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Marie-Claude Bernard et Suzette Bernard
Catarina Illsley Granich, diplômée en biologie et en écologie et sciences de l’environnement, a consacré une bonne partie de son parcours professionnel à l’étude des savoirs traditionnels d’agriculteurs à propos de la biodiversité dans des groupes indigènes du Yucatan, du Sonora, du Michoacan et du Guerrero, au Mexique. Elle s’est engagée activement dans la protection des droits des biens communs et la préservation des savoirs ancestraux et des formes d’organisation communautaire dans la gestion des ressources naturelles.
Enfance et vie familiale
Première fille et deuxième enfant d’un couple d’immigrants états-uniens, Catarina, connue comme Cati, est née à Mexico en 1958. Ses parents, Walter Illsley et Bundy Granich, s’étaient établis au Mexique en 1954. Ils voulaient fonder leur famille dans une société plus ouverte que celle des États-Unis du temps du « macarthurisme » et alimentaient le rêve commun de soutenir des projets de développement dans les communautés indigènes et rurales du Mexique.
Sa mère, Bundy Granich, était originaire de New York et provenait d’une famille d’immigrants juifs qui menait un combat social visant la construction d’une société plus juste fondée sur des valeurs plus humaines. Un de ses oncles est l’auteur du roman Jews without money publié en 1930. Dès son enfance, Bundy a participé aux ateliers The childrens workshop, ses parents étant engagés dans ses activités d’éducation pour les enfants de la rue. Elle a poursuivi cet engagement après le décès de son père, mort prématurément.
Walter Illsley, le père de Cati, a reçu une formation dans la culture des Quakers. Avant d’arriver au Mexique, il avait passé près de sept ans en Chine en tant que collaborateur d’un programme soutenu par une ONG qui cherchait à former des coopératives industrielles (Chinese industrial cooperative mouvement).
Les parents de Catarina se sont installés à Uruapan, dans l’état de Michoacan. Ils ont voulu fonder une coopérative et ils ont finalement monté une petite industrie textile, connue internationalement, qui confectionnait des tissus de coton et des tissages en laine élaborés artisanalement. Walter était un inventeur; il a conçu des métiers à tisser plus larges et des formules plus efficaces pour les teintures des fibres de coton, parmi d’autres initiatives qui ont amélioré le travail des artisans.
Walter et Bundy ont eu six enfants, quatre filles et deux garçons. Leur maison était toujours ouverte et la liste des artistes, intellectuels, étudiants, artisans ou amis qui y séjournaient est innombrable. Cati était une fille curieuse, amicale, aimant en particulier les œuvres artisanales, nombreuses dans la région où elle avait grandi.
Catarina dira avoir appris par l’exemple de ses parents les valeurs de tolérance, d’acceptation de l’autre et un irréductible optimisme.
La passion des savoirs locaux
Catarina a fait des études de biologie à l’université Michoacana de San Nicolas de Hidalgo à Morelia. Elle a poursuivi une maîtrise en écologie et sciences de l’environnement à l’Université Nationale Autonome de Mexico (UNAM) dans la ville de Mexico. Une grande partie de ses travaux de terrain ont eu lieu dans la région de Guerrero, au Mexique. Son premier mémoire universitaire, en 1984, s’intitule « Végétation et production du maïs sous « roza-tumba-quema » dans l’ejido de Yaxcaba, Yucatan, Mexique[1] ».
Forte de ses connaissances en biologie, agronomie et géologie, Catarina Illsley a voulu joindre savoirs traditionnels et savoirs scientifiques. Elle a cherché à ce que les communautés agricoles s’approprient de ces savoirs pour améliorer l’utilisation de leurs ressources naturelles. Elle a ainsi favorisé les échanges entre les savoirs des étudiants et chercheurs universitaires et ceux que détiennent les jeunes des communautés autochtones.
