ne recoururent aux armes que lorsque les circonstances politiques leur en eurent donné l’occasion.

Nous savons par Josèphe (Antiquités judaïques, XVIII, 5.4) le nom de la fille qu’Hérodias avait eue de son premier mari, un Hérode, fils d’Hérode le Grand et de la seconde Mariamme, que Marc 6.17 et Matthieu 14.3 appellent Philippe, mais qu’il est impossible de confondre avec le tétrarque du même nom. Contre le récit de la danse de Salomé devant Hérode et ses convives, on a fait valoir cette objection, entre autres, que la danseuse y est qualifiée de « petite fille » (Marc 6.22 ; Marc 6.28 ; Matthieu 14.11). Comme elle devint la femme du tétrarque Philippe, quelques années sans doute avant la mort de ce dernier (34), on s’est étonné qu’elle ait pu être encore une enfant à la mort de Jean-Baptiste, soit vers la fin de la troisième décade. Mais le terme grec que nos dictionnaires rendent par « petite fille », « fillette », est employé par les LXX en parlant d’Esther, alors que celle-ci était en âge de devenir reine (Esther 2.7 ; Esther 2.9). Quand son vieux mari eut laissé Salomé veuve et sans enfants, elle se remaria avec un arrière-petit-fils d’Hérode le Grand, du nom d’Aristobule, à qui elle donna trois fils (Josèphe, ibid.). D’après la suite de ses ascendants, ce prince devait avoir vingt ans, ou guère davantage, en 34. Salomé pouvait être un peu plus âgée que lui. Admettons qu’elle ait eu de quinze à dix-huit ans en 28 ou en 29. Nubile de bonne heure, comme les filles d’Orient, elle a pu, à peu de temps de là, être donnée en mariage à son oncle, malgré une différence d’âge de trente à quarante ans.

Dans l’énumération de Luc 3.18, les détenteurs du pouvoir religieux viennent en dernier lieu. Le texte dit littéralement : « sous le grand-prêtre Anne et Caïphe ». Élevé au pontificat par Quirinius, Anne avait été déposé en 15 par Valérius Gratus (Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, XVIII, 2.1, 2). Quoiqu’il n’y eût qu’un seul grand-prêtre en charge, on continuait à donner le titre à ceux qui avaient exercé la fonction. L’étonnant n’est donc pas que Luc appelle « grand-prêtre » quelqu’un qui ne l’était plus en fait ; c’est que ce vocable, ici au singulier, ait l’air de s’appliquer seulement ou spécialement à Anne (voir ce mot). Celui-ci, il faut le dire, jouissait d’une grande autorité personnelle ; il eut cinq fils grands-prêtres (Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, XX, 9.1). D’ailleurs, cette façon curieuse de le mettre en vedette (encore plus marquée Actes 4.6) n’ôte rien à la clarté de la situation chronologique. Matthieu et Jean sont d’accord avec Josèphe pour nous apprendre que Caïphe était grand-prêtre à l’époque du procès de Jésus. Gendre d’Anne (Jean 18.13) et son quatrième successeur, il fut nommé vers 18 par Valérius Gratus et resta en charge jusqu’à sa déposition par Vitellius, en 36 (Antiquités judaïques, XVIII, 2.2 4.3).

3. Durée du ministère de Jésus

L’opinion qui réduit cette durée à un an a eu des partisans dès l’antiquité chrétienne et en a encore de nos jours. Si l’on en juge d’après le cadre narratif des synoptiques, il peut sembler qu’une seule année sépare le baptême de la crucifixion. Mais les trois premiers Évangiles fournissent eux-mêmes la preuve que cet intervalle est trop court.

Prenons le récit des épis arrachés un jour de sabbat (Marc 2.23 et parallèles). La saison est tout indiquée : les champs sont prêts à être moissonnés. Or, en Palestine, la moisson se faisait d’avril à juin, selon l’altitude des terres et selon l’espèce du grain semé, l’orge étant plus hâtive que le froment (on offrait, à la Pâque, les prémices de la récolte des céréales ; à la Pentecôte, on en fêtait l’achèvement). Dans le récit de la multiplication des pains, la mention de l’« herbe verte » (Marc 6.39) n’est pas moins significative pour qui sait qu’en Palestine « le gazon est complètement desséché dès la fin de mai » (Lagrange). Par ce charmant détail descriptif, Marc s’accorde avec Jean, qui parle de l’abondance de l’herbe (Jean 6.10) et qui note la proximité de la Pâque (Jean 6.4). Voilà donc deux scènes de la vie publique du Seigneur qui se placent l’une et l’autre au printemps, mais la première à un moment plus avancé de la saison. Elles ne peuvent appartenir à la même année, à moins qu’on ne prête à la narration évangélique le plus invraisemblable bouleversement de l’ordre des faits. Comme, d’autre part, il est de toute impossibilité que le printemps de la multiplication des pains et celui de la Passion ne fassent qu’un — trop de choses se passent entre ces deux événements — , nous avons à compter avec un minimum de deux années. Même résultat si l’on se place au point de vue de la géographie. À part le voyage qui amène Jésus à Jérusalem, et le temps qu’il passe dans la ville sainte avant d’y être mis à mort, le ministère raconté par les synoptiques se limite à la Galilée et aux territoires voisins. Mais certains détails font apercevoir là l’effet d’une réduction schématique. La grande enclave de Luc 9.51-18.14, qu’on est convenu d’appeler le « journal de voyage », porte trace d’un plus grand nombre d’allées et venues. Il n’y a pas de témérité à supposer que Luc réunit en une seule phase itinérante des souvenirs qui se rapportent à divers voyages. En outre, dans la dernière partie de leur récit, Matthieu, Marc et Luc nous laissent voir qu’il y a eu plus d’un séjour de Jésus à Jérusalem. Ce n’est pas pour rien que l’ingrate cité est apostrophée en ces termes : « Combien de fois j’ai voulu rassembler tes enfants…  » (Matthieu 23.37Luc 13.34). Quand il arrive dans la capitale juive, Jésus y est connu de bien des gens. Il a un disciple au sein même du sanhédrin (Matthieu 27.57 ; Marc 15.43). Il a un pied-à-terre à Béthanie (Matthieu 21.17Luc 10.38 et suivants). Il sait que le propriétaire de l’humble monture dont il a besoin la lui prêtera volontiers (Matthieu 21.3), que le citadin chez qui il envoie ses disciples préparer le repas de la fête ne lui refusera pas l’hospitalité (Matthieu 26.18). Pour y former tant de relations, et d’un tel caractère, il faut que Jésus ait déjà séjourné en Judée. Ajoutée à l’activité galiléenne que décrivent nos synoptiques, cette activité judéenne et hiérosolymitaine, qu’ils font supposer, ne peut se renfermer dans les limites d’un an. C’est bien en vain qu’on invoque en faveur d’une si faible durée la parole de Ésaïe 61.2 (citée Luc 4.19) sur « l’année de grâce du Seigneur ». La chronologie n’a pas à faire état de cette figure de langage, allusion symbolique à l’année du Jubilé (Lévitique 25.10). Le 4e Évangile (voir Jean, Évangile de) apporte à l’étroitesse du cadre des synoptiques un correctif que ceux-ci, nous l’avons vu, réclament en quelque sorte. Il présente un tableau plus développé des pérégrinations du Maître, et jalonne son récit d’indications qui se rapportent aux fêtes du calendrier juif. La valeur de ces repères chronologiques ne doit point être contestée sous prétexte que les intervalles qu’ils marquent ne sont pas remplis par la matière de la narration. Qui fait un choix, en histoire, sait qu’il laisse des vides. Et saint Jean, dont l’Évangile suppose l’existence des trois autres, déclare lui-même n’avoir relaté qu’une partie des œuvres miraculeuses du Fils de Dieu (Jean 20.30). Il ne vise d’ailleurs pas à dresser une chronologie en forme ; il ne veut que rendre sensible la fixité de certains points. Six fêtes juives sont mentionnées par lui : lai première Pâque (Jean 2.13 ; Jean 2.23) ; une fête qui n’est pas désignée plus précisément (Jean 5.1) ; une autre Pâque (Jean 6.4) ; la fête des Tabernacles (Jean 7.2 ; Jean 7.10) ; la fête de-la Dédicace (Jean 10.22) ; la dernière Pâque (Jean 11.55 ; Jean 12.1 ; Jean 13.1 etc.). La Pâque indiquée comme proche de la multiplication des pains est la seule de ces fêtes que Jésus passe loin de Jérusalem. Le texte qui en fait mention n’en est pas moins d’une incontestable authenticité. Jean nous oblige donc à compter au moins deux ans de la première Pâque à la dernière, à quoi il faut naturellement ajouter, pour avoir la durée totale du ministère, le temps réclamé par les événements dont le récit précède Jean 2.13 (de la rencontre de Jésus et de Jean-Baptiste aux noces de Cana inclusivement). Mais ces deux ans, plus quelques mois ou semaines, suffisent-ils ? Question liée à celle de l’identification, si difficile, de la fête que Jean 5.1 mentionne sans la nommer. Si on lit, avec une partie des manuscrits, « la fête des Juifs », ce doit être la Pâque qui est visée comme principale fête juive (voir Évangiles, Harmonie des, et cartes № V). Celle des Tabernacles était fort importante aussi, mais il n’en est parlé que plus loin ; le lecteur pense naturellement à la Pâque, dont il a déjà été question. Si l’on préfère la leçon sans article, « une fête des Juifs » — leçon fortement attestée et qui a ceci pour elle que l’autre peut être une correction inspirée par le désir de préciser — l’indétermination même de cette formule semble exclure la Pâque, dont on ne voit pas pourquoi le nom serait remplacé ici par une désignation aussi vague. Plusieurs exégètes (dont Frédéric Godet) optent pour la fête des Purim, qui se célébrait au mois d’adar (février-mars). Dans cette hypothèse, voici comment les choses peuvent se combiner. Parlant à ses disciples, auprès du puits de JacobJésus s’exprime ainsi : (Jean 4.35) « Ne dites-vous pas : quatre mois encore, et la moisson viendra ? » Interprétés comme ils le sont le plus souvent, ces mots signifient qu’on est réellement, dans la plaine de Sichem, à quatre mois de la moisson ; ils ont donc été prononcés en hiver. Alors on obtient cette suite normale : passage en Samarie, janvier ; Purim (Jean 5.1), mars ; Pâque (Jean 6.4), avril. Entre la Pâque de la purification du temple et celle de la Passion, il n’y en a qu’une, celle qui s’est trouvée proche de la multiplication des pains. Et le ministère du Christ selon le 4e Évangile peut tenir en deux ans et une fraction. Mais est-il vraisemblable que Jésus ait fait à l’occasion de cette fête des Purim, si peu religieuse, un pèlerinage à Jérusalem ? Cette objection, dont la force n’est pas niable, a une portée chronologique facile à discerner. Si Jean 5.1 ne se rapporte pas à la seule fête qui tombe entre janvier et la Pâque, on a besoin d’une année de plus, et cela, qu’il s’agisse de la Pâque elle-même (leçon avec l’article), ou d’une des fêtes qui la suivent, car dans ce dernier cas, il y a une Pâque dont la mention est omise. Un moyen d’échapper à cette conséquence nous est offert par l’interprétation qui fait des mots « les champs sont blancs pour la moisson » la vraie allusion à l’état présent des cultures, et de la réflexion « encore quatre mois » une sorte de proverbe. Ainsi l’entretien pourrait se placer dans la saison qui suivit la première Pâque. Il est rigoureusement possible que Jésus, après cette Pâque où il avait purifié le temple et après un court séjour dans la région du Jourdain (Jean 3.22), ait traversé la Samarie alors que le blé y mûrissait et ait eu le temps, n’ayant fait qu’une brève apparition en Galilée (Jean 4.43 ; Jean 4.54), de revenir à Jérusalem pour la Pentecôte (Jean 5.1). Mais cette trame paraît bien serrée, et l’on verrait plutôt dans la fête sans nom celle des Tabernacles, s’il n’y avait alors la difficulté de savoir pourquoi elle ne serait pas nommée au chapitre 5 comme au chapitre 7. D’autres combinaisons deviennent possibles, si l’on intervertit l’ordre des chapitres 5 et 6. On a ainsi Jean 6.4, Pâque, et Jean 5.1Pentecôte ; ou (en lisant « la fête ») Jean 6.4, Pâque annoncée comme prochaine, et Jean 5.1, Pâque célébrée à Jérusalem. Mais cette interversion est une solution toute conjecturale, que sa seule commodité ne saurait recommander suffisamment. En somme, les Évangiles nous apprennent que le ministère de Jésus a duré deux ans au moins, plus une fraction d’année antérieure à la première Pâque. Et l’on aurait plus de facilité à rendre compte de toutes les indications du 4e Évangile, si l’on était sûr de pouvoir ajouter à ce minimum une année pleine.

