La tradition chrétienne s’attache à voir dans Jérémie la préfiguration de Jésus-Christ. En effet, la souffrance de cette personnalité attachante face à l’incapacité d’Israël à entendre la Parole de Dieu n’est pas sans rappeler celle du Christ dans l’annonce du Royaume.
Pour les chrétiens, sa prophétie de la volonté de Dieu de bâtir une nouvelle alliance avec le cœur de l’homme parle tout particulièrement. Le Livre de Jérémie compte pour autant des passages qui nous paraissent plus sombres voire franchement « pleurnichards ». C’est tellement vrai que le mot « jérémiades » est entré dans notre vocabulaire courant afin de décrire l’attitude de quelqu’un qui se plaint en permanence et sans que cela ne s’avère justifié.
Il nous révèle ici l’attitude d’un homme qui parait usé par la volonté de Dieu de lui imposer d’être prophète d’un peuple qui ne veut pas l’entendre. De prime abord, ce Dieu que nous décrit Jérémie se montre dur et exigeant à l’encontre du peuple qu’il avait choisi dès l’origine mais qui ne l’écoute plus.
Il faut cependant aller au-delà de cette situation paradoxale afin de percevoir en profondeur l’image de Dieu que nous révèle le Livre de Jérémie. En regardant de plus près, on s’aperçoit que la prédication de Jérémie, imprégnée par le contexte politique et militaire très difficile dans lequel se débat le Royaume de Juda, est celle d’un homme fidèle à Dieu et au peuple d’Israël.
Marqué par la chute de Jérusalem et par l’effondrement de l’élite politique et religieuse, Jérémie évolue dans sa foi en passant de l’image d’un Dieu vengeur à l’expérience d’un Dieu qui pardonne et veut renouveler l’alliance avec les hommes. Il préfigure en cela l’arrivée du Christ parmi les hommes.
Sens du livre de Jérémie
La prédication de Jérémie et l’annonciation de la nouvelle alliance.
I – La prédication de Jérémie est marquée par le contexte troublé que vit Israël
1. Jérémie : un prophète qui vit une époque tourmentée
1 – 11 Jérémie : un prophète originaire d’un milieu simple…
Jérémie est né entre 650 et 645 avant J.-C. au sein d’une famille installée à Anatot (ville située à 6 km au nord de Jérusalem). Il y restera attaché comme le montre sa négociation d’un terrain lors du second siège de Jérusalem (Jr 32).
Jérémie n’est donc pas lié au Temple de Jérusalem. Cela pourrait expliquer les problèmes qu’il aura ultérieurement avec les prêtres descendants de Sadoq (sachant qu’il avait également prophétisé contre le Temple -Jr 7-).
Observateur des choses et des personnes, en sa qualité d’homme issu de la campagne, Jérémie s’avère être un homme sensible. On en trouve la trace tout au long de sa prédication lorsqu’il déclare combien l’annonce de la Parole de Dieu est lourde à porter face à la dureté de cœur de ses contemporains.
1 – 12 …qui vit à l’époque de la chute de Jérusalem
L’époque durant laquelle vit Jérémie est l’une des plus sombres de l’histoire d’Israël. Depuis 722, le royaume du Nord a disparu, transformé en province assyrienne. Concernant le Royaume de Juda, la situation se dégrade rapidement. Après les alliances changeantes des rois Amon, Josias, Joiaquim, Joiakîn puis enfin Sédécias, les Babyloniens vont mettre le siège et prendre Jérusalem (589 – 587).
Le Temple et la ville vont être détruits. Les objets cultuels sont détruits, les remparts abattus et une petite partie de la population déportée. Pour finir, Jérémie sera emmené prisonnier en Égypte où il finira probablement sa vie.
1. 2 La prédication de Jérémie est celle d’un homme fidèle à Dieu et au peuple d’Israël
1 – 21 Jérémie est un homme fidèle à Dieu
A partir de son appel en mission Jérémie va prêcher la parole de Dieu au peuple juif. Pourtant, il se désole du manque de foi, tant du peuple que des prêtres.
Cet homme de tempérament méditatif va prendre progressivement conscience que la parole de Dieu est tournée en dérision par ceux auxquels elle est destinée (Jr 6, 10). Les imprécations de Jérémie sont ici particulièrement vigoureuses et s’inscrivent dans la lignée des autres prophètes de la Bible.
