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Zoé Kavvadias
Lucie Aubrac, née Lucie Bernard, fut une femme engagée. Fervente militante contre le fascisme, elle s’engagea dans la résistance active à l’occupation nazie durant la Seconde Guerre mondiale. Elle fut à l’origine de la création du journal et du mouvement clandestin Libération.
Début de vie et formation
Lucie Bernard naquit à Paris en 1912. Sa jeunesse fut rythmée par les déménagements de ses parents, Louis Bernard et Louise Vincent, originaires de Saône-et-Loire. Blessé pendant la guerre, le père de Lucie devint partiellement invalide en 1918. Lucie et sa sœur Jeanne furent alors reconnues pupilles de la nation et obtinrent une bourse leur permettant de poursuivre des études.
Pour les études de Lucie, la petite famille déménagea à Vitry-sur-Seine en 1928. Lucie intégra l’École normale des Batignolles pour devenir institutrice. Elle échouera par deux fois, avant de réussir enfin le concours d’entrée. À la surprise de ses proches, elle fit cependant le choix de ne pas y rentrer. Lucie quitta alors le domicile familial pour s’installer seule. Ce fut le début d’une période marquée par les difficultés matérielles.
Durant les années qui suivirent, Lucie côtoya des professeurs qui lui donnèrent le goût d’entreprendre des études supérieures d’histoire. Malheureusement, la formation qu’elle avait obtenue ne suffisait pas pour entrer à l’Université. Il lui fallut redoubler d’efforts et passer son baccalauréat pour pouvoir entrer à la Sorbonne. Elle obtint sa licence de lettres à l’âge de 26 ans. Elle pouvait alors préparer l’agrégation d’histoire afin de pouvoir enseigner.
Début de l’engagement
En dehors de ses études, Lucie fréquentait le Cercle international de jeunesse, une association pacifiste qui organisait des conférences sur des sujets variés. C’est grâce au Cercle que Lucie voyagea entre autres en Angleterre et à Berlin.
Jeune femme engagée, Lucie milita également aux Jeunesses communistes.
J’ai adhéré aux Jeunesses en 1932. Mes contacts avec les quakers m’avaient donné de premières idées pacifistes. Les difficultés matérielles que j’ai connues m’ont fait adapter mon pacifisme à des idées plus combatives et j’ai adhéré aux Jeunesses Communistes sans savoir rien de plus sur le Parti Communiste que son côté alors antimilitariste.
Elle s’inscrivit également à l’Union fédérale des étudiants de la Sorbonne. Elle y côtoya alors des grands noms tels que Victor Leduc, Joseph Epstein ou encore Jean-Pierre Vernant, tous résistants communistes durant la guerre.
La rencontre de sa vie
Après plusieurs années d’engagement, Lucie mit de côté le Parti communiste pour se concentrer sur ses études et son agrégation. Elle fut nommée professeure d’histoire et de géographie. Elle partit enseigner à Strasbourg en 1938 puis à Vannes.
Cette année-là, elle rencontra Raymond Samuel qui faisait son service militaire comme officier du génie des ponts et chaussées à l’aube de la Seconde Guerre mondiale.
Cette rencontre fut marquante dans la vie de Lucie puisque ce dernier devint son mari le 14 décembre 1939 à Dijon. Éperdument amoureuse, elle refusa de partir préparer sa thèse aux États-Unis puisque Raymond devait rester en France.
Le début de la Résistance
Engagé dans la Résistance qui commençait à s’organiser, Raymond fut fait prisonnier par les Allemands le 21 juin 1940. C’est grâce à sa femme qu’il s’évada. En effet, elle lui fit parvenir un médicament qui lui provoqua une forte fièvre. Transféré à l’hôpital, il était alors plus facile à faire évader. Ils gagnèrent ensuite ensemble la ville de Lyon où Lucie enseignait au lycée de jeunes filles Edgar-Quinet.
