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Isabelle Boisvert
Née sous le nom de Marie Gouze à Montauban en France le 7 mai 1748, cette petite provinciale qui était destinée à une vie sans éclat a plutôt choisi un chemin moins conventionnel pour son époque. C’est en 1793, lors de la Terreur, qu’Olympe de Gouges, alias Marie Gouze, fut guillotinée. Son crime, avoir osé défendre les droits des laissées-pour-compte et rédiger une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Aujourd’hui, Olympe de Gouges est considérée comme la première femme ayant réclamé l’égalité des sexes dans les institutions.
Une enfance occitane
Dans son roman autobiographique Mémoire de Mme de Valmont, on y apprend qu’elle vécut une enfance pauvre et sans instruction, avec l’occitan comme langue maternelle. D’après ses dires, elle serait née d’une union illégitime entre le marquis Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, magistrat et écrivain, et une fille du peuple, Anne-Olympe Mouisset. Bien qu’il n’ait jamais reconnu sa paternité publiquement, Olympe idolâtrait ce père, en plus de prétendre avoir hérité de son talent d’écrivain.
Ses trois entorses aux bonnes moeurs
Très avant-gardiste sur son temps, on dira d’Olympe de Gouges qu’elle commit trois entorses aux bonnes mœurs et lois de son sexe. La première entorse fut son refus de se faire appeler la veuve Aubry. En effet, après la mort de son mari, Louis-Yves Aubry, alors qu’elle n’était âgée que de 18 ans et mère d’un garçon, Pierre Aubry, elle décida de se créer sa propre identité, prétextant que le nom Aubry lui évoquait de mauvais souvenirs. Marie Gouze veuve Aubry changea alors son nom pour Olympe de Gouges, reprenant une partie du prénom de sa mère.
Sa deuxième entorse fut de refuser d’épouser le riche entrepreneur Jacques Biétix de Rosières alors que cette union lui aurait assuré la sécurité financière. Olympe ne croyant pas au mariage, qu’elle définit comme « le tombeau de la confiance et de l’amour », lui préférait « l’inclinaison naturelle », c’est-à-dire un contrat social entre un homme et une femme. Ces déclarations lui vaudront, chez les chroniqueurs de l’époque, une réputation de femme galante, connue à Paris pour les faveurs qu’elle rendait aux hommes.
Finalement, sa troisième entorse fut son implication sociale et sa condamnation des injustices faites à tous les laissés-pour-compte de la société (Noirs, femmes, enfants illégitimes, démunis, malades…). Ces dénonciations prirent plusieurs formes telles que des pièces de théâtre engagées, des brochures politiques et, plus tard, des affiches placardées dans tout Paris. Cette dernière entorse eut raison de sa vie.
De femme galante à femme de lettres
Après la mort de son mari, elle décida de poursuivre une carrière littéraire – qui l’amena par la suite à dénoncer l’esclavage des Noirs et à plaider en faveur des droits civils et politiques des femmes dans ses écrits. Elle s’exila alors à Paris avec son fils et Jacques Biétrix de Rozières, où elle apprit très vite ce qu’était l’exclusion sociale. Il faut dire qu’Olympe était avant tout considérée comme illettrée, occitane, indomptable et imprudente. Autodidacte, elle se mit à fréquenter les milieux politiques, ainsi que les « gens bien nés ».
En 1901, Édouard Forestier, un biographe d’Olympe de Gouges, se demandait comment cette femme galante avait ainsi pu se transformer en femme de lettres. Il expliqua que « que la femme a une extrême facilité d’assimilation et que l’histoire fournit maints exemples de semblables métamorphoses ». Toutefois, Olympe dut s’armer de détermination, car son passé d’illettrée et d’Occitane se faisait ressentir dans son écriture qui avait un style parlé. D’ailleurs, au début de sa carrière littéraire, elle devait dicter son texte à des secrétaires qui transcrivaient sa pensée plus ou moins fidèlement. Certains l’accuseront même de ne pas être l’auteure de ses œuvres, ce qu’Olympe défendit avec orgueil et naïveté :
Il faut que j’obtienne une indulgence plénière pour toutes mes fautes qui sont plus graves que légères : fautes de français, fautes de construction, fautes de style, fautes de savoir, fautes d’intéresser, fautes d’esprit, fautes de génie… En effet, on ne m’a rien appris. Élevée dans un pays où l’on parle mal le français, je ne connais pas les principes, je ne sais rien. Je fais trophée de mon ignorance, je dicte avec mon âme, jamais avec mon esprit.
