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Nadège Wuestenberghs

rigoberta

Prix Nobel de la paix en 1992, cette Guatémaltèque a défendu toute sa vie les droits des peuples autochtones. Elle connut une enfance difficile sous un régime militaire, un engagement politique qui couta la vie à plusieurs membres de sa famille et un exil forcé au Mexique.

Son enfance dans les fincas

Rigoberta Menchu naquit le 9 janvier 1959 au Guatemala dans le hameau de Chimel, petit village situé dans le nord-ouest du pays. Comme 60% des habitants de son pays, elle est autochtone : elle provient de l’ethnie K’iche’, apparentée aux Maya.

Dès sa plus tendre enfance, Rigoberta travailla avec ses parents et ses frères et sœurs dans les fincas, de grandes propriétés terriennes où l’on cultivait du coton, mais aussi du café. Des familles entières de son village étaient transportées par camion vers ces plaines côtières. Malnutrition, maltraitance, pauvreté, telles étaient les conditions de vie des familles autochtones guatémaltèques de l’époque. Un des petits frères de Rigoberta mourut devant ses yeux après une longue agonie due à la malnutrition, ce qui l’a amenée à réfléchir sur son avenir. Un avenir qui, de l’avis de ses parents, n’allait pas être des plus réjouissants.

Mes parents me disaient que j’allais avoir à faire face à de nombreuses ambitions, mais que, malgré ça, je n’allais pas avoir la possibilité de les réaliser. Que ma vie n’allait pas changer, elle allait continuer pareil, le travail et la souffrance.

Rigoberta était désespérée à l’idée que les conditions de vie de son peuple soient les seules possibles. Elle se mit à haïr les propriétaires terriens, les ladinos, qui exploitaient son peuple.

Cette exploitation était d’autant plus intolérable que très peu d’Autochtones savaient s’exprimer en espagnol, la langue des autorités du pays, si bien qu’il était impossible pour la plupart d’entre eux de se plaindre des traitements qu’ils subissaient dans les fincas. Rigoberta apprit l’espagnol à l’âge de 20 ans pour dénoncer ces abus et pour pouvoir défendre son peuple.

Premiers engagements

Le Guatemala connut dans les années 1970 une répression militaire de grande ampleur qui toucha directement les peuples autochtones et donc la famille de Rigoberta.

En particulier, ce gouvernement se livra à une oppression des peuples autochtones afin de prendre leurs terres. Dans de nombreux villages, des jeunes femmes étaient violées et tuées par les soldats. Des familles entières ont été expulsées de leurs terres. Pour réagir à cette dictature, des paysans autochtones se réunirent pour former le Comité d’Union Paysanne (CUC), parmi lesquels se trouvait le père de Rigoberta. Cette dernière rejoignit le mouvement quelques années plus tard alors qu’elle était encore adolescente. Dans son village, les familles unies réussissaient à repousser l’armée. Mais partout ailleurs, des atrocités se déroulaient tous les jours.

Moi, ça me faisait honte de rester dans mon coin si isolé parce que j’étais tranquille et ne de pas penser aux autres. Alors j’ai décidé de m’en aller.

Rigoberta voyagea dès lors dans plusieurs fincas dispersées dans des régions différentes du Guatemala pour parler aux autres femmes et pour leur apprendre à diriger leur communauté dans ses rapports avec le gouvernement. Très engagée dans ce mouvement, elle participa également à de nombreuses manifestations pour demander à l’armée d’arrêter ces tortures.

Toute sa famille était aussi impliquée dans cette cause : son frère de 16 ans était secrétaire de la communauté et sa mère apportait la bonne parole dans de nombreux villages. Mais le gouvernement guatémaltèque les traquait ; il devenait dangereux pour les membres de sa famille de se réunir. En 1979, son frère fut torturé et brûlé vif par l’armée. Ensuite, ce fut le tour de sa mère qui fut séquestrée et violée par des chefs militaires. Après avoir été torturé, son père mourut en 1980 dans un incendie provoqué par les forces de l’ordre. Ce fut un véritable choc pour la jeune Rigoberta.

Elle partit alors en exil en 1981. Elle se rendit au Mexique, ce qui la brisa. Elle ne comprenait pas pourquoi elle devait quitter son pays à cause du gouvernement qu’elle qualifia de « meurtrier ».

 De l’exil au prix Nobel de la paix

Cet exil marqua une nouvelle phase dans sa vie. Bien que loin, elle continua à combattre la répression au Guatemala et à défendre les droits des peuples autochtones de son pays, avec son histoire. Deux ans après son exil, parut le livre Moi, Rigoberta Menchu. Elizabeth Burgos, anthropologue originaire du Venezuela, a rédigé cet ouvrage biographique à partir de nombreux entretiens avec Rigoberta.