4. La passion

C’est très arbitrairement que certains auteurs appliquent à la Passion la date indiquée par Luc 3.1 (15e année de Tibère). Il faut faire place auparavant à tout le temps du ministère. Si la première Pâque tombe en 28 ou peut-être en 27, nous sommes conduits à chercher la date de la Passion dans les années 29 à 31. Les anciens écrivains ecclésiastiques nous apportent à ce sujet des indications contradictoires, dans lesquelles il n’est pas facile de discerner ce qui repose sur quelque renseignement original et ce qui provient d’une interprétation plus ou moins juste de Luc 3.1. Le plus sûr et le plus court est de recourir aux textes évangéliques, quoiqu’ils ne nous renseignent qu’indirectement sur la date de la crucifixion. Mais avant d’essayer de résoudre la question de l’année, il importe de traiter celle du mois et du jour. Notre Seigneur est mort un vendredi, la veille d’un sabbat (Matthieu 27.62 ; Marc 15.42Luc 23.54 ; Jean 19.31) ; il est ressuscité le surlendemain, un dimanche (Matthieu 28.1 ; Marc 16.2Luc 24.1 ; Jean 20.1). Là-dessus, l’accord de nos quatre Évangiles est incontestable. Mais le quantième du mois reste à fixer, et c’est là un très vieux point de controverse. Il s’agit de savoir si Jésus a été crucifié le jour même de la Pâque, le 15 nisan, ou bien le 14, jour dont le soir seulement appartenait à la fête (l’agneau pascal, immolé dans l’après-midi, était consommé après le coucher du soleil, qui marquait pour les Juifs le commencement de la journée du 15). Les uns, s’en tenant aux textes synoptiques qui parlent du dernier repas de Jésus avec ses disciples comme d’un repas pascal (Matthieu 26.17 ; Marc 14.12Luc 22.7), disent que la crucifixion ne peut avoir eu lieu que le 15 nisan. Les autres assurent qu’elle doit se placer la veille, et appuient fortement cette opinion sur des textes de Jean : Jean 13.29 (quand Judas sort, avant la fin du dernier repas, on le croit chargé d’un achat pour la fête : elle n’a donc pas encore commencé) ; Jean 18.28 « (les Juifs qui amènent Jésus à Pilate n’entrent pas dans le prétoire, « afin de ne pas se souiller et de pouvoir manger la Pâque » : donc ils ne l’ont pas encore mangée) ; Jean 19.14 (« c’était la préparation de la Pâque », autrement dit la veille de cette fête ; il n’est pas naturel de traduire : la préparation [du sabbat] de la semaine de Pâque). D’ailleurs la narration synoptique de la Passion suscite elle-même des objections contre l’idée que l’arrestation de Jésus, son procès, son supplice, auraient pu se succéder au cours d’une nuit et d’un jour si solennellement fériés. Simon de Cyrène revenait des champs quand il fut requis de porter la croix (Marc 15.21) ; le chômage n’était-il donc pas obligatoire ce jour-là ? Il y a lieu d’ajouter que, dans le récit du dernier repas, on ne reconnaît guère le rituel de la Pâque juive. Mais cet argument n’est pas concluant : Matthieu, Marc et Luc rapportent ce qui a trait à l’institution de la sainte Cène, sans décrire le repas au complet. Et il peut avoir été pascal par l’intention et par la date, malgré certaines modifications du cérémonial. Ceux qui, pour les raisons que nous avons dites, affirment que le jour de la crucifixion est le 14 nisan, et que le dernier repas a été pris le soir du 13, ont à expliquer cependant ces termes qui paraissent bien clairs : « Où veux-tu que nous allions préparer ce qu’il faut pour que tu manges la Pâque ? » (Marc 14.12 et parallèle), et surtout cette parole du Maître : « J’ai vivement désiré manger cette Pâque avec vous…  » (Luc 22.15). De telles phrases devraient-elles leur forme à un « effet de perspective », auraient-elles été arrangées après coup sous l’influence de la foi qui proclame la substitution d’une nouvelle Pâque à l’ancienne (1 Corinthiens 5.7) ? Hypothèse facile et d’un genre toujours suspect. Mieux vaut penser que Jésus a célébré la Pâque un jour plus tôt que les chefs de son peuple. On a cherché de différentes façons à montrer que cette anticipation n’avait pas besoin d’être mise sur le compte d’une initiative toute personnelle. Comme on sait que les Pharisiens et les Sadducéens ont eu des controverses au sujet du comput de la Pentecôte, qui dépendait de celui de la Pâque, les savants Strack et Billerbeck, reprenant l’idée émise par l’auteur d’un commentaire hébraïque de Matthieu, supposent que les deux partis étaient convenus pour certaines années de célébrer la Pâque chacun à son jour. Cette année-là, en consacrant la soirée du jeudi au repas de la Pâque, Jésus se serait conformé à la pratique des docteurs pharisiens, toujours suivis par une grande partie du peuple ; tandis que les dirigeants sadducéens, maîtres du temple, et tous ceux qui leur obéissaient, auraient admis la coïncidence du 15 nisan, premier jour de la fête, et du sabbat. Il va de soi que le Seigneur ne saurait être mêlé à ces querelles d’écoles. S’il a préféré un jour à un autre, c’est parce qu’il savait son heure venue et voulait manger une dernière fois la Pâque avec les siens. Mais si tout le monde n’observait pas toujours le rite pascal en même temps, on peut comprendre que les disciples n’aient pas été surpris de la décision de leur Maître comme s’ils l’avaient vu prendre une liberté tout isolée à l’égard du calendrier religieux. Et, en fait, une divergence était possible dans la détermination du jour sur lequel le 15 nisan devait tomber. Les mois du calendrier juif étaient lunaires. Mais la révolution de la lune se mesurait empiriquement et sans rigueur. Le sanhédrin constatait-il, au soir du 29e jour, l’apparition du croissant de la lune nouvelle, ou en était-il prévenu par des témoins dignes de foi ? Alors le mois prenait fin, il n’était que de vingt-neuf jours. Sinon, il en comptait trente. Ainsi l’alternance des mois caves et des mois pleins n’était pas régulière. L’avance de l’année lunaire sur l’année solaire, qui est normalement de onze jours, était récupérée, quand le besoin s’en faisait sentir, par l’adjonction d’un mois intercalaire. Celui-ci doublait le mois d’adar, le dernier de l’année religieuse, et retardait d’une lunaison le début du mois de nisan. Le sanhédrin, juge de l’opportunité de cette mesure, en décidait d’après l’avancement de la saison, mais aussi d’après une règle qui faisait entrer un élément de constance astronomique dans le système : en aucun cas la pleine lune de nisan ne devait précéder l’équinoxe de printemps. De cette manière, l’équilibre des totaux annuels se rétablissait assez régulièrement, quoiqu’il ne soit pas toujours possible aujourd’hui de savoir si c’est telle année qui a reçu le mois intercalaire, ou la suivante. Mais, comme nous l’avons dit, chaque mois nouveau commençait un jour plus tôt ou un jour plus tard, selon que le croissant était visible ou ne l’était pas le soir où on l’attendait. Or, la visibilité de la lune ne dépend pas seulement de sa position par rapport à la terre et au soleil, mais aussi de l’état de l’atmosphère. Il est permis de supposer que le sanhédrin disposait déjà de quelque procédé régulateur pour le cas, apparemment rare, où la nébulosité du ciel empêchait plusieurs mois de suite l’observation d’être faite en temps voulu. Cependant, d’après un texte de la Mischna (IIe siècle), la proportion des mois de trente jours pouvait varier de quatre à huit, ce qui donne un minimum de trois cent cinquante-deux jours et un maximum de trois cent cinquante-six, alors que la vraie année lunaire est de trois cent cinquante-quatre jours et huit heures trois quarts. En mettant les choses au mieux, on doit toujours compter avec la possibilité d’un jour d’écart entre l’échéance astronomique de la visibilité du croissant et la proclamation de la néoménie par le sanhédrin. Il serait bien étonnant qu’une décision qui pouvait dépendre du glissement d’un nuage n’eût pas donné lieu à des contestations, surtout lorsqu’elle entraînait, quant aux jours où les fêtes du mois devaient être célébrées, des conséquences qui ne plaisaient pas à tout le monde. Les écrits rabbiniques rapportent des discussions entre docteurs, provoquées par la contradiction des témoignages concernant la réapparition de la lune. Dans ces conditions, devons-nous tenir pour forcément illusoires les résultats des calculs astronomiques par lesquels on se propose de réduire les dates de l’ancien calendrier juif à celles du nôtre ? Non. Grevés d’une part d’incertitude, parce que les déterminations juives sont sujettes à des irrégularités dont la cause échappe au calcul, ces résultats peuvent néanmoins se présenter avec de très grandes présomptions de justesse. C’est le cas lorsqu’ils viennent à point pour fournir à un ensemble complexe de données historiques un mode convenable et précis de raccordement. Parmi les années qui peuvent entrer en ligne de compte, quand on cherche à déterminer la date de la Passion, il en est deux sur lesquelles notre attention est particulièrement attirée par les travaux des astronomes. C’est l’année 30 et l’année 33. En 33, le quatorze nisan serait tombé sur le 3 avril, un vendredi. C’est la conjoncture chronologique réclamée par les textes de Jean. Mais cette date nous porterait bien tard ; elle prolongerait le ministère de Jésus au delà des vraisemblances, et des difficultés en résulteraient pour la chronologie de la vie de saint Paul. En l’an 30, le jour qui nous intéresse est le vendredi 7 avril, auquel aurait correspondu soit le 14 nisan, soit le 15. Cette dernière opinion est soutenue par M. O. Gerhardt ; l’astronome K. Schoch, de Berlin, l’avait adoptée ; mais, ayant refait ses calculs, il s’est rallié à l’autre thèse, qui est celle du savant anglais Fotheringham. Ainsi, la même divergence apparaît dans les conclusions obtenues pour l’année 30 par ces spécialistes du calcul astronomique, que dans celles auxquelles on arrive par l’exégèse des Évangiles. Si la coïncidence du 7 avril 30 et du 15 nisan devait être tenue pour astronomiquement juste, elle permettrait à la date johannique de s’expliquer néanmoins, puisqu’un ciel nuageux, en empêchant la lune nouvelle d’être aperçue en temps opportun (dans le cas particulier le soir du 23 mars), pouvait retarder d’un jour le début du mois officiel. Ceux qui auraient anticipé d’autant la célébration de la Pâque, pour quelque raison que ce fût, se seraient trouvés d’accord avec l’astronomie. Si c’est le soir du 24 que l’observation du nouveau croissant a été rendue possible par les conditions astronomiques, aussi bien que par les conditions atmosphériques (ce qui donne la correspondance : 25 mars = Ier nisan, 7 avril = 14 nisan), si par conséquent le comput des hommes du temple, tel que Jean l’atteste, est bien exact, il n’est pas impossible que les partisans de l’anticipation se soient appuyés de bonne foi sur des observations fausses. Le P. Lagrange raconte être arrivé à Gaza, le 15 mars 1896, avec des bédouins qui n’osaient rompre le jeûne du Ramadan, parce qu’ils avaient vainement guetté l’apparition du croissant la veille au soir. Mais, agréable surprise, la population de la ville fêtait déjà le baïram : on avait vu la lune ! Or, la nouvelle lune, invisible d’abord comme chacun le sait, ne datait que du milieu de la journée du 14. Le croissant ne pouvait mathématiquement s’être montré le soir du même jour. Le P. Schaumberger, à qui nous empruntons la remarque de cette impossibilité, cite d’après la Mischna un exemple d’erreur comparable à celui des musulmans de Gaza. L’illustre Gamaliel II admit une fois, sur la déclaration de deux témoins, que la lune s’était fait voir dans la nuit du 29 au 30, ce qui fut reconnu impossible, car elle ne parut même pas au ciel la nuit suivante. M. K. Schoch, qui a une longue pratique de ce genre d’observations, dit avoir été souvent trompé au moins pour une minute, les soirs de printemps, par de petites stries lumineuses qui imitent au ras de l’horizon la forme mince du tout nouveau croissant. Il n’est pas inconcevable que des observateurs palestiniens, moins avertis, aient cru reconnaître l’objet de leur attente en ce qui n’était qu’apparence, jeu de lumière dans le crépuscule, et que leur témoignage ait été retenu et invoqué par des docteurs graves, qui voulaient cette année-là célébrer une Pâque anticipée, comme Jésus l’a fait pour des raisons à lui. Que l’on explique d’une façon ou de l’autre le désaccord apparent des textes touchant le quantième du mois juif, l’histoire et l’astronomie s’unissent pour nous engager à conclure que le 7 avril de l’an 30 est bien la date où le Fils de Dieu mourut pour les péchés des hommes.

