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Laïty Mbassor Ndour

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Originaire du Kenya, Ann Njogu est une avocate, ardente militante de la défense des libertés des personnes, notamment des femmes. Au sein de la société civile, Ann Njogu s’active pour la justice sociale, les réformes institutionnelles et la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Le succès de son engagement citoyen a fait d’elle une des personnalités publiques incontournables du continent africain que la population kenyane surnomme « la dame de fer » du Kenya. Femme leader et engagée, elle prône une solidarité des organisations et mouvements non gouvernementaux dans le combat pour la justice.

Études et début de carrière

Maintenant âgée d’une cinquantaine d’années, Anne Njogu a fait ses études au lycée des jeunes filles Bahati Girls Nakuru à Nairobi, la capitale du Kenya, où elle est née. La jeune fille a connu une enfance modeste avant d’accéder à l’Université de Nairobi où elle a décroché un diplôme de maîtrise en droit. Son parcours brillant à l’université n’a pas empêché la jeune femme de s’investir activement dans les mouvements étudiants. Ann Njogu est aujourd’hui avocate, diplômée de la Kenya School of Law.

Après son apprentissage du militantisme syndical à l’université et une dizaine d’années d’expérience comme juriste dans l’une des plus grandes compagnies d’assurances du Kenya, Ann Njogu a décidé de rejoindre la société civile de son pays, expliquant ce choix par un désir de mettre ses compétences et ses talents au service de la communauté et de s’interroger sur la façon dont la pratique juridique est utilisée pour défendre et protéger les droits humains.

Tout d’abord, choquée et indignée par l’ampleur de l’inégalité et des injustices que subissent les femmes au Kenya, notamment les violences sexuelles et sexistes, un phénomène très répandu dans la société kenyane marquée par la pauvreté et les inégalités sociales, Ann a décidé de mettre en place le Centre de réadaptation et d’éducation des femmes victimes de violence. Depuis 2010, elle est également directrice du Centre pour l’éducation et la sensibilisation aux droits de la personne, en anglais Center for Rights Education and Awareness (CREAW), dont elle est la fondatrice. Revenons sur l’histoire de son engagement.

Une militante engagée pour la justice sociale

Pour cette militante des droits de la personne, la justice sociale et le respect des droits humains sont la base d’une société libre, démocratique et prospère. Pourtant, dans son pays, le viol est banalisé, laisse-t-elle entendre en s’indignant des multiples cas d’agressions sexuelles non punis dans son pays, comme le cas « Justice for Liz ». Liz est un nom fictif donné par la presse à une adolescente de 16 ans victime d’un viol collectif. Après quelques jours de détention seulement, les présumés agresseurs sexuels ont recouvré la liberté après avoir seulement coupé l’herbe autour des locaux de la police, en guise de punition. Une preuve, s’il en fallait une, de l’impunité du viol et autres délits de violences faites aux femmes kenyanes. En plus de ces actes graves, la ville de Nairobi connaît aussi un taux élevé de harcèlement sexuel et de violences physiques commises sur des femmes.

Ce problème social n’a pas laissé indifférente l’avocate Ann Njogu qui, dès son admission au Barreau de Nairobi, s’est distinguée dans la défense des droits et libertés des personnes victimes de violence.

Déterminée et engagée, l’avocate a opté pour une stratégie d’activisme basée sur une large campagne de plaidoyer et de sensibilisation au respect des droits humains et à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Elle a d’abord commencé par dénoncer la discrimination entre les sexes et les différentes formes d’abus (physique, sexuel ou psychologique) dans la communauté, à l’école, au travail et ailleurs. Ann Njogu soutient que ce combat crée une base juridique solide en faveur des droits des femmes et que la législation est seulement une première étape, qui doit être suivie par un effort constant. L’information, la sensibilisation et les publications axées sur les droits et les libertés constituent la base des efforts d’Ann Njogu.

