9
Joseph Satish
Anna Mani, passionnée de science dès son enfance, a contribué à la compréhension des changements climatiques en imaginant des outils pour mesurer le trou dans la couche d’ozone.
La passion de la connaissance
Anna Modayil Mani est née le 23 août 1918 dans l’État du Tranvancore (maintenant appelé Kerala), dans la partie sud de l’Inde. Elle était la septième d’une famille de huit frères et sœurs. Son père était un ingénieur civil prospère qui possédait de grands domaines où était cultivée la cardamome. C’était une famille typique des classes sociales supérieures qui préparait les garçons à des carrières professionnelles et les filles au mariage. Anna, cependant, avait ses propres plans. À l’âge de douze ans, elle avait lu presque tous les livres en anglais et en malayalam (langue régionale) de sa bibliothèque locale. À son huitième anniversaire, elle a refusé le cadeau d’usage de sa famille, une paire de boucles d’oreilles en diamant, préférant recevoir l’Encyclopedia Britannica. Telle était sa passion pour la connaissance.
Née pendant un moment crucial de l’histoire de l’Inde, alors que le Congrès national indien dirigé par Mahatma Gandhi avait adopté comme objectif l’indépendance complète de l’Inde, Anna Mani a été profondément inspirée par le nationalisme indien. Même si elle n’a pas rejoint le mouvement nationaliste, elle se mit à porter le khadi (tissu tissé à la main) pour le reste de sa vie. Son aspiration à la liberté personnelle renforça aussi en elle le désir de poursuivre sa formation à l’université au lieu de se marier tôt comme ses sœurs.
De la physique à la météorologie
Anna Mani s’inscrivit au programme de physique du Collège Présidentiel de Madras (Chennai). Après avoir terminé son premier cycle en 1940, elle obtint une bourse pour mener des recherches en physique à l’Indian Institute of Science, à Bangaluru. Elle fut acceptée comme étudiante-chercheuse dans le laboratoire du prix Nobel C.V. Raman où elle travailla sur la spectroscopie des diamants et des rubis. Anna Mani a enregistré et analysé la fluorescence, l’absorption et les spectres Raman dans plus de trente diamants différents. Ses longues et laborieuses expériences lui ont permis de publier comme seule auteure cinq articles à ce sujet entre 1942 et 1945. En août 1945, elle soumit sa thèse de doctorat à l’Université de Madras. Toutefois, son diplôme de doctorat ne lui fut jamais décerné officiellement, parce que l’Université affirmait qu’elle n’avait pas reçu de diplôme de maîtrise au préalable. Jusqu’à aujourd’hui, sa thèse de doctorat est restée dans la bibliothèque de l’Institut de recherche Raman. Mais l’absence du titre doctoral eut peu d’impact puisqu’elle reçut rapidement une bourse du gouvernement pour effectuer un stage en Angleterre pendant lequel elle se spécialisa dans l’instrumentation météorologique.
Après ses études en Angleterre, Anna Mani retourna dans l’Inde indépendante de 1948 et rejoignit le Département météorologique indien (IMD) à Pune. Motivée par la ferveur nationaliste, elle souhaitait rendre l’Inde autosuffisante dans la conception et le déploiement d’instruments météorologiques. Lors d’une période intense d’activités scientifiques, elle guida une équipe de scientifiques et d’ingénieurs indiens dans le développement d’instruments météorologiques. En 1953, elle devint directrice d’un service, 121 hommes travaillant pour elle – une situation inhabituelle dans l’Inde d’alors. Son association avec l’IMD a duré près de trois décennies pendant lesquelles elle publia des articles sur un large éventail de sujets, notamment l’ozone atmosphérique et les comparaisons d’instruments internationaux et nationaux de normalisation des instruments météorologiques. Elle a pris sa retraite en 1976 alors qu’elle était directrice générale adjoint de l’IMD.
Une pionnière dans l’étude de la couche d’ozone
Anna Mani a été une pionnière dans le développement d’un appareil pour mesurer l’ozone – la sonde de mesure d’ozone. Il est tout à son honneur que l’Inde soit devenue l’un des rares pays au monde à avoir sa propre sonde de mesure d’ozone. L’Association météorologique mondiale (OMM) a très vite compris cette contribution et a fait d’elle un membre de la Commission internationale de l’ozone. Elle publia plus tard le Manuel de la radiation solaire pour l’Inde (Handbook for Solar Radiation for India, 1980) et La radiation solaire en Inde (Solar Radiation over India, 1981), deux livres qui sont devenus des références dans le domaine des systèmes solaires thermiques en Inde. Elle a également su envisager de manière réaliste le potentiel de l’énergie éolienne en Inde et a publié Wind Energy Data for India (en 1983). Aujourd’hui, si l’Inde est l’un des leaders mondiaux dans la mise en place de parcs éoliens, une partie du crédit en revient à Anna Mani. Elle a également été l’une des rares scientifiques à combler le fossé entre universités et entreprises en dirigeant une petite entreprise qui fabriquait des instruments de mesure de la vitesse du vent et de l’énergie solaire.