A la lecture du livre de Jérémie, on ressent que celui-ci est parfois désespéré et qu’il va même jusqu’à envisager d’abandonner la mission qui lui a été confiée (Jr 15, 10-21). Pourtant, il restera fidèle à l’annonce de la Parole de Dieu, malgré les évènements malheureux dont il sera le témoin direct et impuissant. Alors que le peuple est dispersé, le royaume détruit et aucun espoir ne semble envisageable, il se tient debout pour annoncer la parole de Dieu.
1 – 22 Il reste aussi fidèle au peuple auquel il est envoyé
Jérémie va vivre de nombreux évènements qui vont aller jusqu’à porter atteinte à son intégrité physique. Proche du pouvoir politique de son temps (il conseille parfois Sédécias – Jr 38, 14.17.19-22 -), il est ainsi impliqué dans le jeu complexe des autorités à l’égard des puissances tutélaires de la région, la Babylonie et l’Egypte.
Cela le conduira à être emprisonné lors du second siège de Jérusalem et à être ensuite déporté lors de la fuite en Egypte avec une fraction des judéens qui se sont révoltés contre Nabuchodonosor. Malgré cela, il restera fidèle au peuple d’Israël et le suivra dans la déroute de son temps.
II – Jérémie annonce la promesse d’une Nouvelle Alliance
2. Jérémie passe de l’annonce d’un Dieu vengeur à un Dieu qui pardonne
2 – 11 Dieu désespéré par son peuple…
Le regard de Jérémie sur la capacité du peuple à servir Dieu dans la fidélité s’avère très pessimiste, tout du moins dans un premier temps. Pour lui, la source des difficultés d’Israël se trouve dans l’abandon d’un culte juste et fidèle à Dieu. Au lieu de cela, le peuple s’est tourné vers de fausses idoles ou de faux protecteurs (l’expérience politique du royaume de Juda oscillant en permanence entre l’influence assyro-babylonienne et égyptienne alimente ses oracles).
Jérémie explique le divorce entre Dieu et les hommes par la folie et la stupidité de ces derniers qui sont incapables de se mettre à l’écoute de Dieu. Jérémie s’inspire d’images de la vie quotidienne pour illustrer comment le plan de Dieu à l’égard des hommes a échoué. La prédication de Jérémie aboutit à un appel à la conversion.
Cependant, le peuple ne réagit pas et, pire encore, envisage une conversion automatique, sans que chacun n’entreprenne de conversion du cœur. Par un changement de perspective, c’est Dieu qui se trouve en position d’accusé pour ne pas avoir satisfait tous les besoins du peuple (Jr 8).
Face à cette situation sans issue, Dieu envisage d’abandonner son peuple. Jérémie annonce ainsi les châtiments que Dieu va envoyer à Juda (notamment l’invasion par un peuple étranger qui fait allusion aux conquêtes babyloniennes). Malgré cela, le peuple ne se convertit pas. Tout le peuple, du petit au plus grand, est concerné par cet oubli qu’ils font de la Parole de Dieu. Même les prêtres ne remplissent plus leur rôle. La faute du peuple, n’est-elle pas de posséder une Loi qu’il vit extérieurement à lui-même, sans que son cœur ne soit changé ?
2 – 12 … veut sceller une Nouvelle Alliance au cœur de chacun
Mais Dieu ne désespère pas de la conversion de l’homme. Tirant la leçon de l’échec de la première alliance, il va agir pour que l’homme se convertisse. La racine du mal se trouvant dans le cœur de l’homme, c’est dans ce dernier que Dieu doit agir pour renouveler son alliance avec l’humanité.
Jérémie prend ainsi conscience que Dieu ne veut pas la destruction d’Israël mais qu’il pense que sa conversion est toujours possible. Pour cela, il doit emprunter d’autres voies. C’est le sens de la vision du potier (Jr 18, 1-12). Ce basculement de perspective se révèle dans Jr 31 et particulièrement aux versets 31 à 34. Jérémie annonce ici une alliance nouvelle que Dieu va mettre directement dans le cœur de chaque homme. La différence est sensible avec le Deutéronome qui demande une intériorisation de la Loi par l’homme.