L’engagement dans la Résistance, personne ne l’oblige. On est volontaire. On est dans un pays qui avait une tradition démocratique, où on avait l’habitude d’écrire, de parler. On se sent responsable, surtout quand on enseigne l’Histoire. Je ne me suis pas sentie du courage en faisant ces choses-là. J’ai toujours pensé que les gens qui avaient raison avaient forcément la force et le succès. Si bien que j’ai toujours été optimiste et je ne me suis jamais engagée en pensant que je n’allais pas gagner.
À l’automne 1940, Lucie rencontra Jean Cavaillès, professeur de philosophie et Emmanuel D’Asier de la Vigerie, journaliste. Ce dernier avait créé une organisation antinazie et anti-gouvernement de Vichy : la dernière Colonne. Raymond et Lucie décidèrent alors de s’investir alors dans les activités de cette organisation. Ainsi, après la naissance de leur premier enfant, Jean-Pierre, en mai 1941, le couple aida Emmanuel D’Astier à créer un journal résistant. La création de ce journal marqua le début du mouvement Libération-Sud.
Le couple adopta alors différents pseudonymes, dont celui d’Aubrac que l’on retient aujourd’hui. Leurs activités ne cessaient pas et le mouvement Libération devint bientôt le plus important en zone-Sud après le mouvement Combat
Les évasions
En novembre 1942, les Allemands envahirent la zone au sud de la ligne de démarcation. Les résistants de cette partie de la France furent traqués par la Gestapo mais aussi par une milice française qui s’était mise en place dès 1943. Raymond fut une nouvelle fois arrêté. Lucie, en femme déterminée, chercha par tous les moyens à faire libérer son mari. Déclarant faire partie des services gaullistes, elle menaça de mort le procureur chargé de l’affaire. Raymond fut libéré provisoirement. Quelques jours plus tard, le couple de résistants organisa l’évasion des compagnons de Raymond qui étaient encore emprisonnés. Lucie leur fit parvenir des médicaments les rendant malades. Ils furent alors transférés à l’hôpital d’Antiquaille où l’évasion fut plus aisée à organiser.
Enfin libre, le groupe de résistants put alors reprendre ses activités. Mais alors qu’ils étaient réunis à Caluire dans la maison du Docteur Dugoujon avec d’autres participants à la Résistance, ils furent de nouveau arrêtés par la Gestapo. Raymond Aubrac fut emprisonné à la prison Montluc de Lyon. Lucie fut très affectée par cet emprisonnement, étant à l’époque enceinte de leur deuxième enfant. Mais elle savait ce qu’elle voulait :
Résister à l’oppression, résister à l’injustice, et rechercher la liberté.
Courageuse, Lucie ne se laissa pas abattre. Elle décida d’aller voir le chef de la Gestapo Klaus Barbie en personne. Pour se faire, elle se fit appeler Guillaine de Barbentane. Elle expliqua à Klaus Barbie qu’elle connaissait depuis peu Raymond, son fiancé, de qui elle attendait déjà un enfant. Elle voulait donc qu’il lui donne la permission de se marier pour ne pas mettre au monde un enfant hors mariage. La supercherie a bien fonctionné. Lucie rencontra Raymond quelques jours plus tard dans les murs de la prison. Lors de cette entrevue, elle lui fit parvenir les plans d’évasion. Comme prévu, lors d’un transfert des prisonniers, Lucie et ses acolytes attaquèrent le camion qui transportait quatorze résistants, dont Raymond.
Après cette dernière évasion, Lucie, Raymond et leur fils Jean-Pierre partirent clandestinement à Londres.
Après la Libération
À peine arrivée à Londres, Lucie Aubrac fut désignée pour siéger à l’Assemblée consultative provisoire d’Alger. Sa récente maternité l’empêcha d’assumer cette fonction et c’est son mari qui la remplaça. Elle intégra toutefois le Comité exécutif de la propagande de la France Libre et prendra de nombreuses fois la parole en public. Elle profita de sa notoriété non seulement pour soutenir les femmes, mais aussi pour leur parler. Elle fonda même un hebdomadaire, Privilèges des femmes, qui évoquait les nouveaux droits acquis par les femmes, dont le droit de vote.