Sur base de cette biographie et de l’histoire de Rigoberta, celle-ci reçut le prix Nobel de la paix en 1992, « en reconnaissance de son travail pour la justice sociale et la réconciliation ethno-culturelle basées sur le respect pour les droits des peuples autochtones ». Rigoberta Menchu est d’ailleurs la première femme autochtone à obtenir un prix Nobel de la paix. Elle collabora également à l’élaboration de la déclaration des droits des peuples autochtones. Elle est aussi ambassadrice de bonne volonté de l’ONU.

Elle aurait voulu faire juger l’ex-dictateur militaire guatémaltèque Efrain Rios Montt devant les tribunaux en Espagne pour crime de génocide contre le peuple indigène du Guatemala. Mais elle n’y parvint pas.

En 2006, Rigoberta Menchu devint une des fondatrices du « Nobel women’s initiative » avec notamment Jody Williams et Shirin Ebadi. Cette organisation composée de six femmes « nobélisées » œuvre afin d’apporter la paix, l’égalité et soutient les droits des femmes dans de nombreux pays à travers le monde.

Rigoberta Menchu est également membre de « Peacejam », une fondation qui permet aux lauréats du prix Nobel de la paix de s’adresser aux jeunes et de leur inculquer des valeurs comme la défense des droits de l’homme et la paix.

Alors qu’elle intensifia ses actions pour protéger les peuples minoritaires et les femmes, Rigoberta Menchu se présenta deux fois, en 2007 et en 2011, aux présidentielles du Guatemala. Elle créa le parti politique WINAQ, qui représente les communautés autochtones du pays. Mais ce fut un échec. Elle ne récolta que 3% des voix en 2007 et en 2011. Elle revint sur cette défaite dans une interview de 2008 pour le « Talk de Paris » et déclara :

Nous avions l’intention d’ouvrir une brèche pour créer un instrument politique plus indigène du Guatemala, nous sommes en train de construire notre mouvement.

Malgré cet échec, Rigoberta Menchu s’impose comme une figure emblématique dans la défense des peuples autochtones. Elle voyage toujours à l’heure actuelle à travers le monde pour parler de son vécu, toujours vêtue du costume traditionnel K’iche’.

Sa vision de la lutte des femmes

Rigoberta Menchu a longtemps œuvré à l’égalité entre hommes et femmes dans son pays. Plus jeune, quand elle travaillait pour le mouvement CUC, Rigoberta s’aperçut que les hommes de sa communauté ne la prenaient pas au sérieux. Elle eut des difficultés à imposer ses choix alors qu’elle était très active dans le comité. Certains hommes avaient du mal à accepter la participation des femmes dans ce mouvement et empêchaient leurs épouses de combattre à leurs côtés ce qui révoltait Rigoberta. Cependant, pour celle-ci, il n’était pas question de créer une organisation seulement pour les femmes.

Créer une organisation pour les femmes, c’est donner une arme de plus au système qui nous opprime.

Selon elle, cela alimenterait le machisme mis en place. Rigoberta pensait que les hommes devaient participer aux discussions tournant autour des problèmes femmes et contribuer aux débats. Elle continua ensuite à défendre les droits des femmes, à changer les mentalités concernant leurs devoirs et leurs droits et à combattre le machisme dans son pays.

Œuvres

Rigoberta Menchu (1998), Crossing borders, (trad. Ann Wright), Verso, 252p

Rigoberta Menchu, Dante Liano (2005), The Girl from Chimel, (trad. David Unger), Groundwood Books, 56 p.

Rigoberta Menchu, Dante Liano (2006), The Honey Jar, (trad. David Unger), Groundwood Books, 56 p.

Rigoberta Menchu, Dante Liano (2008), The secret legacy, (trad. David Unger), Groundwood Books, 64p.

Références

Les citations sont tirées des références ci-dessous.

Burgos E. (1983), Moi, Rigoberta Menchu, (traduit de l’espagnol par Michèle Goldstein), France, Editions Gallimard, 508 p.

Club Quetlzal, « Rigoberta Menchu, sa vie, son œuvre ».
http://www.clubquetzal.org/decouvrir-le-club-quetzal/116

Encyclopédie Universalis, « Menchu Rigoberta (1959-) ».
http://www.universalis.fr/encyclopedie/rigoberta-menchu/

Interview Talk de Paris (2008) sur France24, « Rigoberta Menchu, Nobel de la Paix ».
http://www.dailymotion.com/video/x5sv64_rigoberta-menchu-nobel-de-la-paix_news

L’association Peacejam dont fait partie Rigoberta Menchu : http://www.peacejam.org/

 Nobel Prize, “Rigoberta Menchu Tum – Biographical”.
http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/peace/laureates/1992/tum-bio.html

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