84 Chapitre1 : Le livre de Job

Le livre de Job : pourquoi les justes sont confrontés au Mal et à la souffrance ?

Le Livre de Job se trouve parmi les Écrits (Ketouvim), la troisième partie de la Bible hébraïque, et pour les Chrétiens parmi les livres poétiques et sapientiaux de l’Ancien Testament.

Le livre de Job est souvent présenté comme une explication du mal et de la souffrance. Il n’en est rien : le livre n’explique pas mais il constate que le mal existe (appelé « l’Adversaire »). Même si l’homme est vraiment juste, il ressentira la souffrance comme les autres.

Si l’on met à part l’épouse de Job, (elle fait une apparition au chapitre 2), le livre met en scène cinq personnages sous le regard de Dieu : Job et ses trois amis (Elifaz, Bildad et Sophar) auxquels se joint ensuite un jeune homme (Elihu).

Job est un homme juste, intègre et droit, qui respecte Dieu et fait le bien. Tout lui souriait : une belle et grande famille, de grandes richesses en immeubles et en troupeaux. Pour ne pas risquer de déplaire à Dieu et peut être aussi pour être sûr de conserver tout ce bonheur, Job offrait régulièrement des sacrifices d’expiation.

Un jour, Dieu réunit ses anges et Satan se glisse parmi eux. Sur l’interpellation de Dieu, Satan prétend que la justice de Job n’était due qu’à ses bonnes conditions de vie. Satan lance un défi à Dieu : s’il l’autorisait à lui nuire, Job maudirait bien vite son Créateur ! Dieu relève le défi et remet entre les mains de Satan tous les biens de Job, à condition que Satan ne touche pas à la personne de Job. Aussitôt tous les malheurs s’abattent sur la famille et les biens de Job : mort de tous ses enfants, perte de tous ses biens ! Mais Job continue à faire confiance à Dieu.

Alors, dans une autre réunion des anges, Satan provoque de nouveau Dieu en lui disant : « Étends la main, touche à ses os et à sa chair, je te jure qu’il te maudira en face » (Jb 2, 5). Relevant de nouveau le défi, Dieu, confiant dans son serviteur Job, autorise Satan à altérer la santé de Job, pourvu qu’il lui laisse la vie sauve.

A l’instant même, Satan infligea un ulcère au pauvre Job, « depuis la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête » (Jb 2, 7). Mais à sa femme qui l’exhorte à maudire Dieu, Job répond : « Tu parles comme une folle. Si nous accueillons le bonheur comme un don de Dieu, comment ne pas accepter de même le malheur ? » (Jb 2, 10).

Avertis de ces évènements, trois amis de Job, Elifaz, Bildad et Sofar, viennent des confins de l’Arabie et du pays d’Edom, pour le visiter, le plaindre et le consoler. Mais Job est dans un tel état que ses amis ne le reconnaissent pas ! Ils commencent donc par compatir en silence pendant une semaine, à l’issue de laquelle c’est Job qui prend la parole pour maudire le jour qui l’a vu naître.

Commence alors la deuxième partie du livre (ch. 4-31) sous la forme d’un grand dialogue poétique, en trois cycles de discours entre Job et chacun de ses amis, chacun exposant ce qu’il pense de la justice divine. Les arguments des trois amis convergent vers l’idée que si Job souffre, c’est qu’il a péché, défendant ainsi la thèse traditionnelle de l’époque : la rétribution terrestre. Il est impossible que le juste souffre et que la souffrance soit autre chose qu’une punition divine.

Job continue envers et contre tous à soutenir qu’il n’a pas péché, que son expérience douloureuse prouve qu’il existe des injustices et que le monde en est d’ailleurs rempli.

Intervient alors avec colère un quatrième personnage, un jeune homme du nom d’Elihu (ch. 32-37). Jusque là resté sur la réserve par égard pour les trois amis de Job, il ne peut accepter tout ce qu’il vient d’entendre. Il marque d’abord son indignation contre Job qui n’a su se justifier qu’en accusant Dieu et contre ses amis qui n’ont su défendre Dieu qu’en accusant Job.

Enfin, Dieu clôt les débats en deux discours (38-42,6) par lesquels il fait comprendre à Job en même temps son erreur et sa suffisance : « Quel est celui-là qui obscurcit mes plans par des propos dénués de sens ?… Où étais-tu quand je fondais la terre ? » (Jb 38, 2. 4). Et Job de prendre conscience de la toute-puissance de son Dieu en même temps que de sa condition de créature : « Je ne te connaissais que par ouï-dire, mais maintenant mes yeux t’ont vu. Aussi je me rétracte et m’afflige sur la poussière et sur la cendre ». (Jb 42, 5.6).