J’ai bien compris alors que j’avais fait les bons choix dans ma vie de résistante et de militante. J’ai enseigné l’histoire avec passion. J’ai remarquablement réussi ma vie conjugale. Mais il me reste maintenant à accompagner dans leurs revendications toutes les femmes d’ici et d’ailleurs pour qui le temps de la Libération n’est pas encore tout à fait venu.
Après la Libération, Lucie poursuivit son engagement pacifiste. Elle intervint fréquemment dans les réunions du Mouvement pour la paix, créé par Raymond Aubrac. Le couple s’expatria ensuite quelques années à l’étranger au Maroc, à Rome et à New York. Durant ces années-là, Lucie reprit son tablier d’enseignante.
De retour en France en 1976, Lucie, alors à la retraite, renoua avec la vie militante et s’engagea à la Ligue des droits de l’homme. Les dernières années de sa vie furent rythmées par ses témoignages autant dans les médias que dans les écoles pour évoquer la Résistance.
Après une vie de combattante, Lucie mourut à l’âge de 94 ans à l’hôpital suisse de Paris à Issy-les-Moulineaux.
Hommages et distinctions
Pour rendre hommage à cette femme engagée tout au long de sa vie et pour honorer son engagement militant, plusieurs établissements scolaires et médicaux ainsi que des rues portent le nom de Lucie Aubrac.
De nombreux titres et reconnaissances lui ont été octroyés : Grand officier de la Légion d’honneur, Grand-Croix de l’ordre national du Mérite, Croix de guerre 1939-1945, Médaille de la Résistance avec rosette ou encore Commandeur des Palmes académiques.
Après son décès, elle reçut les honneurs nationaux aux Invalides.
Oeuvres
Lucie Aubrac (1945) La résistance : (naissance et organisation), Paris, Lang, 1945
Lucie Aubrac (1997) Ils partiront dans l’ivresse : Lyon, mai 43, Londres, février 44, Paris, Éditions du Seuil, 1997
Lucie Aubrac (2000) La Résistance expliquée à mes petits-enfants, 2000, Le Seuil.
Références
Amat Jorge, L’histoire au présent – Lucie Aubrac, film 2002.
https://www.youtube.com/watch?v=cVIgl5p4cYw
Berri Claude, Lucie Aubrac, film de 1997, avec Carole Bouquet et Daniel Auteuil
Douzou Laurent (2009), Lucie Aubrac, éd. Perrin, Paris, 376 p.
Extraits de l’émission «Les Grands entretiens » diffusée sur France 5 : « Lucie Aubrac : La Résistance, la peur, le courage ».
http://education.francetv.fr/videos/lucie-aubrac-la-resistance-la-peur-le-courage-v104435
Libération.fr (2007), « Une conscience s’est éteinte ».
http://www.liberation.fr/societe/2007/03/15/lucie-aubrac-une-conscience-s-est-eteinte_13984
Page Wikipédia sur Lucie Aubrac : http://fr.wikipedia.org/wiki/Lucie_Aubrac
Page Wikipédia sur Raymond Aubrac : http://fr.wikipedia.org/wiki/Raymond_Aubrac
Peron Julie (2007), Lucie de tous les temps, http://www.luciedetouslestemps.com
Rochefort Florence et Laurence KLEJMAN, Lucie AUBRAC , Clio, numéro 1-1995, Résistances et Libérations France 1940-1945, http://clio.revues.org/index529.html.
Site internet des archives de France.
http://www.archivesdefrance.culture.gouv.fr/action-culturelle/celebrations-nationales/recueil-2012/institutions-et-vie-politique/lucie-aubrac
Site du musée de la Résistance en ligne : http://www.museedelaresistanceenligne.org/media.php?media=1311