174 Chapitre7 : INTERPRETATIONS DU LIVRE DE L’APOCALYPSE
Interprétations
Interprétations générales
Symbolique au ier siècle
La littérature apocalyptique est une littérature de résistance par laquelle les visionnaires font à la fois entendre un message d’interpellation, en portant un regard critique sur le monde dans lequel ils vivent, mais aussi d’espérance pour des groupes fragilisés qui sont ou se sentent opprimés. L’Apocalypse de Jean s’adresse à son auditoire dans un langage symbolique qui permet de discourir sur l’action divine et l’avènement d’un nouveau monde, ainsi que de représenter la réalité transcendante dont il rend compte60.
Le langage et les codes utilisés visent des auditoires particuliers et ciblés dont les élus peuvent comprendre les images, qui ne sont toutefois pas pour autant ésotériques. Celles-ci sont en effet parlantes et claires pour les auditeurs du ier siècle, lesquels sont habitués aux références vétérotestamentaires, aux Écritures judaïques et aux allusions métaphoriques sur la situation politique ou culturelle du temps60. Ce langage symbolique doit d’ailleurs éloigner de toute interprétation littérale du texte : son objet n’est pas de proposer un déroulement de faits chronologiques mais plus résolument d’annoncer un message salvifique61 dans l’histoire des hommes, la victoire de Dieu et du Christ sur Satan et les forces du mal60 dans un texte qui ne peut être reçu que dans son entier plutôt que découpé en analyses spéculatives sur les symboles de passages isolés, par essence anachroniques appliqués à un autre temps que le ier siècle auquel il est destiné, et souvent farfelus61.
Commentaires ultérieurs
Le langage hautement symbolique de ce livre a ouvert la voie à de très nombreuses interprétations, qui diffèrent selon les sensibilités et les époques. Cependant quatre grands courants sont en général proposés62 :
- Un premier courant développe une approche « prétériste » (praeter : devant), s’attache au contexte historique dans lequel l’Apocalypse a été rédigé, prenant essentiellement en considération l’auteur du livre et le public contemporain auquel il s’adresse63. Cette approche considère les prophéties comme réalisées, soit, pour certains avec la chute du Temple de Jérusalem en 70, soit, pour d’autres, avec la chute de Rome au ve siècle. C’est l’approche retenue par la plupart des confessions chrétiennes comme les catholiques, les anglicans, les presbytériens63…
- Le second courant, « présentiste » ou « historiciste », fait le rapprochement de l’actualité et des événements décrits dans le texte64. Cette approche a été populaire dès le christianisme primitif, par exemple avec l’un des premiers commentateurs de l’Apocalypse Victorinus de Pettau, et a connu son apex au début de la Réforme, au xvie siècle64. Un de ses représentants les plus marquants est le cistercien médiéval Joachim de Flore qui a livré le premier commentaire complet historiciste de l’ouvrage64. De nombreuses personnalités illustres ont soutenu cette vision, comme Wycliffe, Luther, John Knox ou encore Isaac Newton. C’est une approche que l’on retrouve désormais essentiellement dans des branches fondamentalistes ou conservatrices du christianisme64. Elle a servi de prétexte à de nombreuses prédictions de fin du monde.
- Le troisième courant, « futuriste », « dispentionaliste » ou « eschatologique », voit dans ce livre une peinture des événements encore à venir, une prophétie65. Les sept communautés auxquelles s’adresse l’auteur de l’Apocalypse sont lues non comme des églises mais comme sept périodes de l’histoire — ou « dispentiations » — et les tenants de cette interprétation considèrent généralement qu’ils vivent la sixième de celles-ci, pénultième avant la fin des temps. C’est une lecture que partageaient certains Pères de l’Église comme Irénée de Lyon ou Justin de Naplouse et que l’on retrouve essentiellement au sein des courants évangéliques conservateurs65. Cette approche a donné lieu à de multiples interprétations, visant à rattacher les symboles à des événements du présent.
- Le quatrième courant, « idéaliste », voit l’Apocalypse comme un combat entre les forces du bien et celles du mal qui résident en chaque homme66. Elle est marquée par l’optimisme postmillénariste et prolonge la tradition allégorique de Clément et Origène d’Alexandrie s’opposant alors à la lecture littéraliste adoptée par l’école d’Antioche62. Tout y est affaire de symboles et de spiritualité, la lecture de l’ouvrage ne se référant à aucun évènement historique passé ou à venir : l’Apocalypse délivre des vérités chrétiennes universelles et éternelles66. Cette lecture positive du Livre de la Révélation a contribué à ce qu’il intègre le canon biblique et a été développée au siècle des Lumières par des théologiens postmillénaristes comme Jonathan Edwards66.