Elle s’est spécialisée dans l’étude de l’agave, une plante locale très utilisée, notamment pour faire le mezcal (boisson alcoolisée). Un aspect important de son travail a été la promotion du développement durable de l’agave cupreata. En effet, les mezcaleros[2] exploitaient l’agave sous sa forme sauvage si bien que la plante était en voie d’extinction. En tant que coordonnatrice du Programme de gestion paysanne des ressources naturelles du Groupe d’études environnementales (GEA)[3], en vingt ans de travail, avec son équipe, elle a réussi à transformer la culture de l’agave non seulement pour en faire une source de revenus, mais aussi comme élément de prévention de l’érosion des bassins versants, favorisant la rétention de l’eau.
Cohérente avec sa vision de protection de la biodiversité, elle a déconstruit le mythe des chauves-souris buveuses de sang en partageant les savoirs avec la communauté. Ainsi, cette dernière a appris à les protéger, alors qu’auparavant ces petits animaux étaient brûlés dans les grottes. Le partage des savoirs a généré une nouvelle compréhension, par les communautés, de la vie de ces animaux. Au lieu de les craindre, les habitants ont appris à reconnaitre leur rôle positif dans la culture de l’agave, à faire des distinctions entre différentes espèces de chauve-souris (dont une seule parmi des dizaines s’alimente de sang), à capturer certains spécimens avec des filets afin de les identifier. Ce savoir partagé les a menés à la reconnaissance du rôle essentiel de ces animaux dans la fécondation de l’agave, le maintien de la diversité génétique et la pollinisation sur de longues distances. La communauté paysanne a effectivement constaté que la protection des chauves-souris avait un effet positif sur les semences des agaves sauvages et a changé son rapport avec ces animaux.
Engagement dans la société civile
Catarina Illsley a été également active comme coordonnatrice de rencontres entre les maîtres mezcaleros de différentes régions du pays afin d’encourager les échanges de savoirs. Un combat important dans lequel elle s’est activement engagée concernait le système d’appellation d’origine contrôlée proposé par l’État en 1994 qui allait entrainer l’exclusion de plusieurs régions cultivant le mezcal depuis des siècles. Des communautés et des familles entières qui, pendant des siècles, avaient produit du mezcal, allaient être particulièrement affectées par l’initiative, car elles perdraient l’autorisation de commercialiser leur produit sous l’appellation d’origine.
Militant contre cette mesure, Catarina a vivement dénoncé les tentatives de monopolisation du terme agave par l’industrie de la tequila et du mezcal, déjà détentrice du contrôle sur l’appellation « Tequila ». Elle s’est opposée à ce que le mezcal subisse le même sort que la tequila, les industries (guidées par l’appât du gain) s’appropriant le pouvoir de modifier les règles de fabrication de cette boisson. Catarina voyait dans cette lutte une résistance à une une expropriation des savoirs traditionnels propres à une communauté et à leur dégradation au profit d’intérêts commerciaux. Elle s’est jointe à la requête faite à l’UNESCO pour que le mezcal soit nommé Patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
Préserver les communs au Guerrero
Dans la même perspective de développement durable, de lutte contre l’exploitation et de valorisation du savoir-faire des populations autochtones, Catarina a encouragé l’utilisation des feuilles de palme dans la fabrication de produits artisanaux chez des habitants des montagnes de Guerrero qui tissent ces feuilles pour produire inlassablement, entre autres, des chapeaux, pour lesquels ils sont payés en centimes. Son action incluait l’étude du marché et la concurrence de ces produits face à d’autres qui étaient plus polluants et de moindre qualité.
Son intérêt pour les productions artisanales héritières d’un savoir-faire ancestral et employant des ressources naturelles, sa vision systémique, ainsi que son intérêt pour la conservation, l’ont conduite à s’engager dans la promotion de la gestion communautaire durable des ressources naturelles dans une région considérée comme l’une des plus pauvres du pays, dans l’état de Guerrero. En intégrant ses savoirs sur le bassin de Guerrero et en coordonnant des activités communautaires, elle a contribué à améliorer l’accès à l’eau et à sa conservation. Il a été également possible de stopper l’érosion de grandes étendues de terrain et de contrer la vulnérabilité des éléments climatiques.
