Quarante est le nombre le plus utilisé dans la Bible, c’est le nombre de la foi : c’est le temps de l’épreuve, le temps qu’il faut pour approcher Dieu, se convertir et faire appel à sa miséricorde. Il fait référence aux 40 ans que le peuple hébreu a passé dans le désert mais aussi 40 jours que Jésus a passé dans ce même désert.
On n’en connaît pas très bien l’origine. Il pourrait correspondre à l’âge de la maturité. C’est à 40 ans qu’Isaac et Ésaü se marient (Gn 25,20 ; 26,34). C’est l’âge d’Ishboshet quand il devient roi (2 S 2,10) et d’Absalon quand il cherche à prendre la place de son père David (2 S 15,7). C’est aussi la durée du règne des rois les plus respectés : David (2 S 5,4 ; 1 R 2,11 ; 1 Ch 29,27) ; Salomon (1 R 11,42 ; 2 Ch 9,30) ; Joas (2 R 12,1).
Le nombre quarante peut aussi indiquer une durée type qui serait l’équivalent de « un certain temps ». Dans le récit du Déluge, la pluie se déverse pendant quarante jours et quarante nuits (Gn 7,4.12.17 ; 8,6). C’est aussi la durée de l’embaumement de Jacob (Gn 50,3). Ou encore la durée pendant laquelle le Philistin Goliath vient défier les Israélites (1 S 17,16). C’est aussi le temps de paix qui s’écoule dans le livre des Juges entre l’intervention d’un sauveur suscité par Dieu et sa mort ouvrant à une nouvelle crise (Jg 3,11 ; 5,32 ; 8,28).
Un temps de proximité avec Dieu
Dans le livre de l’Exode, une place essentielle est donnée à la rencontre entre Dieu et Moïse sur la montagne. Dans un premier temps, la manifestation de Dieu est accompagnée d’éclairs, de nuée, de feu, de tremblement de terre (Ex 19,16-19). Mais un peu plus loin, il nous est précisé : « Le Seigneur dit à Moïse : “Monte vers moi sur la montagne et reste là, pour que je te donne les tables de pierre : la Loi et le commandement que j’ai écrits pour les enseigner. ” […] Moïse monta sur la montagne ; alors, la nuée couvrit la montagne, la gloire du Seigneur demeura sur le mont Sinaï, et la nuée le couvrit pendant six jours. Il appela Moïse le septième jour, du milieu de la nuée. La gloire du Seigneur apparaissait aux fils d’Israël sous l’aspect d’un feu dévorant, au sommet de la montagne. Moïse pénétra dans la nuée et il monta sur la montagne. Moïse resta sur la montagne quarante jours et quarante nuits » (Ex 24,12.15-18).
Ainsi, pour entendre la volonté de Dieu et s’imprégner de ses paroles, il faut du temps. Quarante jours et quarante nuits deviennent ainsi symboliquement le temps nécessaire pour une véritable rencontre avec Dieu.
A la suite de cet épisode, Moïse redescend de la montagne : « Comme il s’approchait du camp, il vit le veau et des danses ; Moïse s’enflamma de colère : de ses mains, il jeta les tables et les brisa au bas de la montagne » (Ex 32,19). Tout est à refaire. À nouveau, Moïse monte sur la montagne. « Le Seigneur dit à Moïse : “Inscris ces paroles car c’est sur la base de ces paroles que je conclus avec toi une alliance, ainsi qu’avec Israël.” Il fut donc là avec le Seigneur, quarante jours et quarante nuits. Il ne mangea pas de pain, il ne but pas d’eau. Et il écrivit sur les tables les paroles de l’alliance, les dix paroles » (Ex 34,27-28).
Le Deutéronome (9,9-18) reprendra cet épisode en le mettant dans la bouche de Moïse, y ajoutant l’idée que, pour Moïse, les quarante jours et quarante nuits sans manger ni boire sont une forme d’intercession pour les péchés du peuple, intercession efficace d’après Dt 10,10.
Une autre grande figure de l’Ancien Testament est liée à la montagne de Dieu : le prophète Élie. Poursuivi par la haine meurtrière de la reine Jézabel, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à la montagne de Dieu, l’Horeb (1 R 19,8). Après cette longue marche dans le désert, Élie est prêt à rencontrer le Seigneur Dieu. Le trouvera-t-il comme Moïse au Sinaï dans le vent de tempête, dans le tremblement de terre ou dans le feu ? Non, mais « dans une voix de fin silence » (1 R 19,12).