II Chronologie des temps apostoliques

1. La primitive Église

On célébrait la Pentecôte cinquante jours après le 16 nisan, jour où se faisait l’offrande de la gerbe d’épis nouveaux. S’il y a eu coïncidence du 15 nisan et du sabbat, l’année de la mort de Jésus, la Pentecôte de cette année a dû être un dimanche, comme l’entend la tradition chrétienne. L’envoi du Saint-Esprit aux apôtres a fait d’une vieille fête de la moisson le jour de naissance de l’Église. Nous parlerons maintenant des dates qui comptent pour l’histoire de la communauté judéo-chrétienne de Jérusalem, en réservant les questions de chronologie paulinienne pour les deux paragraphes suivants.

La persécution que l’Église eut à souffrir de la part d’Hérode Agrippa Ier (Actes 12.1) peut être datée assez exactement. Ce prince, petit-fils d’Hérode le Grand, avait obtenu de la faveur de Caligula, lors de l’avènement de celui-ci (mars 37), l’ancienne tétrarchie de Philippe, celle de Lysanias, puis vers 40 celle dont Hérode Antipas s’était vu déposséder. Après l’assassinat de Caligula (janvier 41), il reçut encore de Claude la Samarie et la Judée, et se trouva ainsi à la tête de tous les États qui avaient formé le royaume de son grand-père. Lorsque la mort le surprit, nous dit Josèphe (Antiquités judaïques, XIX, 8.2 ; Guerre des Juifs, II, 11.6), il régnait depuis trois ans accomplis sur toute la Judée (ici Judée signifie Palestine). Cela nous porte à l’année 44. La persécution ne peut pas être antérieure à 41, puisque c’est alors seulement que la Judée fut incorporée au royaume d’Agrippa. Elle semble, d’après les Actes, ne pas avoir précédé de beaucoup la fin cruelle du persécuteur, revenu de Jérusalem à Césarée (Actes 12.19). Si l’on en croit Josèphe, Agrippa fut frappé du mal qui devait l’emporter au moment où il donnait un spectacle en l’honneur de l’empereur. Nous savons que le retour de Claude, qui était parti en 43 pour la Grande-Bretagne, fut célébré à Rome par des jeux au commencement de l’année 44 (Dion Cass., LX, 23). En admettant que cet exemple a été suivi par Agrippa à quelques mois de distance, on peut faire de la Pâque pendant laquelle Pierre fut arrêté celle de la même année. Quoique mentionnée dans les Actes avant la persécution, la famine prédite par Agabus (Actes 11.27 et suivants) doit se placer un peu plus tard. L’auteur sacré note qu’elle arriva sous Claude (Actes 11.28), ce qui ne signifie pas que le fléau sévit dans tout l’empire en même temps, car dans ce cas on n’aurait pas pu se venir en aide d’une province ou d’une ville à l’autre. Nous savons par les historiens profanes qu’il y eut en effet de grandes disettes pendant le règne de cet empereur (Tacite, Ann., XII, 43 ; Suétone, Claud., 18 ; Dion Cass., LX, 11), et par Josèphe (Antiquités judaïques, XX, 5.2) que la Judée fut atteinte à l’époque du procurateur Tibère Alexandre, peut-être déjà sous son prédécesseur Cuspius Fadus, mais de toute façon en 45 au plus tôt. C’est après la mort d’Agrippa Ier que le régime procuratorien fut rétabli et cette fois étendu à la Palestine entière (Antiquités judaïques, XIX, 9.2 ; Guerre des Juifs, II 11.6). Il semble que Luc, après avoir rassemblé dans sa notice d’Actes Actes 11.19-30 tout ce qu’il avait à dire de la fondation de l’Église d’Antioche, du travail de Barnabas et de Paul dans cette Église, de la prophétie d’Agabus et des mesures prises par les chrétiens d’Antioche pour secourir leurs frères de Jérusalem, revienne un peu en arrière pour raconter comment ceux-ci furent persécutés par le roi hérodien, peu de temps avant sa mort. Les derniers mots du chapitre 12 reprennent le fil de la chronologie en signalant le retour des deux porteurs du secours envoyé à la communauté-mère.

Agrippa avait fait mettre à mort un des apôtres, « Jacques frère de Jean » (Actes 12.2). Certains critiques voudraient nous persuader que le texte portait primitivement : « Jacques et Jean son frère ». Il suivrait de là que la conférence dont Paul parle au chapitre 2 des Galates, et à laquelle Jean prit part, devrait forcément avoir eu lieu avant 44. C’est pourquoi nous avons à toucher un mot d’une opinion qui intéresse surtout ce qu’on appelle le « problème johannique ». La trace du précoce martyre de Jean aurait été soigneusement effacée du récit des Actes à une époque où l’on croyait déjà que le disciple bien-aimé était mort à Éphèse après une longue vieillesse. Le principal appui de cette thèse subversive est un texte attribué à Papias et ainsi conçu : « Jean le théologien et Jacques son frère furent tués par les Juifs ». Mais ce texte n’a pour témoin que la citation qui en est faite dans une compilation historique du Ve siècle, connue elle-même par des extraits qui datent de 600 à 800, puis dans un des manuscrits, d’une chronique du IXe siècle (ici sous cette forme : « Jean fut tué par les Juifs »). Il s’agit donc d’une notice dont le vrai contexte est inconnu, la teneur primitive douteuse, et dans l’histoire de laquelle une confusion entre Jean-Baptiste et Jean l’apôtre pourrait bien avoir joué un rôle, comme aussi l’idée que la parole de Jésus aux fils de Zébédée (Marc 10.39) avait dû s’accomplir par la mort violente des deux frères. Les compilateurs de qui nous tenons ce problématique fragment, tout en le rapportant à Jean l’apôtre, ne songent point à y voir la preuve d’une fin si prompte de sa carrière. Et si saint Irénée et ses contemporains, qui possédaient l’ouvrage de Papias aujourd’hui perdu, y avaient lu l’énoncé d’un fait aussi inconciliable avec la tradition relative au séjour et à l’activité de Jean en Asie, comment cette tradition aurait-elle pu s’accréditer ? Irénée n’aurait pas pu dire que Papias (né au plus tôt dans les années 70 !) avait été un des auditeurs, de l’apôtre. Et surtout Eusèbe ne se serait pas abstenu, dans le chapitre où il conteste cette affirmation d’Irénée (Histoire ecclésiastique, III, 39), de recourir à l’argument péremptoire que Papias lui-même lui aurait fourni par sa prétendue mention du double, martyre de l’an 44. Il convient donc d’écarter sans hésitation une hypothèse qui ajoute indûment à un passage bien clair des Actes ce que voudraient y trouver les négateurs de l’authenticité de l’Évangile de Jean (voir ce mot). D’après Josèphe (Antiquités judaïques, XX, 9.1), Jacques le frère du Seigneur fut lapidé par ordre du grand-prêtre Ananos, fils de celui que le Nouveau Testament appelle Annas (Anne), et cela pendant le temps qui s’écoula entre la mort du procurateur Festus et l’arrivée de son successeur Albinus. Un autre récit de Josèphe (Guerre des Juifs, VI, 5.3) noua, apprend qu’Albinus était à son poste lors de la fête des Tabernacles de l’année 62. C’est donc cette année au plus tard, et assez probablement cette année même, — la mort de Festus ne pouvant guère être antérieure, — que Jacques aurait été exécuté. Cependant Hégésippe, qui fait de ce martyre un récit détaillé (conservé par Eusèbe, Histoire ecclésiastique, II, 23), en rapproche la date de celle de l’investissement de Jérusalem par Vespasien.

C’est en 66 qu’éclata la grande guerre juive. La ruine du temple et de la ville sainte, annoncée par Jésus, se consomma dans les mois d’août et septembre 70. La communauté judéo-chrétienne, avertie d’En-haut d’avoir à fuir la cité condamnée, et se souvenant des instructions du Seigneur (Marc 13.14 et suivants et parallèle), s’était retirée à Pella, en Pérée, avant le commencement du siège (Eusèbe, Histoire ecclésiastique, III, 5.3). Elle ne fut pas atteinte par la catastrophe, et ceux de ses adhérents qui voulurent ensuite revenir en Judée ne furent pas empêchés., de le faire. Mais le temps de sa primauté était fini.

2. Saint Paul devant Gallion

Il y a, dans la chronologie paulinienne, un point fixe qu’il faut marquer d’abord, et à partir duquel on peut ensuite compter, soit en arrière, soit en avant.

