Ce mémoire de l’Association science et bien commun a été présenté à l’Association francophone pour le savoir, le 21 août 2012 dans le cadre de sa consultation en vue de la prochaine Stratégie québécoise de recherche et d’innovation.

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Table des matières

1. Informations sur l’organisation

2. Réponses aux questions de consultation établies par le MDEIE

2.1 Le rôle de la recherche publique et privée

2.2. Les enjeux et priorités de la nouvelle SQRI

2.3 Le dispositif de liaison, transfert et valorisation en matière de recherche et d’innovation québécois

2.4 La culture de l’innovation

2.5 Le soutien à l’innovation dans les entreprises

3. Réponses aux questions de consultation établies par l’ACFAS

3.1 Les principes de base de la SQRI

3.2 Le Fonds recherche Québec


3.3 Le financement de la recherche

3.4 Autres enjeux, priorités et questionnements

3.4.1 Renforcer l’intégrité scientifique des chercheurs et la responsabilité sociale des universités dans un contexte qui tend à assujettir le travail scientifique à la croissance économique

3.4.2 Favoriser la participation des citoyens à la réflexion sur la politique scientifique et l’avenir de la science publique, ainsi qu’aux travaux scientifiques qui en bénéficieraient

4. Recommandations de l’Association science et bien commun

1. Informations sur l’organisation

  • Fondée en juillet 2011 par un groupe de chercheurs et d’étudiants québécois, l’Association science et bien commun a pour mission de stimuler la vigilance et l’action pour une science publique au service du bien commun. Vigilance face aux conséquences du modèle de l’économie du savoir privilégié actuellement par les politiques publiques scientifiques des gouvernements provincial et fédéral ; action visant à démocratiser le débat sur les orientations de la science publique québécoise. Ces deux volets définissent le cadre général d’action de l’Association : critique politique, sociale et scientifique de l’économie du savoir et promotion du débat public démocratique sur la recherche scientifique publique au Québec.
  • Présidente du conseil d’administration :
    Florence Piron, 1085 avenue De Bourlamaque Québec (Qc) G1R 2P4, professeure à l’Université Laval, scienceetbiencommun@gmail.com

La rédaction de ce mémoire a été nourrie des discussions entre les membres de l’Association depuis sa création, du colloque « Une autre science est possible », du colloque de l’Association à l’ACFAS en 2012 et des idées recueillies lors des différentes phases du projet web « La science que nous voulons ».

2. Réponses aux questions de consultation établies par le MDEIE

2.1 Le rôle de la recherche publique et privée

L’Association est en désaccord avec le but de la recherche scientifique tel que décrit dans la question posée par le ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation (MDEIE). « Viser l’excellence en recherche » est une expression vague et passe-partout, tout comme « calibre international ». Il va de soi que tous les chercheurs québécois visent l’excellence! La prochaine Stratégie québécoise de recherche et d’innovation (SQRI) doit clarifier ce qui est entendu par ces expressions.

Si l’excellence en recherche désigne un résultat élevé à une mesure de la productivité des chercheurs et groupes de recherche en termes de nombre de brevets, de publications en anglais et de dollars obtenus en subvention, alors la réponse à la question posée par le MDEIE est très simple  : les chercheurs ont besoin de conditions de travail idéales, d’assistants de recherche nombreux et dévoués, de temps libres pour rédiger et voyager, de laboratoires impeccables, de départements universitaires qui les libèrent de leurs tâches d’enseignement, de subventions facilement obtenues, etc. L’État québécois et ses universités ont-ils les moyens de cette excellence-là? Quelles sont les véritables retombées pour la société québécoise de cette science internationale, hyperspécialisée et anglicisée à laquelle seule une petite élite prend part?

