1

Petit et costaud !

Livre de petite taille au poids léger, le livre de poche échappe d’emblée aux rayonnages des bibliothèques. Objet nomade, facile à transporter, tout terrain, sans risques, résistant, il se glisse sans peine dans un sac ou dans la poche ! Personne ne craint de le perdre, de le corner ou d’écrire dessus. Le livre de poche invite au voyage.

Dans la poche !

On raconte que l’éditeur Henri Filipacchi qui travaillait pour Hachette, eut l’idée de lancer le livre de poche en voyant un soldat américain couper en deux un livre pour le glisser dans les poches de son blouson. Cette anecdote est probablement fausse, mais le Livre de Poche descend de plusieurs modèles de petits livres dont les pocket books américains.

Henri Filipacchi

Le père du Livre de Poche, Henri Filipacchi, est né en Turquie. En 1953 chez Hachette, il décide de lancer en France une collection innovante inspirée d’autres collections plus anciennes ou étrangères. Ces sources sont nombreuses, mais trois se distinguent : la tradition française du petit format, les succès européens et les modèles anglo-saxons.

Le poche avant le poche

Les éditeurs français :

Les livres de petits formats existent en France depuis le XVe siècle. Avec les progrès de l’imprimerie, les livres de colportage (vendus en se déplaçant d’un lieu à un autre), sont familiers des villes et des campagnes.

Au milieu du XIXe siècle, le public des lecteurs s’agrandit. L’alphabétisation, l’essor des loisirs et l’augmentation des revenus des familles incitent trois éditeurs à innover : Gervais Charpentier, Louis Hachette et Michel Lévy. Ils publient des livres bon marché, de petites tailles, maniables, et pour tous les publics. Ils augmentent les tirages et ils «cassent les prix». Ils vont chercher des lecteurs dans de nouveaux lieux. Comme son nom l’indique, « La Bibliothèque des chemins de fer » d’Hachette, une collection de livres lancée en 1852, est vendue dans les gares. Plus tard, en 1905, Fayard avec sa collection « Le livre populaire » vend des livres 95 centimes alors que le prix habituel d’un livre en édition courante est de 3,50 francs.

De leur côté les romans policiers avec la collection Le Masque (1927) et Fleuve noir (1949) expérimentent avec succès la formule.

Enfin, la Collection Pourpre s’avère l’ancêtre direct du Livre de Poche. Créée en 1937 dans un format proche du poche, il s’agit d’une co-édition entre Hachette et Calmann-Lévy. Elle propose des textes d’auteurs reconnus à un prix raisonnable : Dumas, Loti, Anatole France…Il existe deux versions, une cartonnée et une brochée. La version cartonnée, la plus chère, a le plus de succès. C’est le parfait laboratoire pour le Livre de Poche : un modèle de co-édition et une offre de texte de qualité. De plus, elle est éditée par une filiale d’Hachette : La Librairie générale française !

Filiale qui édite toujours la collection Le Livre de Poche ! La collection Pourpre disparaîtra en 1958, cinq ans après la naissance du Livre de Poche.

Les Anglo-saxons:

En Grande-Bretagne dans les années Trente, les Penguin Books, des livres à 6 pences, rencontrent un grand succès.

Aux États-Unis, en 1939, l’éditeur Simon and Schuster imagine des livres au format spécialement calculé sur les dimensions d’une poche de vêtement : les pocket books. Pendant la guerre, ces livres se retrouvent dans les poches des soldats américains.

Les modèles européens

Des exemples de livres au format poche et bon marché, existent aussi en Italie et en Allemagne. Mais, le plus souvent, ils proposent des textes courts. Le modèle le plus avancé vient de Belgique avec la maison d’édition Marabout qui lance sa collection de poche bon marché 1949. Elle arrive en France en 1950, mais faute d’un bon réseau de distribution, son impact fut restreint. Pourtant en Belgique, elle connaît un grand succès et existe toujours pour les livres pratiques. Elle tient la formule clé : peu chère, de petit format, texte intégral, tirages importants et des couvertures à la mode ! 

1953 : Naissance de la collection Le Livre de Poche

Henri Filipacchi n’a certes pas inventé le livre de petit format et à bas prix, mais il a mis en œuvre une idée audacieuse : rééditer sous cette forme, pour le compte de la maison Hachette, les grands titres de la littérature. Il publie des best-sellers et des grands classiques comme des romans populaires. Il imagine aussi qu’un nouveau livre soit publié un an plus tard dans le format poche. Le 9 février 1953 sortent en fanfare les premiers titres. La collection existe toujours et elle a radicalement changé le monde de l’édition.

Qui était Henri Filipacci (1900-1961) ?

Il est né en Turquie à Izmir en 1900, mais a émigré en France en 1922. À Paris il travaille dans une imprimerie spécialisée dans l’impression de livre de luxe dont il deviendra directeur. Très dynamique, il se passionne pour les livres. En 1934 il parcourt la France dans un bibliobus ! Et la même année il est embauché par Hachette. Deux ans plus tard, Filipacchi dirige le service distribution de la société où il multiplie ses contacts avec les éditeurs, les grossistes et les libraires. Il connaît parfaitement le monde du livre.

Après la guerre il perd son poste, mais reste chez Hachette, il est nommé à la tête de la Librairie Générale, une succursale. (Il avait été accusé de collaboration pour avoir participé à la rédaction des listes Otto qui interdisait des auteurs. Il a été blanchi, mais la direction d’Hachette lui propose ce poste secondaire) Il profite de ce changement pour rebondir de façon spectaculaire : il va y lancer le Livre de poche. Il réussit à convaincre ses amis éditeurs Albin Michel, Calmann-Lévy, Grasset et Gallimard de le suivre dans l’aventure ! Il dirigera la collection de poche jusqu’à sa mort en 1961 le temps de publier 545 titres et Guy Schoeller prendra la suite.

Il est le père du patron de presse Daniel Filippacchi (Groupe Hachette-Filippacchi), célèbre pour ses activités de journaliste, sa passion du jazz et sa collection de tableaux surréalistes.

Glossaire

Tirage : nombre d’exemplaires (livres) imprimés

Texte intégral : texte complet