Un engagement actif sur le terrain

Au sein de cette campagne pour mettre fin à la violence contre les femmes, Ann Njogu a également intégré un volet de réadaptation visant l’autonomisation des femmes pour qu’elles deviennent des leaders. Elle a parcouru le pays pour « renforcer le mouvement et dégager la voie du progrès ». Cet engagement pour la démocratie et le respect des droits a commencé dans les bidonvilles de la capitale, notamment à Kibéra, le plus gros bidonville de Nairobi. Ce mouvement s’est ensuite implanté partout dans le territoire national, où la militante a facilité la mise en place de centres de sensibilisation, d’aide juridique et de soutien psychosocial aux femmes, dont celles victimes de violence sexuelle et sexiste.

En parallèle, Ann s’est engagée dans une vaste recherche sur les dispositifs et les mécanismes institutionnels de lutte pour les droits humains, ce qui la conduisit à faire de la réforme constitutionnelle son cheval de bataille et à ne pas hésiter à dénoncer les dérives du pouvoir. Prête à sacrifier sa vie pour la réussite de sa mission, Ann disait être consciente des risques qu’impliquait son combat, mais elle restait attachée à sa philosophie et à sa mission. Sa formation de juriste l’aida beaucoup dans ses démarches, car de tribune en tribune, elle a participé à de nombreuses réflexions sur l’élaboration de réformes ou de cadres juridiques pour le compte d’organisations nationales ou internationales.

Son combat pour la mise en place d’un cadre réglementaire a conduit à l’institutionnalisation par le Kenya de la Loi sur les infractions sexuelles de 2006. En partenariat avec les autorités gouvernementales et des partenaires pour le développement, l’avocate a ensuite participé à la formation du personnel judiciaire et s’est investie activement dans une vaste campagne de sensibilisation et de vulgarisation de la loi, ciblant entre autres les institutions scolaires.

Cette mission de la « dame de fer » connut une réussite exemplaire, notamment dans les banlieues de la capitale, d’autant plus que l’avocate associait à ses mandats des femmes impliquées dans les instances de décisions locales.

La grève du sexe, facteur de paix

En 2007, à la suite d’un conflit post-électoral opposant le président kenyan, Mwai Kibaki, et son premier ministre, Raila Odinga, une contestation populaire est née après la proclamation des résultats des élections présidentielles qui donnaient vainqueur le président sortant. En l’absence de consensus au terme d’un long blocage institutionnel, le conflit dégénéra en violences partisanes entre 2007 et 2008, causant plus de 1500 morts et environ 300 000 déplacés, selon les chiffres de la police. Les femmes et les enfants furent les premières victimes de cette catastrophe qui gagna la capitale, Nairobi, et plusieurs autres localités du pays.

En février 2008, les deux hommes politiques signèrent un accord de partage de pouvoir qui dura quelques mois avant que leurs relations ne se dégradent à nouveau. La tension monta petit à petit jusqu’au moment où les intérêts du pays et la paix sociale apparurent menacés. Préoccupées par ce conflit meurtrier, des femmes issues d’associations féministes créèrent une coalition dénommée G10 pour exiger des négociations entre les protagonistes. Ann Njogu en était l’une des leaders.

En mai 2008, face à l’impasse, ces femmes décrétèrent une grève du sexe exigeant la résolution immédiate de la crise par les deux hommes politiques. Leur slogan était « Pas de réforme, pas de sexe ! », une manière d’inviter les femmes kenyanes à s’abstenir pour exiger la paix dans leur pays. Pour les leaders du mouvement, cette forme de protestation pacifique était l’ultime recours des femmes pour se faire entendre.