Si rien n’est changé, la préférence accordée par la SQRI à ce type de science aura un impact très clair : la disparition progressive d’une tradition québécoise de recherche scientifique en français, proche des préoccupations du Québec, qui préfère parfois le format du livre à celui de l’article et qui repose sur une érudition patiemment construite et des rapports de collaboration avec une grande diversité d’acteurs des secteurs associatif, parapublic et public. Cette tradition de recherche fait pourtant partie du bien commun du Québec, de ce que ses universités ont construit au fil du temps. Comme le secteur privé n’a pas d’intérêts particuliers à la financer, c’est à l’État que revient la responsabilité de soutenir cette recherche publique de qualité, même si elle n’est pas toujours « internationale », car c’est elle qui permet à la société civile, aux élus et aux administrateurs de mieux comprendre le monde, le Québec et ses défis actuels. Ce soutien passe non seulement par un maintien du budget du Fonds culture et société et des subventions aux projets de recherche fondamentale, mais aussi par l’assouplissement des procédures bureaucratiques telles que l’obligation de compléter un financement de projet par des ressources privées.

Par conséquent, l’État ne doit qu’exceptionnellement soutenir la recherche privée au sein des grandes industries, notamment celles qui sont inscrites en bourse et qui disposent d’importants capitaux. Ces industries ont les moyens d’investir en recherche et développement, il en va même de leur bonne gestion. Il est inacceptable que l’État québécois subventionne des compagnies multinationales, même si ces dernières l’exigent.

De ce point de vue, il est nécessaire de réduire les crédits et prêts accordés à ces industries, ce qui permettra de redistribuer les sommes ainsi récupérées de manière à mieux financer les travaux de recherche qui n’ont pas d’autres ressources, incluant la recherche et le développement propres aux PME, si importantes dans l’organisation sociale québécoise.

2.2 Les enjeux et priorités de la nouvelle SQRI

Le MDEIE demande que les répondants identifient les secteurs scientifiques à prioriser. Attention : une telle demande ne peut que conduire les chercheurs et les centres de recherche à se faire lobbyistes de leur champ de recherche, de leurs projets, de leurs propres priorités de recherche. Est-ce vraiment ainsi que l’État doit identifier les domaines dans lesquels il encouragera la recherche scientifique à l’aide des fonds publics québécois? Ce choix ne devrait-il pas plutôt découler de solides analyses des défis du Québec, des préoccupations des citoyens et des forces et des faiblesses du corps scientifique québécois? Ce n’est pas une consultation estivale sous la forme d’un questionnaire qui pourra remplacer de telles analyses.

En revanche, un organisme indépendant comme le défunt Conseil de la science et de la technologie avait la capacité de procéder à ces analyses. D’ailleurs, le dernier dossier produit par le Conseil de la science et de la technologie [1] à l’issue de l’enquête Perspectives STS porte précisément sur les processus de priorisation de la recherche publique, leurs modalités et leurs acteurs.

Au lieu de dresser une liste inévitablement arbitraire de préférences pour tel ou tel secteur de recherche, l’Association propose que le MDEIE mette en place une cellule permanente de réflexion sur la priorisation des domaines de recherche. Cet organisme indépendant devra représenter équitablement toutes les disciplines scientifiques et inclure des représentants de différents secteurs de la société civile (éducation, environnement, santé et services sociaux, etc.). Il aura le mandat d’évaluer les besoins en recherche de la société québécoise pour faire face aux défis à venir, d’évaluer en quoi la recherche réalisée au Québec correspond à ces préoccupations et de formuler des recommandations quant aux lacunes à combler.

