146 Chapitre 3 : Boissons fermentees et non fermentees

1. Boissons fermentées

On connaît mal les anciens procédés de vinification. Le terme courant pour désigner le vin fermenté (141 fois dans l’Ancien Testament) est yaïn : « Noé en but et s’enivra » (Genèse 9.21). L’opinion que le yaïn n’était pas forcément fermenté ne se soutient pas ; en fait, les anciens ignoraient le moyens d’empêcher le moût (tîrôch) de fermenter. Les amendes pour les dégâts commis dans les vignes se payaient en yaïn (Amos 2.8), et si le prophète reproche ici aux Judéens de « boire le vin des amendes dans la maison de leur Dieu », ce n’est pas le fait de boire du vin qu’il condamne, mais l’injustice des exploiteurs qui font la fête — et la fête religieuse ! — aux dépens des pauvres durement taxés. Le vin des prémices (bikkourim et réchithExode 23.19 ; Exode 34.26, cf. Deutéronome 8.8) était du moût (tîrôch) ; mais à cause du climat il fermentait vite en yaïn ; la preuve, c’est que les prêtres, qui ne récoltaient rien directement et n’avaient, en fait de vin, que le moût des prémices, devaient s’abstenir de yaïn et de chékar , « afin de pouvoir distinguer entre ce qui est saint et ce qui ne l’est pas » (Lévitique 10.9 et suivant), ce qui fait bien entendre que ces deux genres de vin étaient fermentés. De même le vin était interdit à Rome, au flamme (prêtre) de Jupiter. Le vin consommé pendant les années sabbatiques et jubilaires ne pouvait qu’être fermenté, puisque ces années-là on ne devait pas plus vendanger que moissonner, la vigne étant alors tenue pour nazir (consacrée), et l’on devait vivre sur les récoltes des années précédentes, Dieu ayant promis qu’elles suffiraient pour trois ans (Lévitique 25.5 ; Lévitique 25.11 ; Lévitique 25.21). Enfin, la couleur rouge du yain (Proverbes 23.31), — d’où la figure : le « sang des grappes », ou « des raisins » (Genèse 49.11 ; Deutéronome 32.14, cf. Siracide 39.26 ; Siracide 50.15 ; 1 Macchabées 6.34), — indique formellement qu’il était fermenté, car cette couleur provient de la fermentation du moût avec la grappe. La Bible connaît plusieurs crus célèbres : ceux de Hesbon (Ésaïe 15.4 ; Ésaïe 16.8, le « vin royal » de Esther 1.7), de Sibma (Ésaïe 16.9 ; Jérémie 48.33), d’Éléalé (Ésaïe 16.9), du Liban (Osée 14.7), d’Hébron (EscolNombres 13.23 et suivant), etc. Ésaïe, parlant de la restauration de Jérusalem, la dépeint sous l’image d’un « festin de vins vieux, pris sur la lie et clarifiés » (Ésaïe 25.6), pratique à laquelle Jérémie 48.11 fait aussi allusion. Dans Siracide 9.10, une comparaison porte sur le vin nouveau, qui s’améliore en vieillissant ; dans 2 Macchabées 15.39, une autre porte sur le vin mélangé d’eau bien préférable au vin pur ou à l’eau pure. Deux synonymes de yain sont plus rares : sôbè et khèmèr-yain est le vin défini en fonction du procédé par lequel on l’obtient (fermentation du moût). Sôbè est le vin défini par ses propriétés enivrantes (de sâbâ, boire abondamment) : Proverbes 23.20 et suivant parle des « ivrognes de vin » (sôbeé-yain), Nahum 1.10 compare les ivrognes ninivites imbibés de boisson à des épines inextricables (sâbeâm-seboûim, sîrim-seboukim) ; ce sôbè devait être plus capiteux que le simple yain : Ésaïe 1.22 dénonce comme falsifié un sôbè coupé d’eau, ce qui, sans doute, le faisait ressembler au yatn. Le khèmèr (Deutéronome 32.14 ; Ésaïe 27.2 ; araméen, khamarDaniel 5.1 ; Daniel 5.4 ; Daniel 5.23 ; Esdras 6.9 ; Esdras 7.22) désigne aussi un vin fermenté, mais probablement amer ou aromatisé par un mélange destiné à le rendre plus fort ; les anciens donnaient volontiers à leurs boissons un goût de résine ou de bitume (hébreu khémâr), ce qui se pratique encore pour certains vins grecs ou italiens. En ce cas, les récipients, outres de peau de chèvre ou vases de pierre (Marc 2.22 ; Jean 2.6), étaient imprégnés de ce goût particulier.