Nous savons par Actes 18.12 qu’étant à Corinthe, le grand apôtre eut à comparaître devant Gallion, proconsul d’Achaïe. Une inscription de Delphes, publiée en 1905 par M.E. Bourguet, permet d’établir avec assez d’exactitude la date de ce proconsulat. Cette inscription est mutilée, mais ce qui reste du texte laisse voir qu’elle reproduit une lettre de l’empereur Claude aux Delphiens. À la ligne 6, Junius Gallion est nommé avec le titre de proconsul. Le chiffre de 26, qu’on lit à la ligne 2, ne peut être que celui des acclamations impériales de Claude : vingt-six fois déjà, il avait été salué empereur à la suite de victoires des armées romaines. Ce renseignement permet de dater la lettre avec une précision suffisante. Voici comment l’inscription de l’Aqua Claudia, à Rome, atteste que lorsque fut inauguré l’aqueduc qui porte son nom, Claude en était à sa 27e acclamation impériale. Or, cette inauguration eut lieu le Ier août 52 (Frontin, De Aquis, I, 13). Ainsi, la lettre aux Delphiens est sûrement antérieure à ce jour. D’autre part, une inscription de la ville de Kys, en Carie, porte la mention de la 26e acclamation de Claude avec celle de la 12e année de sa puissance tribunitienne, laquelle va du 25 janvier 52 au 25 janvier 53. Il y a donc coïncidence d’une partie au moins de cette année et du temps où le nombre des acclamations s’élevait à 26. Le terminus ad quem que nous venons d’établir (1er août 52) demeurant acquis, il se pourrait que Claude eût reçu pour la 26e fois le titre  d’imperator avant d’entrer dans la 12e année de son tribunat. Mais cette supposition est rendue extrêmement improbable par d’autres textes épigraphiques, où l’on voit la 22e, puis la 24e acclamation figurer dans la titulature de Claude au cours de sa IIe année de pouvoir tribunitien. La vingt-troisième est naturellement supposée, et il faut encore réserver un intervalle pour la 25e. Donc la lettre de Claude a dû être écrite pendant un temps qui a pour limite certaine, d’un côté, le Ier août de l’année 52, et pour limite très probable, de l’autre, le commencement de cette année, ou plutôt la fin de l’hiver 51 à 52, puisque les opérations militaires n’étaient guère reprises avant le retour du printemps.

Cela étant, de quelle date à quelle autre Gallion a-t-il exercé ses fonctions proconsulaires en Achaïe ? Les gouverneurs de provinces sénatoriales, qui portaient tous le titre de proconsul, étaient nommés pour une année. Le cas exceptionnel d’une prorogation peut d’autant moins être envisagé ici que Gallion supportait mal le climat de la Grèce (Sénèque, Ep. mor., 104.1). Tibère avait décidé que les magistrats chargés d’un gouvernement provincial auraient à quitter Rome avant le Ier juin, date à laquelle Claude substitua le Ier avril, puis le milieu du même mois, ou plus exactement le 13, jour des ides d’avril (Dion Cass., LVII, 14 ; LX, 11 et 17). C’est à cette dernière disposition que Gallion a dû se conformer. On peut donc admettre qu’il était à son poste vers le milieu de mai. De quelle année ? Il a été proconsul de 51 à 52 suivant les uns, de 52 à 53 selon les autres. La première opinion nous paraît être la bonne. Il est assez clair que ce proconsulat n’était pas à son début quand le rescrit impérial fut communiqué aux Delphiens. En effet, si Gallion y est nommé, c’est sans doute parce qu’il avait eu à s’occuper des affaires de Delphes et probablement parce qu’il en avait fait rapport à l’empereur. Cela suppose des pourparlers et une correspondance qui ne trouvent pas bien leur place entre la venue du nouveau proconsul, entré en charge au printemps, et l’expédition de la lettre impériale, car enfin le Ier août est un terme extrême : ce n’est pas la date même de la 27e acclamation, mais une date où celle-ci était chose faite. Par contre, si Gallion a quitté son poste en mai 52, rien n’empêche que son nom figure sur une pièce officielle dont la date soit de peu antérieure à la fin de son gouvernement.

Reste à savoir à quel moment de l’année 51 à 52 Paul a comparu devant le magistrat romain. La façon même dont Luc introduit le récit de cette affaire (Actes 18.12) donne à penser qu’il s’agit d’un nouveau proconsul. C’est parce que Gallion est nouveau venu que les Juifs espèrent lui arracher une sentence contre l’apôtre. C’est parce que la magistrature de Gallion ne touche pas alors à sa fin que Paul peut ensuite rester à Corinthe un temps assez long (Actes 18.18) sans être inquiété. Ces considérations nous invitent à placer l’accusation juive à un moment peu éloigné de l’entrée en charge du proconsul, en juin par exemple ou au commencement de juillet 51, et l’embarquement de Paul pour la Syrie en automne, avant la mauvaise saison qu’évitaient autant que possible ceux qui se proposaient de naviguer. Ainsi on a l’espace voulu, quelque chose comme trois mois, entre sa comparution et son départ. Tirons maintenant parti du texte qui dit que Paul demeura à Corinthe un an et six mois (Actes 18.11). Si ces dix-huit mois comprennent la totalité du séjour, ainsi qu’on l’admet en général, il en résulte que Paul est arrivé à Corinthe au printemps de l’année 50. S’ils se rapportent seulement à la partie du séjour qui a précédé l’épisode de Gallion, c’est depuis le milieu de l’année 51 qu’il faut compter en remontant, et l’arrivée de Paul coïncide avec le début de 50. L’écart est de peu d’importance.

Ce résultat reçoit une confirmation qui n’est pas à négliger. Paul fit à Corinthe, dans les premiers temps de son séjour, la connaissance d’Aquilas et de Priscille, Juifs du Pont chassés de Rome par un édit de Claude (Actes 18.2), le même dont la mention se trouve dans Suétone (Claud., 25). Un historien chrétien du Ve siècle, Orose (Hist. adv. paganos, VII, 6), donne pour date à cet édit la 9e année de Claude (25 janvier 49-25 janvier 50). Il est vrai qu’il dit emprunter cette indication à Josèphe, et qu’elle ne figure pas dans les œuvres de cet auteur. Mais quelle que soit l’origine du renseignement, il prend une valeur singulière par son accord avec la conclusion à laquelle on est amené par une tout autre voie. Si c’est en 49 qu’un décret d’expulsion a obligé Aquilas et Priscille à quitter Rome, ils devaient être, comme le disent les Actes, établis depuis peu à Corinthe quand Paul y arriva, trois mois au plus tard après le début de l’année 50.

3. Les principales étapes de la carrière de Saint Paul

Les dix-huit mois (si ce n’est plus) du premier séjour de Paul à Corinthe sont compris dans ce qu’on est convenu d’appeler son deuxième voyage missionnaire (Actes 15.36-18.22). Pour juger du temps écoulé entre le départ d’Antioche et l’arrivée à Corinthe, il faut tenir compte et de la longueur de l’itinéraire parcouru et de l’importance des travaux accomplis ; il faut compléter le récit des Actes à l’aide des lettres adressées aux églises de Galatie et de Macédoine, dont la fondation date d’alors ; il faut noter, par exemple, que Paul s’arrêta à Thessalonique assez longtemps pour y recevoir par deux fois les dons des nouveaux chrétiens de Philippes (Philippiens 4.16). L’intervalle doit bien être d’une douzaine de mois. Paul s’est donc mis en route vers le commencement de 49 ou la fin de 48, dans ce dernier cas assez tôt pour pouvoir franchir les défilés du Taurus avant le gros de l’hiver.

De toute façon, c’est en 48 que nous placerons la conférence de Jérusalem, ainsi que le conflit d’Antioche, qui apparemment l’a suivie de près. Entre Galates 2 et Actes 15, il y a des différences qui ne sont pas toutes faciles à expliquer ; mais les concordances l’emportent : même question, traitée entre les mêmes hommes, et pour l’essentiel même accord. Ce sont bien deux récits du même événement. On ne peut sans arbitraire identifier le voyage à Jérusalem dont parle Galates 2 avec celui qui est mentionné Actes 11.30 et Actes 12.25. Là, les circonstances sont tout autres : Barnabas et Paul ne vont à Jérusalem que pour porter un secours de la part de l’Église d’Antioche, et ce secours est remis aux anciens ; les apôtres ne sont même pas nommés. En outre, le silence de l’épître aux Galates sur la grande réunion racontée Actes 15 ne s’expliquerait que dans le cas où cette épître daterait d’avant cette réunion. Et alors, il faudrait admettre qu’elle a pour destinataires les habitants de la Pisidie et de la Lycaonie évangélisés lors du premier voyage de Paul (Actes 13 et Actes 14). Ces contrées faisaient partie, c’est vrai, de la Galatie au sens administratif, de la province romaine de la Galatie. Mais il vaut mieux ne pas avoir à chercher là les Galates auxquels Paul s’adresse dans son épître (3.1), car cette hypothèse « sud-galatique » se soutient mal. Les habitants de Lystre ou d’Antioche de Pisidie auraient été plutôt surpris de s’entendre appeler du même nom que les descendants des envahisseurs celtes fixés à Ancyre, Pessinonte et Tavium, sous prétexte qu’ils étaient gouvernés par le même légat propréteur. Nous ne croyons pas non plus à la possibilité de rapprocher Galates 2 de Actes 18.22. Dans ce dernier texte, les mots « étant monté et ayant salué l’Église » paraissent bien indiquer une visite de Paul à Jérusalem. Mais à cette époque il s’était séparé de Barnabas (Actes 15.39). Et rien ne donne à penser que cette visite ait marqué dans l’histoire de ses relations avec les premiers apôtres.