L’énigme du mal demeure, mais Job est revenu à Dieu. Enfin, en guise de « happy end », Dieu réprimande les trois amis de Job, restaure Job dans tous ses biens, et lui rend fils et filles. « Après cela, Job vécut encore cent quarante ans et il vit ses fils et les fils de ses fils jusqu’à la quatrième génération » (Jb 42, 16).

Sens du livre de Job

Le livre de Job est considéré comme un chef-d’œuvre de la littérature biblique. Le poète Lamartine prétend qu’en cas de fin du monde, il faut avant tout sauver le poème de Job (« Vies de Job », Pierre Assouline, Gallimard, 2011, p.24). Pourtant, il ne parle ni du Peuple, ni de l’Alliance, ni de Jérusalem. Aucun de ses personnages n’est Israélite. Ils viennent de diverses parties du Proche-Orient ancien, ce qui tend à universaliser le thème abordé par le livre. »]Il ne pose pas et résout encore moins la question de l’existence du Mal et du Malin (Malin étant un autre nom de Satan). Dans ce livre, dès le premier chapitre, «l’Adversaire» (le Satan) s’invite à la réunion des « Fils de Dieu ».

• D’où vient-il ?

• Qui est-il ?

Nul ne le sait, pas plus que dans le récit du serpent qui cause la chute de l’être humain dans le chapitre 3 de la Genèse. Le Mal(in) existe, c’est un fait, et il est extérieur à la fois à Dieu et à l’homme. C’est un constat, ce n’est pas une explication.

Le livre de Job pose plutôt la question du « juste souffrant »: comment se peut-il qu’un homme juste puisse connaître l’infortune et la souffrance ? Quel est donc ce Dieu à qui rien n’échappe et qui pourtant se tait devant la souffrance des innocents ? Job est « un homme intègre et droit, qui craint Dieu et se garde du mal » (Jb 1,8)…et pourtant il souffre ! Par l’action du Satan, et avec la « permission » de Dieu, Job va connaître les plus atroces souffrances. Pourquoi ? Pourquoi Dieu permet-il cela ?
Selon la doctrine de l’époque (probablement le 5ème siècle avant J.C.), l’homme reçoit sur la terre la récompense de ses actions. Donc si quelqu’un souffre, c’est qu’il a péché, et sa souffrance est en proportion de son péché. Dieu ne pourrait pas autoriser la souffrance pour une autre raison que la rétribution.

Ainsi, toute la trame du livre est constituée des confrontations entre Job et ses « amis » contradicteurs (Elifaz, Bildad et Sophar). Job clame son innocence et sa justice, tandis que ses amis le provoquent à rechercher dans son existence ce qui a bien pu lui valoir pareil châtiment.

• Elifaz commence par relever ce qui est pour lui l’évidence: « Où donc a-t-on vu des justes exterminés ?…La misère ne sourd pas de terre, la peine ne germe pas du sol. C’est l’homme qui engendre la peine » (Jb 4,7 et 5, 6-7).

• Le deuxième à s’exprimer est Bildad, plus incisif: « Si tes fils ont péché contre lui (Dieu), il les a puni pour leurs fautes » (Jb 8,4). L’homme est une vermine, le fils d’homme un vermisseau » (cf. Jb 25, 6).

• Et Sophar de poursuivre: « Si Dieu voulait parler…tu saurais que Dieu te demande compte de ta faute. Prétends-tu sonder la profondeur de Dieu ? » (Jb 11, 5-7).

Job reste fidèle envers et contre tout : « Bien loin de vous donner raison, jusqu’à mon dernier souffle, je maintiendrai mon innocence » (Jb 27, 5), mais il veut comprendre, pris qu’il est entre sa foi, son innocence et les arguments de ses amis qui veulent le convaincre. Sa plainte, au lieu de se « nombriliser », s’élève bientôt en véhémente protestation. Dieu doit s’expliquer ! « J’ai à parler à Shaddaï, je veux faire à Dieu des remontrances » (Jb13, 3).

Alors intervient Elihu qui, en quatre discours, développe une explication nouvelle : il y a des épreuves qui sont des expiations de fautes non reconnues, et d’autres dont le but est de purifier l’homme, de le rendre meilleur: « Dieu parle d’une façon et puis d’une autre…Par des songes, par des visions nocturnes, il parle à leurs oreilles (celle des hommes)…pour détourner l’homme de ses œuvres et mettre fin à son orgueil » (Jb 33, 14-17).

Certes, nous ne sommes pas toujours en mesure de comprendre Dieu, mais il est trop grand et trop sage pour que nous puissions mettre en doute sa justice. Il convient donc de se soumettre sans comprendre, avec la docilité de la foi. Telle est la nouvelle recommandation.