En 1994, Anna Mani a subi un accident vasculaire cérébral qui la rendit immobile pour le reste de sa vie. Elle est décédée le 16 août 2001 à Thiruvananthapuram, le lendemain de l’anniversaire de l’Indépendance de l’Inde.
Femme, chercheuse et citoyenne
Anna Mani était aussi une passionnée de la nature – elle aimait la randonnée, la mer et l’observation des oiseaux. Elle était très impliquée dans les questions environnementales même si elle ne s’est jamais vue comme une écologiste.
L’histoire d’Anna Mani peut inspirer les hommes et les femmes dans une égale mesure. Elle a vaincu de nombreux obstacles sociaux et physiques, tout en contestant les stéréotypes sexuels. Lors d’une interview, elle se rappelle comment des erreurs, même légères, dans la manipulation d’instruments ou la mise en place d’expériences étaient vues par ses collègues masculins comme des signes de l’incompétence des femmes. Même après avoir travaillé avec des chercheurs prestigieux comme C.V. Raman pendant ses études de troisième cycle, elle a dû surmonter l’isolement professionnel imposé aux chercheuses, à qui il était interdit de participer aux discussions scientifiques avec leurs homologues masculins. Son histoire exceptionnelle s’est déroulée à la confluence de la science, du nationalisme et des rapports de genre.
Prix
Elle a mérité plusieurs distinctions académiques. Elle a été élue à l’Académie nationale des sciences indiennes (INSA) en 1977 et a siégé à son Conseil en 1982-84. Elle a également été membre de la Société météorologique indienne, de la Royal Meteorological Society, de l’Institution of Electronics and Telecommunication Engineers, de l’International Solar Energy Society et de bien d’autres organismes internationaux . Elle a reçu la Médaille INSA K R Ramanathan en 1987 pour ses recherches sur l’ozone atmosphérique pendant plus de 30 ans.
Références
Sur, Ahba (s.d.), « An appreciation of Anna Mani », Lilavati’s Daughters: The Women Scientists of India.
http://www.ias.ac.in/womeninscience/LD_essays/20-23.pdf.
Gupta, Arvind (2009), « Anna Mani – 1918-2001 », Bright Sparks. Inspiring Indian Scientists from the Past, Indian National Science Academy. http://www.arvindguptatoys.com/arvindgupta/bs30annamani.pdf.
Sreedharan, C.R. (2008), « Anna Mani – A Student Remembers », Resonance.
http://www.ias.ac.in/resonance/Volumes/13/11/1020-1026.pdf.
Sur, Ahba (2001), « The life and times of a pioneer », The Hindu. Online Edition of India’s National NewsPaper.
http://www.hindu.com/2001/10/14/stories/1314078b.htm.
Ashford, Olivier M. (2001), « Anna Modayil Mani – A tribute », Current Science, vol 81, no. 9, pp. 1251.
http://www.iisc.ernet.in/currsci/nov102001/1251.pdf.
Pour aller plus loin
Sur, Ahba (2001), “Dispersed Radiance: Women Scientists in C.V. Raman’s Laboratory”, Meridiens, vol.1, no. 2, pp. 95-127.
(Traduction: Florence Piron)
English Original Version
Anna Modayil Mani was born the seventh of eight siblings on August 23, 1918 in the formerly princely state of Tranvancore (now called Kerala) in the southern part of India. Her father was a prosperous civil engineer who owned large cardamom estates. The family was a typical upper class household where the boys were groomed for professional careers while the girls were readied for marriage. Anna, however, had plans of her own. By the time she was twelve she had read almost all the books in English and Malayalam (the regional language) in the local library. On her eighth birthday, she declined her family’s customary gift of a pair of diamond earrings, choosing instead the Encyclopedia Britannica. Such was her passion for knowledge.
Born during a crucial moment in India’s history when the Indian National Congress led by Mahatma Gandhi had adopted as its goal complete independence from the British, Anna Mani was deeply inspired by Indian nationalism. Although she did not join the nationalist movement she took to wearing khadi (handwoven cloth) and continued to wear khadi for the rest of her life. A sense of personal freedom also reinforced in her the desire to pursue her goals of higher education instead of marrying early like her sisters did.
