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27 Traducteurs

Des outils de traduction automatique sont disponibles en ligne et peuvent être utilisés de manière très simple, pour de nombreuses langues aujourd’hui. Certains de ces outils ont été produits par les géants de l’internet (ex. Google translate), mais des outils spécialisés indépendants comme DeepL sont également disponibles.

La traduction automatique a été un défi historique spécifique pour l’intelligence artificielle et les diverses technologies d’IA ont été testées au fil des ans. Les systèmes basés sur des règles (avec des règles construites à la main par des experts) ont été remplacés par des techniques d’apprentissage automatique statistique lorsque des ensembles de données de textes parallèles sont devenus disponibles. Et au cours des 5 dernières années, les techniques d’apprentissage profond sont devenues l’état de l’art.

Alors qu’il y a quelques années, on pouvait passer un moment agréable à tester ces outils qui renvoyaient des traductions amusantes de chansons ou de menus par exemple, ce n’est plus le cas aujourd’hui :

  • Les institutions internationales envisagent d’utiliser des outils de traduction automatique pour soutenir le multilinguisme.
  • Les plateformes vidéo des grands médias utiliseront la traduction automatique plutôt que la traduction humaine afin de mieux toucher le public.
  • Les personnes bilingues et les professionnels de la traduction semblent utiliser ces outils dans leur vie et dans leurs activités professionnelles.

En outre, d’autres améliorations sont encore à venir : la qualité de la traduction continue d’augmenter, les solutions qui combinent les traductions avec les transcriptions et la synthèse vocale permettant une communication multilingue sans faille vont être courantes dans pas si longtemps.

Même si ces outils n’ont pas été conçus pour l’éducation, ils ont déjà un impact sur celle-ci.

Les élèves utilisent-ils la traduction automatique ?

« Improbable translation » par giopuo est sous licence CC BY-NC-SA 2.0. Pour une copie de la licence, https://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/?ref=openverse.

À notre connaissance, il n’existe aujourd’hui (décembre 2022) aucun document officiel public mesurant si c’est un enjeu, ni aucune enquête à grande échelle. Il existe des discussions sur des forums3 et des articles présentant des moyens possibles d’éviter la tricherie avec l’IA, ou suggérant des moyens d’introduire l’IA dans les cours de langues étrangères. Ceux-ci partent de l’hypothèse que l’utilisation d’outils de traduction automatique par les élèves est largement répandue.

Dans une enquête plus petite et informelle que nous avons menée en avril 2022 auprès d’enseignants de diverses langues (anglais, français, allemand) de différents niveaux (les classes principales correspondaient à des élèves de 12-16 ans), et en région parisienne – donc les élèves et les enseignants étaient français -, le phénomène était courant. Les enseignants ont tous dû faire face à des élèves qui, une fois sortis de la classe, faisaient usage de DeepL ou de Google translate.

Voici quelques-unes des remarques reçues :

  • La seule compétence que les élèves paraissent acquérir est le copier-coller.
  • Même les meilleurs élèves et les plus motivés le font : ils vont essayer de faire leurs devoirs par eux-mêmes, mais ensuite ils vont vérifier avec un outil de traduction automatique et le plus souvent se rendre compte que le résultat automatique est bien meilleur que le leur, donc ils vont garder la solution construite par la machine.
  • Il y a même maintenant un problème de motivation car les élèves commencent à remettre en question l’utilité d’apprendre des langues.

L’analyse ci-dessus nécessite beaucoup plus de travail : une enquête généralisée sur différents pays serait certainement utile. Mais les discussions avec diverses parties prenantes nous ont permis d’envisager ce qui suit.

  • Lors de la présentation des expériences ci-dessus, un exemple typique consiste à discréditer l’idée que l’enseignant devrait simplement demander, comme devoir, de traduire un texte. Ce n’est pas tout : même pour des exercices plus créatifs (comme la rédaction d’une dissertation sur une question particulière), des outils de traduction automatique peuvent être utilisés : l’élève rédigera la dissertation dans sa propre langue, puis la traduira.
  • La question de la motivation est essentielle. Elle n’est pas nouvelle : en 2000, des auteurs et des éducateurs argumentaient déjà : “certains considèrent la poursuite de la compétence en langue étrangère comme un effort admirable, d’autres peuvent la considérer comme inutile si une alternative efficace existe”5.

Nos observations coïncident avec des réactions trouvées dans des forums ou rapportées dans la littérature4.

Les traducteurs automatiques peuvent-ils tromper les enseignants ?

