Quelque cinquante-sept ans se sont écoulés entre la première « visitation » du Seigneur et la présente révision de ces pages, rédigées il y a quelques années à l’intention d’amis et relations qui avaient accueilli mon témoignage malgré l’indignité du récipient d’argile dans lequel il était déposé (Cf. 2 Co 4, 7). Ils ne s’étaient pas scandalisés de ma faiblesse ni des nombreux péchés que j’ai confessés dans plusieurs de mes publications, mais ils avaient eu le courage et l’humilité de croire, sans preuve, à la bonne nouvelle du rétablissement d’Israël, dont j’affirmais qu’il était déjà accompli, à l’insu de l’immense majorité chrétiens et des autorités ecclésiales elles-mêmes.
Considérant mon âge et mon état de santé, qui n’est pas fameux [1], l’un de ces amis, resté fidèle jusqu’à ce jour, m’avait, en son temps, incité à rédiger un document qui synthétise, en des termes qui soient compréhensibles et assimilables par le plus grand nombre, l’essentiel de ce que j’ai compris du dessein de Dieu, sur lequel j’ai médité et écrit abondamment jusqu’à ce jour. « Ainsi », avait-il conclu, « en plus de tes livres et articles sur le sujet, nous disposerons, si tu venais à disparaître, d’une espèce de « kérygme [2] simplifié » de la bonne nouvelle du rétablissement du Peuple juif, que nous serons alors en mesure de nous approprier et de transmettre, à notre manière. »
Un rappel toutefois. Au fil des décennies écoulées, j’ai fait, en privé, plusieurs tentatives de sensibilisation de théologiens membres du clergé, pour que les révélations dont j’ai été gratifié fassent l’objet d’un discernement ecclésial. Or aucune n’a abouti. Au contraire, elles se sont heurtées à un scepticisme radical, et m’ont valu des mises en garde sévères, et même des réflexions désobligeantes concernant mon équilibre psychique. Certes, il y a eu quelques exceptions, dont témoigne, entre autres, ce que j’ai relaté plus haut, mais les rares serviteurs de Dieu qui m’ont rendu un bon témoignage n’exerçaient pas des fonctions officielles les habilitant à faire « remonter » ce que je leur confiais jusqu’aux instances ecclésiales responsables.
Les quelques chrétiens qui, au fil des ans, ont accordé foi à mon témoignage savent que c’est poussé par une nécessité spirituelle intérieure persistante et douloureuse [3] – même si elle était habituellement paisible –, que je me suis finalement décidé, après des décennies de silence, à publier la teneur des réflexions élaborées par mon intelligence humaine éclairée par la grâce et la méditation incessante des révélations du Seigneur. C’est dans mon premier livre édité en 2009 [4], que j’ai levé publiquement le voile sur l’appel de Dieu.
Quelques-uns de mes soutiens – dont certains ne m’ont pas emboîté le pas dès le commencement, même s’ils me lisent plus ou moins régulièrement – m’ont confié avoir trouvé dans mes écrits une nourriture qui leur manquait et qui correspondait à ce que leur âme et leur esprit attendaient confusément depuis longtemps. Je me souviens avec quelle émotion certain(e)s d’entre eux m’ont exprimé la joie intérieure qu’ils avaient éprouvée, dans les débuts de nos relations, en écoutant ou en lisant ce que j’exposais des mystères du Royaume qui vient, et du rôle qu’y joueront, dans les derniers temps, les chrétiens et les juifs, dont le Seigneur aura «ouvert l’esprit pour qu’ils comprennent les Écritures» (cf. Lc 24, 45). Ils m’ont aussi fait part des progrès de leur compréhension personnelle du dessein de Dieu suite à la lecture de mes livres et articles, ainsi que de leur émerveillement de découvrir, dans tel ou tel passage de l’Écriture, un sens qu’ils n’avaient jamais envisagé jusque-là et qui, à la lumière de mes commentaires scripturaires, disaient-ils, s’harmonisait soudain avec plusieurs autres, leur faisant ainsi percevoir la stupéfiante « symphonie » du dessein divin. C’est que, comme l’a dit l’apôtre Paul, « ma parole et mon message n’avaient rien des discours persuasifs de la sagesse ; c’était une démonstration d’Esprit et de puissance. » (1 Co 2, 4).
Ceux de ces premiers témoins qui m’ont gardé leur confiance ont encore en mémoire mes hésitations, voire ma peur d’exposer au grand jour ce que j’avais compris du mystère du rétablissement du peuple juif et des prodromes de son accomplissement, ainsi que des réactions violemment hostiles que cette initiative déclencherait, je le pressentais, non seulement chez les incroyants, mais même hélas, chez beaucoup de celles et ceux qui sont de la « bergerie » du Christ. C’est pourquoi j’ai averti, à mots plus ou moins couverts, dans mes écrits, de la possibilité d’une apostasie chrétienne et même de la présence, dès maintenant, de signes avant-coureurs de cette révolte contre le dessein de Dieu, dont celle de Lucifer fut l’archétype.