En complément, l’Association propose d’abandonner le concept de projet mobilisateur issu de la SQRI 2010. Selon la SQRI, « un projet mobilisateur est composé d’un ensemble d’activités concrètes mises en œuvres par plusieurs partenaires (entreprises, centres de recherche, universités, etc.) mais portées par la vision et le leadership des utilisateurs ». L’Association constate à l’été 2012 qu’il n’y a pratiquement aucune information facilement accessible au sujet du bilan des cinq projets mobilisateurs de la SQRI 2010-2013. Même en visitant le site Internet du MDEIE ou les sites de ces projets, les informations sont laconiques. Pourtant, les montants d’investissements publics sont élevés et exigent une reddition de comptes adéquate : 70 millions de dollars (70 M$) pour l’avion écologique ; 30 M$ pour le bioraffinage forestier ; 30 M$ pour l’autobus électrique, 30 M$ pour le projet Écolo TIC ; 10 M$ pour le projet sciences de la vie et innovation sociale ; et un sixième annoncé lors du budget 2011-2012 – Soins de santé personnalisée – prévoit un engagement gouvernemental de 20 M$. Pour l’ensemble de ces projets sur trois ans, l’engagement gouvernemental se chiffre à 190 M$. En 2011-2012, les crédits gouvernementaux pour les projets mobilisateurs (54,5 M$) représentent 30 % du montant total des crédits gouvernementaux alloués aux trois fonds de recherche (Santé, Nature et Technologies, Société et Culture) [2]. Il apparaît surprenant que de tels investissements publics ne fassent pas l’objet de reddition de comptes.

Cependant, si la prochaine SQRI maintenait ce concept, il faudrait implanter un processus d’évaluation rigoureux de la qualité et des résultats des projets entrepris dans le cadre de ces projets mobilisateurs ou des organismes thématiques financés par le MDEIE (NanoQuébec, par exemple). Au lieu qu’ils soient évalués par des comités ministériels non experts, vulnérables au lobbyisme et aux pressions du court terme, ils devraient être soumis au Fonds recherche Québec, qui a l’expertise en la matière et qui pourra garantir que les travaux scientifiques qui y sont financés sont assujettis aux mêmes exigences scientifiques que les autres projets des chercheurs québécois.

Le souci du positionnement international ne devrait émerger que lorsque les conditions de soutien de la recherche publique québécoise seront assurées.

2.3 Le dispositif de liaison, transfert et valorisation en matière de recherche et d’innovation québécois

Les organismes de liaison et de transfert du MDEIE font un travail formidable. Toutefois, l’importance du transfert de connaissances scientifiques vers ceux qui les utilisent et les milieux de pratique est telle que d’autres formes d’action doivent être appuyées par l’État.

Soulignons d’abord que le MDEIE ou le ministère responsable de la science devrait lui-même profiter bien davantage des travaux de recherche sur la science qui se font au Québec ou ailleurs. En effet, nos informations indiquent que les liens actuels entre les chercheurs sur la science et les responsables des politiques publiques en matière de science et d’innovation sont plutôt ténus et épisodiques. À part quelques rencontres des comités conseils ad hoc sur les deux premières SQRI, les chercheurs et les regroupements spécialisés des universités n’ont pratiquement pas été sollicités par le MDEIE. Actuellement, le MDEIE n’a pas en son sein de cellule de prospective composée de scientifiques de haut niveau et représentant équitablement les différentes disciplines scientifiques. Il est donc vulnérable aux lobbyistes et aux pressions à court terme pour favoriser tel ou tel domaine de recherche. La disparition du Conseil de la science et de la technologie se fait sentir ici aussi. L’Association science et bien commun recommande donc que le MDEIE et tous les ministères actifs en recherche et en innovation se dotent d’une politique active de recours à l’expertise universitaire québécoise et internationale pour la conception et la préparation de ses politiques. En particulier, nous suggérons que le ministère responsable de la science mette en place une cellule de prospective indépendante afin d’enrichir la réflexion sur les meilleures pratiques de gouvernance de la recherche. La société civile doit elle aussi être partie prenante de ces réflexions prospectives, en y insufflant la variété de ses questionnements et expériences.

Le transfert de connaissance ne peut se limiter au travail des courtiers de connaissances, même si le développement d’une expertise en application des connaissances dans divers secteurs est très utile. Il est nécessaire que les chercheurs s’impliquent eux-mêmes de plus en plus dans la diffusion des connaissances qu’ils produisent au-delà du cercle d’initiés constitué par leurs collègues spécialistes. À ce chapitre, l’État peut agir. Par exemple, à l’instar du Danemark, de la France, de la Grande-Bretagne [3], de la Commission européenne et de certains organismes américains, le Fonds Recherche Québec peut exiger que la science publique québécoise soit plus « ouverte », c’est-à-dire que les chercheurs rendent accessibles gratuitement sur Internet leurs publications issues de projets financés par des fonds publics québécois.