Après cinq jours d’abstinence sexuelle, la campagne a pris une ampleur extraordinaire et suscité l’adhésion massive de femmes de toutes les couches sociales. Les responsables du mouvement ont même proposé un dédommagement aux femmes prostituées afin qu’elles s’associent à la grève. Même les épouses du président de la République et de son premier ministre se sont jointes au mouvement. Au bout de quelques heures, les deux hommes se sont rencontrés pour faire la paix et ouvrir des négociations en vue d’une réforme constitutionnelle. Ann Njogu, en qualité de porte-parole de la coalition des femmes, n’avait alors aucun doute sur la réussite de la grève. Un projet de réforme institutionnelle et un plan d’action pour la lutte contre la faim et contre les clivages ethniques ont été proposés par les femmes kenyanes à leurs dirigeants. Madame Njogu et d’autres femmes juristes ont même pu participer activement à la réflexion qui a mené à une réforme de la constitution, adoptée par référendum en août 2010.

Cette forme de protestation pacifique qu’est la grève du sexe, est, depuis quelques années, pratiquée par des femmes partout dans le monde pour faire entendre leur voix.

Les dangers du militantisme

Toutefois, à la fin de cette célèbre grève du sexe, la « dame de fer » du Kenya a été traduite en justice à la suite d’une plainte déposée contre des leaders du mouvement G10. Ann Njogu et ses trois coaccusées ont été poursuivies devant un tribunal par un homme qui réclamait réparation, car « son épouse a refusé sept jours durant de se donner à lui. L’époux éconduit affirme avoir souffert d’anxiété, de stress, de douleurs dorsales, de problèmes de concentration au travail, de colère et de manque de sommeil » (Bangré, 2009).

En 2008, Ann Njogu a été arrêtée pour avoir dénoncé les hausses salariales des parlementaires de son pays. Son arrestation a été très brutale, la dame ayant été battue et agressée sexuellement par la police. Elle a été libérée 24 heures plus tard.

Prix et distinctions

Après une vingtaine d’années d’expérience à différents niveaux de direction dans diverses organisations, Ann Njogu a reçu plusieurs distinctions honorifiques, soulignant son militantisme pour la cause des femmes et son fort engagement citoyen.

En 2009, l’avocate a ainsi reçu une prestigieuse distinction de l’association des entrepreneurs sociaux Ashoka en reconnaissance de son engagement dans la lutte contre les violences faites aux femmes et dans la promotion des droits humains.

En 2010, elle a reçu le prix international Femme de courage, décerné chaque année par le Département d’État américain à des femmes du monde entier qui ont fait preuve de leadership, de courage, d’ingéniosité et de volonté à se sacrifier pour les autres, en particulier pour la défense des femmes. Figurant parmi les dix récipiendaires de cette édition, madame Njogu a reçu son prix de la secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton.

(Chapitre rédigé en collaboration avec Marie-Hélène Dubé)

Références

Ashoka (2009), « Ann Njogu ».
https://www.ashoka.org/fellow/ann-njogu.

Bangré, Habibou (2009), « La grève du sexe se termine devant la justice », Jeune Afrique.
http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20090513122634/.

Bonal, Cordélia (2013), « Au Kenya, “le viol est banalisé” », Libération.
http://www.liberation.fr/monde/2013/10/30/au-kenya-le-viol-est-banalise_943121.

Huri-Age (2011), « Entrevista a Ann Njogu ».
http://www.tiempodelosderechos.es/en/component/content/article/165.html.

Page Wikipédia sur Ann Njogu. http://en.wikipedia.org/wiki/Ann_Njogu.

Reichel, Carlyn (2010), « Ann Njogu, fer de lance d’un mouvement de base pour le changement au Kenya », Département d’État des États-Unis
http://iipdigital.usembassy.gov/st/french/article/2010/03/20100318164500aclehcier0.2873651.html#axzz3KYwkMZRN.

Sempère, Claude (2009), « Kenya les femmes et la grève du sexe », INA.fr.
http://www.ina.fr/video/3893079001025.

The African Women’s Economic Summit (2014), « Ann Njogu ».
http://awes2014.org/content/ann-njogu.

Walsh, Janet (2010), « Courage, and Heart, on Behalf of Kenya’s Women », The World Post.
http://www.huffingtonpost.com/janet-walsh/courage-and-heart-on-beha_b_493648.html.

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