Certains de ces premiers témoins ont lu, dans mes livres postérieurs, les exposés, parfois complexes et difficiles à assimiler, que j’ai faits de ces perspectives, et certains d’entre eux y ont adhéré d’une manière inconditionnelle que des esprits critiques considéreront sans doute comme naïve. Ils m’ont confié depuis se souvenir que, par crainte de les induire involontairement en erreur, je m’étais fait « l’avocat du diable » à l’égard de mes propres convictions, en en montrant les points faibles et les failles possibles. C’est qu’en effet, je voulais que leur foi fût fondée non sur ma parole et mon éloquence, si sincères et persuasives qu’elles fussent, mais sur la conformité de mes propos avec l’Écriture et la Tradition. C’est ce sens aigu de la responsabilité qu’encourt devant Dieu quiconque croit devoir interpeller ses coreligionnaires, sans pour autant se prendre pour un prophète, qui m’a amené à écrire des centaines de pages traitant de sujets complexes et sensibles en matière de foi, de Tradition, et de compréhension des Écritures.
On me dira que tous les réformateurs et les spirituels ont été confrontés aux mêmes difficultés quand, poussés par l’Esprit, ils ont exercé leurs charismes propres, et créé les mouvements spirituels novateurs que l’Église a finalement reconnus parce qu’elle y retrouvait sa foi originelle. Mais, outre que l’apôtre Jean a recommandé de ne « pas se fier à tout esprit », mais d’ « éprouver les esprits pour voir s’ils viennent de Dieu » (cf. 1 Jn 4, 1), c’est justement là qu’est toute la différence entre la vocation de ces saints et celle de l’« avorton » que je suis (cf. 1 Co 15, 8). En effet, je n’ai pas reçu la mission de réformer mes coreligionnaires et encore moins l’Église, mais, comme l’écrit S. Paul, celle d’être « serviteur et témoin des visions dans lesquelles il s’est manifesté à moi… » [5].
Pour autant que j’aie bien compris ce qui m’est arrivé depuis que le Seigneur m’a fait signe pour la première fois il y a cinquante-sept ans, tout ce qui m’est demandé, me semble-t-il, c’est de ne plus rien cacher de ce qui m’a été dit de la part de Dieu, à savoir, qu’Il a rétabli son peuple [6] et de témoigner que l’humanité est entrée dans les «temps de la remise en vigueur [litt. : apocatastase [7]] de tout ce que Dieu a énoncé par la bouche de ses saints prophètes de toujours» (cf. Ac 3, 21).
Mon intime conviction est la suivante : les Juifs d’aujourd’hui, « récapitulent » [8] tout ce que leur peuple a enduré au fil des siècles. À leur insu et à celui des nations, Dieu leur a restitué le Royaume (cf. Ac 1, 6), et ils constituent désormais, pour l’humanité en général et pour la Chrétienté en particulier, l’épreuve, le révélateur, la « pierre de touche » [9], qui, le moment venu, révélera, les desseins de leur cœur[10], comme en témoigne, dans un autre contexte, ce texte d’Irénée de Lyon :
Tel est le diable. Il était l’un des anges préposés aux vents de l’atmosphère, ainsi que Paul l’a fait connaître dans son épître aux Éphésiens ; il se mit alors à envier l’homme et devint, par là même, apostat à l’égard de la loi de Dieu : car l’envie est étrangère à Dieu. Et comme son Apostasie avait été mise au jour par le moyen de l’homme et que l’homme avait été le moyen d’éprouver ses dispositions intimes, il se dressa de plus en plus violemment contre l’homme, envieux qu’il était de la vie de celui-ci et résolu à l’enfermer sous sa puissance apostate. Mais l’Artisan de toutes choses, le Verbe de Dieu, après l’avoir vaincu par le moyen de l’homme et avoir démasqué son Apostasie, le soumit à son tour à l’homme, en disant: « Voici que je vous donne le pouvoir de fouler aux pieds les serpents et les scorpions, ainsi que toute la puissance de l’ennemi. » De la sorte, comme il avait dominé sur les hommes par le moyen de l’Apostasie, son apostasie était à son tour réduite à néant par le moyen de l’homme revenant à Dieu [11].
Rétrospectivement, je ne m’étonne plus de l’incompréhension que suscitent mes paroles et mes écrits, remplis d’analogies et de références à des situations bibliques, ainsi que mes interprétations, jugées irrecevables par certains, de passages scripturaires que mes détracteurs lisent de tout autre manière. Je comprends qu’ils soient perturbés, voire scandalisés par mes conceptions. Sans le bon témoignage de serviteurs de Dieu mis sur ma route par la Providence, au fil des années, je me serais probablement découragé. Le dernier en date a été celui du religieux contemplatif évoqué plus haut. Même si, en évoquant « les grâces que vous avez reçues et la mission que Dieu paraît vous avoir confiée » [12], il ne m’a pas aidé à comprendre la manière dont je pourrais y correspondre, il a heureusement balayé mes dernières hésitations et pacifié mon âme [13].
