111 Chapitre 4 : Le Temple

Le Temple

À tout point de vue, le Temple constitue le centre de la vie d’Israël. Le premier, on se souvient, avait été construit par Salomon et fut détruit, au début du 6siècle (586) lors de la prise de Jérusalem par les armées de Neboukadnetsar.

Le second Temple, lui, fut élevé après le retour d’Exil sous la direction du prince Zorobabel grâce à l’impulsion spirituelle donnée par le prophète Aggée. De dimension bien modeste, il a été profané par un souverain païen. Restauré et agrandi, quoique non achevé, par les soins d’Hérode le Grand à partir de 20 avant J.-C., il est détruit en l’an 70 de l’ère chrétienne, lors du siège de Jérusalem. L’historien juif Flavius Josèphe décrit le bâtiment dans les termes suivants :

« Rien dans l’aspect extérieur du temple n’était omis pour frapper l’esprit et le regard. En effet, comme il était recouvert de tous les côtés par d’épaisses plaques d’or, dès le lever du soleil il réfléchissait la lumière avec une telle intensité qu’il obligeait ceux qui le regardaient à détourner les yeux comme devant des rayons du soleil. Pour les étrangers arrivant de dehors, il apparaissait de loin comme une montagne enneigée, car dans les parties où il n’était pas recouvert d’or il l’était d’un marbre des plus blancs. Au sommet, il était hérissé de pointes d’or acérées pour empêcher les oiseaux de se poser et de souiller la toiture.1 »

Cette impression de magnificence est partagée par d’autres témoins de l’époque. Les contemporains de Jésus devaient être émerveillés en arrivant au sommet d’une colline et découvrant la ville avec, au milieu, une tour de 50 mètres de hauteur, équivalente d’un immeuble de quinze étages, plantée sur un immense terre-plein de 480 mètres de long sur 300 de large et surplombant une bonne partie de la ville, elle-même entourée d’un mur qui formait un véritable rempart.

Pénétrons sur ce terre-plein : Juifs et païens y ont accès. On remarque deux immenses portiques, sous lesquels sont installés les marchands de bœufs, de moutons, de colombes, d’huile et de farine, éléments nécessaires au culte; des changeurs de monnaies aussi, ne l’oublions pas, car la circulation des différentes monnaies à l’intérieur de la Palestine rendait indispensable une telle profession. La monnaie officielle du Temple est frappée du temps d’Alexandre Jannée (103-76 avant J.-C.) et elle a le même poids que celle de Tyr (raison pour laquelle elle est appelée monnaie tyrienne). Le centre du terre-plein est surélevé par rapport à l’ensemble; des stèles écrites en grec et en latin en interdisent, sous peine de mort, l’entrée à tout incirconcis.

Par des marches, on accède à la terrasse centrale sur laquelle se trouve élevé l’édifice du Temple. Neuf portails, quatre au nord, quatre au sud et un à l’est, y donnent accès; ces neuf portails :

« … étaient recouverts d’or et d’argent sur toute leur surface. L’étaient aussi leurs montants et leurs linteaux; un seul, à l’extérieur du sanctuaire, l’était en bronze de Corinthe, surpassant largement en valeur les portails plaqués d’or et d’argent. Chaque portail avait deux portes de trente coudées de chacun [15 m] et de quinze de large » (Josèphe).

Cette porte corinthienne est sans doute la Belle Porte mentionnée dans Actes 3.2.

On traverse ensuite le parvis des femmes, puis celui des hommes et celui des prêtres qui entoure l’autel des sacrifices. Derrière cet autel se dresse le Temple proprement dit, sorte de cube mesurant 50 mètres en longueur, largeur et hauteur. À l’intérieur, la salle nommée Saint contenait au centre l’autel des parfums, à gauche la table des pains des propositions ou d’offrande, à droite le chandelier à sept branches; le Saint des Saints, lui, est entièrement vide (dans le Temple de Salomon, il contenait l’arche de l’alliance). Il est fermé non par un mur, mais par un double rideau (le voile du Temple); seul le souverain sacrificateur, quoiqu’avec une grande crainte, avait le droit d’y pénétrer une fois par an, le jour de la fête des Expiations; c’est le lieu même de la présence du Seigneur.

Un certain nombre de bâtiments annexes sont accolés au mur du Temple; ainsi la salle du Sanhédrin, les réserves pour le bois, le vin et l’huile destinés au culte, la salle du trésor. D’autres éléments décoratifs, comme des grappes de raisins en or, de la taille d’un homme, sont vues sur le fronton et de nombreuses teintures, faites de tissus précieux, importés des pays lointains.

Quand Josèphe parle de marbres éclatants de blancheur et d’or étincelant, il doit passablement enjoliver, à moins que les prêtres (les seuls à pouvoir pénétrer dans cette partie du sanctuaire) ne nettoient régulièrement les murs; en effet, l’autel est un sérieux foyer de pollution; il n’a aucun point commun avec les autels des églises romaines. Cet autel carré de 25 mètres de côté et de 7,50 mètres de haut, auquel on accède par un escalier, ressemble davantage à un incinérateur ou à un four crématoire, dépourvu de système de récupération et de filtrage de fumées, l’essentiel du culte consistant à brûler entièrement la victime (holocauste) ou bien, au moins, les viscères et la graisse (sacrifices pour les péchés et sacrifices de communion). Seules les peaux ne sont pas consumées et elles sont acquises par les sacrificateurs. Pour le feu, on emploie du bois relativement précieux associé à de l’encens dont le parfum sert à atténuer l’odeur de la viande carbonisée.