Un temps d’épreuve
Le nombre quarante peut aussi représenter un temps d’épreuve. Ainsi, dans le livre des Nombres, sur l’ordre de Dieu, Moïse a envoyé un homme de chaque tribu explorer le pays
de Canaan. Au bout de quarante jours, ils reviennent avec des fruits magnifiques, mais annoncent la présence d’une population puissante et de villes fortifiées. Le peuple refuse alors d’avancer. Pour ce manque de confiance, Dieu condamne le peuple à errer quarante ans dans le désert (Nb 14,34).
Dans le Deutéronome, cette sanction devient un temps d’épreuve : « Tu te souviendras de toute la route que le Seigneur ton Dieu t’a fait parcourir depuis quarante ans dans le désert, afin de te mettre dans la pauvreté ; ainsi il t’éprouvait pour connaître ce qu’il y avait dans ton coeur et savoir si tu allais, oui ou non, observer ses commandements. Il t’a mis dans la pauvreté, il t’a fait avoir faim et il t’a donné à manger la manne que ni toi ni tes pères ne connaissiez, pour te faire reconnaître que l’homme ne vit pas de pain seulement, mais qu’il vit de tout ce qui sort de la bouche du Seigneur » (Dt 8,2-3). Nous retrouvons une évocation de ces quarante ans dans le Psaume 95,10-11 ainsi que chez le prophète Amos (Am 2,10 ; 5,25).
Un temps pour la conversion
Le petit roman de Jonas nous présente un prophète envoyé par Dieu prononcer un oracle contre la grande ville de Ninive à cause de la méchanceté de ses habitants. Au lieu d’obéir, Jonas s’empresse de partir dans la direction opposée. Pourquoi ? C’est toute l’intrigue du roman. Dieu rattrape Jonas avec l’épisode rocambolesque de la baleine et Jonas exécute sa mission en parcourant Ninive et en proclamant : « Encore quarante jours et Ninive sera détruite. » La réaction des Ninivites est inattendue : à commencer par le roi, toute la population se met à jeûner, se couvre de sacs et s’assoit dans la cendre. Tous ils espèrent que Dieu reviendra sur sa décision. En voyant leur réaction, Dieu décide de ne pas exécuter le châtiment prévu. Jonas est furieux : ce qu’il a annoncé ne se réalise pas, et il se sent trahi. On apprend alors pourquoi il avait fui : « Je savais bien que tu es un Dieu bon et miséricordieux, lent à la colère et plein de bienveillance, et qui revient sur sa décision de faire du mal » (Jon 4,2). Jonas aurait préféré un Dieu vengeur. Mais le Dieu d’Israël est celui qui affirme par le prophète Ézéchiel : « Est-ce que vraiment je prendrais plaisir à la mort du méchant – oracle du Seigneur Dieu – et non pas plutôt à ce qu’il se détourne de ses chemins et qu’il vive ? » (Ez 18,23).
Jésus, quarante jours dans le désert
Dans les évangiles synoptiques, au début de son ministère, Jésus est conduit au désert par l’Esprit. Là, à l’issue de quarante jours de jeûne, il est tenté par le diable (Mt 4,1-11 ; Mc 1,12-12 ; Lc 4,1-13). Les tentations développées par Matthieu et Luc montrent que Jésus sera appelé à vivre toute sa vie les épreuves subies par les Israélites après la sortie d’Égypte. Le peuple de Dieu s’était révolté bien souvent, regrettant l’esclavage plutôt que l’aventure de la foi. Certains voudront lui demander des gestes spectaculaires ; Jésus leur répondra en vivant pleinement son humanité en totale communion avec son Père. D’autres voudront qu’il se transforme en leader politique ; mais Jésus est venu inaugurer le Règne de son Père. D’autres encore souhaiteront le voir inaugurer ce Règne par la violence ; mais Jésus a pris sur lui cette violence en mourant sur la croix.
Les quarante jours du carême
Pour les chrétiens, le temps du carême, quarante jours et quarante nuits, est nourri de tous ces textes de l’Écriture liés au chiffre quarante. C’est un temps où l’on se rapproche de Dieu comme Moïse sur la montagne. C’est le moment de faire une halte dans notre vie pour rencontrer Dieu, comme Élie, dans une voix de fin silence. C’est aussi le moment de redécouvrir que l’homme ne vit pas de pain seulement, mais de tout ce qui sort de la bouche du Seigneur. C’est encore le temps, à l’exemple des Ninivites, à travers le jeûne et la prière, de se convertir et d’implorer la miséricorde du Seigneur.