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Stéphanie Julien

Taslima_Nasrin_par_Claude_Truong-Ngoc_novembre_2013

Cette femme de lettres a mis en péril sa vie pour dénoncer la situation des femmes dans son pays d’origine, ainsi que pour instaurer la laïcité au Bangladesh. Luttant toujours pour sa survie en 2014, cette combattante courageuse n’a négligé aucun moyen pour appuyer ses convictions.

Enfant de mots

Taslima Nasreen est née le 15 juillet 1962 à Mymensingh au Bangladesh. Issue d’une famille bien nantie et connue, Taslima s’intéressa dès son tout jeune âge à la littérature. De nature rêveuse et d’un tempérament artistique, Taslima adorait le dessin et l’écriture. À l’adolescence, la rédaction de poèmes et la publication d’articles dans un magazine dont elle était éditrice faisaient partie des activités qu’elle chérissait. Dès cet instant s’éveilla le désir de faire les choses autrement, grâce à l’écriture.

Il y a beaucoup de gens qui font de la littérature; […] je crois que je dois utiliser la littérature comme un moyen pour transmettre un message, pour dire quelque chose de plus.

La médecine pour commencer

Sans mettre de côté l’écriture, Taslima Nasreen fit d’abord des études de médecine, selon le modèle de son père qui l’avait fortement encouragée dans cette voie. Elle se spécialisa en gynécologie et exerça son métier pendant plusieurs années dans une clinique de sa ville natale, puis à Dhaka dans les années 1990. C’est par la suite qu’elle développa son engagement envers des causes qui lui tenaient à cœur et qu’elle quitta le domaine de la médecine de son plein gré, même si elle aimait ce métier.

Le livre La honte

Elle écrivit de nombreux éditoriaux, des chroniques et des poèmes qui portaient le plus souvent sur la situation des femmes au Bangladesh. Selon elle, les femmes de ce pays n’ont aucun droit de base, ne vivent pas comme des êtres humains. La popularité de ses écrits suscita en elle la volonté d’écrire un livre questionnant notamment le rôle des religions dans la soumission de la femme à l’homme et prônant la laïcité du pays. Ce livre, intitulé La honte et paru en 1992, transforma la vie de Taslima.

Au Bangladesh, le livre eut un certain succès, mais les fondamentalistes religieux le jugèrent blasphématoire. Le 24 septembre 1993, le Conseil des soldats de l’Islam émit une fatwa, un avis juridique issu de la loi islamique, contre Taslima. Le Conseil promit une récompense monétaire à qui serait en mesure de l’exécuter.

L’enfer ne faisait que commencer pour Taslima. Jusqu’à cette fatwa, l’auteure était sous la protection de son pays. Mais à la suite de la publication de deux autres romans et de la pression des fondamentalistes, le gouvernement lança un mandat d’arrêt contre elle pour avoir heurté volontairement les sentiments religieux d’une partie de la population. Taslima se cacha tant bien que mal pendant que plus de 100000 personnes manifestaient contre elle en juillet 1994 et que la prime d’assassinat monta à près de 5000 dollars.

Un départ obligé

N’ayant pas d’autres choix pour survivre, elle plia bagage en août 1994 et quitta son pays afin d’échapper à la véritable campagne de salissage et d’appel à sa mise à mort au nom de l’Islam. Même à ce moment, ne reculant devant rien, elle clamait qu’elle refusait de revenir sur ses propos. Selon elle, le Bangladesh se devait de devenir un État laïque afin d’assurer aux femmes des droits égaux à ceux des hommes.

Installée d’abord en Suède, elle se déplaça de nombreuses fois dans divers pays d’Europe. Dans les années 2000, elle tenta d’habiter à Kolkata, la capitale de l’État indien du Bengale-Occidental (Inde). Mais l’État refusa sa demande de nationalisation indienne. À la suite d’une conférence en 2007 et de manifestations contre elle, une nouvelle prime d’environ 10 000 dollars pour sa décapitation fut offerte par un groupe islamiste. En 2008, elle se réfugia officiellement en terre européenne et devint citoyenne d’honneur de Paris.