C’est donc en remontant à partir de 48, date du concile apostolique (Galates 2 = Actes 15), qu’il faut compter les quatorze ans après lesquels Paul dit être allé à Jérusalem avec Barnabas (Galates 2.1). La traduction « après » ou « au bout de », communément admise ici pour la préposition dia avec le génitif, est rejetée par M. Ch. Bruston. Selon lui, Paul écrirait avant le concile apostolique ; il voudrait dire que « pendant » les quatorze ans écoulés entre sa première venue à Jérusalem et le moment où il écrit, il y est retourné une fois, une seule, à savoir dans la circonstance rapportée par Actes 11.30. Mais lorsque la même préposition, suivie aussi d’une indication numérique de durée, a le sens de « pendant », « en l’espace de » (Actes 1.3 ; Matthieu 26.61), on veut parler d’une action qui se poursuit ou se répète durant tout le temps indiqué, et non d’une action qui tomberait à un moment donné de cette période. Le sens « après un intervalle de » est classique (Hérodote, VI, 118, « après vingt ans ») ; ici c’est le seul qui convienne.

La vraie difficulté est celle-ci : Paul compte-t-il dix-sept ans ou seulement quatorze, entre sa conversion et la conférence de Jérusalem ? Après la phrase relative à la conversion et à ses suites immédiates (Galates 1.15 et suivants), viennent trois « ensuite » qui s’enchaînent : « ensuite, trois ans après, je montai à Jérusalem » (Galates 1.18) ; « ensuite, je me rendis dans les régions de la Syrie et de la Cilicie » (Galates 1.21) ; « ensuite, au bout de quatorze ans, de nouveau je montai à Jérusalem » (Galates 2.1). Le deuxième marque la succession des faits, mais n’entre pas dans le compte des années. Le troisième, numériquement déterminé comme le premier, introduit le récit d’une nouvelle entrevue des apôtres. Cette indication reporte donc plus naturellement le lecteur à la mention de la première entrevue qu’au point de départ de l’énumération. Aussi admettrons-nous, quoique l’autre manière de compter ne puisse être péremptoirement exclue, que les quatorze ans de Galates 2.1 ne doivent pas comprendre les trois ans de Galates 1.18, mais s’y ajouter. Nous aurions donc 3 + 14 = 17, et 48 – 17 = 31, date de la conversion. Il convient cependant de remarquer que l’usage des anciens permettait de dire « après trois années » du moment qu’on en était à la troisième selon le calendrier, et alors même qu’une seule des trois, celle du milieu, se trouvait entière, les deux autres n’étant représentées que par des fractions. Quand il s’agit de la résurrection de notre Seigneur, dont le corps devait rester dans le tombeau du vendredi soir au dimanche matin, « après trois jours » (Marc 8.31 ; Marc 9.31 ; Marc 10.34) ne signifie pas autre chose que « le troisième jour ». Ainsi, dans le cas qui nous occupe, la date qu’on obtient en soustrayant 17 de 48 correspond à un maximum possible d’intervalle. Mais on a des chances de serrer la réalité de plus près, en diminuant d’une unité, comme le font certains chronologistes, chacun des deux chiffres cités par l’apôtre, en comptant donc deux ans au lieu de trois, treize au lieu de quatorze, et quinze en tout au lieu de dix-sept ; ce qui ferait remonter la conversion de Paul non pas à 31 après Jésus-Christ, mais seulement à 33.

Ni les Actes ni les épîtres ne nous fournissent le moyen de préciser davantage. Si l’apparition qui a converti Saul de Tarse est mise par saint Paul à la suite de celles qui avaient été accordées à ses prédécesseurs dans l’apostolat (1 Corinthiens 15.5 ; 1 Corinthiens 15.8), il n’en résulte pas nécessairement qu’elle doive avoir eu lieu à une date très rapprochée de la mort du Christ. Les événements racontés dans les premiers chapitres des Actes, y compris la mort d’Étienne, la persécution qui suivit, et l’évangélisation de la Samarie par les disciples que la persécution avait dispersés, paraissent plutôt réclamer un intervalle assez long. Le Sauveur ayant été crucifié au printemps de l’an 30, ce n’est qu’à la rigueur qu’on peut dater de l’année suivante la conversion de Saul le persécuteur. Pour la placer en 31, plus précisément en automne de cette année, on s’est appuyé sur un passage de l’Ascension d’Ésaïe, pseudépigraphe dont la partie chrétienne date du IIe siècle. On y lit (9.16) que le Fils de l’homme restera 545 jours (dix-huit mois) dans ce monde après sa résurrection. Irénée a recueilli la même donnée chez les gnostiques (Adv. hoer., I, 3.2, 30.14). Suivant une hypothèse adoptée par Harnack, cette croyance proviendrait de ce qu’il s’était écoulé dix-huit mois entre la résurrection et l’apparition à Paul, envisagée comme la dernière de celles du Christ ressuscité. C’est peut-être faire bien de l’honneur à une telle tradition que de lui attribuer une origine historique. Nous nous bornerons donc à maintenir la possibilité de la conversion en 31, tout en donnant la préférence à la manière de compter qui retarde cet événement d’un à deux ans.

Mais on invoque souvent, en faveur d’une date plus tardive encore, un argument tiré de l’épisode de la fuite de Damas (Actes 9.23 ; Actes 9.25 ; 2 Corinthiens 11.32 et suivant). Selon notre estimation, cet épisode, à la suite duquel Paul vint à Jérusalem pour la première fois après sa conversion, se placerait en 34 (trois ans après 31) ou mieux en 35 (deux ans après 33). Mais la mention de « l’ethnarque du roi Arétas », dans le texte de 2 Corinthiens, est interprétée par bien des auteurs comme établissant que ce roi nabatéen (Arétas IV, père de la première femme d’Hérode Antipas) était alors en possession de la ville de Damas. On juge peu vraisemblable qu’il ait pu s’en emparer de force, mais on suppose-qu’il l’aurait reçue amiablement de l’empereur Caligula. Ainsi l’évasion dans la corbeille serait postérieure à la mort de Tibère (37), et la conversion de Paul devrait être retardée en conséquence. Mais il n’y a d’autre preuve de cette prétendue cession que l’absence de l’effigie de Caligula et de celle de Claude dans la série des monnaies de Damas. Preuve trop négative pour appuyer suffisamment une telle hypothèse. Nous ignorons du reste la nature exacte des pouvoirs que possédait ledit ethnarque, comme aussi la nature exacte des circonstances qui ont rendu possible l’organisation du guet-apens auquel Paul n’échappa qu’à si grand’peine. Si l’on veut que cette affaire soit en rapport avec une éclipse de l’autorité romaine à Damas, pourquoi ce phénomène, d’assez peu de durée pour que les historiens n’en disent mot, ne se serait-il pas produit à une date antérieure à 37 ? Tout ce qu’on peut conclure, au point de vue chronologique, du bref passage où Paul évoque cette périlleuse aventure des premiers temps de son apostolat, c’est qu’elle date d’avant la mort d’Arétas, qui survint en 40. Et cette conclusion n’est guère utile pour nous, car nous n’avons pas besoin d’autant de marge qu’elle nous en laisse.