Chaque jour, on immole comme sacrifice perpétuel d’Israël à Dieu deux agneaux d’un an; un le matin, un autre le soir. L’empereur romain fait également sacrifier (à ses propres frais) deux animaux, on ne sait quels, l’un pour lui-même l’autre pour l’empire. Notons au passage une différence notable; alors que tous les autres peuples de l’empire doivent immoler à l’empereur, ici on offre un sacrifice en son nom. Nous ignorons le rituel exact de ces sacrifices officiels; si un grand-prêtre désigné par le sort y officie, il est probable que les autres prêtres de service l’assisteront et que les lévites musiciens interviennent. Durant le reste de la journée se succèdent les sacrifices privés; là encore, le chiffre en est inconnu, mais il doit être élevé, notamment en période estivale (époque des voyages) et surtout au moment des grands pèlerinages. Si Hérode, en l’an 20 avant notre ère, a décidé d’agrandir le Temple, la raison en est bien entendu tout à fait politique, car il désire gagner la faveur des Juifs. Mais ceux-ci n’ont pu accepter cette mesure, laquelle dut leur poser des problèmes d’ordre rituel et des difficultés pour maintenir le culte, si cela n’avait correspondu à un besoin effectif. Actes 21.26 suppose qu’il faut prendre rendez-vous pour offrir un sacrifice. Il est vrai aussi qu’Actes 20.16 laisse entendre que Paul est arrivé au moment d’un pèlerinage, mais on ne peut en conclure que les prêtres ne chômaient pas!

L’Israélite qui veut offrir un sacrifice commence par entrer dans le Temple acheter de la farine et de l’huile nécessaires pour pratiquement toutes les offrandes. Puis il pénètre dans la seconde enceinte et se dirige vers le parvis d’Israël. Il se présente à un prêtre, lequel sera reconnaissable à sa tenue spéciale (vêtement de lin blanc). Ce dernier l’emmène alors à travers le parvis des prêtres, qu’un laïc peut emprunter pour les circonstances jusqu’au pied de l’autel. Si, dans l’Ancien Testament, c’était l’offrant qui égorgeait personnellement la victime, il semble qu’au premier siècle de notre ère ce rôle soit dévolu au prêtre, sauf pour le rite de l’agneau pascal, immolé par le chef de famille, car c’est le peuple tout entier qui, selon Philon d’Alexandrie, est élevé ce soir-là à la dignité sacerdotale. Puis l’animal est dépecé et les quartiers sont répartis selon les prescriptions de la loi. Prières ou bénédictions accompagnent ces rites, mais elles ne nous sont pas connues. Une femme ou un non-circoncis peuvent faire offrir un sacrifice, cependant il leur est interdit de pénétrer dans le cœur du Temple; ils ne peuvent accompagner et seconder le prêtre.

3. Les cercles de sainteté

Nous venons de parler d’emplacements bien précis, de parvis (des femmes, des Israélites), ce qui nous amène à considérer plus profondément la conception juive de la sainteté. En caricaturant à peine, on pourrait dire que, pour Israël, Dieu seul est le Saint, le Pur, le Séparé, le Parfait, mais que l’homme et la création en général sont profanes, impurs, voire banals, imparfaits. La simple proximité ou le contact physique risque de communiquer ou de contaminer une partie de ce que l’on est. L’homme peut communiquer son impureté à son semblable, mais pas sa sainteté. En revanche, Dieu communique sa sainteté à tout ce qui l’approche, une sainteté de plus en plus diffuse et faible au fur et à mesure qu’on s’éloigne de lui. On pourrait représenter cela sous forme de cercles concentriques.

Au centre est placé le lieu sacré par excellence, le lieu où Dieu a fait reposer sa gloire (1 R 8.10-11), le Saint des saints. Puis vient le Saint, où les prêtres sont autorisés à entrer. Viennent ensuite l’autel sur lequel tous les sacrifices sont offerts et l’espace entre l’autel et le Saint qui est strictement réservé aux prêtres, et puis le parvis des prêtres dans lequel des prêtres inaptes au culte, handicapés de toutes sortes, ont leur accès. En cinquième et sixième position viennent les homme israélites adultes, puis les femmes. Les païens sont les derniers à pénétrer dans ce cercle. Ces cercles eux-mêmes s’inscrivent dans un contexte beaucoup plus large. Autour du temple, l’espace sacré par excellence se trouve la ville de Jérusalem, puis le pays d’Israël et enfin le reste de l’univers.

Suivant son état, circoncis ou non, pur ou impur, l’humain peut s’avancer plus ou moins dans ces « degrés » de sainteté. Tant qu’il reste dans les limites qui lui sont imparties, il n’y a aucun problème, mais s’il les franchit, son impureté « profanera » le lieu dans lequel il est indûment entré, et alors il rompt l’équilibre voulu par le Seigneur. De même, quand Jésus touche un lépreux pour le guérir, il prétend le purifier, lui donner sa sainteté, alors que pour les Juifs il ne fait qu’en recevoir l’impureté.

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LE PAYS DE JESUS© par campionpierre. Tous droits réservés.

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