Les personnages principaux du livre de Job : Job, les trois amis de Job, Elihu, l’épouse de Job, et l’adversaire

Job, est évidemment le personnage principal : merveilleux de droiture et de fidélité envers le Seigneur. Il est censé vivre à l’époque patriarcale, au pays d’Ouç, au sud-est de la mer Morte. Il n’est pas israélite. Ce n’est pas non plus un prêtre. C’est un homme de la cité, à qui tout sourit jusqu’à ce que « l’Adversaire » s’occupe de lui. Il fait alors preuve d’une très grande sagesse dans sa relation au Seigneur.

Les trois amis de Job (Elifaz, Bildad et Sophar) : là encore, aucun n’est israélite. Ce sont des sages, typiques de l’Orient antique, ce qui accroît l’universalisme de la sagesse développée par le livre :

• Eliphaz, de Teman en Edom, était probablement un descendant d’Esaü. Il faisait partie de ces hommes de l’Orient qui jouissaient d’une grande réputation de sagesse. Son discours, grave et digne, semble justifier cette réputation. Il est conscient de son statut (Jb 15, 7-9), ce qui lui donne une certaine prééminence sur ses deux compagnons.

• Bildad de Shua et Sophar de Naama ne semblent être là que pour permettre à l’auteur de diversifier son discours.

Elihu joue le rôle d’un personnage contradicteur. On sait juste qu’il est « fils de Barakéel le Bouzite, du clan de Ram », et qu’il se permet de contester les discours des «anciens» (Jb 32, 9).

L’épouse de Job n’apparaît que fugitivement (Jb 2, 9ss.) pour figurer la tendance naturelle de l’être humain : « Révolte toi contre l’auteur de tes jours qui a permis que tu connaisses tant de souffrances ».

L’Adversaire : c’est le Mal(in), qui est personnifié, sans qu’on en sache davantage sur son identité ou sa nature. Mais son rôle dans le récit montre qu’il existe, qu’il est extérieur à Dieu et à l’homme et probablement ontologiquement différent des deux : il est capable de s’inviter à la « cour céleste », celle des « Fils de Dieu » convoqués auprès du Seigneur (Jb 1, 6). C’est lui qui est à l’origine du mal et de la souffrance.

 

Géographie et livre de Job, pour mieux se repérer

D’une part, il n’est jamais fait référence à Jérusalem ou à la terre d’Israël. D’autre part, Ouç, Teman (Edom), Shua (Moyen Euphrate), Naama (Arabie du Sud) ou le Bouzite (Arabie occidentale) renvoient à des lieux en dehors de la Terre d’Israël. Nous sommes quelque part dans le Proche-Orient ancien.

Notons qu’il existe, dans tout ce Proche-Orient ancien, plusieurs écrits de sagesse proches du livre de Job (La théodicée babylonienne ou Job sumérien, le poème babylonien au Seigneur de la sagesse, l’écrit araméen de La sagesse d’Ahiqar, etc.).

Qui est l’auteur du livre de Job ?

Rappelons tout d’abord que le prologue et l’épilogue du livre de Job sont la reprise d’un conte préexistant, peut-être sumérien. On ne connaît pas précisément l’auteur des poèmes qui constituent le corps du livre. Il appartenait certainement au courant sapientiel et connaissait la forme littéraire du dialogue. Il était probablement juif en ce qu’il connaît et maîtrise la culture juive de son époque. En revanche, on ne trouve nulle part dans le livre d’évocation ou de référence aux grands thèmes habituellement abordés dans l’Ecriture : l’élection d’Israël, l’Alliance, le Temple, l’espérance messianique,…

 

Histoire de la rédaction du livre de Job

Outre le prologue et l’épilogue, reprise d’un conte ancien, le livre contient d’abord les discours des trois amis de Job, datés probablement d’après l’exil, vers le 5ème s. av. J.-C. Mais aussi d’autres morceaux semblent être d’auteurs différents dont nous ne savons rien. Ainsi en est-il du monologue d’Elihu (32-37), le quatrième contradicteur de Job, qui n’est pas annoncé dans le prologue, qui anticipe parfois sur le discours ultérieur de Dieu, lequel interrompt Elihu, et ne tient pas compte de ce qu’il a dit. De même, le poème de sagesse du chapitre 28 semble d’une autre composition et n’a pas de lien avec son contexte.

Le livre de Job est une critique de la théologie de la rétribution (les bons sont récompensés de leurs actions bonnes et les méchants sont punis de leurs actions mauvaises en cette vie) que l’on trouve chez les deutéronomistes (de Genèse à 2 Rois) et la sagesse traditionnelle (Proverbes, Siracide, amis de Job). Or, l’auteur du livre de Job a fait l’expérience que cela ne fonctionne pas. Toutefois, nous ne sommes pas encore dans l’apocalyptique. Job n’a pas de vision, il n’y a pas d’ange descendant du ciel pour délivrer une révélation et il n’y a pas la promesse d’un jugement eschatologique et d’une récompense ou d’une punition après la mort.

 

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