Nous avons parlé plus haut de la famine prédite par Agabus. C’est en 45 ou en 46 que Barnabas et Paul ont dû venir à Jérusalem avec l’offrande fraternelle de l’Église d’Antioche. Nombreux sont les critiques qui nient ce voyage, le considérant comme exclu par les déclarations de l’épître aux Galates. Il est vrai que Paul ne mentionne qu’une visite faite par lui aux apôtres entre sa conversion et la conférence apostolique. Mais s’il prend Dieu à témoin de l’exactitude de son dire (Galates 1.20), ce n’est point pour assurer que l’énumération de ses voyages à Jérusalem sera complète. Il veut prouver qu’il tient son mandat de Dieu et non des hommes (Galates 1.11 et suivant). Cette preuve est faite puisqu’il n’a vu Pierre et Jacques que trois ans après s’être converti, et qu’il n’a pas attendu leur approbation pour prêcher l’Évangile. Cependant les « colonnes de l’Église » ont expressément reconnu la validité de sa mission, et il veut aussi qu’on le sache. C’est pourquoi il parle ensuite de l’entrevue de 48. Mais quand il dit : « Je montai de nouveau à Jérusalem » (Galates 2.1), rien ne force à croire que ce de nouveau signifie pour la seconde fois. Il ne serait guère utile à son dessein de noter qu’on l’a vu une fois à Jérusalem dans l’intervalle, à un moment où Pierre n’y était probablement pas (cf. Actes 12.17). S’il mentionne sa promesse d’intéresser les églises des Gentils au sort de la communauté primitive, c’est que cette promesse, à laquelle il n’a pas manqué de faire honneur (Galates 2.10), a la valeur d’un gage d’union. Il n’est pas obligé pour cela de rappeler que déjà auparavant il était venu avec Barnabas, comme délégué de l’Église d’Antioche, alors qu’il ne s’agissait que de secourir des frères durement éprouvés.

Deutéronome 45/46 à 48, on a le temps voulu pour le voyage missionnaire raconté aux chapitres 13 et 14 des Actes, et pour le séjour de quelque durée que Paul et Barnabas firent à Antioche (14.28) avant de se rendre à la conférence de Jérusalem. Après les nouvelles pérégrinations qui remplissent l’année 49, vient l’important séjour à Corinthe dont on peut, grâce au synchronisme que nous avons étudié, faire le pivot de la chronologie paulinienne, et qui s’étend selon nous du début ou du printemps de 50 à l’automne de 51. De retour à Antioche, Paul y resta un « certain temps » (Actes 18.22), c’est-à-dire sans doute y séjourna pendant l’hiver de 51 à 52. Puis il se remit en route et parcourut la Galatie et la Phrygie, « fortifiant tous les disciples » (Actes 18.23). On ne nous dit pas combien cette tournée apostolique prit de mois, mais il nous paraît excessif de la faire durer jusqu’au printemps de l’année suivante. Disons seulement que l’année 52 devait être à son déclin quand, des hautes régions de l’Asie Mineure, Paul arriva à Éphèse.

Le séjour qu’il fit dans cette ville fut long, riche en travaux et en combats (Actes 19 ; 1 Corinthiens 15.32 ; 1 Corinthiens 16.9 ; 2 Corinthiens 1.8 et suivants), et coupé par un voyage à Corinthe (2 Corinthiens 2.1 ; 2 Corinthiens 12.14 ; 2 Corinthiens 13.1 et suivant). Dans son discours de Milet, adressé aux anciens de l’Église d’Éphèse, il évalue à trois ans la durée de son ministère au milieu d’eux (Actes 20.31). L’auteur des Actes indique trois mois de prédication à la synagogue (Actes 19.8) et deux ans d’enseignement à l’école de Tyrannus (Actes 19.10). Mais il est possible que ces deux chiffres n’embrassent pas la totalité du séjour : il faudrait y ajouter le temps que Paul resta en Asie après avoir envoyé Timothée et Éraste en Macédoine (Actes 19.22). D’autre part, en disant « trois ans », l’apôtre peut arrondir son total. On ne doit pas être loin de compte en admettant que cette période éphésienne a commencé en 52 (automne) et s’est terminée en 55 (printemps), ce qui fait deux années et demie.