Aujourd’hui, je considère comme providentiel le fait que le Seigneur, qui «connaît tout» (1 Jn 3, 20), ait permis que la révélation dont j’ai bénéficié concernant le rétablissement du Peuple juif, n’ait pas fait l’objet d’un examen canonique. De ce fait, je me suis senti libre de publier les approfondissements théologiques et spirituels que cette grâce a suscités en moi et que j’exprime dans mes écrits. Ainsi, les théologiens préposés à la défense de la foi et dont le rôle est d’aider à la maturation du jugement de l’Église, ne sont ni sollicités d’émettre un jugement sur mes écrits, ni mis en demeure de prendre position à leur propos. Ils peuvent, bien entendu, les condamner, voire mettre en garde les fidèles contre le danger d’hétérodoxie qu’ils croiront y déceler. Mais ils peuvent aussi, comme dit la parabole évangélique, « laisser croître ensemble [l’ivraie et le blé] jusqu’au temps de la moisson » (cf. Mt 13, 30).
Quant à moi, je continuerai à diffuser mon témoignage, avec humilité certes, mais avec « la liberté que j’ai dans le Christ Jésus » (cf. Ga 2, 4).
- Je précise qu’on m’a découvert une tumeur cancéreuse du colon en 2012, et que son ablation chirurgicale réussie ne permet pas de considérer avec certitude, à ce stade, que je suis guéri de cette affection grave. ↵
- Sur cette notion, voir l’article « Kérygme », de Wikipédia. ↵
- J’ai illustré cet état d’esprit, à plusieurs reprises dans mes ouvrages, en citant ce passage du prophète Jérémie : « Je m’étais dit : Je ne penserai plus à lui, je ne parlerai plus en son Nom; mais c'était en mon cœur comme un feu dévorant, enfermé dans mes os. Je m'épuisais à le contenir, mais je n'ai pas pu. » (Jr 20, 9). ↵
- Chrétiens et juifs depuis Vatican II. État des lieux historique et théologique. Prospective eschatologique, éditions Docteur angélique, Avignon, 2009 ; Conclusion, p. 355 ss. ↵
- J’adapte ici les paroles de l’Apôtre en Ac 26, 16. ↵
- J’ai consacré un livre entier à ce sujet, Dieu a rétabli Son Peuple. Témoigner devant l’Église que Dieu a restitué au Peuple juif son héritage messianique, édition Tsofim 2013, texte en ligne, et en particulier les chapitres 2 : « Comment faire entendre dans l’Église une révélation dite "privée"? » et 3 : « "Le témoignage de Jésus, c’est l’esprit de prophétie" ». ↵
- Expression qui paraphrase le sens de la notion du terme grec « apokatastasis » (‘apocatastase’), en Ac 3, 21). J’ai exposé sommairement, en son lieu, ma saisie de cette notion, ainsi que de celle de «récapitulation», dans des écrits dont la lecture est recommandée à quiconque veut approfondir ces aspects mal connus de la théologie du dessein de Dieu (voir, entre autres : « Qu’est-ce que l’apocatastase ? » ; « "Une oeuvre que vous ne croiriez pas si on vous la racontait" » ; voir aussi l’anthologie partielle intitulée « Récapitulation d’après Irénée de Lyon », et les liens suivants : « Apocatastase » ; « Le mystère de l’apocatastase » ; « Annonces eschatologiques à caractère apocatastatique » ; « Situations apocatastatiques dans le Nouveau Testament » ; « Paraboles à caractère apocatastatique : La vigne, le Christ et le Royaume » ; « Gestes et déclarations du Christ à caractère apocatastatique » ; « Modalités de l’accomplissement du dessein divin sur les Juifs et les chrétiens, à l’approche de la Fin des Temps » ; etc. ↵
- Voir, entre autres : « Une oeuvre que vous ne croiriez pas si on vous la racontait », ainsi que l’anthologie partielle intitulée « Récapitulation d’après Irénée de Lyon », déjà cités, ci-dessus. ↵
- Au sens irénéen de l’expression : voir, à ce propos, le chapitre 12 de mon ouvrage cité (Dieu a rétabli son peuple) : « Les juifs, "pierre de touche des dispositions intimes" des nations et des Chrétiens, au temps de l’apostasie ». ↵
- Je fais ici allusion aux paroles de Syméon adressées à Marie : « Vois, cet enfant doit amener la chute et le relèvement d’un grand nombre en Israël ; il doit être un signe en butte à la contradiction, et toi-même, une épée te transpercera l’âme ! – en sorte que se révèlent les pensées intimes de bien des cœurs.» (Lc 2, 34-35). ↵
- Irénée de Lyon, Contre les Hérésies, V, 24, 4, Sources Chrétiennes, n° 153, Cerf, Paris, 1969, p. 307 ; le texte est également consultable dans la version française, en un volume, de cette œuvre: Irénée de Lyon, Contre les hérésies. Dénonciation et réfutation de la prétendue gnose au nom menteur, Cerf, Paris, 1991, p. 641. ↵
- Cf. ci-dessus, « La notion de "mission confiée"… ». ↵
- Qu’il soit bien clair que je ne considère pas ce jugement comme une parole inspirée, qui me conférerait la « mission » dont elle parle, mais comme le précieux témoignage d’un serviteur de Dieu dont le savoir et la piété rendent crédible le discernement. ↵