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Cris-1Les querelles du poche !

À sa sortie le Livre de Poche a encouru bien des reproches ! En dépréciant l’objet livre il était accusé de dévaloriser la littérature, de nuire à la culture, de brader les auteurs !

Et au milieu des années 60 quand le livre de poche a sorti d’autres titres que de la fiction les critiques sont venues des intellectuels.

 

Les auteurs opposés au poche

Au XIXe siècle, les éditeurs avaient dû convaincre les auteurs d’accepter d’être publiés dans des collections populaires. George Sand, d’abord hésitante, avait fini par s’enthousiasmer à l’idée de toucher un nouveau public. 

Au XXe, le plus célèbre adversaire fut l’auteur Julien Gracq. Selon lui, le poche n’instaurait pas un rapport de désir et de distance avec l’œuvre, il refusa le passage de ses livres en ce format. Pour George Orwell, le poche annonçait la mort du livre.

 

Les intellectuels

La classe intellectuelle a été longtemps hostile au Livre de Poche. Elle dénonçait une imposture, car il n’abolissait les privilèges qu’en apparence. Le coup le plus rude vint du philosophe Hubert Damisch en 1964. Il dénonça le livre de poche comme objet de consommation et comme une «illusion culturelle», «L’édition de poche accomplit en effet la transformation du livre, de l’œuvre imprimée en produit, produit si bien conçu et présenté qu’il puisse être proposé au consommateur dans les mêmes conditions et suivant les mêmes méthodes qu’un quelconque produit de détersif» Il s’indigne contre un lecteur devenu consommateur.

Jean-Paul Sartre dans Les Temps Modernes repose la question : « Les livres de poche sont-ils de vrais livres ? »

Maurice Blanchot, reprend en 1971 : «Le livre de poche a donc cette particularité de dissimuler et d’imposer un système ; il y a une idéologie de cette littérature, de là son intérêt. Ce livre proclame : 1 le peuple a désormais accès à la culture ; 2 c’est la totalité de la culture qui est mise à la portée de tous. […] Il n’y a rien à dire contre la technique. Mais ce qui frappe dans son emploi, c’est à nouveau l’idéologie qu’il recouvre et qui fournit au livre de poche sa signification de base, sa moralité : la technique règle tous les problèmes, le problème de la culture et de sa diffusion» Le Livre de Poche serait une invention bourgeoise au seul bénéfice des plus nantis.

Pierre Assouline, auteur et critique, sur son blog du Monde, La République des lettres propose un bref récit de cette tempête : « Le philosophe Hubert Damisch y menait une charge en règle contre cette entreprise mystificatrice de réduction du lecteur en consommateur. La guerre des revues faisant rage, Les Temps modernes lui répondit en avril-mai 1965 par deux dossiers dans lesquels Jean-François Revel, François Erval, Bernard Pingaud entre autres annonçaient que le livre de poche sonnait le glas de la culture aristocratique et l’avènement inéluctable de la culture de masse, la lecture passant ainsi du stade du privilège à celui du partage. En ce temps-là, des voix aussi prestigieuses que celles de Maurice Blanchot, Henri Michaux, Julien Gracq pouvaient s’élever résolument contre la publication de leurs œuvres en format réduit et à vil prix sans passer pour politiquement incorrects »

 

Les bibliothécaires

Les réserves portent également sur l’objet livre. Voici ce qu’écrit un bibliothécaire en 1963 dans le Bulletin des bibliothèques de France : « Le livre de poche n’est pas dans sa conception, dans sa présentation matérielle un livre de bibliothèque. Le bibliothécaire préférera toujours une édition moins rustique. Si par sa couverture le livre de poche exerce un certain attrait, il faut reconnaître qu’il n’est pas assez solide pour résister à une circulation intensive. Le dos devient rapidement laid, il arrive que le volume se sépare en deux parties, que des pages mal encollées se détachent, amenant la ruine du livre. »

Il reproche aussi les caractères trop petits : « .. ce qui rend la lecture fatigante surtout quand par surcroît l’œuvre est d’accès difficile. Attirer le lecteur par une couverture agréable, c’est bien, cela peut même à la rigueur paraître suffisant pour le commerçant. Le bibliothécaire est plus exigeant. Il souhaite retenir le lecteur, l’aider à aller jusqu’au bout de sa lecture. Et pour cela, il souhaite que plus l’œuvre est longue et difficile, plus sa lecture soit «confortable». »

Le livre de poche prendra en effet son temps pour rejoindre les rayons des bibliothèques. Aujourd’hui, dans les CDI, les centres de documentation des établissements scolaires ou dans les médiathèques, il y règne en roi.

 

Les libraires

Ils ont craint la baisse de leurs revenus puisque les livres sont vendus moins cher.

Mais plus profondément, c’est leur métier qui a changé. Le livre est conçu comme un produit en libre service. Le poche doit se vendre tout seul et si possible exposé à plat pour voir les couvertures. Le client le manipule à sa guise avant de l’acheter. L’arrivée des tourniquets, l’accès libre aux rayonnages, le contact direct au livre causent un petit traumatisme. Elle annonce la fin d’une relation systématique avec le libraire.

Peu à peu, des pochothèques, des espaces réservés aux livres de poche, sont mises en place dans les librairies.

Les éditeurs

Celui qui a combattu toute sa vie le Livre de Poche fut Jérôme Lindon (1925-2001), le patron des Editions de Minuit. Pour lui les livres de poche entrainent la mort de l’auteur, de l’éditeur d’origine et du libraire, car tous font des bénéfices dérisoires. «Je ne suis pas éditeur pour publier La Chartreuse de Parme ou Madame Bovary, mais pour investir sur les créations originales, sur des auteurs qui se révéleront vingt ans plus tard …Tout notre métier repose économiquement sur cette péréquation : faire du profit avec certains écrivains reconnus pour se permettre ces opérations clandestines, que personne ne voit, à savoir le risque de publier des inconnus, forcément déficitaires. C’est pour eux que nous sommes là. Or le poche confisque les « valeurs sûres », diminue les marges de l’éditeur, favorise les succès établis et constitue un obstacle à la reconnaissance des jeunes». Vers la fin des années 80 il a fini par céder sur quelques titres.

 

VIDEO INA
Avis d’un étudiant en médecine en 1962 INA, 42secondes

Les réserves d’un éditeur Chritian Bourgois en 1981, 3mn

 

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