Désormais, Dieu place lui-même ses commandements dans le cœur de chacun :
« Je mettrai ma loi au milieu d’eux et j’écrirai sur leur cœur »
« Je serai leur Dieu et eux seront mon peuple » (Jr 31, 33)
Les personnages principaux du livre de Jérémie : Jérémie, Baruch, Joiaquim, Sédécias, Pashehur, Hananya, et Godolias
Jérémie : fils de Hilqiyyahu, né vers 650 av. J.-C., dans une famille sacerdotale d’Anatot, village proche de Jérusalem. Il exerce son ministère prophétique entre 627 et 587. Il vit l’invasion des Babyloniens ; la destruction de Jérusalem ; l’incendie du Temple; le départ en captivité d’une partie du peuple. Après 587, Jérémie fut entraîné de force en Égypte.
Joiaquim : fils de Josias, roi de Juda (609-598), vassal de Nabuchodonosor pendant trois ans, il se révolta contre Babylone. Il méprise, en Jr 36, la parole prophétique en brûlant un rouleau contenant des oracles divins transmis par Jérémie. Jr 36 se présente comme l’opposé de 2 R 22-23 (la découverte du rouleau de la Loi dans le Temple sous le règne de Josias). Le jugement de Dieu contre le royaume de Juda ne va pas se faire attendre très longtemps.
Sédécias : (en hébreu : « justice de Yahvé »), fils de Josias, dernier roi de Juda (597-587), il refusa d’écouter le prophète Jérémie. Il se révolta contre Nabuchodonosor, et s’enfuit de Jérusalem à la fin du siège. Jugé et condamné par le roi de Babylone, il fut contraint d’assister à l’exécution de ses deux fils, avant d’avoir les yeux crevés. Il mourut en captivité à Babylone (2 R 24-25).
Pashehur : le prêtre Pashehur, fils d’Immer, était le chef de la police dans le Temple de Jérusalem. Il a une vive controverse avec Jérémie en Jr 20. A la fin de la controverse, Jérémie prophétise sa future captivité et sa mort à Babylone. Il est le symbole de ces mauvais prêtres qui n’ont pas su empêcher le peuple de retomber dans ses péchés.
Hananya : En Jr 28, Hananya, fils de Azzur, originaire de Gabaôn, est le symbole des faux prophètes. Le faux prophète est un prophète de cour, un prophète institutionnel qui annonce toujours la paix afin de faire plaisir aux puissants. Il est à l’opposé des véritables envoyés de Dieu, ceux que nous appelons aujourd’hui les prophètes Isaïe, Jérémie, etc, qui peuvent annoncer le malheur si le peuple ne se convertit pas. Jérémie prophétisa sa mort dans l’année.
Godolias : fils d’Ahiqam, fils de Shaphân, a été nommé gouverneur des villes de Juda (cf. Jr 40) par Nabuchodonosor, roi de Babylone. Membre du parti pro-babylonien, il fera de Miçpa, au Nord de Jérusalem, sa capitale politique et économique. Il fut assassiné par un prince de Juda Yishmaël, fils de Netanya.
La géographie et le livre de Jérémie, pour mieux situer le texte
Jérusalem : La ville a été prise, en juin-juillet 587 av. J.-C., par les Babyloniens à cause de ses nombreux péchés (cf. Jr 39). Une partie de la population de Jérusalem est exilée en Babylonie à la suite de trois déportations : 598,587 et 582. La troisième déportation eut peut-être lieu après l’assassinat de Godolias, en représailles.
Égypte : Après l’assassinat de Godolias, un certain nombre de Judéens va trouver refuge en Égypte, dont Jérémie et Baruch (cf. Jr 42-43), et seront à l’origine des communautés juives hellénistiques (cf. la traduction de la Septante ; Philon d’Alexandrie).
Histoire de la rédaction du livre de Jérémie
L’histoire rédactionnelle du livre de Jérémie est complexe. On peut toutefois en retenir les étapes suivantes :
• mise par écrit d’oracles attribués au prophète Jérémie qui formerait le noyau du livre.
• plusieurs rédactions deutéronomistes, voire post-deutéronomistes, à l’époque néo-babylonienne et à l’époque perse, avec des théologies concurrentes (Judéens restés en Juda ; Judéens exilés en Babylonie retournés en Juda à la fin de l’exil ; etc.).
• le processus de rédaction du livre se poursuit jusqu’à la fin de l’époque hellénistique comme le montrent les différences entre le texte hébreu et le texte grec du livre de Jérémie.