Le Fonds recherche Québec peut également revoir le fonctionnement des comités d’attribution des subventions de recherche pour qu’ils accordent davantage d’importance aux activités de diffusion et de synthèse des connaissances des chercheurs dont ils évaluent le dossier et le projet. Le Fonds peut d’ailleurs inciter les chercheurs à prévoir les fonds nécessaires à ces activités dans leur budget de recherche. En sciences sociales et humaines, les membres de ces comités doivent être encouragés à être attentifs à la dimension participative des projets qui leur sont soumis et à valoriser les projets qui impliquent activement les participants.

Soulignons pour terminer la responsabilité des universités en la matière. L’État devrait encourager les universités qu’il subventionne, notamment les grandes universités, à développer leur mission de service à la collectivité, par exemple sous la forme de programme de formation des étudiants par expérience communautaire (ou boutique de science). Les programmes en cours à l’Université de Sherbrooke, à l’UQTR et à l’Université Laval sont à suivre attentivement par le ministère.

2.4 La culture de l’innovation

L’Association propose trois réponses à cette question : une décentralisation des espaces de réflexion sur la science et l’innovation, l’appui au mouvement Open data au Québec et les croisements de disciplines.

La décentralisation s’impose en raison de la diversité des milieux de vie au Québec. Chaque région a ses préoccupations, ses universités, ses centres de recherche, ses débats. La SQRI devrait encourager les chercheurs et regroupements d’une région à développer leurs liens avec les organismes locaux, les PME et les groupes de la société civile afin de répondre ensemble et de manière innovante aux préoccupations en cours dans leur région. Le concept de laboratoire vivant [4] développé par différents organismes de transfert (comme le CEFRIO) est une piste très intéressante. Dans un tel contexte, des organismes qui soutiennent le développement local culturel, social et économique et des chercheurs font dialoguer leurs différentes expertises au lieu de les opposer. Cette synergie pourrait être appuyée par la création, sous le leadership d’instances régionales comme les conférences régionales des élus (CRE), de comités régionaux – indépendants et permanents – de la recherche scientifique, capables de guider les autorités publiques d’une région dans l’appropriation et l’évaluation des travaux scientifiques réalisés dans leur région.

Le mouvement Open Data va plus loin que l’Open Access (accès libre aux publications scientifiques). Il vise le libre partage des données brutes de recherche, en général sur Internet. Déjà expérimenté en chimie, il a produit une forme enrichie de coopération scientifique et de réelles innovations (voir le Blue Obelisk Movement [5]). Mais cette approche va tellement à l’encontre des pratiques classiques du secret industriel ou du brevet qu’elle prendra certainement du temps à se développer. La SQRI devrait appuyer explicitement cette pratique au Québec.

Encourager les projets qui croisent plusieurs disciplines permet de faire advenir l’innovation plus rapidement que lorsque les chercheurs restent dans leur zone de confort disciplinaire, mais c’est, pour cette raison précise, un objectif complexe. Le Fonds recherche Québec pourrait repenser ses comités d’évaluation pour faciliter davantage la soumission de projets pluridisciplinaires.

2.5 Le soutien à l’innovation dans les entreprises

Voir les réponses 2.1 et 2.4.

3. Réponses aux questions de consultation établies par l’ACFAS

3.1 Les principes de base de la SQRI

Principe 1. L’État a l’obligation de soutenir financièrement une recherche scientifique publique de qualité, notamment en sciences sociales et humaines et en recherche fondamentale (qui n’ont pas d’autres sources de financement), en relation avec les préoccupations et les besoins de la société québécoise, dans le but de permettre aux Québécois de mieux comprendre le monde dans lequel ils vivent. Cette obligation est première par rapport aux visées de croissance économique associées au capitalisme néo-libéral, pour lesquelles la science est avant tout un « levier ». En ce sens et dans un objectif de développement durable qui exige une décroissance de la consommation, la SQRI devrait privilégier la société du savoir (UNESCO 2005) par rapport à l’économie du savoir (OCDE 1996).