En Macédoine, où il passa ensuite après un arrêt à Troas (Actes 20.18 ; 2 Corinthiens 2.12 et suivant), Paul paraît avoir déployé une grande activité, malgré le tourment d’esprit que lui causait la crise corinthienne et malgré les difficultés que lui suscitaient comme partout les ennemis de son œuvre (2 Corinthiens 7.5). Il s’occupa de la collecte en faveur des saints de Jérusalem, à laquelle les églises de Macédoine contribuèrent généreusement (2 Corinthiens 8.1 et suivants). Il travailla aussi parmi les païens : c’est alors, semble-t-il, qu’il porta l’Évangile jusqu’aux confins de l’Illyrie, sinon jusqu’à l’intérieur de ce pays (Romains 15.19). Rejoint entre temps par Tite, qui lui apportait des nouvelles rassurantes de Corinthe (2 Corinthiens 7.6 et suivant), il l’y renvoya (2 Corinthiens 8.6), probablement avec la lettre que nous appelons la seconde aux Corinthiens. À la fin de l’année, il se rendit lui-même en Grèce, c’est-à-dire sans doute à Corinthe, et y séjourna trois mois (Actes 20.2 et suivant), qui doivent correspondre à l’hiver de 55 à 56. Revenu en Macédoine, il s’embarqua à Néapolis, port de Philippes, « après les jours des azymes » (Actes 20.6). Si l’on était certain que ce départ eut lieu le lendemain même du 21 nisan, dernier jour des solennités pascales, on pourrait, en tenant compte des cinq jours de traversée de Néapolis à Troas, puis des sept jours d’arrêt dans cette ville, remonter à partir du lundi, jour où Paul quitta Troas (verset 7), jusqu’au jour où la Pâque avait été célébrée cette année ; et l’astronomie pourrait intervenir pour déterminer de quelle année il s’agit, avec toutes les réserves qu’appelle le caractère peu rigoureux des observations lunaires sur lesquelles se fondait le comput juif. Mais rien ne prouve que l’apôtre et ses compagnons ne se soient pas embarqués quelques jours seulement après la fin de la fête. On n’est pas absolument sûr, d’ailleurs, de la façon dont les cinq et les sept jours d’intervalle doivent être comptés. Il est question plus loin de la hâte de Paul, qui voulait être à Jérusalem avant la Pentecôte. Cette hâte se comprend d’autant mieux si d’abord il ne s’était pas autrement pressé — c’est bien ce que semble indiquer son séjour d’une semaine à Troas — , ou avait été retardé par les circonstances. Qu’il soit ou non arrivé à temps, son arrestation dut suivre d’assez près son arrivée (Actes 21.17 et suivants, 27 et suivants). Elle se placerait donc aux environs de la Pentecôte de l’an 56. Paul était prisonnier depuis deux ans quand le procurateur Félix fut remplacé par Festus (Actes 24.27). Si nos estimations sont justes, ce changement a eu lieu en 58. Mais plusieurs chronologistes, pour les raisons que nous allons dire, croient devoir le mettre à une date antérieure, et avancer en conséquence celle de l’emprisonnement de Paul. Josèphe raconte (Antiquités judaïques, XX, 8.9) que Félix, rappelé à Rome et accusé par les Juifs devant Néron, fut acquitté à cause du crédit dont jouissait son frère Pallas. Le retour de Félix aurait ainsi précédé la disgrâce de Pallas, qui se produisit peu avant le 13 février 55, jour où Britannicus devait avoir quatorze ans (Tacite, Ann., XIII, 14.15 ; Suétone, Claud.).  Mais comme le règne de Néron a commencé le  13 octobre 54, on ne voit pas la possibilité de faire tenir entre cette date et le milieu de février tous les événements qui se sont passés en Palestine après la mort de Claude, puis le rappel du procurateur, son voyage à Rome, son procès. Il faut croire que Pallas avait gardé assez d’influence, même après sa chute, pour pouvoir aider l’un des siens à se tirer d’une mauvaise affaire. À moins encore que son intervention n’ait été imaginée pour expliquer un non-lieu dont les Juifs avaient dû être extrêmement mortifiés. Ce que dit Josèphe du rôle de Pallas dans le procès de Félix ne saurait donc nous obliger à reporter plus tôt les événements de cette partie de la vie de Paul. Mais on en appelle aussi à la Chronique d’Eusèbe, dont l’édition latine, due à saint Jérôme, donne pour date au remplacement de Félix par Festus la 2e année de Néron (la date encore plus hâtive indiquée par la version arménienne de la Chronique, à savoir la 14e année de Claude, est contredite par Eusèbe lui-même, Histoire ecclésiastique, II, 22.1). Il s’agirait alors de l’année 55 /56, et l’arrestation de Paul se trouverait remonter à la Pentecôte de 54. Voici cependant qui nous empêche de nous fier ici à Eusèbe. Au moment où Paul fut arrêté, le tribun crut avoir affaire à un Égyptien qui s’était mis quelque temps auparavant à la tête d’une révolte (Actes 21.38). Josèphe raconte la tentative de cet aventurier (Antiquités judaïques, XX, 8.6 ; Guerre des Juifs, II, 13.5) ;  il la place après l’avènement de Néron, donc pas avant octobre 54. Conséquence : Félix ne peut avoir été remplacé en 55-56 car si tel était le cas, Paul, deux ans plus tôt, aurait été pris pour l’auteur d’une sédition qui n’avait pas encore éclaté. Ce n’est pas tout. L’entrée en charge de Félix peut être fixée assez exactement à l’année 52. Josèphe (Antiquités judaïques, XX, 7.1) la mentionne juste avant de noter l’achèvement de la 12e année du principat de Claude (janvier 53). D’après Tacite (Ann., XII, 54), Félix avait déjà gouverné une partie de la Palestine du temps de Cumanus ; mais Josèphe, ici plus précis et plus circonstancié, le fait venir de Rome seulement après la révocation de son prédécesseur (que Tacite raconte aussi comme un des événements de l’année 52). Dès lors est-il possible que Paul, comparaissant devant Félix en 54, lui ait dit qu’il gouvernait la nation juive « depuis plusieurs années » (Actes 24.10) ? Même si c’est là une formule de politesse, elle se comprend mieux deux ans plus tard. Quelques-uns admettent cependant qu’Eusèbe est en retard d’une année et compte l’année 56/57 pour la 2e de Néron. L’emprisonnement de Paul tomberait alors en 55, date qui se rapprocherait déjà davantage des vraisemblances historiques. Seulement le synchronisme de Gallion empêche de faire commencer le troisième voyage avant l’année 52 ; et ce voyage, ou plutôt cette grande période d’activité qui comprend le séjour à Éphèse, ne peut pas se réduire à trois ans et une fraction. Une année de plus est nécessaire. Il est à peu près sûr, d’un autre côté, que le rappel de Félix n’est pas postérieur à 60. En effet, il ne faut pas compter moins de deux ans pour les événements qui se sont passés sous le successeur de FélixFestus. Et c’est en 62 au plus tard que celui-ci mourut, puisque Albinus, qui lui succéda, était déjà en Palestine en automne de