Catarina s’est aussi jointe à des actions telles que la Croisade nationale contre la Faim initiée dans la région de Guerrero. Pour ce faire, elle proposait une reconnaissance accrue de l’autonomie alimentaire des familles et communautés agricoles autochtones et de leur rôle de gardienne de la conservation de l’agro-biodiversité ; une ouverture des voies de commercialisations dans les marchés et supermarchés nationaux des produits agricoles de ces groupes ; la diffusion des façons de préparer des mets à partir de ses produits et, enfin, un soutien à la recherche afin d’analyser les espèces encore inconnues dans les milieux scientifiques et à la diffusion des résultats de celles qui ont déjà été étudiées.
Dans sa lutte, elle dénonçait des sociétés transnationales telles que Nestlé et PepsiCo ainsi que le gouvernement qui choisissait, par exemple, d’apporter aux habitants des « cookies » produits par des compagnies multinationales, au lieu de reprendre la riche céréale de l’amarante, cultivée dans cette région du Mexique ou encore celle du quelite également très riche du point de vue nutritionnel et qui ne se trouve que dans certaines zones du pays.
Les travaux de Catarina Illsley et de son Groupe d’études environnementales (GÉA) ont été reconnus à l’échelle internationale. Ils rejoignent le champ des communs. En effet, tout au long de sa vie, Catarina a eu à cœur la lutte contre le consumérisme et contre les abus d’une idéologie de la modernité qui s’approprie des biens des plus pauvres, notamment de leurs ressources naturelles et qui, de plus, détruisent leurs valeurs culturelles. En cela, elle rejoint Elinor Ostrom, récipiendaire du prix Nobel 2009 d’économie pour ses travaux sur la gouvernance des ressources partagées, première femme à recevoir cette distinction. Elinor a connu le travail de Catarina au sein du GÉA et a reconnu cette expérience comme une des plus intéressantes en ce qui concerne la gestion commune des ressources naturelles.
Maladie et décès
Catarina Illsley est décédée en 2014. Sa vie sera marquée par le sceau du travail communautaire et a laissé sa trace dans ce sillon fécond. Elle affirmait, toutefois, qu’il ne s’agissait pas d’un travail tel qu’on entend ce mot habituellement en tant qu’activité rémunérée par un salaire, mais plutôt d’un choix de vie ou, tout simplement, de vivre sa vie tel qu’elle l’entendait. Elle a eu deux filles auxquelles elle a laissé un grand legs d’enseignements par le biais notamment de ses actions engagées, posées sans aucun ancrage religieux, dans l’amour désintéressé et le profond respect des autres.
Prix obtenus, distinctions et hommages
2001 – 2003 bourse Kleinhans Fellowship décernée par la ONG Rainforest Alliance pour son travail sur l’agave cupreata
2003. Prix Elinor Ostrom. Gouvernance collective des Communs, au Japon.
2012. Au nom du GÉA, prix décerné par le Programme des Nations Unies pour le développement et Programme des Nations Unies pour l’environnement aux expériences locales pour la promotion au développement durable pour les peuples, la nature et les communautés, dans le cadre de la Conférence des Nations pour le Développement Durable Rio 20, au Brésil.
La qualité de son travail et de son engagement est déjà reconnue. Son œuvre continuera d’être mise en valeur par d’autres distinctions et hommages qui lui seront décernés à titre posthume. Des projets sont en cours afin de compiler et discuter son travail et son impact, ainsi que de créer une Chaire à l’Université de Morelia au Michoacan, Mexique, qui devrait porter son nom.
Références
Calvillo, Alejandro (2014). « Catarina Illsley Granich y la resistencia ». Sin embargo, octubre 2014. En ligne.
<http://www.bionero.org/gente/catarina-illsley-granich-y-la-resistencia>
<http://elpoderdelconsumidor.org/saludnutricional/catarina-y-la-resistencia/.
De la Peña, Gustavo & Illsley, Catarina (2001). « Los productos forestales no maderables:
su potencial económico, social y de conservación ». Jornada, Unam. En ligne.
