154 Chapitre 1 : Hérode le Grand
Hérode le Grand
(37-4 avant Jésus-Christ). Ce titre de « Grand » qui lui est appliqué doit être compris comme signifiant l’aîné ou le premier du nom.
1° La conquête du pouvoir (37-25 avant Jésus-Christ)
Il est roi, et pourtant il lui faut encore, en réalité, conquérir son pouvoir. Robuste et endurant, de bonne heure accoutumé à l’effort, cavalier excellent et chasseur infatigable, il s’est, dès sa jeunesse, exercé au métier des armes ; sauvage et passionné, dur et inflexible, il est étranger aux sentiments délicats comme aussi aux impulsions de la tendresse ; quand son intérêt est en jeu, il intervient avec une main de fer, sans reculer devant les plus cruels sacrifices et les flots de sang. Il se montre prudent, habile, rusé même dans le choix des moyens, sachant discerner d’un coup d’œil les mesures à employer ; intraitable envers tous ceux qui dépendent de lui, il est vis-à-vis des puissants du jour le plus parfait courtisan. Il comprend que jamais il ne pourra être quelque chose que grâce à l’appui de Rome ; son souci constant sera de garder cet appui nécessaire ; par Rome il arrive et par Rome il se maintient. Pour conquérir réellement le pouvoir, il faut qu’il se débarrasse de ses ennemis : le peuple, l’aristocratie sacerdotale, les derniers Hasmonéens.
Le peuple le déteste et le traite de demi-juif ; il ne voit en lui qu’un roi par la grâce de Rome, souillé du sang des Hasmonéens ; il n’est ni grand-prêtre, ni prêtre-roi, mais souverain purement temporel : ce n’est pas un Juif authentique choisi par des Juifs, mais un souverain moitié juif et moitié païen, imposé par l’étranger. Hérode supprime les résistances : les plus décidés de ses adversaires, il les brise ; les plus souples, il cherche à les gagner par ses faveurs. Ceux qui sont les premiers par la piété, les pharisiens, le détestent ; ils voient en lui » l’esclave iduméen ». Ceux qui occupent le premier rang et qui furent jadis les partisans d’Antigone, il les fait égorger en masse ; « parmi eux se trouvaient quarante-cinq hommes, appartenant aux meilleures familles ; il n’épargne pas les membres du sanhédrin, puis s’empare de la fortune de ses victimes » (Graetz). Enfin il a encore devant lui les derniers Hasmonéens : le vieil Hyrcan, grand-père de sa femme, puis la mère de sa femme, Alexandra, le fils de cette dernière, donc le propre frère de sa femme, nommé Aristobule III Hyrcan fut rappelé de Babylonie, où les Parthes l’avaient emmené prisonnier ; il fut traité d’abord avec respect, avant d’être mis à mort sous le prétexte qu’il avait trahi. Alexandra intrigua pour que son fils obtînt le souverain pontificat ; Hérode résista aussi longtemps qu’il put, mais Alexandra ayant réussi à gagner la faveur de Cléopâtre, Hérode fut obligé, contre son gré, d’accorder au jeune homme la dignité suprême. Le peuple éprouva une immense joie en voyant le fils de ses anciens rois, dans tout l’éclat de sa jeunesse et de sa beauté, remplir avec noblesse ses augustes fonctions, mais Hérode en conçut une jalousie féroce et résolut de se débarrasser de lui. La scène se passe à Jérico : « Comme l’endroit était excessivement chaud, les convives sortirent tous ensemble en flânant et vinrent chercher au bord des piscines — il y en avait de fort grandes autour de la cour — un peu de fraîcheur contre les ardeurs du soleil de midi. Tout d’abord, ils regardèrent nager leurs familiers et leurs amis ; puis le jeune homme se joignit aux baigneurs, excité par Hérode ; alors, certains des amis du roi auxquels il avait donné ses instructions, à la faveur de l’obscurité croissante, pesant sans cesse sur le nageur et le faisant plonger comme par manière de jeu, le maintinrent sous l’eau jusqu’à ce qu’il fût asphyxié » (Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, XV, 54 ; traduction Reinach). Cité devant Antoine pour se justifier de ce meurtre, Hérode acheta le Romain et réussit à se tirer de ce mauvais pas. Mais, avant de partir, il avait donné l’ordre à son oncle et beau-frère Joseph, tout à la fois frère de son père et mari de sa sœur, de mettre à mort sa femme, Mariamme, dans le cas où il ne reviendrait pas. Salomé, sœur d’Hérode, joua dans cette affaire un rôle particulièrement odieux, accusant son propre mari d’avoir eu des relations coupables avec Mariamme. On peut se représenter les sentiments d’Hérode, à son retour. Joseph est mis à mort, mais Mariamme s’irrite en apprenant l’ordre la concernant que le roi avait donné à son frère. De nouvelles difficultés se dressent sur son chemin : il se voit obligé, pour plaire à Cléopâtre, de lui céder de fort belles parties de son territoire, entre autres la région de Jérico, et, de plus, de faire la guerre au roi des Arabes : Hérode n’en retirait aucun profit car, à cette époque, il aurait aimé voler au secours de son protecteur Antoine, alors en lutte avec Octave. Ce ne fut pas sans courir de grands dangers qu’il put terminer la guerre contre les Arabes ; enfin il fut victorieux, mais un tremblement