Olympe fut l’auteure de nombreux romans et pièces de théâtre. Sa première pièce de théâtre à être acceptée et présentée fut l’Esclavage des Nègres qui ne sera joué qu’une seule fois. Par la suite, elle devint très engagée dans des combats politiques en faveur des Noirs et de l’égalité des sexes. D’ailleurs, elle est la seule femme à avoir été citée en 1808 dans la « Liste des hommes courageux qui ont plaidé ou agi pour l’abolition de la Traite des Noirs. »
Olympe de Gouges fut plus d’une fois injustement critiquée pour ses nombreux écrits contestataires de l’ordre établi. Cependant, avec sa force de caractère et ses convictions, elle devint à plusieurs reprises porte-étendard dans la dénonciation du traitement injuste réservé aux femmes. Elle réclamait le droit à l’intelligence, ainsi que celui de vieillir sans honte :
Je sens l’injustice et je ne puis la soutenir. Je crois qu’on nous a chargées de ce qu’il y avait de plus frivole et que les hommes se sont réservés le droit aux qualités essentielles. De ce moment, je me fais homme ! Je ne rougirai donc plus de l’usage que j’ai fait des dons précieux que j’avais reçus de la nature. Si l’on pouvait rajeunir et si je revenais à l’âge de quinze ans, je ne changerais en rien le plan de vie que j’ai suivi. Mais j’approche de ma cinquantaine…Cela vous étonne, et surtout que j’ai la force de l’avouer.
L’ultime condamnation pour des idéologies égalitaires
En 1788, elle publie dans le Journal Général de France une brochure politique intitulée « La lettre au peuple ou projet d’une caisse patriotique ». Dans cette lettre, elle proposait des idées socialistes avant-gardistes qui ne furent reprises que plusieurs années plus tard. On y retrouve, notamment, la demande de création d’une assistance sociale, d’établissements d’accueil pour les aînés, de refuges pour les enfants d’ouvriers, d’ateliers publics pour les ouvriers sans travail et de tribunaux populaires (jurys d’aujourd’hui).
Son audace ne s’arrêta pas à cette lettre. En 1791, Olympe rédigea une Déclaration des droits des femmes et de la citoyenne, copiée sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Cette déclaration dénonçait le fait que la Révolution française n’incluait pas les femmes dans son projet de liberté et d’égalité et considérait que « l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme sont les seules causes de malheurs publics et de la corruption des gouvernements ». Elle adressa sa Déclaration à la « première des femmes », soit la reine Marie-Antoinette.
Cette Déclaration comporte dix-sept articles dont l’objet principal est une demande pour « l’exercice [par les femmes] de leurs droits naturels, qui n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme leur oppose ». Le premier article de cette Déclaration est « la femme naît et demeure égale à l’homme en droits » tandis que l’article dix demeure, encore aujourd’hui, très célèbre :
Les femmes ont le droit de monter à l’échafaud. Elles doivent avoir également celui de monter à la tribune.
C’est finalement en 1793 que le militantisme d’Olympe de Gouges, cette femme pleine de résilience, la conduisit au « rasoir national », la guillotine. C’est que son texte intitulé « Les trois urnes », qu’elle placarda dans tout Paris, où elle accusait Robespierre et Marat d’être les artisans de la Terreur, dérangeait.
Tu te dis l’unique auteur de la Révolution Robespierre ! Tu n’en fus, tu n’en es, tu n’en sauras éternellement que l’opprobre et l’exécration…Chacun de tes cheveux porte un crime…Que veux-tu ? Que prétends-tu ? De qui veux-tu te venger ? De quel sang as-tu soif encore ? De celui de ton peuple ?
Quelques mois plus tard, elle fut arrêtée. Sentant sa fin imminente – « J’ai tout prévu, je sais que ma mort est inévitable » – , elle fit cette déclaration testamentaire :
Je lègue mon cœur à La Patrie, ma probité aux hommes, ils en ont besoin. Mon âme aux femmes, je ne leur fais pas un don d’indifférence.
Et c’est le 3 novembre 1793 qu’elle monta à l’échafaud devant une foule rassemblée sur l’actuelle place de la Concorde où elle s’écria : « Enfants de la patrie, vous vengerez ma mort ! »
Références
Blanc, Olivier (2003), Marie-Olympe de Gouges.Une humaniste à la fin du XVIIIe siècle, Paris, René Viénet, 272 p.
Denoël, Charlotte « Olympe de Gouges », L’histoire par image. http://www.histoire-image.org/site/oeuvre/analyse.php?i=952
Groult, Benoîte (2013), Ainsi soit Olympe de Gouges, Grasset, Paris, 205p.
Mousset, Sophie (2006), Olympe de Gouges et les droits de la femme, Paris, Pocket, 160 p.
Perfetti, Myriam, (2013), « Olympe de Gouges : une femme contre la Terreur », Magazine Marianne
http://www.marianne.net/Olympe-de-Gouges-une-femme-contre-la-Terreur_a231276.html