Réalisations et prix

Taslima Nasreen a écrit plus de 30 livres de poésie. Que ce soit ses essais, ses nombreuses nouvelles et ses mémoires, un bon nombre de ses projets ont été traduits dans plus de 20 langues différentes et sont diffusés un peu partout dans le monde dont Libres de le dire, Lajjā : La Honte, Femmes, manifestez-vous!, Une autre vie : poèmes, Un retour ; suivi de Scènes de mariage et l’Alternative ; suivi de Un destin de femme, Femmes : poèmes d’amour et de combat.

Elle a été lauréate de nombreux prix. En voici quelques-uns :

  • 1991 : Ananda Literary Award
  • 1994 : Prix Sakharov pour la liberté de penser
  • 10 décembre 2007 : Prix des Droits de l’homme de la République française – Liberté – Égalité – Fraternité décerné par la Commission nationale consultative des droits de l’homme
  • 2008 : Prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes
  • 2 février 2011 : Doctorat honoris causa de l’Université catholique de Louvain

Bravoure et persévérance

Perçue comme une héroïne et une combattante en Occident, cet avis sur Taslima Nasreen n’est clairement pas partagé par tous dans son pays d’origine. Certains lui reprochent ses critiques envers le gouvernement bangladais et d’autres l’accusent d’avoir caricaturé la situation des femmes.

J’ai payé cher pour mes idées, pour avoir dit que les femmes ont droit à l’égalité et à la justice et qu’elles n’auront ni l’une ni l’autre tant que l’État ne sera pas séculier et que le droit sera un droit religieux.

Tout de même, elle s’ennuie de sa culture et elle caresse toujours le souhait de retourner en Inde où elle a vécu.

Je ne peux avoir mon oxygène, mon inspiration que dans mon pays […] Je ne voulais pas quitter mon pays, on m’a forcée à partir, on m’a jetée dehors. J’aimerais y vivre, mais ça m’est interdit.

Ses accomplissements ouvrent la porte aux changements et, espérons-le, permettront l’enchaînement d’actions d’autres personnes qui sauront améliorer la situation déplorée. Taslima Nasreen dénonce des points qui lui tiennent à cœur et elle voue sa vie à ces différentes causes pour le bien de sa patrie, au détriment de sa propre sécurité. Encore aujourd’hui, elle compte

continuer à se battre pour les droits de l’homme et la liberté plutôt que pour la réforme de l’Islam, pour l’instauration de démocraties laïques, où il y a une claire séparation entre la religion et l’État.

Sa vie est la démonstration impressionnante de la recherche d’une certaine congruence entre une réalité et ses propres valeurs, ainsi que d’un profond souhait d’instaurer la justice entre les sexes. Taslima Nasreen est un véritable symbole, un exemple inspirant quant aux désirs prononcés de vouloir changer les choses.

Références

Les citations de Taslima Nasreen ont été extraites des entrevues ci-dessous.

Chanda, Tirthankar (2008), « Taslima Nasreen reçoit le prix de Simone de Beauvoir ».
http://www1.rfi.fr/actufr/articles/101/article_66489.asp.

Fulda, Anne (2008), « Taslima Nasrenne, écrivaine sdf ». Le Figaro.
http://www.lefigaro.fr/international/2008/05/21/01003-20080521ARTFIG00013-taslima-nasreen-ecrivaine-sdf.php.

Gervais, Lisa-Marie (2011), « L’entrevue – Taslima Nasreen refuse toujours de se taire ».
http://www.ledevoir.com/international/actualites-internationales/322403/l-entrevue-taslima-nasreen-refuse-toujours-de-se-taire.

Guillite, Françoise (2003), « Taslima Nasreen ou la force de la plume ».
http://www.amnestyinternational.be/doc/nos-campagnes-beta/violences-contre-les-femmes-649/droits-des-femmes/Temoignages/article/taslima-nasreen-ou-la-force-de-la.

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