cette année. Comme les fonctions de Félix ont débuté en 52, et qu’on doit bien leur attribuer une longueur totale d’au moins six ans, le flottement se limite entre 58 et 60. Ceux qui optent pour la date moyenne de 59 doivent mettre l’arrestation en 57. C’est possible en comptant trois années pleines pour le séjour à Éphèse, et en allongeant de quelques mois, soit le voyage d’Antioche à Éphèse (Actes 18.23 et Actes 19.1), de manière que Paul n’arrive dans cette ville qu’au printemps de 53, soit la phase TroasMacédoine (2 Corinthiens 2.12 ; 2 Corinthiens 2.13 ; Actes 20.1-2), qui aurait commencé en 55 et rempli presque toute l’année 56. La supputation à laquelle nous nous sommes arrêté nous paraît avoir l’avantage de ne pas trop distendre les intervalles, sans toutefois avoir l’inconvénient de les resserrer trop. Le départ de Paul pour Rome, décidé dès que Festus, nouvellement entré en charge, l’eut entendu en appeler à César (Actes 25.12), eut lieu dans l’automne de la même année, qui est pour nous l’année 58. Le jeûne de Kippour était passé quand le navire qui portait l’apôtre et ses compagnons toucha à Beaux-Ports, sur la côte méridionale de l’île de Crète (Actes 27.8 et suivant). Les trois mois de séjour à Malte après la tempête et l’échouage, puis le voyage de Malte à Syracuse et de Syracuse à Rome (Actes 28.1-15), nous amènent à la fin de février ou au commencement de mars de l’année 59. Et deux ans après, en 61, s’achève le temps pendant lequel Paul fut gardé à domicile par un soldat (Actes 28.16 ; Actes 28.30). La tradition très ferme de l’ancienne Église est que les apôtres Pierre et Paul ont subi tous deux le martyre à Rome, sous Néron. Il n’y a aucune raison valable d’en douter, mais la date de leur mort ne peut pas être fixée avec certitude, et quand Denys de Corinthe (cité par Eusèbe, Histoire ecclésiastique, II, 25.8) déclare qu’ils ont rendu témoignage « dans le même temps », on n’est pas sûr que cette simultanéité doive s’entendre à la lettre. Une opinion qui s’exprime souvent est que Paul a été condamné et exécuté au bout de ses deux ans de captivité mitigée. Mais si la carrière de l’apôtre s’était terminée à ce moment-là et de cette façon, l’auteur des Actes l’aurait su, puisqu’il parle de ces deux ans comme d’une période close et révolue. Et il n’aurait pu moins faire que d’indiquer d’un mot ce dénouement tragique, qu’on ne pouvait espérer cacher en le taisant, à supposer qu’on en eût envie. Selon toute apparence, Luc se proposait de reprendre dans un autre livre son récit interrompu. On ne sait ce qui l’a empêché de donner cette suite à son ouvrage, mais c’était une bonne manière de l’amorcer que de dire brièvement comment Paul, arrivé à Rome, y vécut en attendant l’issue de son procès. Seulement, si ce procès — le premier — n’avait pas abouti à un élargissement suivi d’une nouvelle phase d’activité missionnaire, il n’eût pas été raisonnable de laisser en suspens une histoire qui allait toucher à sa fin. La mention du voyage en Espagne, qui se trouve dans l’épître de saint Clément aux Corinthiens sous la forme d’une périphrase d’ailleurs assez claire (V, 7), puis en termes exprès dans le fragment de Muratori, ne doit pas reposer uniquement sur le texte où Paul annonce son intention de se rendre dans ce pays (Romains 15.24 ; Romains 15.28). Aurait-on même conclu à tort du projet formé au projet exécuté, il n’est guère croyable que cette conclusion eût pu être tirée et se faire accepter si l’on n’avait su que l’apôtre, libéré après une première captivité, était parti pour de nouveaux voyages. Enfin, les épîtres pastorales apportent en faveur de cette libération un témoignage dont toute la valeur ne dépend pas, quoi qu’on en dise, de la question préalable de leur authenticité ; car si ces lettres étaient l’œuvre d’un faussaire, il les aurait mieux accréditées en les mettant en rapport avec des circonstances réelles et connues qu’en leur donnant un cadre historique fictif. Resterait à savoir si Paul, revenu à Rome, est mort dans la persécution qui suivit l’incendie de juillet 64, ce que beaucoup d’auteurs admettent pour lui comme pour Pierre, ou s’il faut songer à une autre date. Clément romain parle d’abord du martyre des deux apôtres (V, 3-7), puis de celui d’une « grande foule d’élus » qui vint s’adjoindre à eux (VI, 1, 2). Il est clair que, par cette foule, l’évêque de Rome entend les victimes de l’horrible exécution collective dont l’incendie fut le prétexte (Tacite, Ann., XV, 44). Mais son langage n’est pas de nature à ce qu’on en puisse tirer des conclusions précises au sujet de l’époque de la mort des apôtres. Et quand il fait allusion au témoignage rendu par Paul « devant ceux qui gouvernent », ces expressions font penser à un jugement régulier plutôt qu’à des supplices où les chrétiens furent conduits en masse. On considérera aussi le texte de Caïus (cité par Eusèbe, Histoire ecclésiastique, II, 25.7), qui atteste vers 200 la localisation distincte des tombeaux apostoliques, et encore la tradition relative à la manière dont Pierre et Paul auraient péri : le premier crucifié, le second décapité, comme un condamné dont la qualité de citoyen romain aurait été reconnue. Tout cela donne quelque consistance à l’idée que Paul au moins serait mort à une date postérieure à la persécution de 64 ; non pas antérieure, car on ne voit pas qu’auparavant la « superstition nouvelle » (Suétone, Nero, 16) ait été un motif de condamnation. Signalons la date indiquée par Eusèbe (Chronique, édition hiéronymienne) : 14e année de Néron (67/68). Mais il en fait à la fois celle du double martyre de Pierre et de Paul et celle de la persécution néronienne qu’on rapporte d’après Tacite à l’année 64. Néron étant mort le 9 juin 68, nous nous bornerons à dire que la fin glorieuse des deux apôtres ne peut se placer ni avant 64, ni après 68.

Tableau récapitulatif

Événement Date
Nativité 7 ou 6 avant notre ère
Début du ministère public 27 ou 28 après Jésus-Christ.
Passion de notre Seigneur 30
Conversion de saint Paul (31) 33
Premier voyage de Paul à Jérusalem (34) 35
Persécution d’Hérode Agrippa 44
Secours apporté par Barnabas et Paul à Jérusalem 45 ou 56
Conférence de Jérusalem 48
Paul à Corinthe 50-51
Comparution devant Gallion été 51
Paul à Éphèse 52-55
Arrestation à Jérusalem 56
Captivité à Césarée 56-58
Arrivée à Rome 59
Fin du récit des Actes 61 ?
Mort des apôtres Pierre et Paul entre 64 et 68
Ruine de Jérusalem 70

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LE PAYS DE JESUS© par campionpierre. Tous droits réservés.

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