Cette question a été posée et aujourd’hui, des articles de blog semblent indiquer qu’un professeur de langue reconnaîtra une traduction automatique, même si elle a été corrigée par un humain à un stade ultérieur : Birdsell1 a imaginé une tâche où des étudiants japonais devaient écrire un essai de 500 mots en anglais. Certains devaient l’écrire directement, avec l’utilisation des outils habituels (dictionnaires, correcteurs orthographiques) et d’autres devaient écrire la dissertation en japonais puis la traduire -en utilisant DeepL- en anglais. Fait intéressant, il a constaté que les enseignants notaient mieux les étudiants du deuxième groupe mais qu’ils étaient également capables d’identifier les dissertations écrites par DeepL.

Les outils de traduction automatique peuvent-ils être combinés avec des générateurs de texte ?

Il est encore trop tôt pour prédire quel sera le cours des événements, mais la réponse est pour l’instant, oui. A titre d’exemple simple, des journalistes en France ont utilisé un outil de générateur de texte (Open-AI playground) pour produire un certain texte, puis ont fait tourner DeepL dessus et se sont sentis à l’aise pour présenter ce texte à la communauté2.

L’utilisation d’un traducteur automatique est-elle une tricherie ?

Il va être difficile de répondre à cette question. En consultant les forums de discussion sur internet3, on peut facilement être convaincu qu’il s’agit de tricherie : des règles strictes sont données aux étudiants pour qu’ils n’utilisent pas ces outils, et, s’ils ne respectent pas les règles, ils sont pris en train de tricher et seront punis. Mais les arguments peuvent aussi être présentés dans l’autre sens : l’éducation étant d’apprendre aux individus à utiliser intelligemment les outils afin d’effectuer des tâches, pourquoi ne pas permettre à un élève d’apprendre à utiliser les outils qu’il trouvera à l’extérieur de l’école ?

Ce manuel n’est pas autorisé à donner une réponse définitive ici mais nous suggérons aux enseignants d’explorer de quelle manière ces outils peuvent être utilisés pour apprendre les langues.

Que doit faire un enseignant à ce sujet ?

Florencia Henshaw discute d’un certain nombre d’options4, dont aucune ne semble convaincante :

  • L’approche consistant à expliquer que l’IA ne fonctionne tout simplement pas (un favori des forums3) : même si les élèves sont d’accord avec cela -mais il va être de plus en plus difficile de les convaincre qu’un outil qui fonctionne mieux que leurs parents est mauvais- ils l’utiliseront quand même.
  • L’approche de la tolérance zéro repose sur le fait de pouvoir détecter l’utilisation de l’IA. C’est peut-être le cas aujourd’hui1 mais il n’est pas certain que cela le reste. Elle doit également être remise en question par rapport à une question fondamentale : l’utilisation de l’IA est-elle une tricherie ? En quoi est-ce différent de l’utilisation de lunettes pour mieux lire ou d’une brouette pour transporter des objets ?
  • L’approche selon laquelle l’outil ne peut être utilisé que partiellement (pour rechercher des mots individuels par exemple) est également critiquée4 : les outils de traduction automatique fonctionnent parce qu’ils utilisent le contexte. Sur des mots individuels (hors contexte), ils ne seront pas plus performants que les dictionnaires.
  • L’approche consistant à utiliser l’outil de manière intelligente, dans et hors de la classe, est tentante mais nécessitera plus de travail pour développer des activités qui seront d’une aide réelle aux situations d’apprentissage.

1 Birdsell, B. J., Student Writings with DeepL: Teacher Evaluations and Implications for Teaching, JALT2021  Reflections & new perspectives 2021.

2 Calixte, L, Novembre 2022, https://etudiant.lefigaro.fr/article/quand-l-intelligence-artificielle-facilite-la-fraude-universitaire_463c8b8c-5459-11ed-9fee-7d1d86f23c33/.

3 Reddit discussion on Automatic translation and cheating. https://www.reddit.com/r/Professors/comments/p1cjiu/foreign_language_teachers_how_do_you_deal_with/.

4 Online Translators in Language Classes: Pedagogical and Practical Considerations, Florencia Henshaw, The FLT MAG, 2020, https://fltmag.com/online-translators-pedagogical-practical-considerations/.

5 Cribb, V. M. (2000). Machine translation: The alternative for the 21st century?. TESOL Quarterly, 34(3), 560-569. https://doi.org/10.2307/3587744.

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IA pour les enseignants : un manuel ouvert Copyright © 2024 by Colin de la Higuera et Jotsna Iyer is licensed under a Licence Creative Commons Attribution 4.0 International, except where otherwise noted.

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