Principe 2. L’État peut aider les chercheurs et les universités à mieux s’ancrer dans leurs communautés et à y jouer un rôle majeur de transfert de connaissances et d’innovation. En particulier, le Fonds recherche Québec peut modifier ses pratiques afin de valoriser davantage la recherche collaborative et les activités de diffusion et de transfert des connaissances dans la société en général.

Principe 3. Une politique de la recherche scientifique qui veut impliquer le secteur privé dans des « partenariats » doit être très solide et sans compromis au sujet de l’intégrité des chercheurs et de leurs liens d’intérêts. Les enjeux financiers ne doivent jamais nuire à la qualité des travaux scientifiques, ni à leur diffusion dans l’espace public.

Principe 4. Une politique scientifique dans une société démocratique doit prendre en compte les différentes conceptions du bien commun dans l’organisation et l’orientation de la recherche scientifique, sans nuire à la liberté et à la créativité des chercheurs. Ce principe exige la multiplication d’espace de discussion entre chercheurs, universités, membres de la société civile, industries, instances décisionnelles publiques, en amont et en aval du processus scientifique.

3.2 Le Fonds recherche Québec

Voir les réponses ci-dessus et la réponse 3.4.1.

3.3 Le financement de la recherche

Tel qu’indiqué dans la réponse 2.1, l’Association science et bien commun propose de réduire les crédits d’impôts et prêts accordés pour leurs activités de recherche et développement aux entreprises cotées en bourse et aux grandes entreprises définies selon les critères de la loi applicable sur les mesures fiscales d’aide à la recherche industrielle et de transférer les sommes ainsi récupérées au soutien des formes de recherche qui n’ont pas d’autres ressources (science humaines, sciences sociales, recherche fondamentale).

L’Association propose aussi de transférer au Fonds recherche Québec les budgets alloués à des projets de recherche par les organismes thématiques sectoriels du MDEIE (ex : Genome-Québec, Ouranos, Prompt-Québec, CRIAQ) afin qu’il gère ces projets avec la même transparence et la même rigueur que les autres projets de recherche qui lui sont soumis.

3.4 Autres enjeux, priorités et questionnements

3.4.1 Renforcer l’intégrité scientifique des chercheurs et la responsabilité sociale des universités dans un contexte qui tend à assujettir le travail scientifique à la croissance économique

Les partenariats entre la recherche publique et la recherche privée, notamment en sciences de la santé, de même que la participation de chercheurs universitaires à des projets de recherche privés ne sont acceptables qu’à la condition que l’intégrité des chercheurs en cause soit rigoureusement protégée et encouragée par différentes mesures. Le nombre croissant de rétractations d’articles pour fraude ou manipulation de données et de cas de pots-de-vin versés à des chercheurs montre hélas la nécessité vitale de prendre au sérieux les menaces à l’intégrité scientifique à l’ère de l’économie du savoir, même dans une petite société comme le Québec.

Parmi ces mesures, l’Association propose que le Fonds recherche Québec ou un consortium d’universités québécoises mandaté par le Fonds prépare une formation obligatoire de base en éthique des sciences destinée à tous les nouveaux chercheurs. Cette formation leur offrira un espace de réflexion et de dialogue sur leur pratique scientifique et les problèmes moraux qu’elle pose, notamment les conflits d’intérêts, les pressions indues, les tentations de fraude, les subtilités du travail en équipe, etc. Elle comportera des éléments de philosophie des sciences, d’histoire des sciences et de sociologie des sciences et sera basée sur la réflexion personnelle plutôt que sur l’apprentissage des textes normatifs d’éthique de la recherche qui se fait en d’autres lieux. Les chercheurs ainsi formés auront le temps de construire un regard bien informé sur leur pratique de la science; un tel recul leur permettra de vite percevoir les conflits d’intérêts dans lesquels ils peuvent se placer et de résister efficacement aux tentations de fraude et de manquements à l’éthique. Idéalement, cette formation se poursuivrait sous la forme de la participation à une communauté de pratique, lieu d’échange et de ressourcement des chercheurs.