<http://www.jornada.unam.mx/2001/08/27/eco-a.html.
Illsley Granich, Catarina (1984). Vegetación y producción de la milpa bajo roza-tumba-quema en el ejido de Yaxcaba, Yucatán, México. Thèse de licence, École de Biologie, Université Michoacana de San Nicolas de Hidalgo, Morelia, Mexique.
Illsley Granich, Catarina (dir.) (2008). Agua compartida para todos. Una propuesta metodológica para el manejo comunitario del agua. Mexico: GEA, A.C.
Illsley, Catarina (2008). « Los muchos bosques. Selvas bajas : más que madera ». La Jornada del campo, 11 mars 2008, no. 6. En ligne.
http://www.jornada.unam.mx/2008/03/11/muchos.html.
Illsley Granich, Catarina (2010). « Claves para saborear los saberes del mezcal ». Artes de México, 98, 16-31.
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Illsley, Catarina, Gómez, Tonantzin, Edouard, Fabrice & Marshall, Elaine (2006). «Palma soyate Brahea dulcis (Arecaceae). Trenzado simultáneo de las hojas: producción familiar de sombreros y artesanías». In E. Marshall, K. Schreckenberg & A.C. Newton (Eds.), Comercialización de Productos Forestales No Maderables (pp. 47-50). Cambridge (UK): Centro Mundial de Vigilancia de la Conservación del PNUMA (UNEP-WCMC). En ligne.
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Illsley Granich, Catarina (2010). «The case of Mezcal». In D. Giovannucci, T. Josling, W. Kerr, B. O’Connor & M. T. Yeung (Eds.), Guide to geographical indications. Linking products and their origins (pp. 183-196). Genève : International Trade Center. En ligne.
http://geaac.org/images/stories/DM_Geographical_Indications_140311.pdf.
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Illsley Granich, Catarina, Vega, Ernesto, Pisanty, Irene, Tlacotempa, Albino, García Paola, Morales, Pilar, Rivera, Grisell, García, Jorge, Jiménez, Vania, Castro, Faustino & Calzada, Moisés (2007). « Maguey papalote: hacia el manejo campesino sustentable de un recurso colectivo en el trópico seco de Guerrero, México ». In P. Colunga García-Marín, A. Larqué Saavedra, L.E. Eguiarte & D. Zizumbo-Villareal, (Eds.). En lo ancestral hay futuro: del tequila, los mezcales y otros agaves (pp. 319-339). México: CICY, CONACYT, CONABIO, INE.
Larson, Jorge, Valenzuela, Ana G. & Illsley, Catarina (2007). « Del Whisky Escocés al mezcal: diferenciación y etiquetado, desarrollo y conservación ». In P. Colunga García-Marín, A. Larqué Saavedra, L.E. Eguiarte & D. Zizumbo-Villareal, (Eds.). En lo ancestral hay futuro: del tequila, los mezcales y otros agaves (pp. 213-228). Mexico: CICY, CONACYT, CONABIO, INE.
Pérez Ruiz, Maya Lorena & Altbach Pérez, Daniel (2009). Telares Uruapan: una historia que contar. Uruapan, Michoacan: Conaculta.
- Titre en espagnol: Vegetación y producción de la milpa bajo roza-tumba-quema en el ejido de Yaxcaba, Yucatán, México. Les mots « roza-tumba-quema » renvoient à une forme d’agriculture de subsistance pratiquée dans certaines zones de dense végétation et qui consiste à couper et brûler les arbres pour cultiver la terre. L’« ejido » est une organisation agraire issue de la Révolution agraire à la suite de la Révolution mexicaine de 1910. Après l’expropriation de la terre aux mains de quelques propriétaires fonciers, l’État contrôle des parcelles et donne aux habitants locaux le droit de faire une exploitation communale de ces terres appelées ejidos. ↵
- Mezcaleros, les agriculteurs qui cultivent le mezcal ou qui fabriquent le mezcal. ↵
- GEA, Grupo de estudios ambientales, A.C. est une ONG mexicaine née en 1977 (voir geaac.org). ↵