Anna Mani enrolled for the honors program in physics at the Presidency College in Madras (now Chennai). After finishing college in 1940, she obtained a scholarship to conduct research in physics at the Indian Institute of Science, Bengaluru. She was accepted as a graduate student in Nobel Laureate CV Raman’s laboratory where she worked on the spectroscopy of diamonds and rubies. Anna Mani recorded and analyzed fluorescence, absorption and Raman Spectra in over thirty different diamonds. Her long and painstaking experiments saw her single handedly author five papers on these subjects, between 1942 and 1945. In August 1945, she submitted her PhD dissertation to the Madras University. However, she was never awarded a doctoral degree because the University claimed that she did not have a M. Sc. Degree. Till today, her doctoral thesis remains in the library of the Raman Research Institute. But the lack of a PhD degree made little difference to her scientific expertise for she was soon awarded a government scholarship for an internship in England where she specialized in meteorological instrumentation.
Following her scholarship in England, Anna Mani returned in Independent India in 1948 and joined the Indian Meteorological Department (IMD) in Pune. Driven by the nationalist fervor she desired to make India self sufficient in designing and deploying weather instruments. She led a period of intense activity and inspired a team of Indian scientists and engineers to develop meteorological instruments in India. By 1953, she was promoted to be head of the division with 121 men working for her – an unusual situation in India then. Her association with the IMD spanned close to three decades and saw her publish papers on a range of topics including atmospheric ozone, international instrument comparisons and national standardization of meteorological instrumentation. She retired in 1976 as Deputy Director General of the IMD.
Anna Mani was a pioneer in developing an apparatus to measure ozone – the ozonesonde. It is to her credit that India became one of the few countries in the world to have its own ozonesonde. The World Meteorological Association (WMO) was quick to realize this contribution and made her a member of the International Ozone Commission. She later published the Handbook for Solar Radiation for India (in 1980) and Solar Radiation over India (in 1981), two volumes which have become standard reference guides for those engaged in solar thermal systems in India. She also envisioned a realistic potential for wind energy in the country and published Wind Energy Data for India (in 1983); today, India is one of the leaders in setting up wind farms across the country and part of the credit goes to Anna Mani. She was also one of the few scientists to bridge the academia-industry gap; she headed a small enterprise that manufactured instruments for measuring wind speed and solar energy.
Anna Mani was also passionate about nature – she loved trekking, going to the sea and enjoyed bird watching. She was very interested and involved in environmental issues though she never saw herself as an environmentalist. She held several academic distinctions. She was elected to the Indian National Science Academy (INSA) in 1977 and served on its Council from 1982-84. She was also a Fellow/Member of the Indian Meteorological Society, Royal Meteorological Society, Institution of Electronics and Telecommunication Engineers, International Solar Energy Society and many other international bodies. She was awarded the INSA K R Ramanathan Medal in 1987 for her research on atmospheric ozone extending more than 30 years.
Anna Mani’s is a success story which inspires both men and women in equal measure. She crossed the numerous social and physical barriers in her path while challenging gender stereotypes. During an interview she recalls how even slight errors in handling instruments or setting up experiments were seen by male colleagues as signs of female incompetence. Despite having worked with stalwarts like CV Raman during her graduate days, she had to overcome professional seclusion forced upon women scientists when they were denied access to scientific discussions with their male counterparts. She represents one of those few champions who stand at the confluence of science, nationalism and gender ideologies.
In 1994, Anna Mani suffered a stroke which rendered her immobile for the rest of her life. She passed away on 16 August 2001 in Thiruvananthapuram, a day after India’s Independence Day.
Bibliography
Sur, Abha (s.d.), « An appreciation of Anna Mani », Lilavati’s Daughters: The Women Scientists of India. En ligne. <http://www.ias.ac.in/womeninscience/LD_essays/20-23.pdf>.
Gupta, Arvind (2009), « Anna Mani – 1918-2001 », Bright Sparks. Inspiring Indian Scientists from the Past, Indian National Science Academy. <http://www.arvindguptatoys.com/arvindgupta/bs30annamani.pdf>.
Sreedharan, C.R. (2008), « Anna Mani – A Student Remembers », Resonance. En ligne. <http://www.ias.ac.in/resonance/Volumes/13/11/1020-1026.pdf>.
Sur, Abha (2001), « The life and times of a pioneer », The Hindu. Online Edition of India’s National NewsPaper. En ligne.<http://www.hindu.com/2001/10/14/stories/1314078b.htm>.
Ashford, Olivier M. (2001), « Anna Modayil Mani – A tribute », Current Science, vol 81, no. 9, pp. 1251. <http://www.iisc.ernet.in/currsci/nov102001/1251.pdf>.
Further Reading
Sur, Abha (2001), “Dispersed Radiance: Women Scientists in C.V. Raman’s Laboratory”, Meridiens, vol.1, no. 2, pp. 95-127.