de terre causa de grands ravages dans le pays et coûta la vie à 30 000 personnes. Sur ces entrefaites, la bataille d’Actium (2 septembre 31 avant Jésus-Christ) se terminait par la victoire d’Octave et l’effondrement de la puissance de son protecteur Antoine. Alors, sans hésiter, Hérode abandonne le vaincu pour se tourner du côté du vainqueur ; il s’empresse auprès de lui, lui narre un service qu’il vient de lui rendre : une troupe de gladiateurs, entretenue par Antoine en Syrie, aurait voulu passer en Égypte pour aider son patron à reprendre l’avantage ; unissant ses forces à celles du gouverneur de Syrie, il avait défait les rebelles. Avant de partir, il avait renouvelé l’ordre, déjà donné dans une précédente occasion, de mettre à mort Mariamme s’il ne revenait pas. Il accourut à Rhodes, se présenta devant Octave, se couvrit du masque de l’humilité, comme un humble vassal de Rome, montra que son concours avait été dans le passé profitable à Rome et qu’il en serait de même dans l’avenir. En politique avisé, Octave discerna ce qu’il y avait de vrai dans les affirmations du royal suppliant et lui rendit, avec la dignité royale, les territoires que Cléopâtre lui avait ravis. Mais, à son retour, ayant appris l’ordre que, pour la seconde fois, son mari avait donné de la mettre à mort s’il ne revenait pas, Mariamme ne lui cache pas son horreur. Et de nouveau Salomé joue son rôle de perfide calomniatrice. Mariamme est condamnée à mort et exécutée, non sans avoir, avant de marcher au supplice, été couverte d’injures par sa propre mère. « La plus belle fille de Juda, la belle Hasmonéenne, l’orgueil de la nation, marcha du tribunal à l’échafaud. Elle y monta calme et résolue, sans faiblesse et sans crainte, et resta digne de ses aïeux. Mariamme était l’image de la Judée, livrée à la hache du bourreau par l’intrigue et la haine. » (Graetz ; cf. Antiquités judaïques, XV, 236 ; l’historien juif trace de la princesse juive un portrait fort remarquable.)
2° Les années de gloire (25-13 avant Jésus-Christ)
En cette période de sa vie, le roi est au comble de la puissance : rien ne trouble ses relations avec Rome. Agrippa (Marcus Vipsanius Agrippa), le général, l’homme d’État, gendre d’Auguste, vient à Jérusalem rendre visite à Hérode. Ce dernier se montre habile politique et guerrier éprouvé dans la répression des désordres causés par les tribus arabes pillardes dans le voisinage de ses États, qu’il réussit à agrandir par l’adjonction de la Batanée, de l’Auranitide et de la Trachonite. Il est passionné pour les constructions somptueuses : il reconstruit Samarie de la manière la plus brillante ; il la nomme Sébaste-Auguste ; il transforme la tour sur la place du Temple, qui devient l’Antonia dont nous aurons l’occasion de reparler. À la place de la Tour de Straton, sur les bords de la mer Méditerranée, s’élève, après 10 ans de travaux, la ville fameuse de Césarée de Palestine ; son port est tout particulièrement remarquable : une digue puissante, qui s’avance bien avant dans la mer, est bâtie de matériaux amenés de fort loin. La plus célèbre de ses constructions est le Temple de Jérusalem (voir Temple). « Il fit part de son projet aux chefs de la nation, qui en furent effrayés. Ils craignaient qu’Hérode ne voulût seulement démolir l’ancien sanctuaire ou que la reconstruction ne traînât en longueur. Hérode les rassura en leur promettant de ne pas toucher au vieux temple avant que les matériaux du nouveau et les ouvriers ne fussent tous rassemblés. Des milliers de chariots amenèrent sur le chantier d’énormes pierres de taille, des blocs de marbre. Dix mille hommes, experts dans l’art de la construction, se mirent à l’œuvre. Ce travail commença dans la 18e année du règne d’Hérode (janvier 19 avant Jésus-Christ). L’intérieur du temple fut achevé en un an et demi. La construction des murs, des colonnades et des portiques demanda 8 ans, et, longtemps après, on travaillait encore aux parties extérieures. Le temple d’Hérode était un chef-d’œuvre, que les contemporains ne pouvaient assez admirer. Il se distinguait du sanctuaire de Zorobabel par des proportions plus vastes et une splendeur plus grande. Au-dessus de l’entrée principale, Hérode avait, au grand scandale des pieux Israélites, fixé une aigle d’or, symbole de la puissance romaine » (Graetz, Histoire des Juifs). Malgré cela, comme aussi en dépit de sages mesures qu’il prend en allégeant les impôts en des temps particulièrement difficiles ou en intervenant en faveur des Juifs de Cyrénaïque ou de certaines régions de l’Asie Mineure pour que leurs privilèges soient respectés, la population le déteste : à cause des charges accablantes qui pèsent sur elle, des édifices païens qu’il fait élever en Palestine et dans les villes voisines, de son attitude de valet de Rome, de son système perfectionné d’espionnage, de son entourage de Grecs et de Romains, comme aussi à cause des forteresses qui se dressent pour rappeler à la nation qu’elle a perdu sa liberté : Hérodeïon, Masada, Machéronte, etc.