La valorisation de l’implication des chercheurs dans des activités relatives à l’éthique et l’intégrité en recherche (contribution au développement des politiques institutionnelles, comités, leadership positif au sein de sa discipline, mentorat) est une autre mesure que le Fonds recherche Québec pourrait encourager.

Une loi sur les conflits d’intérêts à l’image du Sunshine Act [6] aux États-Unis pourrait aussi être envisagée, de même que la création d’un ministère de la recherche scientifique détaché des enjeux économiques ou rattaché au ministère de l’Éducation : cette séparation institutionnelle de la recherche scientifique et des intérêts économiques ne pourra que clarifier la frontière entre ces deux domaines de la vie québécoise aux yeux des uns et des autres.


3.4.2 Favoriser la participation des citoyens à la réflexion sur la politique scientifique et l’avenir de la science publique, ainsi qu’aux travaux scientifiques qui en bénéficieraient.

Malgré un délai très court, l’Association science et bien commun a décidé de soumettre le présent mémoire à la consultation organisée par l’ACFAS sur la prochaine SQRI. Cette consultation estivale manifeste une ouverture admirable et innovante du MDEIE à des points de vue externes à son Comité stratégique en science et innovation qui « guidera […] l’élaboration des politiques gouvernementales en la matière, dont la prochaine Stratégie québécoise de la recherche et de l’innovation ». Toutefois, rien ne garantit que le rapport de l’ACFAS et les mémoires soumis seront rendus publics et inspireront le texte final de la SQRI 2013. La composition du Comité stratégique n’a pas été approuvée par le Parlement, si bien qu’aucune forme publique de reddition de comptes sur cette consultation n’est prévue. Le fait que certains de ses membres ont déjà participé aux travaux de la SQRI 2010 laisse augurer un désir de continuité plutôt qu’une réelle volonté de changement. Aucune déclaration de liens d’intérêts des membres de ce comité n’a été rendue publique. L’absence de spécialistes en sciences sociales et humaines et la présence importante de représentants du secteur industriel y sont toujours aussi flagrantes [7]. Ces failles ne sont pas dignes de la démocratie à laquelle aspirent les citoyens québécois.

Afin que la politique scientifique du Québec soit plus transparente, plus démocratique et plus inclusive, il faut non seulement que les différentes sciences soient mieux représentées parmi ses auteurs, mais que des représentants des citoyens qui vivent quotidiennement l’impact des avancées de la science, notamment de la recherche biomédicale, soient impliqués (et pas seulement l’industrie qui peut tirer profit de ces avancées).

Pour les mêmes raisons, il faut que cette politique soit débattue au Parlement, dans le cadre d’une commission parlementaire bien publicisée et ouverte à tous les acteurs de la société qui souhaitent s’impliquer (communauté scientifique, direction des universités, acteurs économiques, grand public, etc.).

La position de l’Association science et bien commun est très claire : il n’existe aucun argument rationnel pouvant justifier l’exclusion de la politique scientifique québécoise des travaux parlementaires qui sont au cœur de notre démocratie. Une politique scientifique est basée sur des lois et un budget issu des fonds publics, si bien que les citoyens québécois ont le droit et la responsabilité de comprendre comment les décisions sont prises en la matière. C’est pour défendre cette idée que l’Association fait actuellement circuler une pétition intitulée : Pétition pour la tenue obligatoire d’un débat parlementaire sur les politiques scientifiques du Québec.

La difficulté est de mobiliser l’intérêt des citoyens pour un débat public dont, d’emblée, la plupart se sentent exclus en raison de leur « incompétence ». Comment attiser l’intérêt des citoyens pour la science qui se fait dans leur société? Les initiatives du MDEIE en matière de « science citoyenne » sont en démarrage et l’Association l’encourage vivement à continuer, si possible en assouplissant les critères du programme Novascience et en l’ouvrant davantage aux médias numériques.