La boisson forte par excellence, c’est le chékar (28 fois dans l’Ancien Testament), avec ses synonymes mések (Psaumes 75.9) et mèzeg (Cantique 7.3). La base en est le yain (Proverbes 9.2 ; Proverbes 9.5), auquel on mélange des aromates comme la myrrhe, ou des jus de fruits comme les dattes ou les grenades. Les vieilles traductions rendaient chékar par « Cervoise », l’ancien nom de la bière (latin cervisia, dérivé de Cérès, déesse des moissons) qu’Aristote nommait oinos krithinos = vin d’orge (voir ce mot). Il se peut que la réprobation qui, dans la Bible, s’attache au chékar s’explique justement par le fait que c’était une mixture ; la Loi prohibait, en général, les mélanges hétéroclites (Deutéronome 22.5 ; Deutéronome 22.9 ; Deutéronome 22.11). Une seule fois dans l’Ancien Testament, il est question d’une libation (pour l’holocauste perpétuel) à faire avec du chékar ; (Nombres 28.7) mais les traductions le rendent généralement par « vin » (Version Synodale, vin pur), comme dans 28.14 où le texte dit bien yain Dans les nombreux textes où le yain et le chékar sont associés (Lévitique 10.9 ; Nombres 6.3 ; Deutéronome 14.26 ; Juges 13.4 ; Juges 13.7 ; Juges 13.14 ; 1 Samuel 1.15 ; Proverbes 20.1 ; Proverbes 31.4 ; Proverbes 31.6 ; Ésaïe 5.11 ; Ésaïe 5.22 ; Ésaïe 24.9 ; Ésaïe 28.7), le parallélisme porte sur l’action enivrante de l’un et de l’autre ; mais leur double mention les distingue expressément l’un de l’autre, et le chékar était évidemment à dose d’alcool beaucoup plus forte.

Parmi les boissons fermentées, il faut placer aussi le vinaigre  (khômets), c’est-à-dire du yain ou du chékar aigri, dont on distinguait les deux espèces : le khômets yaïn et le khômets chékar (Nombres 6.3). On le buvait étendu d’eau, on s’en servait aussi comme condiment ; voir (Ruth 2.14)

2. Boissons non fermentées

Le tîrôch est le moût, ou jus de raisins frais (38 fois dans l’Ancien Testament). Le parallélisme fréquent entre le blé, le tîrôch et l’huile indique assez un produit primaire : c’est la trilogie classique des produits types de la Terre promise (Nombres 18.12 ; Deutéronome 7.13 ; Deutéronome 11.14 ; Deutéronome 12.17 ; Deutéronome 14.23 ; 2 Chroniques 31.5 ; 2 Chroniques 32.28 ; Néhémie 5.11 ; Néhémie 10.39 ; Néhémie 13.5 ; Osée 2.8 ; Jérémie 31.12Joël 1.10 ; Joël 2.19 ; Joël 2.24Aggée 1.11). Le tîrôch est le jus qui coule du pressoir (verbe yârach = prendre par force, expulser), appelé une fois « pleurs du raisin » (Exode 22.29 ; Version Synodale, « prémices du pressoir »). C’est ce genre de vin doux que les lévites recevaient comme prémices du pressurage ; il était réputé enivrant (cf. Actes 2.13). Un produit analogue, mentionné plus rarement, âsîs (Ésaïe 49.26Joël 1.5 ; Joël 3.18Amos 9.13 ; Cantique 8.2), est un jus de fruits. Dans Ésaïe 63.3 ; Ésaïe 63.6, le sang est comparé au jus découlant des grappes ; dans Nombres 6.3, il s’agit de raisins frais (anâbim lakhim) ; dans Néhémie 8.10mamethâq est traduit par les « boissons douces » (Version Synodale).

Licence

LE PAYS DE JESUS© par campionpierre. Tous droits réservés.

Partagez ce livre