3° Le déclin (13-4 avant Jésus-Christ)
Est marqué par la plus épouvantable des tragédies dans le palais royal. Hérode s’était marié plusieurs fois ; chacune de ses femmes habitait, avec ses enfants, un quartier particulier du palais ; quelques-uns de ses enfants étaient mariés et avaient eux-mêmes des enfants (voir Hérodes [les], tableau généalogique). Il y avait là les fils de Mariamme, qui étaient de race royale, et Antipater, fils aîné du roi, sorti des rangs du peuple, d’abord exilé de la cour, puis rappelé ; il devait être un des mauvais génies de ce drame. À la suite d’atroces calomnies, les fils de Mariamme, Alexandre et Aristobule, sont condamnés à mort et étranglés à Samarie (7 avant Jésus-Christ). Antipater, désireux comme il l’avait été de mettre de côté ses frères, croit être alors parvenu à son but ; il complote la mort de son père, de concert avec son oncle Phéroras, frère du roi, et la ruine de deux de ses plus jeunes frères, Archélaüs et Philippe ; mais, à la mort de Phéroras, toute l’intrigue se découvre. Antipater est rappelé de Rome pour être jeté en prison en attendant que, de Rome, vienne l’autorisation de le faire mettre à mort. Secoué par tous ces événements, le roi tombe gravement malade, et le peuple, le croyant perdu, manifeste sa haine contre le despote. Deux docteurs de la loi poussent leurs disciples à enlever l’aigle d’or placée au-dessus de la porte principale du temple, symbole doublement odieux de soumission politique et de violation de la loi. L’aigle est arrachée vers midi, au moment où les fidèles sont le plus nombreux. Les mercenaires royaux s’emparent des 40 jeunes gens coupables de ce crime et des instigateurs, qui sont deux pharisiens. Cités devant le roi, ils font de courageuses déclarations. Le roi leur demande s’ils ont réellement osé abattre l’aigle d’or ; ils l’avouent. « — Qui vous l’a ordonné ? La loi de nos pères. Et pourquoi tant de joie au moment où vous allez être mis à mort ? C’est qu’après notre mort nous jouirons d’une félicité plus parfaite ». Envoyés a Jérico, ils y furent sévèrement punis : les chefs brûlés vifs, les plus coupables des jeunes gens mis à mort par le bourreau, et les moins coupables frappés de diverses condamnations. La maladie du roi s’aggrave sans cesse ; un séjour aux célèbres eaux thermales de Callirhoé, sur les bords de la mer Morte, à une dizaine de kilomètres de Machéronte (voir plus loin), ne lui apporte aucun soulagement. Ramené à Jérico, il reçoit d’Auguste-l’autorisation de disposer à son gré d’Antipater ; le roi se hâte de profiter de la permission, d’autant plus qu’il a appris qu’Antipater cherche à corrompre son geôlier pour recouvrer sa liberté et, à la fin prochaine de son père, s’emparer du pouvoir : Hérode fait donc tuer Antipater. Il meurt lui-même à Jérico avant la Pâque de l’an 4 avant Jésus-Christ, et il est enterré en grande pompe dans la forteresse d’Hérodeïon, à 3 lieues au sud de Jérusalem (Sur Hérodeïon, voir plus loin, paragraphe 9, 3° et 5°.).