L’Association suggère aussi que le MDEIE crée rapidement un site Web qui regroupe l’ensemble des occasions de participation citoyenne en science (allant de la publicisation des exercices de vulgarisation à un répertoire des boutiques de sciences, en passant par les exercices de citizen science). Le gouvernement du Royaume-Uni dispose de sites qui pourraient servir d’inspiration. Les informations sur la répartition des budgets de recherche, les projets subventionnés par des fonds publics et les publications qui en rendent compte devraient aussi être facilement accessibles sur ce site.

4. Recommandations de l’Association science et bien commun

Recommandations au gouvernement québécois à propos de sa prochaine politique scientifique :

  1. Diversifier la provenance des auteurs de la politique scientifique du Québec pour inclure des représentants des sciences humaines et sociales, de la recherche fondamentale et de la société civile.
  2. Soumettre tout projet de politique scientifique à une étude en Commission parlementaire.
  3. Soutenir financièrement une recherche scientifique publique de qualité, notamment en sciences sociales et humaines et en recherche fondamentale qui n’ont pas d’autres sources de financement, en relation avec les préoccupations et les besoins de la société québécoise, dans le but de permettre aux Québécois de mieux comprendre le monde dans lequel ils vivent.
  4. Privilégier la société du savoir (UNESCO 2005) par rapport à l’économie du savoir (OCDE 1996) et ne soutenir qu’exceptionnellement la recherche privée au sein de la grande industrie qui dispose des capitaux nécessaires à cette fin.
  5. Encourager les chercheurs et les universités à s’ancrer davantage dans leurs communautés et à y jouer un rôle majeur de transfert de connaissances et d’innovation en valorisant davantage dans les dossiers des chercheurs la recherche collaborative et les activités de diffusion et de transfert des connaissances vers la société en général.
  6. Préparer une formation obligatoire de base en éthique, sociologie et histoire des sciences destinée à tous les nouveaux chercheurs.
  7. Mettre en place au sein du ministère responsable de la science une cellule permanente de réflexion sur la priorisation des domaines de recherche, indépendante des lobbies de chercheurs, d’universités et d’industriels.
  8. Abolir le concept de projet mobilisateur et ramener sous la juridiction du Fonds recherche Québec la gestion de toutes les subventions aux chercheurs dans tous les domaines de recherche.
  9. Inciter tous les ministères actifs en recherche et en innovation à se doter d’une politique active de recours à l’expertise québécoise et internationale sur les sciences.
  10. Créer un portail Internet regroupant toutes les occasions de participation citoyenne en science.
  11. Inciter fortement les chercheurs et les revues scientifiques à rendre accessibles gratuitement sur Internet leurs publications issues de projets financés par des fonds publics québécois.
  12. Encourager les universités à développer leur mission de service à la collectivité et des programmes qui appuient la collaboration des chercheurs avec la société civile ou les milieux de pratique.
  13. Décentraliser les espaces de réflexion sur la science et l’innovation en incitant les régions à se doter de comités régionaux de la recherche scientifique et de laboratoires vivants.
  14. Appuyer le développement du mouvement « Open data » au Québec, qui vise le partage des données brutes pour augmenter la coopération entre les chercheurs.
  15. Encourager les croisements de disciplines dans les projets de recherche en repensant les comités d’évaluation des demandes de subvention.

Notes

[1]   La page a été supprimée du site du MDEIE.

[2]    Secrétariat du Conseil du Trésor. Budget des dépenses 2011-2012, volume II, crédits des ministères et organismes.

[4]    Écosystème ouvert porté par les usagers qui engage et motive les parties-prenantes, stimule le co-design et la co-création de technologies, de produits, de services, d’innovations sociales, crée de nouveaux marchés et permet la transformation de comportements (Alvaro de Oliviera, président de l’European Network of Living Lab).

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Pour une politique scientifique au service du bien commun Copyright © 2015 by Florence Piron is licensed under a Creative Commons Attribution 4.0 International License, except where otherwise noted.

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